Chapitre 8: Harry, Jane et Kali

Effectivement, lorsqu'ils passèrent la porte, le policier les attendait de pied ferme et il avait l'air furieux.

Ils étaient à peine à l'intérieur que Hopper se mit à leur hurler dessus. Douze resta en retrait, regrettant d'avoir cédé aux caprices de son amie.

Hopper commença par leur apprendre que quelqu'un les avaient vus traverser le parc. Il enchaîna ensuite sur les règles de sécurité à respecter. Il interpella Douze, qui essayait de se faire tout petit pour se faire oublier :

— Tu n'avais que deux règles à respecter pour tes sorties ! Deux ! Tu peux me les rappeler ?

Douze répondit :

— Rester invisible et être rentré avant toi…

— Bien. Comme tu n'es pas assez mature pour respecter deux petites règles, tu peux faire une croix sur tes sorties, gamin.

Il les interdit ensuite de télé pour une semaine. Et il priva Onze de gaufres pour la même durée. L'explosion que le garçon redoutait de la part de Onze survint à cette annonce.

La jeune fille protesta mais Hopper ne fit que prolonger la punition, jusqu'à finir par les priver de tout. Pour prouver qu'il était sérieux, il alla jusqu'à détruire la télé. Ce geste violent déclencha une dispute monumentale entre Hopper et Onze.

Douze ne savait plus où se mettre. Il détestait les conflits et n'avait qu'une envie : disparaître et qu'on oublie son existence. Il fut tenté de disparaître pour de vrai mais renonça à cette idée pour ne pas attirer sur lui la colère de leur tuteur.

La plus jeune finit par faire une énorme crise de colère, qui fit exploser toutes les vitres, et alla s'enfermer dans sa chambre en claquant la porte, en larme, après avoir hurlé à Hopper :

— Tu es comme papa !

Douze resta sur place, bras ballants, ne sachant que faire. Hopper, que la dispute avait mis encore plus en colère qu'il ne l'était à la base, se rappela de sa présence et lui jeta un regard incendiaire puis aboya :

— Va dans ta chambre !

Le garçon s'exécuta sans demander son reste, ne voulant pas s'attirer encore plus les foudres du policier. Déjà qu'il était sûr d'avoir perdu sa confiance…

Il referma la porte derrière lui et se déshabilla. Douze allait se coucher lorsqu'il entendit des sanglots venant de l'autre côté de la pièce, là où dormait son amie. Il ne réfléchit pas et se dirigea automatiquement vers le lit de Onze. Elle était allongée, en position fœtale. Dans la pénombre le garçon pouvait voir ses épaules se soulever par à-coups. Ses reniflements envahirent la pièce.

Cela lui fit mal au cœur de voir son amie dans cet état. Ça faisait remonter chez lui des souvenirs qu'il aurait préféré oublier, qui dataient de l'époque où ils étaient encore au laboratoire. Il avait depuis longtemps cessé de compter le nombre de fois où il avait dû sécher les larmes de Onze après certaines expériences particulièrement éprouvantes du Dr Brenner.

C'était pour cela qu'il ne pouvait s'empêcher d'être en colère contre Hopper, même s'il savait que le policier n'avait pas cherché à faire pleurer Onze. Il ne voulait pas réveiller Onze et s'allongea derrière elle, en position de cuillère. Il passa tant bien que mal un bras autour de ses épaules et finit par s'endormir dans cette position, aussi peu confortable soit-elle.

Le lendemain, en se réveillant, il était allongé sur le dos, la tête de son amie sur son ventre. Ce fut Onze qui le réveilla en se levant. Douze remarqua ses yeux rouges et gonflés mais ne fit aucun commentaire. Ils s'habillèrent puis sortirent de la chambre. En voyant le bordel monstre qui régnait dans le salon, Douze se rappela des événements de la veille. Ce souvenir fit remonter la colère qu'il ressentait envers leur tuteur, à qui il jeta un regard froid.

Le policier, qui s'était calmé, s'en rendit compte et se promit de lui parler en rentrant du travail.

Après le départ de Hopper, Onze essaya de réparer elle-même la télé mais n'y parvint pas. Douze n'était pas sûr que ce soit une bonne idée et pensait que cela risquait de leur retomber dessus en cas d'échec. Il savait cependant que son amie voulait bien faire et réparer les dégâts causés par sa crise de colère de la veille. Il n'essaya donc pas de l'en empêcher. Le duo entreprit ensuite de ranger la cabane.

Ils étaient en train de nettoyer le sol lorsqu'ils buttèrent sur une trappe. La jeune fille l'ouvrit à l'aide de ses pouvoirs. Ils descendirent ensuite et atterrirent dans ce qui ressemblait à une cave. Tandis qu'ils descendaient les escaliers, Douze sentit quelque chose effleurer son bras droit. Surpris, il sursauta et faillit louper une marche. Il perdit l'équilibre et son talon gauche rippa sur le bord de la marche où il se trouvait. Il atterrit avec lourdeur sur la suivante et retrouva son équilibre avec plus où moins de facilité.

La voix inquiète de Onze s'éleva, juste derrière lui :

— Ça va ?

Il se retourna et lui répondit :

— Oui, je ne me suis pas fait mal.

Les deux amis arrivèrent en quelques instants au pied des escaliers, qui débouchèrent sur une pièce plutôt vaste. L'endroit était plongé dans la pénombre et un désagréable mélange d'odeurs d'humidité, de moisissures et de renfermé envahit les narines des deux enfants. Leur entrée dans la pièce souleva un nuage de poussière qui leur provoqua une violente quinte de toux d'une bonne dizaine de secondes.

Lorsqu'il eut repris son souffle, Douze se retourna et aperçut, découpé dans la lumière de la cabane, ce qui ressemblait à un morceau de corde. Il remonta et se rendit compte que ce qu'il avait pris pour un morceau de corde était en fait une cordelette reliée à une ampoule qui pendait du plafond.

Il tira sur la cordelette et une lumière vive éclaira la cave. Les deux enfants, dont les yeux commençaient à s'habituer à l'obscurité, furent éblouis quelques instants. Lorsque leurs yeux se furent habitués à la lumière, ils commencèrent à explorer les lieux.

Ils y trouvèrent un certain nombre de boîtes. Douze n'en revenait pas. L'endroit était une telle mine d'informations qu'il ne savait plus où donner de la tête.

Son regard se posa sur une boite étiquetée « Laboratoire de Hawkins ». L'adolescent resta quelques secondes figé devant l'étiquette. Il ne réalisait pas. Pourquoi Hopper avait-il, caché sous sa cabane, un carton en lien avec le laboratoire ? Il souleva le couvercle de quelques centimètres. Le carton était plein. Il ne put voir ce qu'il contenait exactement mais il semblait y avoir, autres, des coupures de journaux et des documents officiels. Douze, sous le choc, lâcha le couvercle qui lui glissa des mains et retomba de travers sur la boîte.

Serait-il possible que ce carton contienne toutes les réponses aux questions qu'ils posaient à leur tuteur depuis des mois, et auxquelles Hopper refusait de répondre ? Cette réalisation lui fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. L'espace d'un instant, il eut le souffle coupé. Il se sentait trahi et sa méfiance naturelle envers les adultes revint au galop. Il tenta de la réfréner, il se disait qu'il y avait sans doute une excellente explication au fait que leur tuteur leur ait caché l'existence de ce carton.

Dans un réflexe presque incontrôlé, il appela Onze pour qu'elle le rejoigne et, sans se concerter, les deux enfants attrapèrent la boîte et la remontèrent dans le salon. Ils la posèrent au sol et l'ouvrirent puis commencèrent à en sortir le contenu.

Douze ne trouva au départ rien d'intéressant, jusqu'à ce qu'il tombe sur un article de journal. Un article dont l'intitulé incriminait le Dr Brenner dans un certain « projet MK-Ultra ». L'article disait également qu'une dénommée Terry Ives avait, quelques années plus tôt, accusé ce même Dr Brenner de lui avoir volé sa fille nouveau né.

L'article fit remonter chez l'adolescent un vieux souvenir, du jour où, six ans plus tôt, une femme armée s'était introduite au laboratoire et avait réclamé que Brenner lui rende sa fille.

Une question s'imposa alors dans l'esprit de Douze : se pouvait-il que Terry Ives soit cette femme ?

Tandis qu'il réfléchissait à cette question, il fit part de ses découvertes à son amie et lui tendit l'article. Pendant qu'elle lisait, il continua de fouiller dans la boîte. Il y trouva quelque chose qui l'intrigua : un certificat de décès, daté de juin 1971… au nom de Jane Ives. Ce qui le surprenait n'était pas tant l'existence de ce certificat que sa présence dans cette boîte.

Douze continua de chercher dans le dossier où il avait trouvé le certificat. Il finit par tomber sur un morceau papier où étaient notés, d'une écriture qu'il ne reconnut pas, le nom et l'adresse de la sœur de Terry : Becky Ives.

Le garçon releva la tête de ses documents pour s'assurer que son amie avait fini de lire l'article. Lui-même ne savait pas quoi penser de ce qu'il venait d'apprendre, où de ce que cela impliquait. Lui, qui avait déjà été surpris par les révélations de Dumbledore à son sujet, n'avait jamais pensé que Onze puisse elle aussi avoir une famille, qui la cherchait peut-être encore à l'heure actuelle.

Cette pensée le rendit à la fois triste et furieux. Ses parents à lui étaient morts depuis longtemps et Hopper était la seule figure parentale qu'il ait jamais eu. Mais il commençait à réaliser que Brenner avait privé sa meilleure amie d'une enfance heureuse. D'une enfance tout court. Et cela faisait monter en lui une furieuse envie de frapper le vieux scientifique mais aussi de pleurer pour la famille dont l'homme avait privé son amie.

Une famille qui, s'il en croyait le certificat de décès qu'il avait trouvé, n'avait jamais su qu'elle était vivante. Puis il se souvint de Terry Ives et se dit qu'elle, d'une façon ou d'une autre, avait dû finir par le savoir. Ou peut-être l'avait-elle toujours su ?

Il était sur le point de lui annoncer ce qu'il avait trouvé lorsqu'il la vit se lever et quitter la pièce pour revenir avec un bandeau.

Douze sut alors ce qu'elle voulait faire mais ne comprit pas pourquoi. Quand il lui posa la question, elle répondit :

— Je veux retrouver maman…

Le garçon se contenta d'acquiescer puis la laissa faire. Il connaissait son envie d'en apprendre plus sur ses origines et, maintenant qu'elle s'en rapprochait, n'avait aucunement l'intention de l'en empêcher. Bien au contraire. Il la suivrait et la soutiendrait jusqu'au bout de son entreprise. Il s'estimait heureux d'avoir pu rencontrer quelqu'un qui avait connu ses parents. Si la même occasion se présentait à Onze, il ne pouvait que l'encourager à la saisir.

Au bout de quelques minutes, la jeune fille se mit à parler. Elle raconta à son ami ce qu'elle voyait, à savoir une femme assise dans une chaise a bascule, qui répétait les mêmes mots en boucle. Onze tenta à plusieurs reprises d'entrer en contact avec elle, en vain. L'adolescente finit par retirer le bandeau.

Elle avait les larmes aux yeux lorsqu'elle lui annonça qu'elle n'avait pas réussi à communiquer avec la femme qu'elle avait vue. Douze se sentit impuissant de ne rien pouvoir faire d'autre que sécher ses larmes et la réconforter. Pour lui changer les idées, le garçon raconta ensuite ce que lui-même avait trouvé, puis tendit le papier à son amie.

Les deux amis n'eurent pas besoin de se concerter pour savoir ce qu'ils allaient faire ensuite. Ils devaient rendre visite à cette Becky Ives. C'était leur seule piste pour retrouver la mère de Onze.

Douze les rendit invisibles puis ils descendirent en ville. Ils marchèrent jusqu'à passer devant le panneau de sortie de Hawkins et s'arrêtèrent à ce moment là. Ils avaient l'adresse de cette femme mais ne savaient pas comment la retrouver.

Le garçon, qui commençait à fatiguer, annula l'effet de son pouvoir, estimant qu'ils ne risquaient plus d'être découverts.

Au même moment, un camion s'arrêta à leur niveau. La vitre de la portière s'abaissa et un homme leur demanda :

— Je peux vous aider, les enfants ?

Douze lui tendit le papier qu'il avait dans la main et dit :

— On veut aller à cette adresse.

Sa voisine ajouta :

— On cherche maman.

Heureusement pour eux, l'homme ne chercha pas plus loin et accepta de les prendre avec lui.

Peu de temps après, il les déposa à l'adresse que Douze lui avait indiqué. Les deux adolescents descendirent du camion et saluèrent le conducteur, qui repartit en leur souhaitant bonne chance. Ils n'avaient pas conscience de la veine qu'ils avaient eu de tomber sur quelqu'un qui avait accepté de les aider sans poser de questions, et sans leur faire de mal.

Le duo s'approcha de la porte et Onze toqua. Au bout de quelques minutes, ils entendirent un bruit de verrou puis la porte s'ouvrît sur une femme qui leur jeta un regard méfiant.

Onze allait parler mais elle n'eut pas le temps de dire un seul que la porte se referma. Elle entendit la femme la verrouiller de l'intérieur.

L'adolescente utilisa ses pouvoirs pour déverrouiller la porte de force, sous les yeux choqués de la femme. Celle-ci, hébétée, laissa entrer les deux plus jeunes. Douze n'était pas sûr que son amie ait bien fait de faire une démonstration de ses pouvoirs devant une inconnue, quand bien même celle-ci était probablement sa tante. Il craignait que la femme ne les prennent pour des fous et alerte les autorités où, pire, le gouvernement. Si cela devait arriver, ils pouvaient dire adieu à leur liberté. Au mieux, ils seraient internés. Au pire, ils finiraient dans un labo encore pire que celui dont ils s'étaient évadés. S'ils n'étaient pas exécutés pour haute trahison. Mais le pire, à ses yeux, était que leurs amis seraient eux aussi en grand danger.

Ils la suivirent jusqu'au salon, où leurs regards se posèrent sur une femme assise sur une chaise à bascule dont le regard vide fixait la télévision. Elle répétait les mêmes mots en boucle.

Douze se tourna vers son amie. Il allait lui demander s'il s'agissait de la femme dont elle lui avait parlé mais ce ne fut pas nécessaire. Sans même lui adresser un regard, elle dit :

— C'est elle…

Onze tenta ensuite de faire parler la femme, en vain. L'autre adulte profita de ce moment pour dire aux deux adolescents :

— Si vous vouliez parler à ma sœur, il fallait venir il y a six ans…

Douze demanda :

— Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Elle expliqua :

— Je m'appelle Becky Ives. Terry est persuadée que le Dr Brenner lui à volé sa fille, Jane.

— Et… c'est la vérité ?

Tandis qu'elle les conduisait jusqu'à une pièce fermée, Becky secoua négativement la tête. Elle les fit entrer et expliqua :

— C'est la chambre que Terry avait faite pour sa fille. Mais ma sœur à donné naissance à un bébé mort-né.

Douze demanda :

— Vous… Vous en êtes sûre ?

— Oui.

Elle enchaîna ensuite :

— Terry disait que le Dr Brenner voulait développer chez son enfant des capacités « spéciales », que c'était l'objectif de ce projet auquel elle et ses amis ont participé.

— Le projet MK-Ultra ?

— Oui…

Douze demanda :

— Quel genre de capacités ?

— Je ne sais pas, Terry est toujours restée très vague à ce sujet.

Douze se tourna vers son amie. La jeune fille comprit où il voulait en venir. Elle fixa l'un des objets présents dans la chambre et celui-ci finit par se mettre à flotter dans les airs.

Becky était choquée. Les deux plus jeunes lui laissèrent le temps de se remettre de ses émotions puis expliquèrent en détails comment ils avaient atterri ici. Elle leur proposa alors de rester, ayant compris que sa sœur avait vu juste lorsqu'elle disait que sa fille était en vie.

Mais avant qu'ils aient eu le temps de répondre, les lumières se mirent à clignoter. Après quelques secondes de flottement, les deux adolescents se rendirent compte que Terry essayait de communiquer.

Ils revinrent aussitôt dans le salon, Becky sur les talons. Tandis que son amie s'asseyait en tailleur devant Terry, Douze demanda à Becky si elle avait des torchons.

Elle répondit par l'affirmative et, à la demande du garçon, alla en chercher un. Une fois qu'il eut l'objet en mains, il aida son amie à l'attacher derrière sa tête. Il pouvait sentir son impatience et son appréhension à l'idée d'entrer en contact avec la femme qui lui avait donné la vie. Lui-même n'était pas des plus serein. Il craignait que ça ne fonctionne pas, ou que quelque chose se passe mal. Mais il savait aussi que son amie avait besoin de réponses.

Alors, en guise de soutien, Douze posa les mains sur les épaules de son amie. Après quelques minutes qui lui parurent durer une éternité, il la vit retirer le bandeau. Elle raconta ce qu'elle avait vu, notamment le souvenir de l'intrusion de Terry dans le laboratoire avec une arme à feu et la vision de cette fille inconnue. Douze vit que ce souvenir avait pas mal ébranlé son amie. Elle tremblait de la tête aux pieds. Sans même y réfléchir, il lui ouvrit grand les bras et elle s'y réfugia aussitôt. Elle s'accrochait à sa chemise comme si sa vie en dépendait.

L'adolescent referma ses bras autour d'elle et lui murmura des paroles de réconfort. Lui-même se souvenait avoir eu très peur, ce jour-là. Les cris de la femme hantaient toujours les cauchemars qu'il faisait encore parfois. Et voir Terry dans cet état leur faisait beaucoup de peine, surtout à Douze qui gardait en mémoire la femme qui avait hurlé à Brenner de lui rendre sa fille et que le scientifique avait brisé.

Becky se rendit compte que cette plongée dans le passé les avait bouleversés et leur proposa un chocolat chaud. Le duo accepta avec plaisir et la boisson leur fit beaucoup de bien à tous les deux.

Lorsqu'ils furent remis de leurs émotions, Becky leur apprit que Terry avait gardé des archives des coupures de journaux mentionnant des disparitions d'enfants dans les années soixante, et les leur donna.

Ils commencèrent à les feuilleter chacun de leur côté, et ce fut Douze qui trouva ce qu'ils cherchaient : en 1969, un article de journal mentionnait la disparition d'une fillette de cinq ans à Londres, nommée Kali.

L'enfant sur la photo présentait une ressemblance frappante avec la fille inconnue que Onze avait vue dans le souvenir de Terry, ce qui laissait supposer qu'il s'agissait de la même personne.

Onze voulut aller annoncer la nouvelle à Becky. Cependant, celle-ci n'était plus dans la pièce. Elle accourut vers elle mais surprit celle-ci en train de téléphoner à la police. La jeune fille revint vers son ami et celui-ci, devant son air choqué, lui demanda, inquiet :

— Que se passe-t-il ?

Elle répondit :

— Becky est au téléphone avec la police.

Le garçon sentit une vague de colère monter en lui, en même temps qu'un sentiment de trahison. Ils avaient fait confiance à la femme, et voilà ce qui en résultait. Il avait envie de frapper quelque chose, ou quelqu'un, mais il ne voulait pas effrayer son amie et tenta de réprimer sa colère tant bien que mal.

Les deux adolescents ne réfléchirent pas et partirent sans demander leur reste.

Ils étaient face à un nouveau problème. Ils savaient qui ils devaient chercher, mais pas où ils devaient chercher. Le duo monta dans le premier bus qui passa, sans connaitre sa direction.

Heureusement pour eux, ils tombèrent sur un journal mentionnant une augmentation de la criminalité à Chicago. Le nom de Kali était cité dans le journal. Ils décidèrent donc de commencer par là. Ils n'étaient pas sûrs qu'il s'agissait bien de la personne qu'ils cherchaient, mais n'avaient pas d'autre piste.

Aucun des deux ne savait combien de temps le bus mettrait pour atteindre Chicago et Douze, qui avait mal dormi la nuit précédente, ne tarda pas à s'endormir. Il était épuisé par les événements, qui n'avaient cessé de s'enchaîner depuis quelques heures. Son sommeil ne fut pas paisible pour autant et il enchaîna les cauchemars. Cette fois, aux images habituelles du massacre et des cris de Terry, s'ajoutèrent des visions d'eux ramenés au laboratoire et de leurs amis exécutés pour les avoir aidés.

Ce fut Onze qui le réveilla, quelques heures plus tard, lorsqu'ils arrivèrent à destination. Il tremblait de tous ses membres, encore ébranlé par ce qu'il avait vu dans son sommeil. Onze ne parut pas remarquer son trouble et il en fut soulagé. Il ne voulait pas l'inquiéter plus que nécessaire.

Le duo descendit ensuite du bus. Ils ne savaient pas par où commencer leurs recherches. Douze suggéra qu'ils aillent dans les quartiers les moins bien fréquentés, puisque la fille qu'ils cherchaient était citée comme criminelle dans le journal. Sa voisine acquiesça puis ils se mirent en route.

Après quelques minutes de marche, les deux amis arrivèrent dans une zone industrielle délabrée. Douze jetait des regards effrayés aux alentours.

L'endroit ne lui inspirait pas confiance. Ce n'était qu'un dédale de ruelles sombres et sales, de bâtiments en ruines. Une odeur nauséabonde régnait sur les lieux, un mélange de pollution et de quelque chose de non-identifié. Douze n'était pas sûr de vouloir savoir de quoi il s'agissait.

Une épaisse fumée noire empêchait toute forme de luminosité de pénétrer en ces lieux et brûlait les yeux des deux adolescents obligés de progresser à tâtons. Il était évident qu'ici, la pauvreté et la misère régnaient en maîtres. Le garçon avait la désagréable impression qu'à n'importe quel moment, quelqu'un pouvait surgir et leur planter un couteau dans le dos avant de les dépouiller.

Le fait qu'à peine quelques minutes plus tard, quelqu'un débarqua et les menaça effectivement avec un couteau ne fut pas pour le rassurer.

Avant que l'adolescent ait eu le temps de faire quoi que ce soit, des araignées apparurent sur le bras de leur assaillant, qui lâcha son arme dans un cri des plus virils :

— Kali ! Arrête de faire ça !

Les araignées disparurent alors. Comme par magie, pensa Douze. Une jeune femme d'une vingtaine d'année apparut. Elle avait la peau foncée et de longs cheveux lisses teints en violet. Elle était habillée tout en noir. La jeune femme répliqua :

— Et toi, laisse ces gamins tranquilles !

Douze demanda, hésitant :

— C'est toi, Kali ?

La concernée répondit :

— C'est comme ça qu'on m'appelle. Et vous, vous êtes ?

Puisque Kali s'était présentée sous son véritable nom, son amie décida de faire de même et répondit :

— Jane.

L'adulte se tourna vers le garçon et lui demanda :

— Et toi ?

Douze réfléchit. Il se souvenait que Dumbledore lui avait donné son nom de naissance lorsqu'il lui avait parlé des Potter mais il lui fallut une vingtaine de secondes pour s'en rappeler. Il finit par répondre, voyant que son interlocutrice s'impatientait :

— Harry.

Les deux plus jeunes échangèrent un regard hésitant. Ils se demandaient comment expliquer d'où ils venaient, et comment ils l'avaient retrouvée. Douze se dit qu'il n'y avait pas de bonne façon de le faire. Il dit :

— On a… quelque chose à te montrer.

Kali leur jeta un regard perplexe, ne comprenant pas où ils voulaient en venir. Le garçon remonta sa manche et lui montra le tatouage qui ornait son poignet : 012. À côté de lui, sa voisine fit de même et dévoila le 011 qu'elle avait sur le poignet.

Kali se figea. Elle voyait son passé lui revenir en pleine face de la façon la plus inattendue qui soit. Au bout de quelques instants, elle s'avança vers les deux plus jeunes et releva sa manche à son tour, leur montrant le 008 gravé à même la peau, dans le creux du poignet.

Elle leur expliqua comment fonctionnaient ses pouvoirs : elle pouvait créer de puissantes illusions dans l'esprit des gens et les convaincre qu'elles étaient réelles. Douze restait méfiant et refusa de montrer ses pouvoirs.

À sa grande surprise, son refus amena un léger sourire sur le visage peu avenant de la jeune femme. Kali, de son côté, pensa que le garçon avait raison de ne pas vouloir montrer ses pouvoirs au premier venu, même s'il s'agissait de quelqu'un qu'il avait vaguement connu par le passé. Avoir un atout inconnu d'un éventuel adversaire était toujours une bonne chose. Ce gamin lui plaisait.

Après ce moment de « reconnaissance mutuelle », Kali présenta les deux plus jeunes à ses camarades. Elle leur posa ensuite des questions sur leur vie, puis leur proposa de les relooker. Douze refusa net mais son amie se laissa tenter.

Visiblement, le fait d'avoir rencontré quelqu'un qui avait en partie le même vécu qu'eux lui plaisait.

Douze, lui, ne voyait pas ce rapprochement d'un bon œil. Jusque là, il avait toujours été la personne la plus proche de Onze et il avait peur que l'arrivée de Kali ne change les choses entre eux. Il ne l'admettrait jamais, mais il aimait être celui vers qui Onze se tournait en cas de problèmes. Et si, maintenant qu'elle avait rencontré Kali, elle n'avait plus besoin de lui ? Cette simple pensée lui fit monter les larmes aux yeux. Il les essuya avec sa manche, dans l'espoir que son amie ne s'en rende pas compte.

Qui plus est, peut-être n'était-ce dû qu'à son look des plus atypiques, Kali ne lui inspirait pas confiance. Il ne savait pas d'où cela lui venait exactement, mais il avait l'impression qu'il y avait en elle une part de ténèbres qui risquait de leur attirer des ennuis. C'était pour cela qu'il garda un œil méfiant sur la jeune femme et l'autre, inquiet, sur Onze.

Onze qui troqua son look habituel, qui faisait un peu garçon manqué, contre une veste, un t-shirt et un pantalon intégralement noirs, et plaqua ses cheveux en arrière avec beaucoup de gel. Douze devait admettre que cela lui allait bien.

Kali leur proposa de rester un moment avec eux, et ils acceptèrent. La jeune femme leur montra où ils pouvaient dormir. Alors qu'il se couchait, Douze se fit la réflexion que Hopper allait les tuer à leur retour. L'idée d'avoir une nouvelle fois trahi la confiance du policier lui fit beaucoup de peine.

Le lendemain, dans la journée, Kali les emmena jusqu'à une gare désaffectée. Dans ce lieu décrépi, elle aida Onze avec ses pouvoirs en lui expliquant qu'elle-même puisait dans ses émotions négatives pour créer ses illusions. Kali lui dit ensuite qu'elle pouvait gagner en puissance en pensant à des gens où des choses qui l'avaient blessée. Et cela sembla fonctionner puisque Onze réussit à attirer à elle un wagon de marchandises, alors qu'elle avait échoué un peu plus tôt.

Lorsqu'elles eurent terminé, Kali proposa à Douze de l'aider à son tour mais il refusa. Ce à quoi il venait d'assister le confortait dans sa méfiance. Il avait eu l'impression que Kali cherchait à faire ressortir ce qu'il y avait de plus sombre chez Onze et cela ne lui plaisait pas.

Une fois qu'ils furent de retour à l'intérieur, Kali expliqua aux deux adolescents qu'elle et ses camarades traquaient les employés du laboratoire qui l'avaient blessée afin de se venger et pour leur soutirer la localisation du Dr Brenner.

Onze intervint :

— Papa est mort…

Kali la contredit :

— Non. Il est vivant et il se terre quelque part.

Douze resta silencieux. Lui savait que Brenner était vivant car le Dr Owens le lui avait dit mais il avait gardé l'information pour lui. Il estimait que son amie avait assez souffert à cause de cet homme, et du laboratoire en général. Il pensait qu'elle méritait de vivre heureuse et en paix, loin du scientifique et de ses plans aussi tordus que lui. Lui-même n'avait pas autant souffert qu'elle des agissements de Brenner. Cependant, s'il pouvait ne plus jamais croiser sa route où même entendre parler de cet homme, cela lui allait très bien.

Les deux adolescents se laissèrent embarquer dans la quête de vengeance de Kali et de sa bande, sans réellement réaliser dans quoi ils mettaient les pieds.

La jeune femme leur expliqua que leur prochaine cible était un ancien collaborateur de Brenner. Elle demanda à Onze si elle pouvait le localiser. La plus jeune acquiesca, enthousiaste.

Kali lui demanda donc de le faire et elle accepta. Douze tenta de l'en dissuader mais n'y parvint pas. Il avait un mauvais pressentiment sur l'issue de cette affaire. Il espérait juste que leur hôte n'allait pas demander à son amie de faire quelque chose de regrettable. Bien sûr, Douze savait que Onze avait déjà pris des vies, il en avait été témoin. Mais il savait aussi qu'il y avait une différence entre tuer sous la contrainte ou pour survivre, et le faire de sang-froid. Il connaissait suffisamment son amie pour savoir qu'elle ne pourrait pas s'en remettre si elle venait à tuer quelqu'un de sang-froid. Il avait eu beaucoup de mal, lorsqu'ils étaient enfants, à lui faire comprendre qu'elle n'était pas un monstre et ne voulait pas que Kali, où quiconque d'autre, réduise ses efforts à néant.

Il regarda le processus d'un air inquiet. Il ne fallut pas très longtemps à Onze pour trouver la cible du groupe. Et elle donna l'adresse de son appartement à Kali.

Aussitôt, ce fut le branle-bas de combat. Ils se préparèrent tous à partir. Kali prêta des masques à leurs invités puis ils se mirent en route.

Après quelques minutes de trajet, ils se garèrent devant l'immeuble où vivait leur cible. Ils descendirent du van et prirent d'assaut l'appartement de l'ancien employé du laboratoire.

Au départ, ce dernier ne les reconnut pas puis Kali, grâce à une illusion, lui montra à quoi ils ressemblaient lorsqu'ils étaient enfants.

Tandis que le trio restait avec l'homme, le reste de la bande s'éparpilla dans l'appartement. Kali demanda à Onze de tuer leur otage, appuyant sur le fait qu'il avait contribué à leur souffrance.

Douze ne put s'empêcher de détourner le regard. Il observa les lieux. L'appartement était petit, et meublé de façon très sobre. Douze avait peur de la tournure que pourraient prendre les événements. Son cœur battait si fort qu'il se demandait comment il pouvait être le seul à l'entendre. Les cris de l'homme lui paraissaient emplir toute la pièce. Il n'entendait plus que ça. Aux cris de la victime de Kali se superposaient des flashs de ceux de Terry.

Sans même s'en rendre compte, il se mit à trembler. Il se sentait comme déconnecté de la réalité et avait l'impression de ne plus pouvoir respirer. Il ne voyait ni n'entendait plus ce qu'il se passait autour de lui, si ce n'était les cris, passés et présents, qui se mélangeaient dans son esprit.

Et puis, d'un seul coup, tout cessa. Les cris de l'homme se turent et, petit à petit, Douze entendit ceux de Terry dans son crâne diminuer. Il cessa peu à peu de trembler et reprit lentement contact avec la réalité. Incapables de le porter plus longtemps, ses jambes cédèrent. Alors qu'il s'attendait à chuter, une main passa dans son dos et le retint. Il leva les yeux et tomba sur le visage inquiet de Onze.

Il lui sourit pour la rassurer et passa un bras autour des épaules de son amie. Il regarda en direction de leur cible. Il s'attendait à découvrir un carnage mais eut la surprise de trouver l'homme terrifié, mais bien vivant.

Onze lui expliqua alors ce qui s'était passé. Il remarquait que sa voix tremblait qu'elle avait les larmes aux yeux. Il comprit qu'elle avait eu peur, sans savoir si c'était pour lui ou de la potentielle tournure des événements :

— Kali à essayé de m'obliger à le tuer… Elle disait qu'il méritait de souffrir autant que nous… Mais quand j'ai su qu'il avait deux filles… Je… J'en ai été incapable…

Douze se sentit fier d'elle en apprenant qu'elle n'avait pas cédé aux ordres de Kali. Onze reprit :

— Elle a voulu s'en charger elle-même, mais je l'en ai empêchée…

Il en fut soulagé. Ce que lui racontait son amie lui faisait dire qu'il avait eu raison de se méfier de Kali. Il en venait à se demander si la jeune femme se rendait compte que ses actions pouvaient avoir des répercussions sur son entourage. Ou était-elle obnubilée par sa vengeance au point de ne pas se rendre compte que cette entreprise pouvait provoquer des dommages collatéraux ? Ou peut-être se fichait-elle des éventuelles conséquences négatives sur les autres ?

Il en était à ce stade de ses réflexions lorsqu'ils atteignirent le van avec lequel ils étaient venus. Au même moment, la police arriva et ils durent fuir.

De retour à la planque, Kali créa une illusion du Dr Brenner et s'en servit pour tourmenter sa cadette, sous les yeux impuissants de Douze qui regretta à cet instant que ses pouvoirs ne lui permettent pas d'intervenir. Paradoxalement, Kali insista auprès des deux plus jeunes sur le fait qu'ils étaient libres de partir s'il le souhaitaient ou qu'ils pouvaient décider de rester parmi eux.

À cet instant, ils entendirent des sirènes. La police commençait à encercler l'entrepôt. Douze vit son amie s'asseoir en tailleur et attacher un bandeau autour de sa tête. Il se demanda pourquoi elle le faisait maintenant, alors qu'ils étaient encerclés par la police. Ce n'était vraiment pas le bon moment pour ça. Il la connaissait depuis assez longtemps pour savoir que, vu les circonstances, elle n'aurait pas prit cette initiative sans une bonne raison. Cela lui faisait craindre qu'il ne soit arrivé quelque chose à leurs amis.

La suite confirma ses craintes puisque lorsque Onze revint, quelques secondes plus tard, elle se tourna vers lui. Elle lui dit :

— On doit y retourner… Ils sont en danger…

Douze comprit qu'elle parlait de leurs proches restés à Hawkins. Avant qu'il n'ait eu le temps de réagir à cette information, la police trouva la cachette de la bande et donna l'assaut. Ils furent contraints de fuir avec Kali et sa bande.

Kali utilisa ses pouvoirs pour leur permettre d'échapper aux forces de l'ordre puis le van s'arrêta dans une ruelle abandonnée. La bande se tourna vers les deux adolescents et la cheffe leur proposa à nouveau de rester avec eux. Onze et Douze refusèrent et leur rappelèrent que leurs amis étaient en danger.

Douze les rendit invisibles afin de ne pas attirer sur eux l'attention de la police, bien que ce ne fut pas nécessaire. Les deux adolescents firent ensuite en sens inverse le chemin emprunté la veille pour regagner la gare routière. Ils cherchèrent un bus qui pourrait les ramener à Hawkins. Heureusement pour eux, ils en trouvèrent un sans difficulté. Ils ne redevinrent visibles qu'au moment de prendre le bus. Ils payèrent les places puis montèrent en espérant ne pas arriver trop tard. Alors que le bus qui devait les ramener à Hawkins démarrait, Douze ce qui avait bien pu se passer dans leur ville natale pour que leurs amis se mettent ainsi en danger.