ndla : et voilà une seconde participation aux 24h du FoF. au vu du manque de temps (et aussi j'avoue je fatigue), j'ai bouclé vite fait (mal fait). Cette fois j'ai mixé les thèmes n°3 « votre personnage fait de l'autostop » et n°8 « on rencontre souvent sa destinée par les chemins qu'on prend pour l'éviter (Jean de La Fontaine) ». (y'a un monde lointain où ce truc a une suite.)


Deidara ne reconnaît pas tout de suite la caisse rouge, bien cabossée, qui ralentit et s'arrête sur le bas-côté – d'ailleurs, des vieilles Toyota Corolla, mêmes rouges, il doit bien y en avoir des millions, comment aurait-il pu ? Ce qu'il finit par reconnaître, cependant, c'est le conducteur de cette voiture miséreuse.

« C'est pas croyable… marmonne-t-il entre ses dents serrées. Toi ? lance-t-il ensuite, à l'adresse de l'homme qui le toise d'un air goguenard.

– Qui d'autre, bébé ? Allez, monte. »

Il s'exécute, jetant sa valise sur la banquette arrière – ne manque pas d'asséner plusieurs coups de poing rageurs sur le bras, l'épaule de son vis-à-vis, tandis que celui-ci reprend la route. Putain, voilà bien sa veine.

« Tu sais que quand on fait du stop, la moindre des choses c'est d'écrire sa destination sur un carton ? Tocard va. Tu vas où ?

– Tokyo.

– Pourquoi tu t'fais pas tracter par ton mec ? »

Deidara hausse les épaules. Il s'accoude à la portière, observe le paysage qui défile à toute vitesse, de l'autre côté. Les bâtiments se font de plus en plus rares : ils approchent de l'autoroute. Plus loin, collines et monts verdoyants tracent une ligne d'horizon irrégulière, tour à tour sinueuse ou anguleuse. Une moue de dédain apparaît sur sa figure. Adieu Nagoya – bon débarras.

« Tu m'expliques c'que tu fous là, en fait ? s'enquiert-il.

– Sasori t'a pas dit ? J'faisais un guest. Là j'rentre. »

Oh, Sasori a dû le lui dire – simplement il n'y a pas prêté attention. Il n'avait aucune envie de revoir Hidan. De tous les potes tarés que Sasori et lui comptent dans leur sillage, celui-là doit être le pire. De la même façon qu'eux, il s'appose le nom d'artiste ; mais vraiment Deidara le définirait comme un bourreau. Son médium à lui est le corps humain, ces chairs inconnues qu'il marque de ses encres criardes et de ses traits épais ; surtout il aime éprouver l'endurance des êtres à la souffrance. Il tatoue sans ménagements, sans se soucier du confort du client.

« Tu t'es fait jeter ! réalise Hidan. »

Il tape victorieusement du plat de la main contre le volant.

« Non. C'est moi qui le laisse.

– Ouais enfin… De c'que j'vois, c'est toi qui t'retrouves sans piaule. »

En effet. Peu importe – Nagoya n'a jamais été son choix à lui. A peine ont-ils quitté la capitale, lui et Sasori, que Deidara en a amèrement regretté l'immensité volubile. Il n'est pas fait pour les villes tranquilles, il lui faut au moins savoir que mille et une aventures sont là, prêtes à être vécues. Le calme, la monotonie de Nagoya les a plongés dans des sortes de folies qu'ils n'auraient pas pu imaginer.

Au bout de deux heures de route, ils s'arrêtent à une station-service. Hidan fait le plein, achète des clopes – Deidara lui donne de quoi payer un deuxième paquet, et des chewing-gums mentholés, précise-t-il. Ils se garent un peu plus loin, sur le parking, et fument, adossés au côté de la voiture. Il ne fait pas tout à fait nuit – le ciel est plus bleu que noir, imprégné encore de la lumière de ce jour d'été.

« Tu voudrais pas t'refaire tatouer, un d'ces quatre ?

– Par toi ? Plus jamais d'la vie. »

Hidan sort une canette de bière du sac plastique avec lequel il est revenu de l'épicerie. Il l'ouvre et presse sa bouche au bord afin de récupérer la mousse qui déborde, puis il penche la tête en arrière et boit une très longue gorgée.

« C'est quoi ce cinéma ? nargue son passager. »

Pour toute réponse, il pose sa canette sur le toit du véhicule, le temps d'en piocher une deuxième qu'il lui tend. Deidara accepte en marmonnant un merci réticent. Dans ce silence contemplatif qu'ils partagent, l'absurdité de sa situation lui apparaît dans sa terrible entièreté. Animé d'une fureur exacerbée par la fatigue de ces dernières semaines, il a rassemblé quelques affaires – un bordel sans nom – et il s'est cassé. Ce sont cinq années de sa vie, ruinées en un claquement de doigts. Putain. Et c'est Hidan que la destinée choisit de placer sur son chemin ? Il écrase sa cigarette d'un coup de talon rageur, retourne dans la caisse sans piper mot.

« Espèce d'enflure, tu m'proposes pas de prendre le relais ?!

– Tu me laisserais prendre le volant ?

– Non.

– Alors pourquoi tu m'emmerdes ? »

La question est tout ce qu'il y a de plus rhétorique. Pour le principe – Hidan l'emmerde pour le principe. Deidara s'abstient de lui faire remarquer qu'en outre, il ne conduirait pour rien au monde une bagnole aussi éclatée que la sienne. Comme quoi, le tatouage ça paye pas tant. Il est vrai que les plus grands artistes ont crevé comme des chiens.

« D'après Google Maps, on est à genre une heure et demi de Tokyo.

– Hmhm. Tu vas où ?

– Tu t'fous d'ma gueule ?

– Quand on arrive à Tokyo, connard. J'te dépose où ? »

La douche froide. Deidara n'y avait pas pensé. Il écarquille les yeux, porte une main à sa bouche ouverte. Il s'était dit, en avançant jusqu'à la nationale au bord de laquelle il s'est planté, qu'il enverrait quelques messages dans l'espoir de se dégoter une piaule, un canapé… Même un bout de moquette ferait l'affaire.

« Tu veux v'nir à la maison ?

– Kakuzu va pas péter un câble ?

– Il est pas là en c'moment. Il s'fait discret. »

Hidan n'approfondit pas le sujet. Pas besoin. Tout le monde, dans leur petite bande, sait que son colocataire baigne dans une foultitude de combines plus ou moins sinistres. Deidara dégaine son téléphone – l'écran illumine l'habitacle – et fait défiler la liste de ses contacts. La tâche l'agace d'avance – comment justifier ces circonstances urgentes, si ce n'est en avouant la fin de sa relation avec Sasori ? La majorité de leurs amis leurs sont communs.

« Il a laissé des centaines de grammes d'une super weed. Si jamais. J'te jure qu'elle est patate. »


Deidara arque un sourcil perplexe. L'appartement d'Hidan et Kakuzu est terrifiant d'impersonnalité. Tout semble avoir été disposé au hasard de ce que chacun a pu dénicher çà et là – les chaises et la table, le canapé et le fauteuil, rien ne se correspond. C'est comme ça, songe-t-il en grimaçant, que vivent les gens qui tuent d'autres gens. Il laisse sa valise dans un coin du salon et n'en sort que le strict nécessaire – ce qu'il parvient à trouver, tout du moins – tandis que son hôte bourre un bong de cette fameuse herbe, dont il a tant vanté les vertus. Il l'aura bien mérité, si une semaine plus tard on retrouve son cadavre. Il a suffi d'un rien pour le convaincre – d'un rien douteux, par-dessus le marché.

« Tu veux m'baiser, comprend-il soudain.

– J'dis pas non à la proposition.

– C'est pas une proposition. »

La voilà, sa destinée malavisée. Bien sûr il le savait – quelque chose en lui, a minima, le savait. C'est déjà arrivé, dans un passé qui lui semble bien lointain, maintenant. (Ce sentiment le glace d'horreur. Quand l'adolescence, les premières années de la vingtaine deviennent lointaines… est-ce que c'est ça, vieillir ?) Deidara laisse échapper un ricanement désillusionné. Ce n'est pas la folie qu'il fuit. (C'est pourtant ce qu'il prétendra, quand il faudra annoncer, expliquer.) Il ne fait que reprendre des chemins qu'il a déjà empruntés. Peut-être est-ce là le propre, la banale tragédie de l'homme ?

Il s'assoit à côté d'Hidan, sur le canapé, et lui arrache le bong fumant des mains. Il aspire puis recrache une dense bouffée de beuh, jauge son compagnon d'infortune.

Demain, peut-être, il sera plus sage.