.
"There you see her,
Sitting there across the way,
She don't got a lot to say,
But there's something about her."
.
Il n'était que 8h du matin, mais j'étais debout depuis presque 24h déjà, à travailler encore et encore, jour et nuit sans aucun repos...
Je m'appelle Alisone Blackthorn, j'ai 30 ans et je vis et travaille sous le joug de la terrible Dr Hess, que je devais nommer "Boss".
Je suis une jeune femme très fine, voir maigre en réalité, avec une peau blanchâtre, parsemée de millions de grains de beauté. J'ai de longs cheveux châtain noués en une imposante tresse.
Je portais la tenue obligatoire du Coffee Shop : Une robe bleue, déchirée par endroit, avec un tablier blanc, des Converses aux pieds et les bretelles qui tombaient sur mes frêles épaules.
J'étais exténué. Le Café était plein, comme souvent.
Toujours, en toute occasion.
Je faisais absolument tout dans la boutique :
Prendre les commandes, les servir, réaliser les différentes centaines de cafés, les pâtisseries, le ménage, m'occuper de la caisse et des paiements, etc, etc.
Bref, TOUT.
Et j'étais seule.
Seule ?
Eh bien...
Dr Hess passait de temps en temps pour me regarder me tuer à la tâche, avec un sourire sadique sur les lèvres. Elle se tenait généralement dans un coin, lèvres rouge sang et pincées, son chignon impeccable et portant un tailleur plus cher que son Coffee Shop. Lorsque j'entendais ses talons claquer sur le sol carrelé, mon ventre se nouait et mon cœur s'arrêtait de battre.
Néanmoins, "battre", c'était son travail à elle.
Et elle se délectait des coups qu'elle me portait.
Je n'étais pas payé. Je n'étais qu'une orpheline que Dr Hess avait "sauvé" de la rue, comme elle aimait à me le rappeler. Je dormais toujours dans une salle de l'orphelinat de "Kendricks". Pour faire simple : je n'étais qu'une esclave, une main d'œuvre gratuite à sa solde de la Directrice, et parfois, j'étais aussi son punching-ball.
Des bleus et des bosses marquaient ma peau pâle, mes poignets étaient très souvent écarlates, comme mes yeux explosés de fatigue, mes cernes ternissaient mon visage et mon cerveau réalisait le job en pilotage automatique, puisant dans des réserves énergétiques que je n'avais plus.
Il n'était que 8h du matin, mais j'étais debout depuis presque 24h déjà, à travailler encore et encore, jour et nuit sans aucun repos...
.
"And you don't know why,
But you're dying to try,
You wanna kiss the girl."
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La queue traversait entièrement le Coffee Shop jusqu'à l'extérieur. Les clients commandaient leurs viennoiseries et leurs cafés matinaux. Alors, je courais partout, je jonglais entre le percolateur, la caisse et le réfrigérateur, tout en calculant les prix sur une vieille calculatrice à gros boutons.
J'étais si épuisé, mes yeux me brûlaient et ma tête tournait. Impossible de savoir de quand datait mon dernier repas. Le plus souvent, je mangeais les restes invendus.
Malgré mon épuisement, Dr Hess me tuait du regard dans un coin du restaurant, me faisant trembler de terreur en servant les clients.
J'étais presque sûr que tout ceci n'était qu'un cauchemar, et que je pouvais tout lâcher et partir en courant. Mais, par précaution, j'ai continué mon travail.
Puis, quelques heures plus tard, il est revenu.
Mick Davies.
Avec son ami Arthur Ketch.
Ils venaient tous les matins pour boire deux espressos.
C'était la seule chose qui me faisait tenir, la perspective de revoir Mick. De revoir son visage doux, son sourire calme, et ses profonds et magnifiques bleus translucide.
Les deux amis s'installaient toujours à la même petite table ronde dans un coin et ils n'avaient même plus besoin de passer leurs commandes, car je la connaissais par cœur. Et, mon cœur, lui, tambourinait dans ma poitrine en voyant Mick.
Il égayait ma journée, ma vie et je le trouvais tellement mignon dans sa chemise blanche froissée, ouverte sur le devant. Je pouvais deviner son torse pileux sous le tissu, tandis que ses yeux brillaient d'admiration en m'admirant moi avec intensité.
Nous étions amoureux.
Malheureusement, Dr Hess m'interdisait d'aimer.
Et, pour le moment, Mick et Arthur ignoraient tout de l'horrible condition dans laquelle je vivais.
Pour le moment...
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"Yes, you want her,
Look at her, you know you do,
Possible she wants you too,
There is one way to ask her."
.
La file diminuait un peu, les clients râlaient à cause de l'attente, mais j'étais seule pour tout faire. Dr Hess me tuait du regard. Je savais qu'elle était énervée, comme souvent, et je savais que j'allais le payer...
J'avais raison.
Mick et Arthur discutaient à leur table, tandis que mon amant jetait des coups d'œils inquiets dans ma direction. Je crois qu'il commençait à comprendre, même s'il avait eu des doutes avant cette funeste journée. Ma tête tournait de plus en plus, une soudaine fièvre et des vertiges s'emparèrent de mon corps sans mon consentement. Si je fermais les yeux, je tomberais de fatigue sur le sol. Alors, j'ai continué mon travail, parce que le Boss claquait des talons autour de moi, comme un lion entourant sa proie. Je passais souvent devant la table des deux Anglais pour servir les autres clients. Le sourire de Mick s'effaça et un voile inquiet ternit ses yeux translucides.
Au moment de mon troisième passage, il murmura :
- Alisone ?
Sa voix était cassée.
Comme mon âme.
Mick tiqua, tandis que son ami Arthur commença à s'inquiéter à son tour.
Néanmoins, pas le temps de me pauser, maintenant que les clients étaient tous servit, je devais retourner dans l'arrière-boutique pour remplir les cafetières de nouveaux grains torréfiés.
Évidemment, une fois la porte fermée derrière moi, loin des buveurs de café dans la boutique, j'étais désormais seule...
... Avec Dr Hess, qui apparut par magie noire dans mon dos.
Je sursautais, le corps tremblant :
- Boss ?
- Tic tac, Alisone...
Elle s'approcha de moi en faisant claquer ses Louboutin sur le sol. Par réflexe, j'ai reculé jusqu'à toucher le mur du fond. Elle reprit, avec son air hautain habituel :
- Tu es en retard...
Mon cœur rata un battement.
- Je... Je suis désolée... Il y avait beaucoup de monde ce matin, et...
- Des excuses, toujours des excuses...
Au moment où je glissais sur le côté pour atteindre la sortie, Dr Hess jeta sa main sur mon bras gauche et ses doigts crochus s'accrochèrent à ma peau comme une sangsue. Elle serra si fort qu'une marque rougeâtre se formait déjà. J'essayais de me débattre, mais elle avait plus de force que moi, et elle était clairement plus reposée que moi. De fait, elle me poussa aussi facilement qu'une plume contre le mur de la porte. Ma tête heurta la tapisserie décrépie, et Dr Hess profita de ce moment pour me frapper avec son poing serré et ses anneaux dorés. Il ne m'en fallut pas plus pour finalement tomber par terre, telle une poupée de chiffon. Mes jambes me lâchèrent, puis mon crâne cogna le carrelage dans un bruit sourd.
Dr Hess me toisa de haut, puis aboya :
- Retourne au boulot, sale orpheline. Sers au moins à quelque chose...
Si je n'étais pas aussi épuisée, j'aurais sûrement pleuré.
Mais pleurer demandait trop d'énergie.
Et je n'en avais clairement plus.
.
"It don't take a word,
Not a single word,
Go on and kiss the girl."
.
J'avais l'impression de marcher dans un brouillard intense, en pilotage automatique. Ma tête hurlait de douleur, mes poignets brûlaient, mais j'ai repris le boulot dans le Café. Il ne restait plus beaucoup de clients. Seulement Mick et Arthur, toujours autour de leur table habituelle. Alors, je suis allée les voir pour leur demander s'ils souhaitaient commander autre chose, mais la panique dans les yeux translucides de Mick eut raison de moi. Il se leva, le souffle coupé, et s'approcha de moi, lentement, très lentement.
- Alisone ?
Lorsque ses mains se posèrent délicatement sur mes bras marqués, une charge électrique parcourut mon corps entier. Je me suis mise à trembler frénétiquement.
- Alisone ?!
Puis, je suis tombée.
Et tout est devenu noir.
J'ai entendu Mick hurler, ordonner à son ami d'appeler les Urgences.
Puis, Dr Hess quitta l'arrière-boutique pour s'exciter sur les deux Anglais, leur invectivant de me laisser, que je devais retourner bosser.
- Êtes-vous folle ?! s'énerva Mick.
Il était à genoux par terre, me tenant dans ses bras, ma tête contre sa poitrine. Arthur jeta un regard noir à ma Boss et se planta devant elle pour grogner. Arthur était un homme très imposant, grand, avec une carrure très musclée et un visage fermé qui ne donnait jamais envie à personne de se mesurer à lui.
Enfin, personne, sauf l'infâme Dr Hess, bien sûr...
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"Sing with me now,
My oh my,
Look like the boy too shy,
Ain't gonna kiss the girl."
.
Mick usa de toutes ses forces pour me relever, j'ai enroulé mon bras gauche autour de sa nuque. Pendant qu'il me soutenait pour ne pas que je sombre à nouveau, Arthur se jeta sur ma patronne et lui donna un violent coup de poing dans la mâchoire.
Dr Hess ne broncha même pas, elle tuait simplement l'homme du regard. Mick n'attendit pas plus longtemps, il se mit à courir du mieux possible avec moi contre son corps. Nous quittâmes le Coffee Shop pour nous diriger vers le parking. Je n'avais pas mis les pieds dehors depuis un très long moment et j'étais heureuse de respirer l'air frais du matin. Enfin, si nous oublions quelques minutes les circonstances de ma présence à l'extérieur. Les montagnes verdoyantes s'élevaient devant nous.
Mick se dirigea hors du parking pour le contourner et se diriger vers les falaises, où nous pourrions nous cacher.
Arthur Ketch courut dans notre direction et nous rattrapa en quelques minutes.
- Hey ! L'abominable Boss vient d'appeler ses sbires pour récupérer Alisone. Nous devons la cacher !
Le cœur de Mick rata un battement et je luttais pour ne pas tourner de l'œil.
Mick me serra plus fort contre lui et Arthur ouvrit la marche pour chercher un abri au milieu des falaises, entre deux ruines de tours construites en pierres claires.
Lorsque, enfin, nous nous posâmes dans le creux d'une colline, Mick s'assit contre la paroi d'herbe verte, puis il me prit dans ses bras et embrassa mon front, en murmurant :
- Est-ce que ça va ?
Je fis simplement "oui" de la tête.
J'étais encore trop épuisée pour parler, bien que mon esprit était en feu dans mon Palais Mental. Je me suis simplement blottie contre Mick.
.
"Now's your moment,
Floating in a blue lagoon,
Boy, you better do it soon,
No time will be better."
.
Arthur nous abandonna quelques minutes, il entendait les pas de Dr Hess arriver vers nous, accompagnés de ses hommes de main. Pendant que notre ami espionnait nos ennemis, Mick me serra plus fort contre lui. Il murmura des paroles réconfortantes à voix basse. Cela eut le mérite de me faire réagir. Juste assez pour que je puisse lever mes yeux vers lui, pour plonger dans la transparence de ses iris océan. Tandis qu'une de ses mains me tenait fermement, l'autre me caressa les cheveux pour glisser quelques mèches rebelles derrière mes oreilles.
Puis, lentement, il se pencha vers moi et nos lèvres se touchèrent enfin.
Notre baiser fut d'abord chaste et simple. Mais, plus nous nous embrassions et plus je reprenais des forces. Je reprenais de l'énergie dans la source de notre amour.
Impossible de savoir combien de temps exactement nous sommes restés ainsi, mais nos bouches refusaient de se séparer.
.
"She don't say a word,
And she won't say a word,
Until you kiss the girl.
Don't be scared,
You got the mood prepared,
Go on and kiss the girl."
.
Ce fut l'arrivée soudaine d'Arthur qui nous sépara enfin.
Il ne fut même pas surpris de nous voir nous embrasser passionnément. Il débarqua à bout de souffle devant nous et avoua, apeuré :
- Ils arrivent. Nous devons nous cacher !
Mick se leva d'un bond et me tira vers lui pour me porter à nouveau. Je me sentais un peu mieux, mais j'étais quand même encore trop faible pour courir sans aide. Nous avons ainsi suivi Arthur, qui nous guida au milieu de la vallée.
Les nuages cachèrent le soleil et une grisaille magique nous enveloppa. Dans l'écho des falaises, nous pouvions entendre Dr Hess hurler des ordres à ses gardiens, tout en m'insultant à distance.
Mon cœur se serra.
Mick se retournait frénétiquement pour vérifier que nous étions assez en avance sur nos poursuivants.
Pour le moment, oui.
Pour le moment.
Arthur comprit que nous ne pourrions pas courir éternellement. Surtout pas moi.
Il trouva une crevasse entre deux collines, sous nos pieds.
Mick m'aida à me glisser dans son antre.
La fraîcheur de la grotte nous accueillit et Mick m'amena au fond. La semi-obscurité nous cachait suffisamment.
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"Don't stop now,
Don't try to hide it how,
You want to kiss the girl."
.
Nous entendîmes nos ennemis au-dessus de nous, marcher sur le tertre dans l'antre duquel nous nous cachions. Je retins mon souffle lorsqu'ils se mirent à courir.
Sans un bruit, ni un souffle, nous les regardions sauter de collines en collines et s'éloigner de notre grotte de fortune.
Je pus enfin souffler de soulagement.
Nonobstant ce soulagement, Mick se raidit. Un mince filet de lumière éclaira notre caverne et il découvrit avec horreur, de plus près, mes marques autour de mes poignets.
Des lignes profondes, écarlates et boursouflées, rayaient ma peau. Mick attrapa délicatement mes mains et lutta pour ne pas éclater en sanglots. Je voyais la brillance dans son regard translucide. Il releva sa main pour caresser mon visage et me dire, avec honnêteté et tristesse :
- Ça va aller, Alisone. Nous ne la laisserons pas te retrouver.
Je le savais, oui. J'avais confiance en lui.
Mon Mick.
Nous nous sommes embrassés, sous le sourire amusé d'Arthur Ketch.
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"Float along,
And listen to the song,
The song say kiss the girl.
The music play,
Do what the music say,
You got to kiss the girl."
.
Puis, je me suis réveillée.
Il était 5h45 et j'étais épuisée...
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12.07.2024
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