« Death comes like nightfall, and I cannot tell the moment when the light leaves him, when his heart no longer beats and his eyes no longer see. But I know he's gone. I feel it in the chill that settles over me. In the sound of the lonely, hungry wind, and the dread silence in the black eyes of Sefi the Quiet. »
Morning Star – Pierce Brown

« La mort s'en vient comme la tombée de la nuit et je suis incapable de dire à quel moment la lumière le quitte, à quel moment son cœur cesse de battre et ses yeux ne voient plus. Pourtant, je sais qu'il est parti. Je le sens dans le froid qui s'installe sur moi. Dans le son du vent solitaire et affamé, et dans le silence angoissé qui brille dans les yeux de Sefi La Silencieuse. »
Morning Star – Pierce Brown


Chapitre 84 : Death Comes Like Nightfall


La maison était sombre et les couloirs tortueux s'enchainaient sans aucune logique. Les murs étaient trop hauts, les portraits difformes étaient inidentifiables, les bouches ouvertes des têtes d'elfes de maison laissaient échapper des rires moqueurs sur son passage… Quelque chose de sombre suintait du plafond et imbibait la tapisserie. Quelque chose qu'il refusait d'inspecter parce qu'il avait toujours su que ça finirait ainsi, que les crimes passés refuseraient de rester enterrés, que le sang ressortirait.

Toujours Pur.

Sirius tournait en rond.

Sirius était en enfer.

Sirius était…

Il n'osait pas baisser les yeux sur son propre corps. À chaque fois qu'il s'y était essayé… Parfois, il était lui-même ou, du moins, tel qu'il avait été dans son adolescence, tel qu'il se sentait : jean poussiéreux, grosses bottes et blouson en cuir – suffisamment Moldu pour provoquer la colère de sa famille. Parfois, ses vêtements étaient en lambeaux et il manquait des bouts de chair par endroits comme un patchwork grotesque.

Il ne savait pas pourquoi.

Il savait pourquoi.

Il ne savait pas ce qu'il faisait là.

Il savait ce qu'il faisait là. Bella. Bella et sa horde de…

Il ne savait pas ce qu'il se passait.

Il était mort et de retour dans son enfer personnel, voilà ce qu'il se passait.

Le Square Grimmaurd l'avait avalé comme il finissait par avaler tous les Black.

Point besoin de tombeau quand on avait une maison magique maléfique.

Il errait sans savoir où il allait, sans possibilité de s'orienter.

Puis il aperçut l'ombre au bout du couloir.

« Hé ! » cria-t-il, avant d'avoir pu s'en empêcher. « Hé ! »

Il se mit à courir mais à chaque fois qu'il atteignait le coin d'un couloir, l'ombre était déjà en train de passer le suivant.

C'était un homme.

De ça, il en était sûr.

Un homme qui…

Il manqua se rompre le cou lorsque le couloir laissa place à l'escalier.

Pas de palier familier, pas d'avertissement, pas de logique… Juste une volée de marches qu'il aurait descendue la tête la première s'il ne s'était pas rattrapé à la rambarde juste à temps pour voir l'ombre disparaître dans le salon.

Pouvait-on mourir lorsqu'on était déjà mort ?

Que lui serait-il arrivé s'il était tombé dans l'escalier et s'était brisé les cervicales ? Se serait-il relevé comme une poupée disloquée ? Comme un des pantins humains que Bellatrix…

Il ne pensait pas à ça.

Ce n'était pas arrivé.

Ce n'était pas…

Il dévala les marches de la manière normale, s'étant persuadé à moitié escalier, contre toute logique, que…

« James ! » appela-t-il. C'était forcément James. Qui d'autre serait venu le chercher ? Qui d'autre viendrait le sauver ? « James ! » Il déboula dans le salon, la terreur et la folie envolées au profit d'un espoir qu'il avait toujours secrètement nourri : que lorsque tout se terminerait enfin, il retrouverait son meilleur ami. « James ! »

Mais ce n'était pas James qui attendait, assis près de l'âtre défoncé, un verre de whiskey à la main, dans des robes de sorciers noires simples mais élégantes, avec toute l'assurance d'un Lord, comme s'il était assis sur un trône et pas dans un fauteuil miteux qui perdait sa bourre.

« Eh non ! » lança Regulus, avec une ironie amère. « Ce n'est que ton frère de sang, pas ton frère de cœur. Toutes mes excuses. »

« Reg… » souffla-t-il, trop choqué pour faire ne serait-ce qu'un pas en avant.

Son frère était identique à la dernière fois qu'il l'avait vu : cheveux sombres tombant élégamment sur son front en un accroche-cœur, des yeux gris perçants, des traits fins… Mais parfois la lumière fluctuait et, alors, il prenait une pâleur de mort, ses pupilles n'étaient plus que des orbites vides et son visage paraissait gonflé et détrempé par l'eau dans laquelle…

« Reg… » répéta-t-il, ayant soudain très envie de pleurer.

Loin de témoigner la même émotion, Regulus regarda autour de lui avec un rictus mauvais. « Nous haïssais-tu si fort pour être tellement déterminé à détruire notre héritage ? »

Sirius ouvrit la bouche mais la referma, incapable de mentir. Comme pour mieux ponctuer cette accusation, un peu de plâtre tomba du plafond, rajoutant à la poussière ambiante. Le salon était encore pire que le reste de la maison. Les fauteuils éventrés, le papier peint arraché, les traces de sang au mur, les lattes de parquet pourries, la cheminée qui perdait ses briques, les carreaux cassés qui laissaient passer un vent glacial…

Il cilla et ce n'était plus Regulus assis dans ce fauteuil mais son cadavre.

Le souffle trop court, il secoua la tête.

« La maison ne ressemble pas à ça. » protesta-t-il et, une fois que les mots furent prononcés, il se sentit un peu mieux parce qu'il savait, au plus profond de lui-même, que c'était la vérité. Kreattur n'aurait jamais permis un tel état de décrépitude, même avant que Sirius ne fasse un effort. De plus, l'elfe avait fait un travail formidable récemment et le Square Grimmaurd… Il ne serait jamais accueillant mais la maison était moins angoissante. La maison était davantage…

« La maison peut-être pas, mais la Maison, oui. » rétorqua son frère, en portant le verre à ses lèvres.

« La Maison… » répéta-t-il. Il était confus. Le moment lui laissait l'impression fugace d'un rêve. « La Maison se relèvera. »

« Ah, oui… La noble et ancienne nouvelle génération des Black. » ironisa Regulus. « Composée principalement de gens qui ne sont pas des Black. Mais tu as toujours eu tendance à préférer ta famille de cœur à ta famille de sang. »

Il se força à pénétrer plus avant dans le salon, se força à se souvenir que rien de tout ça n'était réel…

Plus il avançait, plus il se le rappelait, moins le salon avait l'air délabré.

Lorsqu'il se tint finalement devant le fauteuil qu'occupait son frère, la pièce avait retrouvé son apparence normale : démodée, abîmée, mais propre et certainement pas sortie tout droit de ses cauchemars.

Regulus observa le changement avec un sourire railleur. « Mieux. »

« Ce n'est pas que je préfère ma famille de cœur. » lâcha-t-il, ignorant la remarque. « Je… Reg, je… Je regrette tellement de… »

« Tu regrettes parce que tu sais ce que j'ai fait. » le coupa le jeune homme, figé par la mort. « Autrement, tu ne m'aurais pas pardonné de ne pas avoir pris ton parti, pas plus que tu ne pardonneras à Bella. C'est un miracle que tu aies consenti à ouvrir ta porte à Cissy. » Regulus inclina la tête. « Mais Cissy a toujours été ta préférée. »

« C'est faux. » protesta-t-il.

Son frère émit un bruit qui n'était guère amusé. « Bien sûr que si. Cela ne te suffisait pas d'être le favori d'Andy, il te fallait l'attention de Cissy aussi. Et cela te dérangeait que Bella me préfère, moi. » Un rictus étira ses lèvres. « Je connais ton secret, Sirius. Tu rejettes notre famille à corps et à cris mais tu as toujours aimé en être la coqueluche. »

« La coqueluche ? » s'agaça-t-il, en faisant un autre pas en avant jusqu'à toiser son petit frère qui, assis dans son fauteuil, ne semblait pas le moins du monde perturbé par la chose. « Je n'étais la coqueluche de personne. Tu as oublié ce qu'ils m'ont fait ? Ils m'ont jeté dehors, ils… »

« Ils ne t'ont pas jeté dehors, tu es parti de toi-même. » l'interrompit calmement Regulus. « Pour aller vivre avec ta famille de rêve et ton frère idéal James Potter. »

Le jeune homme cracha le nom avec un mépris tangible.

« Ils m'ont renié. » riposta-t-il. « Tu penses vraiment que c'était parce que j'étais leur préféré ? »

« Renié, pas déshérité. » contra son frère. « Lord Black. »

Sirius ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, secouant la tête… « Je n'ai jamais voulu de leur titre ou de leur argent. Je vivais sur l'héritage de… »

« Épargne-moi les trémolos. » se moqua Regulus. « La première chose que tu aies faite en t'échappant de prison est d'aller t'assurer que tu avais accès aux comptes familiaux. »

« Ce n'était pas la première chose. » se défendit-il. « Et je voulais juste faire un cadeau de Noël à Harry. Je n'ai pas touché au reste. J'ai mis des années avant de toucher au reste. »

Son frère secoua la tête à son tour. « Tu es toujours tellement hypocrite. »

« Je ne suis pas hypocrite. » protesta-t-il. « C'est toi qui… »

Mais Sirius s'interrompit parce que… Qu'était-il en train de faire ?

Des centaines de fois, il avait rêvé de retrouver son petit frère et qu'était-il en train de faire ?

La gorge nouée, il détailla Regulus. La version de Regulus qui ne ressemblait pas aux cadavres réanimés qui peuplaient le lac de la grotte. « Je suis heureux de te voir. »

Son frère lâcha un autre de ces bruits moqueurs mais sembla s'adoucir un peu. « Je dois admettre être légèrement flatté que tu m'aies appelé, moi, plutôt que James Potter. »

Il fronça les sourcils, ignorant la manière dont son cœur se serra à la mention de son meilleur ami. « Appelé ? »

Regulus ouvrit un bras pour désigner le salon, la maison, d'un geste. « Les limbes sont toujours personnelles. Ce qu'on y trouve, qui on y trouve… Cela dépend toujours de la personne qui y erre. » Un coin de la bouche de son frère se releva légèrement. « Tu aurais pu, je suppose, imaginer la maison des Potter et les y retrouver. Je ne suis pas certain de ce que l'état de notre fief familial implique sur ta santé mentale ou de pourquoi tu m'y as fait venir… Néanmoins… J'admets que j'aurais aimé, moi aussi, l'occasion de te revoir avant de passer le voile. »

Cela faisait beaucoup d'informations.

Et la principale…

« Je ne suis pas mort ? » hésita-t-il.

« Pas encore. » répondit Regulus, un peu plus sobrement. Un peu plus tristement. « Je regrette que cela se soit passé comme ça, tu sais. Les Inféris… »

Des mains partout… Des ongles qui griffaient sa peau, emportaient des bouts de chair… Des dents qui le dévoraient vif…

Il détourna la tête et son frère parut comprendre parce qu'il se tut.

« Est-ce que… Est-ce que tu es en paix ? » demanda-t-il, s'interdisant de s'appesantir sur les souvenirs atroces mais heureusement flous qui avaient précédé son arrivée dans la maison en ruine. « Même si… On pense que ton… ta dépouille… »

« Si tu penses que mon corps est un Inféri, tu as raison. » confirma Regulus. « Mais la nécromancie n'est qu'une affaire de mécanique pure, tu le sais. Mon âme était déjà partie lorsque le maléfice a pris effet. » Les yeux gris de son frère, identiques aux siens, trouvèrent son regard. « Oui, Sirius, je suis en paix. »

Lentement, Sirius hocha la tête, se passant une main dans les cheveux par réflexe avant de l'ôter rapidement parce que ça lui rappelait…

Des mains agrippant ses cheveux, forçant sa tête en arrière…

« Le seras-tu ? » s'enquit Reg, avec curiosité.

« En paix ? » Il laissa échapper un rire un peu trop rauque. « Je ne sais même pas ce que ça veut dire. »

Regulus haussa une épaule. « Eh bien… Quelqu'un d'autre se soucierait de l'état dans lequel il laisserait sa Maison mais ce n'est pas ton style. De plus, tu sais que Potter Junior tiendra le rôle de Lord Black à la perfection. » Un sourire amusé joua sur ses lèvres. « Et pour quelqu'un qui ne se soucie pas de ce genre de choses, c'était prudent de rajouter une clause à ton testament. Si Potter meurt, ce qui, tout à fait entre nous, semble inévitable, la fille d'Andy fera une Lady Black plus qu'acceptable. »

Parce qu'il n'avait jamais discuté de la chose avec personne, Sirius garda le silence. Il avait profité des repérages à Gringotts, lorsqu'il avait accompagné Draco ouvrir un coffre pour Orion, pour modifier quelques clauses de son testament. Juste au cas où. Harry restait son héritier mais au cas où son filleul viendrait à décéder avant lui… Il ne voulait pas y penser. Il ne voulait pas. Mais il avait tout de même fait de Tonks la seconde bénéficiaire. Au cas où. Et si elle décédait, elle aussi, alors Orion prendrait la suite.

Ce n'était que des précautions. Rien d'autre.

« Mais ce n'est pas ce qui te garantira la paix. » continua Regulus, avec un soupir. « Tu ne seras pas en paix tant que tu ne seras pas certain que ton filleul survivra. Ose me dire que tu n'es pas déjà en train de penser au choix que tu feras s'il t'est impossible de quitter ces limbes autrement que mort. »

« Les fantômes n'ont pas l'air si malheureux. » contra-t-il. « Et peut-être que Dumbledore me laissera continuer à enseigner la Défense. Binns le fait bien, lui. »

Son frère se frotta les yeux avec lassitude. « N'en as-tu jamais assez de te battre ? Ne peux-tu pas rendre les armes ? Juste une fois ? »

« Bien sûr que je suis fatigué de me battre. » cracha-t-il. « Je suis épuisé, même. Mais il y a des gens que je… » Il s'interrompit, déglutit. « Je ne peux pas les laisser. »

Harry.

Nyssa.

Orion.

Draco.

Severus.

Tonks.

Cissy.

Andy.

Kreattur.

Même Luna.

Tous ces gens qui dépendaient de lui.

Il était inenvisageable qu'il les abandonne à leurs sorts. Inenvisageable.

« Aurais-tu dit la même chose si tu avais eu James Potter en face de toi ? » le défia Regulus.

« Oui. » répondit-il, sans véritablement avoir à y penser. Retourner de l'autre côté du voile en fantôme… Ce n'était peut-être pas sage et il aurait véritablement préféré s'endormir pour de bon mais il ne pouvait pas les abandonner. C'était impossible.

« J'ai toujours admiré ta détermination. » admit Reg.

Il fit un geste vers le verre que son frère n'avait pas terminé. « Il y en a pour moi ? Et ce n'est pas de la détermination. C'est de la loyauté. »

Son frère poussa un bruit entre le soupir et le rire. « Jamais forme Animagus n'a été si à propos. »

Sirius enfonça les mains dans ses poches et haussa les épaules.

°O°O°O°O°

Remus se débattait toujours avec ses béquilles lorsqu'il se glissa dans l'entrebâillement de la porte. Quelqu'un d'autre se serait précipité pour l'aider mais Snape… Severus ne bougea pas d'un centimètre, se contentant de l'observer faire avec un amusement rentré qui l'irrita immédiatement. Néanmoins, d'un autre côté, c'était bon de ne pas être traité comme un invalide, alors il laissa couler.

Il ne s'était, de toute manière, pas traîné jusque là – contre les recommandations de Pomfresh – pour se disputer avec le Maître des Potions.

Son regard tomba sur le lit qui occupait le centre de la pièce. Sirius y gisait, pratiquement nu sous les draps, probablement pour faciliter l'accès aux multiples bandages qui couvraient son corps. Là où il n'y avait pas de gaze ou une légère fumée verte trahissant la présence d'essence de dictame à l'œuvre, la peau était marquée de cicatrices encore enflammées.

Il retint à grand peine le gémissement que Lunard voulait pousser.

Laura lui avait dit que les nouvelles n'étaient pas bonnes à défaut d'être mauvaises, Pomfresh lui avait expliqué la situation… Le voir comme ça était tout de même un choc. Trop pâle, trop affaibli, trop… trop vulnérable.

L'Alpha n'aimait pas le savoir si vulnérable.

L'instinct de rassembler la meute autour du membre blessé pour le protéger était fort.

Une chaise apparut de l'autre côté du lit et, sans remercier Severus, Remus s'efforça de l'atteindre. Il suait à grosses gouttes lorsqu'il parvint enfin à se laisser tomber dessus. Ses bras tremblaient de l'effort qu'il lui avait fallu pour arriver jusque-là et la douleur irradiait en vague du bas de son dos, descendant dans ses cuisses.

« À nouveau sur pieds, je vois. » commenta l'autre homme, d'un ton presque neutre.

Une neutralité que l'Alpha se surprit à partager.

La haine et la rancœur reviendraient, supposait-il, mais après Londonderry…

« À peine. » lâcha-t-il, incapable de cacher son essoufflement.

En lui, le loup tournait et retournait, frustré par ce corps qui ne fonctionnait pas comme il le devrait. Madame Pomfresh était à présent entièrement confiante qu'il récupérerait pleinement l'usage de ses jambes mais l'avait averti que cela prendrait peut-être du temps. Un temps qu'il n'avait pas. Elle l'avait mis en garde contre un effort trop intense mais il était déterminé à faire tous les exercices nécessaires pour se remettre au plus vite.

Cela faisait déjà deux jours qu'il était loin de sa meute et, bien qu'il leur ait écrit, il ne pourrait pas rester éloigné plus longtemps. Il était capital de garder l'image d'un Alpha fort. Il était vital de garder le contrôle de ses loups.

« Étant donné la gravité de la blessure, il s'agit déjà d'un petit miracle que tu sois debout. » rétorqua Severus.

Debout mais à quel prix ? Ses jambes étaient lourdes, engourdies, et se servir des béquilles tenait davantage d'un numéro d'acrobate qu'autre chose. Son équilibre était vacillant. Son moral…

« Je suis surpris que tu aies le temps de le veiller en pleine journée. » contra-t-il, en s'autorisant enfin à détailler le Maître des Potions.

Il prit soin de ne pas croiser son regard.

Pas parce qu'il craignait de ne pas pouvoir établir sa dominance mais parce qu'il était trop épuisé pour rentrer dans ce genre d'échanges. Lunard était trop frustré, se sentait trop vulnérable. L'Alpha n'aurait pas très bien vécu un défi et savait qu'il valait mieux éviter la tentation d'établir qui d'eux deux était le plus gros prédateur – encore que, de son point de vue, ce n'était pas soumis à question.

Cela ne l'empêcha pas de noter la pile de parchemins qui s'entassaient sur une petite table près de Severus, comme s'il avait emmené son travail avec lui, ou les robes froissées qui témoignaient du fait qu'il n'était probablement pas rentré chez lui depuis un moment – ou, du moins, n'avait pas pris le temps de se changer.

L'ancien Mangemort perçut la véritable question sous la remarque, cependant, et ne chercha pas à tourner autour du pot. « Andromeda a obligé Narcissa à prendre du repos. J'ai forcé Harry à en faire de même. Nyssandra est restée auprès de lui toute la nuit mais a dû retourner dans les cachots à l'aube. »

Il y avait trop de fenêtres dans la pièce, devina Remus. Même avec des rideaux épais… Le risque qu'elle soit accidentellement exposée à la lumière du soleil était trop gros. Et les Médicomages avaient sans doute besoin d'y voir clair, de toute manière.

« Je peux prendre le relais un moment. » offrit-il, s'efforçant de prendre un ton aussi neutre que celui de son rival.

Severus hésita, preuve s'il en fallait une, qu'il aurait sans doute apprécié une pause.

« Puis-je te rappeler que tu avais décidé qu'il n'était plus assez bien pour ta majesté d'Alpha ? » siffla le Maître des Potions. « Puis-je te rappeler que… »

« De une, c'est entre Patmol et moi. » le coupa-t-il, le loup perçant dans sa voix. « De deux, ça ne signifie pas que je ne tiens plus à lui. De trois… C'est différent, à présent. »

Londonderry avait tout changé.

Londonderry avait prouvé que Sirius appartenait toujours à sa meute. On ne rompait pas ce genre de liens aussi facilement. Patmol et lui étaient liés pour le reste de leurs vies. Ils n'étaient peut-être plus sur la même longueur d'onde, il subsistait certainement d'énormes rancœurs entre eux, ils ne seraient probablement plus jamais les meilleurs amis qu'ils avaient été mais… Sirius était à lui. Il resterait à lui. Ce moment suspendu où Lunard l'avait trouvé à moitié mort l'avait prouvé.

Londonderry…

L'espace d'une seconde, il y fut de nouveau. Les crocs de Lunard déchirant la chair, mettant les cadavres réanimés en pièces dans le seul but de déterrer Patmol… Il le revit inanimé dans une flaque de sang, les morsures…

« Peut-être pour toi. » cingla Severus. « Mais c'est tout ton problème, Lupin. Tu décides de prendre ou de jeter les gens à ta convenance, sans leur demander leur avis. »

Il ne contrôla pas le grondement qui monta dans sa gorge mais ignora le bruit moqueur de Snape.

« Dis-moi ce qu'il a. » exigea-t-il, plus Alpha qu'humain.

L'espace d'un instant, il pensa que l'autre sorcier allait refuser de répondre pour le simple plaisir de le contrarier. Toutefois, il paraissait aussi épuisé et las de se battre que lui.

« Outre l'évidence… » ironisa le Maître des Potions. « Certaines plaies se sont infectées. La magie noire… » Il laissa sa phrase en suspens, laissa échapper un léger soupir. « Andromeda combat les infections du mieux qu'elle le peut. Le sort qui l'aide à respirer est toujours nécessaire, bien qu'il n'ait pas fait de nouvel arrêt cardiaque pour le moment. » Un nouveau silence. « Il est stable mais son état reste critique et cela fait déjà deux jours. Il semble évident qu'il ne pourra pas rester éternellement sur le fil du rasoir. Son corps ne le supportera pas beaucoup plus longtemps. »

Soit son état commencerait à s'améliorer, soit il allait mourir, traduisit Remus, en se frottant le visage, mais il n'y aurait pas d'entre deux.

« Et Dora ? » demanda-t-il, la pensée lui venant après coup. « Comment va-t-elle ? »

« L'état de Nymphadora ne te concerne pas. » cracha Severus, immédiatement sur la défensive, sa voix enflant de colère.

Il contracta la mâchoire. « J'étais dans ce tunnel avec elle et Sirius, tu sais. J'ai vu dans quel état elle s'est mise. Excuse-moi de m'inquiéter. »

« Je ne t'excuse de rien. » riposta l'ancien Mangemort. « Je veux bien faire une concession pour Sirius parce qu'il espère encore que tu retrouveras la raison mais Nymphadora ne te doit rien et certainement pas des informations sur son état de santé. »

Il leva les yeux au ciel. « Très bien. Je demandais surtout par politesse. »

Snape manqua s'étouffer et Remus ne fut pas surpris qu'il choisisse de se lever. Les documents se mirent à flotter dans les airs sur un geste de sa main et, appuyé sur sa canne, il claudiqua vers la porte. « Assure-toi de prévenir quelqu'un avant de partir. »

C'était une victoire, triompha Lunard. Ils l'avaient fait fuir.

Mais ça n'en avait pas le goût.

Pas quand Sirius gisait là, trop immobile.

°O°O°O°O°

Le liquide dans le verre que Regulus lui avait passé alternait entre le meilleur whiskey Pur-Feu que Sirius n'ait jamais bu et le liquide le plus dégoûtant qu'il n'ait jamais eu en bouche.

Tout comme son frère alternait toujours entre sa version en pleine santé et l'apparence d'un corps détrempé.

Tout comme la maison passait de sa version actuelle à celle des cauchemars qui le hantaient.

« Tout ceci se passe dans ta tête, tu sais. » remarqua Regulus, en sirotant son propre verre comme si c'était le plus fin nectar.

Installé dans le fauteuil opposé au sien, de l'autre côté de l'âtre où flambait un feu de cheminée qui s'éteignait parfois brutalement et jetait un froid glacial dans le salon, Sirius fronça les sourcils. « Tu veux dire que ce n'est pas réel. »

« Bien sûr que c'est réel. » protesta Reg. « Mais les limbes reflètent simplement ce qu'il y a dans ton esprit. »

Ça n'avait aucun sens.

Rien de tout ça n'avait aucun sens.

Son frère l'observait d'un air un peu trop entendu, son assurance trop appuyée. C'était une version de Regulus qu'il ne connaissait pas vraiment. Reg avait encore été un adolescent lorsqu'il était parti. Le jeune homme qu'il était devenu, Sirius ne l'avait vu que de loin. Il l'avait renié bien avant pour être devenu un Mangemort.

« T'es-tu jamais demandé pourquoi tant de dualité ? » s'enquit tranquillement son frère.

Son froncement de sourcils s'accentua. « Quoi ? »

D'un geste du bras, Regulus embrassa le décor qui fluctuait. « Déchéance et splendeur. Fugitif ou Lord Black. Chien ou homme. » Il inclina légèrement la tête, un sourire sarcastique aux lèvres. « Même les amis que tu collectionnes… Lupin ? Inutile de discourir sur ses natures contraires. Potter ? Le héros pour certains, la brute à éviter pour nous autres. Pettigrow ? Lâche et pourtant suffisamment courageux pour tous vous trahir. Snape… » Sa voix traîna légèrement avec un amusement perceptible. « Celui-là je ne l'avais pas vu venir, je t'avoue. Mais s'il y a une personne tiraillée entre lumière et ténèbres, il en est le parfait exemple. Ta vampire… Humaine et bête à la fois. La fille d'Andy, n'en parlons pas, c'est une boule à facettes. Non, vraiment… Il y a un schéma récurrent là-dedans, mon cher frère. »

Sirius avala une gorgée d'alcool qui lui brûla la gorge parce qu'il avait davantage le goût de produit ménager que de whiskey. La pièce était à nouveau froide et à moitié détruite, son frère ressemblait aux corps détrempés du lac…

Il se leva, incapable d'en supporter davantage, et marcha jusqu'à la fenêtre mais, dehors, la nuit était épaisse et pas même un lampadaire moldu ne venait la trouer. Il ne distinguait rien. Peut-être parce qu'il n'y avait rien à distinguer.

« Est-ce si dur d'admettre que tu es le produit de tes ancêtres ? » insista pourtant Regulus. « Est-ce si dur d'admettre que tu as terminé ta phase rebelle et que, au fond, tu aimes être Lord Black ? »

Il garda le silence un long moment. « James a… »

« James a abandonné la propriété ancestrale des Potter sans un regard en arrière et son fils aura toutes les peines du monde à la relever, si c'est un défi qui l'intéresse. James a renoncé à son titre parce qu'il voulait vivre une vie de bohème avec sa femme. James n'a pensé qu'à lui et pas aux gens qui dépendaient des affaires familiales des Potter pour vivre. James n'a jamais pensé au bien qu'il pourrait faire en usant de son titre au Magenmagot parce qu'il préférait jouer les Aurors. James a vécu sa vie comme il l'entendait, en suivant les instructions de Dumbledore à la lettre, sans jamais voir plus loin que le bout de son nez. » le coupa sèchement Regulus. « James avait ses propres problèmes, Sirius, mais, le plus important à retenir, ici, c'est que tu n'es pas James et qu'il serait peut-être temps d'arrêter de vouloir l'imiter en tout. »

Il ne se retourna pas et, malgré l'éclat de colère à voir son meilleur ami vilipendé de la sorte, il ferma les yeux. Ses propres sentiments envers James étaient ambivalents depuis qu'il avait appris ce qui était arrivé aux parents d'Anthony. Que James et Lily aient pris une décision aussi importante pour lui, sans lui en parler… « J'ai pris ma place. Je ne comprends pas ce que tu… »

« Contraint et forcé. » se moqua son frère. « Du moins, c'est l'impression que tu en as et que tu en donnes. Obligé d'endosser le rôle de Chef de famille à ton grand regret. » Il entendit le bruit des glaçons dans le verre tandis que Regulus portait à nouveau le verre à ses lèvres. « Hypocrite. »

« Ce n'est pas ma faute si ça ne m'a jamais intéressé ! » s'énerva-t-il, en faisant volte-face. « Ils auraient dû te donner le titre. Tu aurais dû être l'héritier. Tu… »

« J'étais l'héritier. » l'interrompit Reg calmement, en croisant son regard. « Ton héritier. »

Sirius se figea.

Ils s'observèrent pendant ce qui sembla être une éternité.

« Je sais que je t'ai laissé tomber. » murmura-t-il finalement. « Je sais. »

« Fabuleux. » ironisa Reg, avec une rancœur palpable. « Dans ce cas, je suppose que je n'ai plus qu'à te pardonner. On pardonne tout à la famille, n'est-ce pas, Sirius ? Même les choses les plus horribles ? » Une grimace hideuse déforma les traits gonflés d'eau de l'Inféri qu'était son frère. « Ou bien n'est-ce valable que lorsqu'il s'agit de celle que tu as adoptée ? »

L'Animagus déglutit avec difficulté, son esprit s'égarant vers James, Lily et Anthony.

Mais ce n'était pas à ça que pensait Regulus.

Son frère, à nouveau séduisant, à nouveau vivant, eut une moue un peu plus attristée que triomphante. « Pardonneras-tu à ton filleul s'il trouve l'horcruxe avant toi et fait ce qu'il faut pour s'assurer que le Seigneur des Ténèbres soit détruit au lieu de croire à vos chimères ? »

Le souffle de Sirius resta coincé dans sa gorge.

°O°O°O°O°

« Ça fait trois jours. » chuchota Harry, son regard rivé sur le corps de son parrain avec une angoisse qu'il ne contrôlait plus ou très difficilement.

Une épaule appuyée à la fenêtre, suffisamment proches l'un de l'autre pour pouvoir échanger en murmures qui ne portaient pas plus loin que l'endroit où ils s'étaient réfugiés, lui et Draco partageaient les dernières informations qu'ils avaient pu glaner.

La chambre de Sirius était vide mis à part eux mais Kreattur avait tendance à rôder hors de vue et Harry n'était pas tranquille d'en discuter là où l'elfe pouvait les surprendre. Il était encore moins tranquille de ne pas en discuter du tout, cependant, et il évitait de quitter la pièce s'il le pouvait.

On aurait pu croire qu'enfin localiser l'horcruxe aurait été un soulagement mais ce n'était pas le cas. Déjà parce qu'ils n'étaient pas cent pour cent certains que l'horcruxe était là où Luna l'avait dit. Ensuite parce que même s'il y était bel et bien…

« La Salle sur Demande est toujours occupée. » déclara le Serpentard, en se frottant les yeux. Ses traits étaient aussi fatigués que ceux d'Harry. Il avait partagé son temps, ces trois derniers jours, entre le chevet de Sirius, soulager sa mère en s'occupant d'Orion ou en surveillant la pièce que tout le château utilisait désormais comme une salle d'entraînement. « Luna dit qu'il y a un peu moins de gens le soir et la nuit mais après ce qu'il s'est passé dans cette ville Moldue… »

Tout le monde, même les civils et les réfugiés qui n'avaient pas intégré l'Ordre, voulait soudain rafraîchir ses bases en duel.

Or tant que la pièce était occupée, ils ne pourraient pas faire apparaître la salle des objets perdus.

Harry pivota, appuyant son dos à la fenêtre pour enfouir son visage dans des mains qui tremblaient.

« Nous avons simplement besoin d'un plan, Potter. » soupira Draco, avec une certaine gêne. « Inutile de désespérer. Dumbledore… »

« Je ne peux pas approcher Dumbledore, en ce moment. » le coupa-t-il.

Il avait essayé.

Durant ces trois derniers jours, il avait vraiment essayé.

L'elfe de Severus lui collait au train et, lorsque ce n'était pas lui, c'était Hermione. Et il était difficile d'accéder au bureau, de toute façon. Il y avait toute une histoire avec les Gobelins, actuellement, il avait entendu son père en parler et… Le Directeur était enfermé avec Bill Weasley durant la plus grosse partie de la journée. De plus, il ne pouvait pas exactement exiger de parler au Ministre s'il voulait être discret. Severus le saurait.

Or si son père apprenait qu'il était spontanément allé voir Dumbledore, autant lui dire directement qu'il avait trouvé le diadème.

« Je peux essayer. » offrit Draco avec hésitation. « Ou, mieux, envoyons Luna. Personne ne la soupçonnera. »

« Je croyais que tu ne voulais pas l'impliquer ? » rétorqua-t-il.

Agacé, l'autre garçon l'imita en s'adossant lui aussi pleinement à la fenêtre. « Elle nous aide déjà à surveiller la Salle sur Demande… » Il poussa un autre soupir. « Ça ne me plaît pas mais… Tu ne peux pas t'éloigner d'ici. Et je préfèrerais également être disponible au cas où… »

Il laissa sa phrase en suspens et Harry lui en fut reconnaissant.

Le besoin de se fondre dans sa forme de tigre le submergea mais il résista.

« Ça fait trois jours. » répéta-t-il, la gorge nouée.

À nouveau, son regard accrocha la forme trop immobile de son parrain qui paraissait chaque jour un peu plus frêle. Des cicatrices rougeâtres barraient le torse que le drap ne couvrait pas entièrement malgré l'onguent que Severus avait apporté pour les rendre moins proéminentes. Il avait argué que commencer le traitement le plus tôt possible aiderait à les effacer plus vite mais cela ressemblait davantage à une manière de se convaincre que Sirius allait survivre qu'à un réel souci esthétique.

Harry ne voulait pas cesser d'espérer mais il avait ce mauvais pressentiment dans le creux du ventre.

À chaque fois qu'il s'aventurait à lancer le sortilège de diagnostic que lui avait appris Andromeda, le résultat semblait pire. Les plaies qui n'étaient pas encore refermées semblaient refuser de guérir, qu'importe combien de bandages trempés d'essence de dictame les Médicomages appliquaient. Elles s'infectaient les unes après les autres, suppurant d'une magie noire qui empêchait la cicatrisation et l'affaiblissait plus qu'il ne pouvait se le permettre.

Sans le sort qui l'aidait à respirer, il aurait probablement déjà fait un arrêt cardiaque qui lui aurait été fatal.

À chaque jour qui passait sans amélioration…

Ce n'était pas simplement le fait que le diadème était mais hors de portée qui angoissait Harry. Sirius… Il se mordit la lèvre pour contrôler la vague de panique.

Narcissa l'enverrait faire un tour dans le parc si elle revenait pour le trouver dans cet état et il savait que c'était pour l'aider mais ça n'aidait pas. Pas plus que les fois où Ted le convainquait de retourner aux cachots pour rendre visite à Dora qui se remettait lentement et en profitait pour le forcer à avaler quelque chose. Pas plus que les regards qui se voulaient rassurants de Nyssa. Pas plus que les paroles de plus en plus vides d'Andy. Pas plus que la main que son père posait sur son épaule en lui promettant que tout allait s'arranger.

Fut un temps où Severus ne mentait pas et ne faisait pas de promesses creuses et impossibles à tenir.

L'épaule de Draco heurta la sienne en ce qui n'était pas tout à fait un accident.

« Pour le moment, nous attendons. » décréta le Serpentard, en observant également Sirius. « Il y a plus important. »

Harry secoua immédiatement la tête. Le mouvement suffit à donner le vertige à son corps fourbu de fatigue. « C'est le plus urgent. »

« J'ai dit important, Potter, pas urgent. » le corrigea lentement Draco.

Il ferma les yeux.

Il ferma les yeux très fort et refusa d'admettre que l'attente le tuait parce qu'en admettre autant, c'était inviter à… Si le pire se produisait, il aurait sans doute préféré être toujours dans l'attente. L'attente était un purgatoire mais c'était sans doute préférable au dénouement qui se profilait.

°O°O°O°O°

« Tu sais où il est ? » demanda Sirius, en faisant quelques pas rapides vers son frère. Il ne savait pas si c'était l'espoir ou le soulagement qui lui serrait la gorge. « Le diadème ? Tu sais où il est ? »

L'expression de Regulus s'était faite plus gardée, plus… neutre mais il ne pouvait pas le tromper. Sirius avait grandi avec lui, il connaissait cet éclat dans le regard de son frère. C'était de la malice, de la sournoiserie, l'étincelle qui précédait une manière détournée d'obtenir ce qu'il voulait. C'était exactement la raison pour laquelle il avait été envoyé à Serpentard.

« Crois-tu qu'après avoir donné ma vie pour tenter de détruire l'un d'eux, je n'ai pas gardé un œil sur les autres ? » se moqua Reg, sans méchanceté pourtant. C'était presque rhétorique.

« Où est-il ? » pressa-t-il. S'il pouvait obtenir l'information… Revenir dans le monde réel en fantôme vaudrait le coup s'il pouvait juste…

« Je ne peux pas le dire. » répondit Regulus, de ce même ton gardé. « Ce n'est pas aux âmes défuntes de dire aux vivants où trouver les objets perdus, même ceux éclairés par la lune. »

La première réaction de Sirius fut de la déception.

Puis la bizarrerie de la phrase le frappa et…

Les objets perdus. Même ceux éclairés par la lune.

C'était un indice.

Un indice qu'il ne comprenait pas mais, vu les lèvres pincées de son frère, c'était le mieux qu'il pouvait faire. Ce n'était pas grave. Il ne le comprenait pas mais Severus aurait sans doute une idée de génie. Il lui suffisait de rapporter l'information. Il lui suffisait de…

« Je ne peux pas t'aider parce que la Mort n'interfère pas avec les vivants. » insista Reg. « Sauf lorsqu'elle a un Maître, mais cela fait des siècles que ce n'est pas arrivé. »

Sirius fronça les sourcils. « De quoi tu… »

« Il a raison, tu sais. » le coupa son frère, comme s'il désirait changer le sujet. « Potter. Potter Junior, j'entends. Vos intentions sont louables mais vous êtes aveuglés par l'amour. Il a raison. Il doit mourir. »

Le froid glacé le prit de l'intérieur.

Il secoua la tête. « Jamais. »

Il déglutit, s'humecta les lèvres, le mauvaise pressentiment enflant dans son ventre. Les objets perdus. Même ceux éclairés par la lune. Il devait le dire à Severus. Il devait…

« Combien de temps… Combien de temps il me reste ? » demanda-t-il, tentant d'estimer combien d'heures il avait passé à errer dans la maison, combien de minutes à échanger avec Regulus. Combien de temps fallait-il à une horde d'Inféris pour dévorer un corps humain ? Combien de temps fallait-il à un humain pour y succomber ?

« Pas beaucoup. » soupira Regulus, comme à regret. « Tu es trop têtu. Cela fait des jours que tu t'accroches à la vie. Andromeda ne t'aide pas à lâcher prise, cependant. Elle est peut-être plus têtue que toi. »

À nouveau, il fut balayé par cette vague glacée. « Des jours ? »

Les traits de son frère se troublèrent avec ce qui ne pouvait être rien d'autre que de la pitié. « Oh, Sirius… Pensais-tu que le temps s'écoule de la même manière dans les limbes que pour le commun des mortels ? Pour une minute ici, il peut se passer des heures pour eux. Ou inversement. Mais dans ton cas… Cela fait des jours que tu es à l'agonie. Trop têtu. Toujours trop têtu… »

Il savait qu'il était mort ou presque mais, soudain, il lui fut très difficile de respirer.

Des jours.

°O°O°O°O°

« Cela fait quatre jours. » cingla-t-elle, comme si c'était l'argument décisif.

Et dans sa tête, cela l'était.

Nymphadora n'en pouvait plus d'être enfermée dans leurs appartements et elle en pouvait encore moins de se sentir aussi… faible. Elle évitait toujours de se servir de sa magie – n'aurait pas réellement pu se servir de sa magie même si elle l'avait voulu – mais, au moins, son corps ne criait plus grâce à chaque mouvement. Les courbatures, les frissons, les vertiges… Tout ça avait fini par passer, bien que chaque mouvement la laissait essoufflée et plus lasse qu'elle ne l'avait été la seconde précédente.

« Je te remercie, je n'ai pas encore perdu la notion du temps. » rétorqua Severus, les bras croisés, appuyé au comptoir de la cuisine. « Cela ne change en rien le fait que ce n'est pas une bonne idée. »

Elle se fit violence pour ne pas chanceler tandis qu'elle se levait pour aller poser son assiette vide dans l'évier. Elle se servit également une tasse de café, le défiant du regard de faire un commentaire sur le sujet. Sa mère l'avait enfin autorisée à passer à autre chose qu'aux tisanes, même si elle avait déconseillé la caféine – mais, ça, Severus n'avait pas besoin de le savoir.

« Tout le monde est à l'infirmerie. » répliqua-t-elle. « Maman dit que… » Elle ne termina pas sa phrase, elle en était physiquement incapable. Ce que sa mère lui avait laissé entendre, lors de sa visite, plus tôt dans la journée, c'était que les heures de Sirius étaient comptées. Cependant, Nymphadora ne voulait pas l'entendre, encore moins le dire à voix haute. « Je vais mieux. »

Le bruit qui s'échappa de la gorge de Severus était railleur. Au mieux.

Elle lui jeta un regard noir par-dessus le bord de sa tasse de café. Le liquide lui brûla la gorge. Au fond, elle savait que c'était une mauvaise idée d'en boire, qu'elle paierait plus tard ce qui s'avérerait n'être qu'un boost d'énergie trop bref.

« Je peux à nouveau me déplacer toute seule. » gronda-t-elle, sur un ton de défi.

Un défi auquel il répondit en levant les yeux au ciel. « À peine. »

« Et comment le saurais-tu ? » siffla-t-elle, avant d'avoir pu mesurer ses paroles. « Si tu as passé dix minutes en tout avec moi, ces derniers jours, c'est… »

Elle s'interrompit brutalement, plaquant d'elle-même une main sur sa bouche. Elle posa la tasse de café sur le comptoir, tendant la main vers lui avant de la laisser tomber lorsqu'il n'esquissa aucun geste vers elle.

Il se tenait toujours au même endroit, appuyé au comptoir pour soulager sa jambe, les bras croisés, le visage fermé.

« Je suis désolée. » souffla-t-elle. « Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. Je… Je sais que tu n'as pas le temps. Je… »

« J'aurais préféré passer du temps avec toi. » la coupa-t-il, mais sa voix avait perdu en hostilité.

Et, pour la première fois depuis qu'il l'avait rejointe ce jour-là, elle s'autorisa à le regarder vraiment. Les robes froissées qu'il n'avait pas changées depuis plusieurs jours, la légère ombre qui commençait à lui manger le menton parce qu'il n'avait pas pris le temps de se raser, les cernes, les yeux rougis qui trahissaient son manque de sommeil – ou sa tristesse…

Et ce n'était que les marques récentes de son épuisement. Il y en avait d'autres qui témoignaient d'un autre, plus profond. Le stress et son coma avaient creusé ses joues, ses cheveux étaient plus longs qu'elle ne les lui avait jamais connus, simplement parce qu'il n'avait pas le temps de les couper, il avait maigri, sans mentionner les tremblements de ses mains, le fait qu'il ne se déplaçait plus vraiment sans sa canne…

La culpabilité la faucha au ventre.

« Je suis désolée. » répéta-t-elle, en se passant une main sur le visage. « Je ne sais pas pourquoi je suis aussi énervée mais ce n'est pas juste de passer mes nerfs sur toi. »

« Vraiment ? » ironisa-t-il. « Tu ne sais pas ? » Sa bouche tressauta en un de ces rictus qui tenaient presque du sourire mais il n'atteignit pas ses yeux et il n'avait pas l'air si amusé que ça. « Je dirais qu'il n'y a que l'embarras du choix, pourtant. L'épuisement, peut-être, Nymphadora. Les derniers événements, sans doute. Ou bien le manque de philtres de force… »

Ce fut à son tour de lever les yeux au ciel, une pointe d'irritation remplaçant la culpabilité, ne serait-ce que parce que sa mère lui avait fait la même réflexion. « Je ne suis pas accro aux philtres de force. »

Et pourtant elle devait reconnaître que…

C'était sans doute pour le mieux qu'elle ait une vraie raison de s'en passer pour le futur proche. Le fait était que l'envie d'en boire un ou deux pour soulager cette fatigue qu'elle traînait depuis des mois, pour tromper ce corps trop malmené, était revenue souvent ces derniers jours. Souvent quand elle était seule et que ses pensées s'égaraient. Ce ne serait pas un remède miracle et elle le savait mais cela pourrait la rendre à nouveau opérationnelle et ça

Était-ce étonnant qu'elle ait envie, besoin de faire quelque chose d'utile, cela dit ? Cela faisait des jours qu'elle était cantonnée à son lit. Parvenir à atteindre le salon avait été une victoire en soi… À part se ronger les ongles d'angoisse, éviter de penser aux idées noires qui la poursuivaient et nourrir le chat et le niffleur pour Harry, elle ne pouvait rien faire. Kingsley avait interdit aux Aurors de lui glisser du travail par la cheminée dès qu'il avait compris son manège, Charlie refusait de l'aider à s'évader, sa mère lui ordonnait de se reposer, son père la faisait culpabiliser dès qu'il estimait qu'elle se surmenait et…

« J'ai juste besoin d'une putain de cigarette ! » éclata-t-elle, sans même savoir pourquoi elle perdait son calme.

Peut-être parce que Severus refusait de se départir du sien alors qu'elle lui était rentrée dedans à peine avait-il mis un pied dans leurs appartements.

Elle avait espéré son retour, pourtant.

Elle l'avait à peine vu récemment et il lui avait terriblement manqué, surtout la nuit. Sans ses bras pour la protéger des cauchemars…

Il soupira puis se repoussa finalement du comptoir pour boiter vers elle, glissant la main dans la poche intérieur de ses robes. Elle fut choquée par le paquet de cigarettes cabossé qu'il en sortit et encore plus perturbée qu'il le lui tende. Lorsqu'elle échoua à le lui prendre des mains suffisamment vite, il l'agita.

« Harry ne risque pas de revenir de si tôt. Je lancerai un sort pour assainir l'air. » déclara-t-il. « Si cela peut t'empêcher d'être d'une humeur de harpie… »

Son regard noir avait perdu en force parce qu'elle était plus inquiète qu'énervée, à présent. Elle prit le paquet avec hésitation, adoucissant légèrement la voix. « Qu'est-ce que tu fais avec ça ? »

Quelque chose passa sur son visage. Une ombre. Et, l'espace d'une seconde, elle ne fut pas sûre qu'il allait lui répondre.

« Ce sont celles de Sirius. » admit-il, au bout de quelques secondes. « Il en avait laissé un paquet dans mon bureau. Il en laisse partout. »

Il y avait une profonde tristesse et une angoisse rentrée dans sa voix. Autant d'émotions qu'il n'aurait montrées à personne d'autre qu'elle. Elle posa le paquet sur le comptoir et se rapprocha pour glisser une main sur sa joue. Il garda les yeux baissés, refusant obstinément de croiser les siens.

À quoi jouait-elle ?, se demanda-t-elle brusquement. Pourquoi chercher à le provoquer ? Pour soulager ce trop plein d'émotions dont elle ne savait que faire ? Parce que cela lui ferait du bien de hurler sur quelqu'un qui pouvait riposter ? Parce qu'exorciser la boule de nerf à l'intérieur de sa poitrine primait sur toute le reste ? C'était égoïste. Il était aussi fatigué, aussi à bout de nerfs qu'elle et cela ne l'empêchait pas de se maîtriser.

Alors qu'elle…

Que son corps, sa magie refusent de lui obéir était la dernière goutte d'eau. C'était… C'était trop. Tout. La guerre. L'horcruxe qui s'était glissé dans sa tête. Les menaces de Voldemort. Londonderry. Tout. Tout était trop.

« Severus… » hésita-t-elle.

« Il se peut que je me sois remis à fumer. » avoua-t-il, dans une légère grimace. « J'ai cédé une fois avant Londonderry. Je pensais pouvoir passer outre mais il s'avère que ça a été l'engrenage. »

S'il devait céder à une ancienne addiction, elle préférait cent fois le tabac à la magie noire.

« On arrêtera ensemble. » promit-elle.

Il émit un bruit un peu moqueur, comme s'il n'y croyait pas vraiment. « Harry ne doit pas savoir. »

« Ce n'est pas moi qui vais le lui dire. » promit-elle, en retraçant sa pommette du pouce. Il inclina légèrement la tête, cherchant à prolonger le contact. Le geste trahissait une certaine vulnérabilité qui la toucha. « Je suis désolée. » Son murmure était fatigué mais honnête. « Je ne sais pas pourquoi je suis aussi chiante. »

« Langage. » la gronda-t-il, plus taquin que sérieux. Il croisa son regard. « Tu n'es pas sans ignorer, sans doute, que, de nous tous, tu es celle qui peut le plus prétendre à une crise de nerfs en bonne et due forme ? »

Elle laissa tomber la main de sa joue sur son épaule avec une moue boudeuse. « Je ne fais jamais de crise de nerfs. »

Ce coup-ci son sourire, quoique toujours éteint, était un peu plus assumé. « Aurais-tu oublié cette délicieuse soirée où tu as menacé de m'assassiner à coup d'objets contondants et de kidnapper une pauvre femme qui n'avait rien fait de mal pour lui faire avaler des télescopes ? »

« Ce n'était pas ma faute. » rétorqua-t-elle. « Si Sirius n'avait pas… »

Elle s'interrompit.

La mention de son cousin était trop douloureuse.

Et pas que pour elle.

Elle déglutit et s'appuya contre lui, le laissant l'enlacer. C'était ça qu'elle avait désiré plus que tout, ces derniers jours. Son étreinte. Sa tendresse.

Mais lorsqu'il n'était pas au chevet de Sirius, il était dans son bureau ou celui de Dumbledore et elle ne pouvait pas le lui reprocher. Elle allait bien. Il ne pouvait pas la faire passer avant le reste. Pas quand tellement de choses reposaient sur ses épaules. Ils avaient échangé brièvement via leurs carnets mais ses phrases à lui étaient généralement courtes et pressées et sa main à elle se crispait vite à tenir une plume.

« Il ne peut pas mourir. » chuchota-t-elle, la voix étouffée et pas simplement parce qu'elle avait appuyé le front contre son épaule.

Il passa la main dans ses cheveux bruns et ternes. Ce fut sa seule réponse.

Comprenant qu'il était au-delà des mots sur le sujet, elle s'écarta lentement et vola une cigarette dans le paquet qu'elle avait posé, avec une hésitation palpable. Elle n'aimait pas trop l'idée de fumer devant lui. Il désapprouvait tellement cette habitude malsaine d'ordinaire que… Il ne lui avait jamais reproché de fumer mais il avait clairement établi qu'il ne voulait pas de ça chez lui – chez eux – ou autour de lui et de son fils et… Sirius fumait en permanence sans se soucier de déranger les autres. Nymphadora, en revanche… Elle n'aimait pas imposer ça à qui n'en voulait pas. Et, lorsqu'il l'imita et sortit lui aussi une cigarette du paquet, elle eut l'impression peut-être pas si idiote qu'elle l'encourageait à céder. Le voir avec une cigarette à la main lui donnait l'impression stupide que le monde allait s'écrouler, qu'ils en étaient au point où il ne se souciait même plus de…

Avant qu'elle ait pu ranger la cigarette et lui dire qu'elle pouvait s'en passer, il avait déjà allumé les deux d'un geste distrait de la main.

Severus et le tabac était une idée abstraite.

Elle ne savait pas pourquoi elle fut si intriguée par la manière dont il porta la cigarette à sa bouche, avec une avidité qui trahissait le véritable état de ses nerfs. Comme tout ce qu'il faisait, c'était élégant. Même la manière dont il tapota la cigarette d'un doigt pour faire tomber la cendre dans l'évier.

Il en était à sa troisième taffe et elle n'avait pas encore porté la sienne à ses lèvres. Il fronça les sourcils. « Nymphadora ? »

Elle s'humecta les lèvres, refusa de s'avouer qu'elle le trouvait sexy une cigarette à la main. Ce ne serait pas productif. « On arrêtera de fumer dès que cette guerre sera terminée. »

Elle l'affirma avec détermination.

Même si elle manqua gémir de soulagement lorsqu'elle prit sa première bouffée en quatre jours. Elle ferma les yeux et savoura la chose.

« Il y a des potions de sevrage. » lâcha Severus, comme une arrière-pensée. « Cela reste désagréable mais il y a des accoutumances plus difficiles à abandonner. »

« Va pour les potions de sevrage. » accepta-t-elle, en tirant une chaise vers elle pour s'asseoir. Son corps aurait refusé de rester debout beaucoup plus longtemps. « Mais après la guerre. Si tu m'enlèves mes cigarettes maintenant, je vais être rattrapée par la folie des Black et possiblement tuer tous ceux qui me contrarieront. »

Elle avait voulu plaisanter mais son ton sonnait creux.

Parce que la possibilité était réelle ? Parce que…

« Tant qu'Harry ne l'apprend pas. » insista-t-il, en se frottant le visage de sa main libre.

Elle ne demanda pas pourquoi ça aurait été si grave qu'il le sache parce que, bien qu'ils n'en aient jamais discuté, elle ne doutait pas que le garçon sache pour elle. Au-delà de l'évidence – ce n'était pas un bon exemple – il semblait y avoir davantage là-dessous. En temps normal, elle l'aurait fait. Elle lui aurait demandé de lui raconter l'anecdote.

Mais il y avait plus important que le fait qu'Harry apprenne que Severus avait cédé à un vieux démon au demeurant plutôt innocent.

« Il ne va pas bien du tout. » commenta-t-elle, même s'il devait parfaitement être au courant.

Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas eu le temps de rentrer chez eux qu'il avait délaissé son fils. Harry avait été ramené de force plusieurs fois à la maison par Ted et, à chaque fois, il avait mentionné Severus. Ils avaient passé certaines nuits au chevet de Sirius ensemble, elle le savait.

Il ne devait pas ignorer que l'adolescent était au bord du gouffre.

C'était de plus en plus en évident à chaque fois que son père le traînait dans les cachots sous prétexte de lui rendre visite ou de venir manger avec elle. Et quoi qu'elle dise, rien ne l'apaisait.

Ce matin-là, elle avait passé une heure à cajoler un tigre qui ne voulait pas sortir de sur ses jambes.

Lorsqu'il était redevenu humain, il avait refusé de la regarder en face ou de répondre à ses questions autrement que par monosyllabes, trop embarrassé, peut-être, d'être venu réclamer de l'affection physique comme un enfant plus jeune. Il faisait ça souvent. Se glisser vers elle sous sa forme Animagus pour obtenir des câlins.

Quand on connaissait un peu les Dursley… Elle n'était pas étonnée.

« Ta mère n'est plus optimiste. » répondit-il, d'une voix froide, dénuée de toute émotion. Elle attrapa sa main libre de la sienne. Elle voyait derrière la façade de ses boucliers. Elle voyait la douleur qu'il tentait de dissimuler sous l'Occlumencie. Elle savait pourquoi il préférait faire semblant. « Elle a commencé à le préparer à l'éventualité que Sirius… »

Il ne termina pas sa phrase.

Aucun d'eux n'était capable de terminer cette phrase.

Aucun d'eux ne serait jamais capable de terminer cette phrase.

Elle serra sa main mais il n'y répondit pas, entièrement retranché derrière ses boucliers.

Elle n'aimait pas la distance qu'il mettait entre eux mais ne fit pas de remarque. Après tout, elle ne pouvait pas lui reprocher d'être gardé alors qu'elle avait cherché la bagarre dès qu'il était rentré à la maison – rentré uniquement pour la voir, supposait-elle, parce qu'il n'avait pas mentionné vouloir prendre une douche ou dormir un peu.

« Qu'est-ce qui se passe là-dehors ? Kingsley m'a mise au repos forcé et m'a coupé l'accès aux informations. » lui dit-elle, décidant de changer de sujet. « Ou bien c'était ton idée ? »

« Non. » réfuta-t-il. « Je n'ai jamais donné un tel ordre. »

Elle lâcha sa main et termina la cigarette qui ne lui apportait plus le réconfort espéré. Severus avait déjà jeté la sienne dans l'évier. Les preuves de leur délit furent avalées par le siphon lorsqu'il ouvrit le robinet. Le sortilège informulé qu'il jeta sans même sortir sa baguette eut raison de l'odeur de tabac qui avait envahi la cuisine et aurait, autrement, collé à leurs vêtements.

Il coupa l'eau lentement, garda le regard rivé à l'évier.

Assise sur la chaise comme elle l'était, la différence de taille l'obligeait à lever la tête, ce qui lui faisait mal à la nuque. Il était tellement tendu… Ce n'était pas que de la fatigue.

Il n'y avait pas qu'Harry et elle qui étaient au bord d'un précipice.

« Severus… »

Il s'humecta les lèvres. « Les Langues-de-Plomb restent sourd aux appels d'Abbott. Il essaye sincèrement, pourtant. Du moins, je pense qu'il est sincère. »

« Ton instinct se trompe rarement. » lui rappela-t-elle, parce qu'il semblait avoir besoin de l'entendre.

Il eut un bruit qui se voulait amusé. « Nymphadora, je suis éveillé depuis plus de quarante-huit heures. La seule certitude qu'a mon instinct actuellement c'est qu'il faut que je dorme avant de tomber de fatigue. »

« Le lit n'attend que toi. » remarqua-t-elle, en prenant une profonde inspiration. Dissimulant au mieux l'effort que cela lui demandait, elle se leva pour enrouler un bras autour de lui et se presser contre son flanc, pour tenter de lui prodiguer le réconfort qu'il ne demandait pas. Il demeura tendu, distant émotionnellement…

« Je n'ai pas le temps. » soupira-t-il. « Albus et Bill ont fait des progrès avec les Gobelins. Nous sommes près de conclure un accord. »

« C'est une bonne nouvelle. » commenta-t-elle, même si c'était un aspect de la guerre qui lui semblait plus abstrait que le reste. Ces stratégies là, elle les laissait à Severus et Dumbledore. Donnez lui un champ de bataille, elle y serait davantage à l'aise.

« Cela en fait au moins une. » railla-t-il. « Deux, si l'on compte les vampires que Nyssa a rallié. Ils sont peu nombreux mais ils pourraient faire pencher la balance. »

« Ça veut dire forcément attaquer la nuit. » déduisit-elle. Ce n'était pas une mauvaise idée en soit mais…

« Encore faudrait-il que nous soyons en mesure d'attaquer. » lâcha-t-il. « Sans Sirius et toi aux commandes, sans le renfort des Langues-de-Plomb, sans la meute de Lupin… »

« Qu'est-ce qu'il se passe avec la meute de Remus ? » demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.

Il ferma les yeux. « Rien. C'est bien le problème. Il marche à peine. Il n'est toujours pas retourné les voir. Il refuse de répondre aux questions d'Albus, répète à qui veut l'entendre qu'il maîtrise la situation… » Il secoua la tête. « Les loups refuseront de suivre un Alpha diminué, surtout les plus dominants. Je suis le premier à émettre des doutes sur l'intelligence d'une telle alliance, d'ordinaire. Néanmoins, si nous perdons la meute… »

« On ne va pas perdre la meute. » contra-t-elle immédiatement.

« Oh, et je suppose que nous trouverons également l'horcruxe dans un paquet de céréales, sans même le chercher ? » ironisa-t-il. « En sommes-nous vraiment aux vœux pieux ? Depuis quand est-ce que quoi que ce soit va en notre faveur ? »

« On a détruit quatre horcruxes sans alerter Tu-sais-qui. C'est positif. » se força-t-elle à lui rappeler, en resserrant la prise qu'elle avait sur sa taille. « Et… On est toujours en vie. Ce qui est également positif. »

Elle n'avait qu'un accès très restreint à ses boucliers mentaux mais elle s'efforça de refouler au plus profond de son esprit tout ce qu'il s'était passé à Londonderry.

« Pour combien de temps ? » cracha-t-il. « Nous sommes en sursis. Harry. Toi. Nous sommes tous en sursis. Ce n'est qu'une question de temps avant que nous ne mourions les uns après les autres et… »

« . » le coupa-t-elle. Sans lui laisser le choix, elle plaça les mains sur ses hanches et le força à pivoter vers elle. « Hé. » Elle scruta son visage mais il refusait toujours de la regarder en face. Sa mâchoire était contractée à l'extrême, les veines de son cou ressortaient. À nouveau, elle plaça sa main sur sa joue. « Tu sais… J'ai peut-être mérité le droit de faire une crise de nerfs mais toi aussi. Alors si tu as besoin de crier, de pleurer ou de casser des trucs… »

Il resta silencieux longtemps. Très longtemps.

« Sirius m'aurait déjà provoqué en duel. » lâcha-t-il.

Elle se fit violence pour ne pas flancher.

Il avait besoin d'elle.

Il était un roc mais même les rocs pouvaient se fissurer.

« J'ai peur de ne pas être une partenaire de duel très intéressante, là tout de suite. » répondit-elle, d'un ton qu'elle voulait léger. « Sauf si tu veux une cible inoffensive un peu plus intelligente que les mannequins d'entraînement. »

Il fit l'effort de prétendre être amusé mais c'était tellement contraint qu'elle plaça son autre main sur son autre joue, encadrant son visage, le forçant à baisser légèrement la tête vers elle jusqu'à pouvoir presser son front contre le sien.

« Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider. » le supplia-t-elle.

« Rien. » murmura-t-il, en expirant lentement. « Je regrette… Je suis venu pour m'occuper de toi, à l'origine. Pas pour te forcer à… »

Elle glissa une main à l'arrière de sa nuque pour l'interrompre. « Tu ne me forces à rien. C'est toi et moi, Severus. »

Lorsqu'il ferma les yeux, elle sentit ses cils effleurer ses paupières.

« Toi et moi. » répéta-t-il, comme un serment.

C'était illusoire, pourtant.

Parce que c'était elle et lui.

Et Harry.

Et sa famille.

Et le gouvernement.

Et la communauté magique.

Et le reste du monde.

« Dis-moi le reste. » exigea-t-elle. « Combien d'attaques ? Combien de pertes ? »

Il secoua légèrement la tête. « Pas d'attaques, ce qui est pire. Le silence du côté des Mangemorts rend nos troupes nerveuses. »

« Il va riposter. » soupira-t-elle. « Je lui ai envoyé un tank en pleine figure. Il va riposter. »

« Shacklebolt pense que tu l'as peut-être davantage blessé qu'il n'y paraissait. » lâcha-t-il. « Je pense personnellement qu'il fait simplement monter l'angoisse. Il y aura une riposte, je suis d'accord avec toi. »

« Les Moldus ? » insista-t-elle.

« Ils se tiennent tranquilles pour l'instant. » soupira-t-il. « Major semble satisfait de l'idée d'une alliance plus franche et réfléchit à des stratégies. »

Des stratégies qu'ils n'écouteraient pas mais tant que le Ministre se sentait entendu et pris en considération, ils éviteraient peut-être une répétition de ce qu'il s'était passé à la frontière Irlandaise.

« Je suppose qu'il a les retombées politiques Moldues à gérer. » avança-t-elle.

« Aussi. » acquiesça-t-il, en pressant davantage le front contre le sien. « Nous avons un répit mais il sera bref. Nous devrions l'utiliser pour reprendre notre respiration, trouver le diadème, reprendre la main… Au lieu de ça… »

Elle sentit ses mains glisser sur sa taille jusqu'au creux de son dos. Cela la rassura qu'il esquisse enfin un geste vers elle, qu'il franchisse cette distance entre eux. Elle ne chercha pas à briser le silence lorsque sa voix s'éteignit lentement. Elle le laissa s'exprimer à son rythme, sachant que c'était toujours difficile pour lui de mettre des mots sur ce qu'il éprouvait, de confronter ses émotions plutôt que de les refouler là où elles ne pouvaient pas lui faire de mal.

Après plusieurs minutes, cependant, elle l'entendit déglutir.

« Tu es la première amie que je me sois véritablement faite depuis des années. » murmura-t-il, avec une légère gêne. « Pourtant, nous n'avons jamais vraiment été… »

« On n'a jamais été juste amis. » termina-t-elle, lorsqu'il hésita.

C'était un fait.

Ils étaient amis.

Mais ils étaient amis comme un couple était ami. Ça dépassait la simple amitié. Ça avait toujours été plus fort que ça. Même au début… Il y avait eu quelque chose entre eux qu'elle n'avait pas compris. De l'attirance, oui. Du respect, certainement. Mais aussi… Parfois, lorsqu'elle regardait en arrière, il lui semblait évident que les choses entre eux n'auraient pas pu évoluer autrement.

C'était tout ou rien.

Ils étaient tous les deux des gens pour qui c'était forcément tout ou rien.

« Oui. » approuva-t-il, visiblement soulagé qu'elle comprenne ce qu'il voulait dire. « Sirius… »

Sirius était son meilleur ami et il n'avait pas eu de meilleur ami depuis Lily.

« Je comprends, tu sais. » promit-elle, en caressant doucement les cheveux à l'arrière de sa nuque. « Tu n'as pas besoin d'expliquer. »

« Je sais. » souffla-t-il. « Ce que je ne sais pas, en revanche, c'est comment affronter… ça. On ne peut pas dire que j'ai jamais très bien réagi à ce genre de situations par le passé. Et Harry… Ce sera la perte de trop. »

« On l'entourera. » jura-t-elle.

Il soupira, recula jusqu'à pouvoir la regarder en face. « Cela ne suffira pas. »

Harry était suicidaire.

Pas d'une manière évidente, pas dans le sens où le garçon se ferait directement du mal, mais il y avait des centaines de manières de se tuer au milieu d'une guerre, surtout lorsqu'on était le Survivant.

« Est-ce que c'est vraiment si… » hésita-t-elle, la gorge nouée. « Est-ce que c'est vraiment… »

La fin.

Les yeux de Severus étaient éteints. « Je le crains. Il n'y a pas que ta mère. L'elfe le sent aussi. D'après Narcissa, il est recroquevillé sous le placard de la cuisine et refuse de parler ou de sortir, pas même pour s'occuper du bébé. Il sortirait peut-être pour Harry mais nous ne le lui avons pas dit. »

Elle ferma les yeux. « Il faut que j'y aille. »

« Ce n'est toujours pas une bonne idée. » commenta-t-il avec lassitude. « Tu tiens à peine debout. » Elle ouvrit la bouche mais il agita la main comme pour parer son argument. « Je sais. Je sais… Je dois retourner au bureau mais je vais t'accompagner à l'infirmerie. »

Elle n'était pas exactement présentable.

À choisir, elle ne serait pas sortie en public avec le pantalon de pyjama trop grand et usé ou avec le tee-shirt de Quidditch qui avait, un jour, appartenu à Charlie avant qu'elle ne le vole. Se changer demandait trop d'efforts, pourtant. Et ce n'était pas comme si elle pouvait faire disparaître ses cernes, sa maigreur ou les fourches de ses cheveux emmêlés, de toute manière. Ses pouvoirs de Métamorphomage lui étaient aussi inaccessibles que le reste de sa magie.

Était-ce important ? Probablement pas.

Personne d'autre ne la verrait que sa famille.

La main de Severus au creux de son dos l'escorta jusqu'à la cheminée, que ce soit pour la soutenir ou la retenir en cas de vertige. Il lui passa une poignée de poudre de cheminette, amorça un geste pour jeter la sienne dans le feu avant de le retenir au tout dernier moment.

« Je lui ai menti. » avoua-t-il, sans la regarder.

Elle fronça les sourcils. « À qui ? »

« Harry. » Il détourna légèrement la tête. « Je lui ai promis que tout s'arrangerait. Je lui ai menti. J'ignore pourquoi je lui ai dit ça. Je savais que… »

Elle posa la main sur son bras, pressa doucement. « Tu voulais le réconforter. »

« Je ne lui mens pas. » contra-t-il.

« Sauf quand c'est nécessaire. » remarqua-t-elle. « Ou est-ce que tu as oublié toute cette histoire de diadème ? »

« Mentir par omission est différent. » protesta-t-il. « Surtout s'il s'y attend. Non, je… »

Sa voix resta en suspens.

« Severus… » soupira-t-elle. « Tu voulais juste le rassurer. Il n'y a rien de mal à ça. »

« Je suis son père. » insista-t-il. « Je… »

À nouveau, il ne termina pas sa phrase.

« Être son père ne veut pas dire avoir toutes les réponses, mon cœur. » murmura-t-elle, en pressant à nouveau son bras. « Surtout dans ce genre de circonstances. »

Il ferma brièvement les yeux, prit une profonde inspiration puis se racla la gorge. « Tu devrais te préparer. Cette chambre, c'est… »

Une nouvelle phrase qui resta sans fin.

Se préparer n'aida pas Nymphadora.

Peut-être parce qu'on n'était jamais près pour ce genre de situations.

Il y avait beaucoup de monde dans la pièce. Beaucoup plus que sa mère n'aurait autorisé en temps normal.

Ses parents se tenaient dans un coin, mains jointes, Narcissa était assise, Orion dans les bras, McGonagall avait pris position près de la fenêtre, Nyssandra se tenait près de la tête de Sirius et lui caressait les cheveux, un tigre affalé à ses pieds, Draco se tenait derrière sa mère… Ce fut le regard de Remus qu'elle croisa en premier, cependant.

Il était assis dans un fauteuil, une paire de béquille appuyées contre le dossier, une expression de douleur contrôlée sur le visage.

Leurs regards s'accrochèrent et, juste comme ça, la chambre disparut.

Elle était à nouveau dans le tunnel.

Le sang de Sirius sur ses mains.

Les hurlements de douleur dans ses oreilles.

La bile au fond de la gorge.

La main de Severus exerça une poussée dans son dos et elle revint à la réalité.

Remus détourna un regard trop hanté sans un mot, comme si lui aussi avait fait une plongée dans le passé.

Elle se laissa guider jusqu'au fauteuil qu'il fit apparaître, ne protesta pas lorsque le tigre vint immédiatement s'asseoir à côté d'elle et plaça sa grosse tête sur ses genoux. Severus y apposa brièvement la main puis se pencha pour murmurer à son oreille. « Prévenez-moi au moindre changement. Je dois aller voir Albus. »

Elle acquiesça avec la sensation étrange qu'elle n'était plus dans son corps.

C'était trop étrange.

Trop…

Elle caressa la fourrure rouille striée de noir par réflexe, incapable de comprendre ce qu'elle avait sous les yeux.

Sirius était trop pâle, chaque respiration un râle…

Nyssa ne lui avait pas jeté un seul coup d'œil, toute son attention surnaturelle focalisée sur lui. La tristesse sur son visage…

°O°O°O°O°

Des jours…

Il pouvait s'être passé n'importe quoi en plusieurs jours.

N'importe qui pouvait…

Accroché au regard de son frère, il avait pourtant l'impression de se noyer.

« Mes amis… Ma famille… » souffla-t-il. « Est-ce que quelqu'un… »

« Personne d'autre n'a franchi le Voile. » anticipa Regulus, en terminant ce qu'il restait dans son verre. « Ils sont tous auprès de toi, tu sais. »

Il faillit rétorquer qu'il n'en doutait pas, que…

Mais ce n'était pas tout à fait vrai.

Il y avait tellement plus urgent, plus important que le fait qu'il vive ou qu'il meure… Fut un temps, il aurait été certain que Remus lui aurait tenu la main jusqu'au bout. Il supposait qu'il en allait de même pour Andromeda et Narcissa, à présent. Ses cousines étaient trop bornées pour l'abandonner aux portes de son dernier voyage.

Et Harry.

Merlin, sa mort allait briser Harry.

Sauf que même la mort ne l'arracherait pas à son filleul. Il ne le quitterait pas. Harry n'aurait pas à le perdre comme il avait perdu tous les autres.

Il était prêt à tous les sacrifices pour ça.

Il était prêt à affronter toutes les douleurs, tous les dangers.

Il était prêt à ne plus être que l'ombre de lui-même.

Il était prêt à affronter à nouveau une armée d'Inféris et à les laisser le dévorer s'il fallait en passer par là mais, quoi qu'il arrive, il ne franchirait pas le Voile.

Brièvement, il se demanda si Nyssa voudrait toujours de lui une fois qu'il ne serait plus corporel, s'imagina faire une plaisanterie sur le fait qu'ils étaient désormais tous les deux morts…

« Tu as fait ton choix. » déclara Regulus.

Ce n'était pas une question.

La maison était à nouveau en ruine mais le visage de son frère demeura intact, tel qu'il l'avait toujours connu, figé dans cette jeunesse qu'il n'avait jamais eu l'opportunité de quitter.

« Dis-moi comment sortir d'ici. » exigea-t-il, en se tenant légèrement plus droit. « Dis-moi comment y retourner. »

C'était plus simple à présent que la décision était prise.

Sirius n'était pas du genre à tergiverser.

Il n'avait jamais été le cérébral du groupe.

Sirius fonçait.

Donnez-lui une cible et il fonçait.

D'une torsion du poignet, Regulus fit tourner les dernières gouttes d'alcool dans son verre vide puis le posa lentement au sol.

« J'aime à penser que nous nous serions retrouvés. » lâcha son frère. « Si j'avais survécu. J'espérais que nous nous retrouverions de l'autre côté du Voile. »

Sirius lui lança un sourire insouciant, celui qui avait fait chavirer plus d'une sorcière en son temps. Et s'il n'atteignit pas tout à fait ses yeux…

« Ne jamais dire jamais, petit frère. » proclama-t-il.

Le sourire de Regulus était presque identique au sien, à ceci près qu'il était triste. « Ce ne sera pas paisible. »

Il l'observa se lever du fauteuil, lisser machinalement les robes élégantes qu'il portait, pour se rapprocher jusqu'à être à porté de main.

« Qu'est-ce qui l'est jamais ? » lança-t-il, face à cet avertissement inquiétant.

Il n'avait pas peur de la douleur.

La mort… La mort, oui.

La douleur…

Il craignait davantage les tours que son esprit lui jouait. Il avait une expérience trop intimide de la folie qui se cachait dans les recoins de sa tête pour ne pas s'en méfier.

Mais la douleur…

« J'espère que ton choix est le bon. » offrit Regulus et, malgré l'hostilité du début de ces retrouvailles, il le pensa sincère.

Il prit une profonde inspiration, rassembla son courage…

« Je suis prêt. » affirma-t-il.

Reg fit la grimace. « On ne l'est jamais pour ça. »

Son frère le poussa dans la cheminée.

Si brusquement, si brutalement qu'il n'eut pas le temps de se préparer avant d'être avalé par le brasier.

Ce n'était pas les flammes émeraudes du réseau de cheminette qui l'accueillirent mais un véritable feu.

Un feu qui le dévorait.

Un feu qui…

Sirius hurla.

°O°O°O°O°

Severus se hâtait le long des couloirs, sa canne claquant contre les pierres à chaque pas, refusant de se laisser ralentir. À ses côtés, Albus s'était ajusté à son rythme. Le vieux sorcier était silencieux. Trop épuisé, lui aussi, par les derniers événements, sans doute, pour entretenir une conversation qui serait stérile.

Il avait agi sans son aval ou celui de quiconque, ce que lui et Shacklebolt n'avaient pas manqué de lui reprocher, mais il avait également eu raison et c'était un drame d'évité alors…

« Laissez-moi parler à Nymphadora d'abord. » demanda-t-il, tandis qu'ils arrivaient en vue de la porte de la chambre privée de Sirius. « Elle préférera peut-être l'annoncer à ses parents elle-même. »

Et Ted serait furieux après lui, sans aucun doute.

« Bien entendu. » accepta Albus, sans difficulté.

Il ne l'avait pas suivi jusque là pour l'épauler pendant qu'il affrontait les Tonks mais pour présenter ses respects à Sirius. Pour dire au revoir.

Il s'était écoulé quelques heures depuis qu'il avait laissé Nymphadora à l'infirmerie et personne ne lui avait encore envoyé un Patronus pour le rappeler en urgence mais…

L'ambiance dans la chambre était sombre.

Tout le monde, ou presque, avait trouvé un siège et avait le regard rivé sur l'homme dont la respiration semblait encore s'être dégradée durant son absence. Bientôt, le sortilège qui l'aidait à respirer ne suffirait plus et il faudrait faire un choix. Andromeda avait déjà plus moins établi que le combat était perdu. Le corps de Sirius était épuisé à force de lutter contre les infections, les résidus de magie noire refusaient de se laisser détruire ou de disparaître comme ils l'auraient dû. Et ils le consumaient à petit feu.

Tous les regards se tournèrent vers lui.

Il chercha celui d'Harry d'abord. Quelqu'un l'avait visiblement convaincu de redevenir humain parce qu'il était assis aux pieds de Nymphadora, la tête appuyée contre sa cuisse, reflet exact de la position dans laquelle il avait laissé le tigre.

Les yeux verts n'étaient que souffrance.

Il voyait sa douleur même à travers les couches de flammes et les marécages pourtant bien en place autour de son esprit.

Il déplaça son regard plus haut, le planta dans celui de la femme qu'il aimait. Il n'eut pas le temps ou l'occasion de lui demander s'il pouvait lui parler en privé quelques secondes. Ils se connaissaient trop bien, se comprenaient trop bien.

« Il a riposté. » déduisit-elle, rien qu'à son expression.

Ce n'était pas ainsi qu'il avait prévu de lui annoncer la nouvelle, de leur annoncer la nouvelle. Toutes les personnes dans cette pièce le fixaient désormais, presque blasées, trop habituées aux catastrophes pour faire autre chose que de se préparer à entendre le pire.

« De manière ciblée. » répondit-il, du ton le plus neutre possible. Son regard quitta le sien quelques secondes pour aller trouver celui de Ted. « Des Mangemorts ont attaqué… »

« Non. » le coupa le Botaniste, pâlissant d'un coup.

Andromeda lui prit la main, le visage fermé, pressant les lèvres pour se contenir.

« Ils n'y ont trouvé personne. » se dépêcha-t-il de rassurer l'autre homme.

Ils s'affrontèrent du regard pendant un moment, une myriade d'émotions déformant les traits du père de Nymphadora.

« Je vous avais dit de ne rien faire. » souffla ce dernier.

« Je n'ai pas écouté. » avoua-t-il, sans une once de culpabilité.

À la seconde où Harry lui avait rapporté que Nymphadora craignait pour la sécurité de la branche Moldue de sa famille… Ted était resté sourd à ses demandes de mettre un plan en place, arguant qu'ils étaient aussi bien protégés qu'ils pouvaient l'être sans révéler le Secret, mais Severus savait qu'elle avait plus que raison de s'inquiéter.

« Severus, de quoi vous parlez ? » intervint la jeune femme, la panique affleurant dans sa voix.

« Ils cherchaient très visiblement votre grand-mère et vos oncles paternels. » expliqua Albus, d'un ton compatissant. « Il y a eu quelques dommages collatéraux mais vos proches étaient déjà loin. »

Nymphadora ouvrit et referma la bouche, ses yeux se remplissant de larmes qu'elle fit de son mieux pour chasser. Il devinait qu'elle détestait ça : être trop fatiguée pour mieux masquer ses émotions.

« Mais… Comment ? Quand ? » balbutia Ted.

« J'ai dépêché les jumeaux Weasley, hier matin. » soupira Severus. « Votre mère, vos frères et leurs familles respectives sont tous hors du pays. De leur point de vue, une soudaine envie d'un voyage en famille en Nouvelle-Zélande qui durera tant que personne n'ôtera la compulsion. Le sortilège n'est pas permanent et ils ne souffriront d'aucunes séquelles si ce n'est pratiques. »

Les oncles et les cousins avaient tous quitté précipitamment leurs emplois et maisons sans avertissement, après tout. Mais ils seraient en vie pour affronter ces conséquences et c'était tout ce qui comptait.

Harry s'écarta avant même que Nymphadora ne se lève.

Severus franchit la distance entre eux, ouvrant déjà les bras, pour ne pas qu'elle ait à chanceler jusqu'à lui. Elle n'était pas encore aussi assurée sur ses jambes qu'elle voulait le faire croire. Elle le serra aussi fort que ses forces l'y autorisaient.

« Merci… » souffla-t-elle à son oreille.

« Il y avait de bonnes chances pour que sa riposte soit personnelle. » murmura-t-il. « Toutes les personnes qui me sont chères sont ici… Tu étais la cible évidente. »

Le temps qu'il ne s'écarte légèrement pour la regarder, Ted s'était approché et lui tapotait vivement le bras avec émotion. Si Severus l'avait autorisé, sans doute se serait-il vu entraîné dans une étreinte paternelle mais le Botaniste n'ignorait pas son aversion pour ce genre de contacts et se contenta de cette démonstration d'affection un peu brutale.

« J'ai une dette envers vous. » déclara l'homme.

Le Maître des Potions fit la grimace, légèrement hésitant. « Il n'y a pas de dettes en famille. »

Le sourire de Ted était éclatant.

À peu près autant que celui de Nymphadora était ému.

Il prit grand soin de ne pas remarquer l'émotion de Minerva dans le coin.

Severus était gêné et il ne savait pas ce qu'il aurait fait ou dit ensuite.

Il n'eut pas l'occasion de le décider.

Un sort d'alarme retentit.

« Non… » siffla son fils tandis qu'Andromeda agitait sa baguette au-dessus du corps de Sirius.

« Andy ? » s'inquiéta Narcissa, en serra son bébé plus fort contre son cœur. Draco plaça les mains sur les épaules de sa mère, l'expression dure.

Lupin se pencha en avant pour toucher ce qu'il pouvait de son ex-meilleur ami – un pied en l'occurrence. « Allez, Patmol… Ne nous fais pas ça… »

Nymphadora s'appuya brièvement contre lui avant de le lâcher, le laissant s'approcher d'Harry qui avait bondi sur ses pieds, suivant du regard chaque geste de la Médicomage… Il ne résista pas lorsque Severus plaça une main sur son épaule.

À côté de la tête de Sirius, Nyssandra s'était figée avec une immobilité qui frôlait le surnaturel.

Dans son dos, il sentit Albus rejoindre Minerva.

Finalement, le bruit de l'alarme se tut sur un coup de baguette d'Andromeda qui les embrassa tous d'un regard un peu humide. Elle dut s'y reprendre à deux fois pour parler.

« Il est en train de partir. » annonça-t-elle.

« Non ! » s'écria Harry, en échappant à sa main pour se jeter au chevet de son parrain. « Sirius… Sirius… »

Nyssandra esquissa un geste vers lui qu'elle retint au tout dernier moment.

Severus aurait été incapable de dire qui reniflait, qui pleurait, qui…

« Faites quelque chose ! » exigea son fils, en plantant son regard dans celui d'Andromeda.

Celle-ci secoua la tête, des larmes roulant sur ses joues. « Il s'est bien battu, Harry, mais c'est comme une chandelle. À un moment, il faut savoir la laisser s'éteindre. Il est à bout, tu comprends ? Ce serait cruel de continuer. »

Harry secoua la tête et Severus devina ce qu'il allait faire avant même qu'il ne sorte sa baguette. Il eut à peine le temps d'emprisonner son poignet avant qu'il ne puisse jeter un sort de soin.

« Harry… » plaida-t-il, la voix un peu étranglée.

« Non. » refusa tout net son fils. Ce n'était plus de la douleur ou de la peur dans les yeux verts mais la détermination têtue que le Maître des Potions avait appris à redouter. « Aide-moi à le sauver. »

« Harry. » contra-t-il. « La magie noire… »

« Alors chasse-la. » contra son fils.

« Ce n'est pas si simple, Harry. » soupira Albus dans son dos.

« Et pourquoi pas ? » riposta le garçon, jetant un regard accusateur à la ronde. « Il y a tous les gens les plus puissants du pays dans cette pièce. Pourquoi vous ne pouvez pas le sauver ? »

Nymphadora se glissa à côté de Severus, caressa le bras de l'adolescent. « Mon chat… »

« Elle le pourrait. » lâcha Narcissa, son regard rivé sur Nyssandra.

Intérieurement Severus grimaça.

Il n'aurait jamais pensé que ce serait elle qui ferait cette suggestion.

La vampire posa une main sur le front de Sirius mais ne consentit à regarder aucun d'eux. « Non. »

« Mère. » protesta immédiatement Draco, avant de secouer la tête. « Potter… Harry. Tu sais qu'il faut parfois… La magie ne peut pas sauver tout le monde. Tu sais qu'il y a un temps pour… »

« Oui mais pas lui. » siffla Harry. « Pas lui. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste. »

« Je sais, mon chat… » insista Nymphadora, la voix pleine de larmes.

« Vous ne vous battez même pas ! » accusa le garçon. « Vous allez juste le laisser mourir comme ça ? Sans même essayer de… »

« Je ne peux pas chasser la magie noire. » le coupa Andromeda. « J'ai essayé. Mes sorts de soin restent sans effet. »

« Alors il faut y mettre plus de puissance. » rétorqua Harry.

« La puissance n'est pas toujours la réponse, Harry. » soupira tristement Minerva. « Vous savez… »

Severus n'entendit pas le reste parce que les yeux de son fils s'étaient à nouveau braqués dans les siens.

« Sauve-le. » implora-t-il. « Papa… Papa, s'il te plaît. Tu as promis… »

C'était un enfant qui le suppliait et pas l'adolescent presque adulte.

Le fait était qu'il avait promis.

C'était stupide de seulement y penser. Les sorts de soin classiques avaient tous échoué. S'il y avait quelque chose à tenter, ce serait quelque chose de plus primaire, de plus brut, de plus… sombre. C'était stupide.

Cruel, même, de prolonger les souffrances de Sirius, Andromeda avait raison sur ce point.

« Il est parti. » annonça Lupin, au milieu de tout ça, d'un ton bourru où perçait des larmes. « Son cœur… Il ne bat plus. »

Un silence de plomb tomba sur la chambre.

Et, dans cette seconde de silence total, Severus prit une décision stupide.

Celle qu'aurait pris Sirius à sa place.

« Foutu chien. » marmonna-t-il, avant de pousser son fils plus franchement vers Nymphadora et de repousser les draps pour plaquer la main sur le torse nu de Sirius, à l'endroit précis où son cœur avait cessé de battre.

Il y eut plusieurs exclamations alarmées mais il n'en entendit aucune parce qu'il avait fermé les yeux et s'était laissé tomber au plus profond de lui-même, là où il pouvait se concentrer. Il rassembla sa magie, toute cette magie qu'il ne contrôlait plus tout à fait, et, sans plus hésiter ou tergiverser, il façonna une flèche acérée…

Et il l'envoya droit dans le cœur de son meilleur ami.

°O°O°O°O°

Sirius hurlait à mesure que les flammes le dévoraient.

Il avait beau se débattre, s'accrocher au regard de son frère, la douleur englobait tout, recouvrait tout… Rien n'éteignait les flammes qui n'étaient pas des flammes. C'étaient des dents. Des dents qui déchiraient. C'étaient des ongles. Des ongles qui griffaient.

Sirius partait en pièces.

Sirius était à l'agonie.

Sirius n'aspirait plus à rien d'autre qu'à ce que cela cesse.

Et, l'espace d'une seconde où tout sembla se figer, il crut que ce serait le cas, que sa prière avait trouvé sa réponse et, lâche qu'il était, il aurait peut-être dit à Regulus qu'il avait changé d'avis, qu'il voulait bien traverser le Voile finalement, si son frère ne s'était pas brusquement mis à rire avec une joie d'enfant.

« Hello, Severus. » murmura Reg, avec un sourire.

Sirius ne comprit pas.

Il n'eut pas le temps de comprendre.

La douleur revint.

Brutale.

Insoutenable.

Et il hurla de plus belle.

°O°O°O°O°

Parfois, lorsqu'on était à court d'idée, la magie brute fonctionnait.

Parfois.

Parfois, cela ne menait qu'à épuiser bêtement ses forces jusqu'à se retrouver soi-même aux portes de la mort.

Severus n'avait pas de plan d'attaque, pas de sortilège en tête, pas d'idée brillante. Il n'avait que sa magie et un besoin farouche de sauver Sirius. Il attaqua les bribes de magie noire qui corrompaient les plaies à l'aveugle, avec pour seul espoir que sa magie pure soit suffisante pour les chasser.

Plus de puissance, avait exigé Harry…

Il y mit toute la puissance qu'il avait.

Mais ce n'était pas suffisant.

Il vit immédiatement que ce ne serait pas suffisant.

Il s'entêta pourtant, incapable de céder aussi facilement.

Il n'était pas devenu un des Maîtres des Potions les plus doués au monde en renonçant aussi facilement.

Il tissait un sort de soin au fur à mesure, inventait et improvisait dans la seconde…

Et cela l'épuisait.

Peut-être s'il avait été plus reposé, peut-être s'il avait eu l'occasion de dormir davantage que quelques minutes à droite à gauche… Peut-être…

Il ne sentit que très vaguement son nez se mettre à saigner.

Son corps était loin.

Son esprit trop profondément replié derrière ses boucliers, tout entier concentré sur Sirius et ce que sa magie lui soufflait…

Son corps allait céder le premier.

Il le sentait.

Il n'avait plus assez de magie, plus assez de…

La magie qui vint rejoindre la sienne était douce comme une étole de soie. Inconnue mais amicale. Maîtrisée. Elle vint se fondre dans la sienne, renflouer son flot…

Sans hésiter, il s'en servit pour renforcer son sort de soin, braquant son attention sur le cœur qui venait de se remettre en marche…

Régénérer les tissus.

Chasser la magie noire.

Insuffler de l'énergie à un corps à bout de forces.

Une autre source de magie vint renforcer leurs flux conjoints, celle-ci extrêmement familière. Un typhon au milieu d'un orage qui menaça de le noyer avant que Severus ne trouve comment diriger le courant au lieu d'être emporté par le tsunami.

Ce n'était pas si différent de la Sphère de Troie, lorsqu'il avait servi de clef de voûte. Une communion de magie. Un exploit qu'il aurait été impossible d'accomplir seul. Une belle magie.

Une magie dont il était le fer de lance et qui, déjà, semblait remplir son office.

Il sentait les plaies infectées de Sirius se refermer, luttait toujours simultanément pour chasser la magie noire qui le combattait aussi férocement que lui, surveillait le cœur trop fragile dont les battements n'étaient pas assez assurés…

Aux forces d'Andromeda et d'Albus vint s'ajouter le torrent violent de la magie de Minerva et celle glaciale comme le vent sur la neige de Narcissa.

Vaguement, dans le monde physique qui n'était plus qu'un distant souvenir, il sentit des bras l'entourer, le soutenir. Nymphadora. Sa magie ne vint pas rejoindre l'union mais elle cherchait à lui donner un autre genre de force.

Une autre magie vint encore renforcer le sort. Une magie qui lui était aussi familière que la sienne. Vive, électrique, éparse…

Harry.

Une autre les rejoignit. Étrange. Presque pas de la magie. Plutôt de l'énergie pure mais elle n'était pas naturelle. Morte.

Il devenait compliqué de contrôler tout cet afflux de pouvoir mais Severus mit la dernière à part parce qu'il devinait que ce que la vampire avait offert au sort qu'il tissait n'était pas tant ce qu'il lui restait de magie du temps où elle était encore une sorcière que sa force vitale et Sirius ne lui pardonnerait jamais de le sauver en détruisant sa dernière romance en date.

La magie de Ted se greffa au reste avec un temps de retard. Ancrée. Stable. Solide.

Mais ce fut le dernier ajout qui donna à Severus la clef qui lui manquait.

La magie de Lupin était familière pour l'avoir côtoyée pendant sept ans mais elle avait changé, elle était… C'était la magie d'un Alpha qui rejoignit la sienne. Une magie qui refusait d'être domptée ou contrariée. Sauvage.

Peinant à canaliser ce flux de magie, enivré par le pouvoir dont il disposait, Severus tutoyait les étoiles et commençait à perdre de vue l'objectif de tout ceci… Il lui fallait se retirer et vite. Il lui fallait…

Il n'y avait plus de magie noire.

Il n'en détectait plus la corruption.

Le cœur battait.

Le corps fonctionnait.

Mais il manquait quelque chose…

Il manquait…

Sirius…

Sirius…

Sirius…

Severus ne pouvait pas aller jusqu'à passer le Voile pour le ramener et s'il était déjà de l'autre côté, si…

Sirius

Il chercha pourtant.

Fouilla.

Poussa.

Hurla en silence.

Juste au moment où il allait renoncer, une autre source de magie effleura la sienne. Vaguement familière. Vaguement… Elle n'appartenait à personne dans cette pièce. Elle venait… d'ailleurs.

Mais ce n'était pas celle de Sirius.

Ce fut pourtant elle qui le sauva.

Hello, Severus.

Il le sentit.

Il sentit qu'il se jouait quelque chose qu'il était incapable de totalement comprendre.

Soudain, toutefois, Sirius était .

Le corps vivait et n'était plus vide.

Sirius était .

Severus perdit le contrôle et lâcha prise, comprenant dans un moment de lucidité que s'il ne le faisait pas maintenant il risquait la vie de tous les autres et la sienne en prime.

Ils chancelèrent tous sauf Nymphadora qui le soutenait et Draco qui berçait anxieusement Orion, ne s'étant pas joint à eux.

Il mit plus de temps à revenir à lui que les autres, grisé par le niveau de magie qu'il venait d'atteindre… Une part de sa magie, de sa conscience, traînait encore dans le corps de Sirius.

Peut-être était-ce pour ça qu'il rouvrit les yeux pile au moment où l'Animagus en fit de même.

Peut-être était-ce pour ça qu'il attrapa, par réflexe, le bras que tendit son ami.

Ce qui s'échappa de la gorge de Sirius n'avait pas de sens. C'était un grognement. Un cri peut-être.

Il semblait au Maître des Potions qu'il appelait son frère.

Les yeux fous, la panique évidente, les traits déformés par la douleur, Sirius ne paraissait pas savoir où il était ou ce qu'il se passait.

Mais il était conscient.

Vivant.

Severus était incapable de suivre les conversations ou les cris de joie. Il trébucha en arrière lorsqu'Harry l'étreignit brutalement, se serait probablement écroulé sans Nymphadora qui le maintenait tant bien que mal debout…

Ses genoux cédèrent au moment où Andromeda convainquait en sanglotant son cousin de se rallonger.

Nymphadora était trop faible pour le retenir, à peine parvint-elle à freiner sa chute. Il ne dut qu'à Albus de ne pas s'ouvrir la tête sur le sol.

Sans très bien comprendre pourquoi il regardait soudain le plafond, Severus écouta d'une oreille distraite Nyssandra tenter de rassurer Sirius, de le convaincre de cesser de se débattre.

Le visage d'Albus emplit son champ de vision, remplaçant celui, trop inquiet, de la femme qu'il aimait.

« Doucement, mon garçon. Doucement. » le gronda le Directeur. « C'est de la très haute magie que vous venez de faire. »

Il cilla plusieurs fois, peu étonné de sentir qu'on lui lançait un sort de diagnostic.

« Severus ? » s'inquiéta Nymphadora, en frottant sa main entre les siennes. « Severus ? Il est gelé. »

Il ne savait pas à qui elle parlait.

Il ne savait pas…

« Papa ? »

Une main sur son épaule.

Des yeux verts trop brillants.

Chaque centimètre carré de son corps le titillait comme sous l'effet de la magie résiduelle.

Sa tête roula sur le côté.

« Severus ! »

« Papa ! »

Il voulut les rassurer mais ne parvint pas à ouvrir la bouche.

Sans avertissement, il sombra.

°O°O°O°O°

« Qu'ai-je fait pour mériter des serviteurs aussi incapables ? » siffla Lord Voldemort, en fusillant du regard les deux Mangemorts agenouillés devant Lui.

La salle était vide mis à part pour les pitoyables formes de Queudver et de Bellatrix qui rampaient devant son trône. Nagini patrouillait paresseusement derrière eux, militant régulièrement pour qu'Il la laisse les gober entiers.

« Est-ce seulement de l'incompétence ? » continua-t-Il, notant la manière dont Bellatrix grimaça légèrement à cette accusation. « Severus. Lucius. Es-tu la suivante, Bella ? »

La sorcière leva brusquement la tête, les yeux brûlant de ferveur. « Jamais, Maître. Vous le savez bien. »

Elle était la dernière qu'Il aurait soupçonnée.

Aussi certainement que le soleil se levait à l'est, Bellatrix lui appartenait.

Son âme damnée.

« Dans ce cas, pourquoi ces Sang-de-Bourbes ne sont-ils pas morts ? » gronda-t-Il.

Nagini se glissa plus près d'elle.

Elle sentit la présence du serpent dans son dos, Il le vit à la manière dont elle se raidit, mais ne chercha pas à fuir.

« J'ai envoyé Pettrigrow. » lâcha-t-elle.

Il fit distraitement tourner sa baguette entre Ses doigts. « Mais c'est à toi que j'avais confié cette mission. C'est ta nièce qui est responsable de ça. » De Sa main libre, Il esquissa un geste vers Son visage. Bellatrix grimaça à nouveau. « J'osais croire que tu aurais été plus impatiente de couper cette branche par alliance… Ne t'ai-je pas ordonné de tuer tous les Tonks ? N'ai-je pas été assez clair ? »

« Maître, ils n'étaient plus là. » intervint Queudver, comme s'il n'y tenait plus, en jetant de nombreux regards terrifiés à Nagini. « Ils ont disparu hier matin. Ils nous ont devancés. »

« Il semble qu'ils ne font que ça, nous devancer. » rétorqua-t-Il, dans un sifflement plus Fourchelang qu'humain. « À croire que nous n'avons pas déniché tous leurs espions. »

Ou que Severus Le connaissait trop bien.

Le doute subsistait.

Le doute Le gardait éveillé.

Qu'avaient-ils découverts ?

Severus était trop intelligent.

Il aurait dû le tuer quand Il en avait eu l'occasion.

Lord Voldemort ne commettait pas d'erreur.

Mais Il aurait dû le tuer.

Tout comme Il aurait dû écraser cette petite impertinente au lieu de s'amuser avec elle.

Elle Lui avait pris son visage.

Il brûlerait toute sa vie jusqu'à ce qu'il n'en reste que des cendres.

« À ce sujet, Maître. » reprit Bellatrix, d'un ton pressant. « Lupin était sous sa forme de loup. Il avait la potion. C'est pour ça que j'ai envoyé Pettigrow au lieu de m'en charger moi-même. »

« Pour aller folâtrer chez Greyback ? » railla-t-Il.

« Pour lui demander des comptes. » contra-t-elle. « Lupin n'a pas obtenu cette potion par accident. Il lui a déjà volé des loups. Ces… Ces animaux sont en marge de notre société. Si espion il y a, il suffit de se tourner vers eux. »

Il n'ignorait pas l'hostilité qui animait Ses Mangemorts envers les loups-garous et Il partageait leurs dégoût. Viendrait un moment où Greyback n'aurait plus d'utilité et où Il se ferait un plaisir de faire des lycanthropes une espèce éteinte. Néanmoins, pour l'instant, tant qu'Il n'avait pas décidé de raser Poudlard ou de la conquérir, les loups étaient un mal nécessaire.

De plus, il était bon d'être juste…

« Greyback remplit ses missions, lui. » remarqua-t-Il.

« Ou c'est ce qu'il veut faire croire. » rétorqua Bellatrix.

La flamme de colère qui s'était allumée dans Sa poitrine enfla jusqu'à devenir un brasier.

« Es-tu en train de sous-entendre, ma chère Bella, que Lord Voldemort pourrait être dupé par un vulgaire animal ? » siffla-t-Il.

En réponse, Nagini se rapprocha davantage encore d'elle, sa langue fourchue lui caressant la nuque.

« Non, Maître. » réfuta-t-elle immédiatement. « Bien sûr que non. Mais Maître… Que Lupin ait la potion… »

« Severus est un cloporte mais un cloporte brillant. » l'interrompit-Il, en agitant la main. « Ils n'ont pas volé la potion, Bella, ils l'ont reproduite. »

« Raison de plus pour se débarrasser des loups. » pressa-t-elle. « Si Lupin tue Greyback, il s'emparera de toute la meute. Cela pourrait se retourner contre nous. »

Son rire froid et dénué de véritable amusement raisonna dans la pièce caverneuse. « Lupin est faible. N'est-ce pas, Queudver ? »

Le rat n'hésita qu'une micro seconde avant de hocher la tête. « Il est insignifiant. »

« Tu vois… » lâcha-t-Il, avec un geste las. « Lupin est insignifiant. »

Il était évident que Bellatrix n'était pas convaincue.

« Il n'y a pas que les loups, Maître. » offrit-elle. « Nos contacts avec les Gobelins… »

« Des sous-êtres. » cracha-t-Il. « Pourquoi cette nouvelle obsession pour ces créatures ? Ou penses-tu que cela me fera oublier la punition que tu mérites ? »

La sorcière déglutit mais garda la tête droite.

Trop de défiance.

Trop de fierté.

Il voulait l'écraser au creux de son poing jusqu'à ce qu'elle apprenne à Le respecter à nouveau.

« Je ne me soucie que de vous, que de notre cause. » se défendit-elle. « Maître, je regrette si je vous ai offensé, mais… »

« Aurais-tu perdu foi en moi, Bellatrix ? » l'interrompit-Il, feignant la tristesse. La déception.

« Maître ! » protesta-t-elle, ignorant la manière dont Nagini la menaçait silencieusement. « Jamais. »

« Il me semble… » professa-t-Il, avec un faux regret. « … qu'il me faut te rappeler pourquoi Je règne suprême. »

« Maître. » plaida-t-elle.

Il ne l'écouta pas.

Il ne l'entendait déjà plus.

Il avait soif de douleur.

De la provoquer.

De s'en amuser.

De la savourer.

« Endoloris. »

°O°O°O°O°

Chaque inspiration brûlait ses poumons.

Ce n'était pas la seule chose qui brûlait.

Son corps était en feu.

« Revenir à la vie est parfois plus douloureux que de la perdre. » murmura une voix familière à son oreille.

Sirius se fit violence pour ouvrir les paupières.

Tout était confus.

Il ne savait pas où il était.

Il ne savait pas ce qu'il s'était passé.

Il voulut s'humecter les lèvres mais sa bouche était sèche.

« L'aube ne va pas tarder à se lever. » continua la voix. « Je dois m'en aller. »

Quelque chose caressa sa joue et il tressaillit. Le contact de peau à peau était…

« Excuse-moi. » souffla-t-elle, la douleur suintant de chaque mot. « Je suppose qu'il n'y a pas grande différence entre un Inféri et moi si on ramène la chose à sa nature... Je suis aussi morte que… »

« Nyssa. »

Il ne la voyait pas dans la pénombre. Sa vue était floue. Tout était confus.

Mais la voix…

Il connaissait cette voix.

« Nyssa… »

Son prénom était un râle arraché à une gorge irritée.

« Je suis là. » répondit-elle, en se penchant au-dessus du lit pour qu'il puisse la voir. Ses cheveux bruns étaient retenus en arrière mais ses yeux verts semblaient luire légèrement dans la nuit. « Je suis revenue dès que j'ai eu le hibou. J'étais avec toi tout du long. »

Beaucoup de sentiments contradictoires se battaient dans sa poitrine. Surtout parce qu'il avait beau être confus, il n'était pas suffisamment confus pour avoir oublié que cela faisait des semaines qu'il ne l'avait pas vue et que les messages, dans l'intermède, avaient été sporadiques.

Juste quelques nuits s'était transformé en des jours de silence.

Mais elle était là.

Elle était enfin là.

Et il ne savait peut-être pas ce qu'il se passait, où il était ou pourquoi il avait l'impression d'avoir servi de jouer à mâcher à un cerbère mais il savait une chose : il ne voulait plus jamais qu'elle s'en aille.

« Nyssa… » répéta-t-il.

Avec une certaine hésitation, elle se pencha pour l'embrasser.

Il ferma les yeux pour savourer la douceur de ce baiser léger.

« Je t'aime. »

Les mots lui échappèrent avant qu'il ait pu tenter de les ravaler ou de la jouer plus détendu, moins accro qu'il ne l'était en réalité.

Cette fois-ci, lorsqu'elle lui caressa la joue, il tourna légèrement la tête pour chercher le contact même si sa peau lui semblait fourmiller.

« Moi aussi, je t'aime. » répondit-elle, la voix rauque comme si elle retenait ses larmes. « Espèce d'idiot. »

Malgré tout, il se mit à rire.

« Je ne sais pas… ce que j'ai fait… » souffla-t-il, luttant pour prononcer chaque syllabe. « Mais tes mots doux… m'avaient manqué… »

« Idiot. » répéta-t-elle, avec trop d'émotion.

Le baiser qui suivit fut beaucoup moins léger. Il dut faire un effort pour lever la main et l'enfouir dans ses boucles brunes. Son corps était lourd, bardé de bandages.

« Je dois vraiment m'en aller. » murmura-t-elle contre sa bouche. « Le soleil va se lever. »

Il acquiesça par réflexe, toujours pas très sûr de ce qu'il se passait.

« Je crois… que j'étais mort… » avoua-t-il.

« Tu l'étais. » confirma-t-elle. « Pendant une minute… Tu l'étais. »

Ah.

Ça expliquait pas mal de choses.

°O°O°O°O°

Severus émergea avec difficultés et un mal de tête carabiné qui lui rappela les rares fois où il s'était laissé à aller à consommer trop d'alcool. Il lui fallut un moment pour faire sens de la situation dans laquelle il se trouvait.

Il était allongé sur un lit d'appoint dans la chambre privée de l'infirmerie. De là où il était, il voyait Sirius sur son propre lit d'hôpital. Son torse se soulevait.

Il s'autorisa à se détendre, à prendre le temps de se réveiller lentement… Il tenta de s'étirer et comprit immédiatement pourquoi ses jambes lui paressaient engourdies. Ravalant un soupir, il se débrouilla pour les extirper de sous l'énorme corps du tigre qui refusait de comprendre qu'il n'était pas un chat. Nymphadora s'était endormie en le veillant. Assise sur une chaise, son buste était affalé sur le matelas.

Il parvint à se lever sans les réveiller ni l'un, ni l'autre, testa prudemment ce qu'il en était de sa magie et, après avoir déterminé que s'il était affaibli il n'était pas pour autant épuisé magiquement, il fit léviter la jeune femme jusqu'à ce qu'elle ait pris sa place sur le lit. Elle ne broncha même pas. À peine marmonna-t-elle quelque chose dans son sommeil avant de se tourner de l'autre côté.

Les rayons du soleil levant jetaient des ombres sur le sol de pierres.

Severus se passa une main sur le visage puis s'approcha du lit au centre de la pièce.

L'Animagus devait être stable ou les autres ne l'auraient pas laissé seul mais il voulait s'en assurer lui-même. Il voulait…

Les paupières de Sirius papillonnèrent au premier sort de diagnostic qu'il jeta.

« Salut… » souffla ce crétin, comme si Severus n'avait pas passé les quatre derniers jours à prier toutes les divinités auxquelles il ne croyait pas pour qu'elles l'épargnent.

Comme si c'était un jour comme un autre.

« Abruti. » lâcha-t-il.

Le bruit qui échappa à Sirius était entre l'amusement et la douleur. « Servilus… Tu sais que… j'adore… quand tu me dis… des choses comme ça… »

Le Maître des Potions dut résister à l'envie impérieuse de le secouer jusqu'à ce qu'il se rende compte à quel point il était passé près de…

« Nyssa dit… que j'étais… mort… » murmura son ami.

Severus refusa de trahir la moindre émotion. « Tu l'étais. »

Sirius acquiesça lentement, avec des mouvements minuscules, comme pour indiquer qu'il avait compris. « Elle dit… aussi… que tu as fait… un truc stupide… pour me ramener… »

« Harry était attristé par ta perte. » répondit-il, aussi froidement qu'il le put. « Va savoir pourquoi. S'il n'en avait tenu qu'à moi, nous aurions déjà composé ton éloge funèbre. »

À nouveau, un rire avorté secoua Sirius.

Ses yeux gris se plantèrent dans les siens, un peu confus. « Sev ? »

« Ne m'appelle pas comme ça. » bougonna-t-il pour la forme, mais il se pencha tout de même un peu pour mieux l'entendre. « Qu'y a-t-il ? Tu devrais cesser de bavarder et te reposer. Ne crois pas que je te sauverais à nouveau la vie de si tôt. Il va te falloir faire un effort pour rester en vie par toi-même. »

Il ne pensait pas que l'ancien fugitif ait compris un traître mot de ce qu'il venait de dire.

« Je me souviens… de rien… » avoua Sirius, son regard fouillant le sien. « J'étais dans la rue… Bellatrix… » Il secoua la tête. « Plus rien… »

Étant donné ce qu'il avait subi, c'était sans doute une bénédiction.

« Repose-toi. » lui ordonna-t-il. « Tu vas te remettre. C'est tout ce qui importe. »

L'autre homme souleva la main, cherchant dans l'air… Severus l'attrapa par réflexe et la serra, un peu rassuré par la force de sa poigne. Quoi qu'il ait fait avec son sortilège de magie pure, il semblait qu'il soit parvenu à restaurer un peu l'énergie de son ami.

« Je… Je ne veux pas mourir. » souffla l'Animagus.

« Tu ne vas pas mourir. » contra fermement l'ancien Mangemort. « C'est terminé. Tu es sauvé. »

Sirius s'accrochait toujours à son regard comme s'il pouvait y trouver la réponse à toutes ses questions. Il fronça les sourcils. « Tu es venu… me chercher… »

« Techniquement parlant, je suis allé chercher Nymphadora. » déclara-t-il.

« Non… » protesta l'autre sorcier. « J'étais… J'étais mort. Tu… Tu es venu… »

Severus se crispa légèrement mais serra la main qui s'agrippait à la sienne. « N'est-ce pas ce que l'on fait pour son meilleur ami ? »

L'Animagus se détendit, ses paupières se refermant lentement. « Oui… Meilleur ami… »

Il leva les yeux au ciel. « Inutile d'être sentimental sur le sujet. »

Mais ses récriminations tombèrent dans l'oreille d'un sourd.

Sirius s'était déjà rendormi.