Les problèmes étaient nombreux, à commencer par le fait que lae môme n'avait presque rien mangé en deux jours, et sa perte de connaissance résultait au moins autant de la faim et de la déshydratation que de la peur. Iel baissa la tête après cette confession, le visage caché derrière un voile de cheveux châtain clair.
Au moins, ce problème-là pouvait se résoudre facilement.
On ne pouvait en dire autant du fait qu'iel se glisse régulièrement dans le campus sans en avoir le droit, d'abord pour fréquenter la bibliothèque, puis par attirance pour ses jardins. D'autant plus qu'iel évitait comme la peste toutes les figures d'autorité qui aurait pu l'aider – y compris les professeurs.
Crowley échangea un regard avec Aziraphale et prit le relais des questions. « Quel nom et pronoms tu voudrais qu'on utilise ? Je veux dire, ça m'est égal et je peux continuer à t'appeler 'môme' et dire 'iel', mais je veux pas présumer de tes préférences.
— 'Iel' c'est bien, ou 'il' ou 'elle', je suppose. C'est juste… mon père insiste pour que je sois un homme et je n'ai pas l'impression d'être plus un homme qu'autre chose… » Iel laissa sa phrase en suspens.
Crowley afficha son expression d'écoute patiente et haussa les épaules. « Parfois, la case du H signifie 'Ha, peu importe !'. Et il y a rien de mal à ça. »
Un œil gris le regarda à travers les cheveux, comme en attente de moqueries. Crowley maintint son expression sérieuse jusqu'à ce qu'iel se redresse un peu, et qu'une partie de la tension dans son corps disparaisse.
« Il dit », et il était très clair à son ton qu'iel parlait de son père, « que tant que je n'arrête pas ces idioties, je ne peux aller nulle part ni faire quoi que ce soit. Surtout pas apprendre des trucs. Mais les seules personnes qui me soutenaient étaient des employés, pas ceux qui les payent. Et je me suis dit, vous êtes juste le jardinier, par vrai ? Peut-être que vous leur ressemblez plus que n'importe quel professeur et, que je pourrais… que je pourrais apprendre. » Iel baissa de nouveau les yeux.
Aziraphale intervint, la voix aussi douce que possible malgré sa colère grandissante envers ceux qui étaient censés prendre soin d'iel. « Je n'en parlerai pas. Tu n'as personne à qui t'adresser ?
— Plus maintenant. J'avais une nounou, avant. Et le jardinier. Mais ils sont partis. »
Crowley et Aziraphale échangèrent un autre regard. Cette fois, disait ce regard, leur façon de faire habituelle n'aidait pas.
« Pour commencer, dit Aziraphale après un moment, ça ne surprendrait personne si j'allais chercher un panier de pique-nique et, mon enfant, tu as besoin de manger. » Il sourit et se redressa.
Crowley modifia avec difficulté sa position pour étirer sa jambe. « Je ne veux pas te faire fuir, tu sais », dit-il, et sa voix était tout aussi douce que celle de son ange, bien que plus bourrue. « Mais je suis pas jardinier ; je suis tout autant professeur que lui. Et si je pouvais, si on pouvait, on serait les parrains de tous les jeunes vivant des difficultés similaires aux tiennes. »
Lae môme se figea. Crowley ôta sa main de son épaule, lui permettant de réagir comme iel le voulait, plutôt que de l'inciter à quoi que ce soit. Et quand iel se tourna vers lui, s'il restait de la peur sur son visage, elle cohabitait avec un fragile espoir. « Vous… vous voudriez de moi ? Vous… vous seriez mes…
— Si c'est ce que tu veux », affirma Crowley, et il pouvait sentir l'approbation dans le regard d'Aziraphale. « On sera là. Toujours. Et ton père n'y pourra rien. »
Iel les fixa en prenant une longue et douloureuse inspiration, et des larmes se mirent à couler sur son visage. Crowley adopta une position plus stable sur le banc et ouvrit les bras en une offre silencieuse. Lae môme hésita, puis se pencha avec prudence, laissant les longs bras de Crowley l'entourer comme du lierre autour d'un vieil arbre. Au-dessus d'eux, Aziraphale eut un sourire déterminé et se hâta d'aller chercher le petit-déjeuner.
Iel posa sa tête sur l'épaule maigre de Crowley et lui offrit un murmure en retour. « Je m'appelle Warlock. Mais tout le monde m'appelle War, car je passe mon temps à me battre contre ses maudites règles. »
