Et oui, le temps avait passé. Cela faisait maintenant 4 ans qu'Emma et Killian Jones étaient mariés.
Si l'organisation du mariage avait été laborieuse, les premiers mois n'avaient pas été plus faciles. Très vite, le couple avait pris ses distances, ne prenant plus, comme à l'époque, le temps quotidien de se retrouver. Personne ne savait réellement ce qui avait incité ce nouveau quotidien, loin de l'idylle amoureuse qu'ils avaient connue. Lui se plongeait dans son travail et les déplacements que cela engendrait, tandis qu'Emma se perdait dans ses livres, dans son petit monde.
Elle n'avait jamais été l'enfant rêveur dans un coin de la pièce. Pourtant, le comportement de son époux la poussa dans ses retranchements, et le temps fit le reste. Elle s'éloigna de sa thérapeute, car la voir l'ennuyait de plus en plus, ayant l'impression de perdre le peu d'argent qu'elle avait dans une thérapie qui ne l'aidait plus.
Emma rentra chez elle après le travail, comme elle en avait l'habitude. Elle s'enferma dans la salle de bain, près de la chambre à l'étage, pour résumer sa journée dans un journal.
« Une journée de plus. Je me sens vide. Mulan est adorable avec moi. J'aime l'avoir près de moi. Cela égaye mes journées d'avoir quelqu'un d'aussi rayonnant, si solaire près de moi. Je ne parle plus vraiment. Mais j'aime écouter. Et j'aime l'entendre. Ses histoires, son monde, ses pensées. Je ne sais même pas pourquoi je persiste à écrire. À quoi bon ? Me vider la tête sans doute. Je lutte quotidiennement pour ne pas sombrer. Comment puis-je être encore debout ?
Je ne suis pas heureuse. Je ne pensais pas l'être avant, avoir déjà touché le fond. Pourtant, rien de si horrible comparé à la sensation de se perdre soi-même. J'ai cette boule au ventre chaque jour quand je me lève, et qui ne me quitte plus. J'oublie par moment, quand je suis plongée dans un livre ou dans une conversation qui me fait sens. Je devrais m'estimer heureuse probablement. Cela fait trois jours que je n'ai plus de bleus apparents. Je ne sais pas pourquoi je me suis mariée. Je ne sais pas pourquoi je pensais que je méritais mieux. Je ne sais pas comment j'ai cru que tout serait différent. Je ne sais pas comment j'ai pu être si indifférente à mon sort pendant autant de temps. Je ne sais pas où se trouve mon courage, où est mon envie de lutter et de survivre. Je ne sais pas comment j'en suis arrivée là. Hier je le rencontrais, hier j'étais amoureuse, hier j'étais épanouie et entamais une nouvelle vie.
Où sont passés mes rêves ? À quel moment tout a dérapé ? À quel moment j'ai laissé faire tout ça ? À quel moment j'ai baissé les bras ? »
Emma était assise dans un coin, écrivant ce qui lui passait par la tête. C'était un petit moment qu'elle s'offrait quotidiennement, avant de s'engouffrer dans sa douche. Mais cette fois-ci, quelqu'un toqua à la porte, brisant ce silence.
« Tu es là-dedans ? » Tambourina Killian.
« Oui, je vais à la douche. »
« Dépêche-toi. J'ai besoin de toi. »
« Je me dépêche. »
Elle entendit des pas redescendre l'escalier. Elle resta là quelques secondes, le regard dans le vide, puis se replongea dans son petit cahier. Elle fit virevolter quelques pages et tomba sur une datant de l'année passée, écrite presque à la même période de l'année.
« Je souffre. J'ai mal aux yeux de tant de larmes. Aujourd'hui je m'en sors pas trop mal. Quelques bleus et une dent fêlée. J'aurais pu finir aux urgences. J'ai mal. Je ne sais pas où. Mais j'ai mal. Suis-je debout ? Suis-je en vie ? J'envie mes délires. Mais je ne dois pas replonger. »
Elle se précipita ensuite dans sa douche, se savonna à une vitesse folle, avant de sauter dans un vieux jogging et de dévaler les escaliers deux à deux.
« Je suis là. » Dit-elle en arrivant dans la cuisine où son mari l'attendait.
« Où est mon dîner ? »
« Je vais préparer à manger. »
« Plus le temps passe et plus tu joues avec ma patience. Vois-tu, je travaille dur et quand je rentre, je n'ai pas envie de patienter des heures avant de pouvoir dîner. D'autant plus que je n'ai rien de beau à observer. Tu te relâches grandement. Un jogging, merveilleux… »
« Je travaille aussi, je te le rappelle. »
« Mais bien sûr. Vendre 4 bijoux et demi dans la semaine, c'est ce que tu appelles bosser ? »
Emma ne répondit rien. Elle savait pertinemment que cela ne servirait à rien. Elle ne gagnerait pas ce combat. Elle se hâta plutôt de préparer un repas copieux à une rapidité folle. Une fois servi à table, elle s'installa en face de Killian.
« Je n'ai pas envie de te voir ce soir. »
« Pardon ? »
« Vas-t'en ! »
Il se leva, lui attrapa les cheveux, avant de la jeter hors de la cuisine. Il se retourna et partit s'installer sur sa chaise, sans regarder si elle ne s'était pas cognée ou blessée. Car Emma, avait trébuché hors de la cuisine, et son arcade sourcilière avait buté contre la première marche des escaliers. Par réflexe, elle avait posé sa main sur la zone douloureuse, et elle remarqua le liquide rouge et chaud qui lui coulait sur les doigts.
Elle monta à l'étage, s'enferma dans sa salle de bain, où quelques longues minutes auparavant, elle avait pu poser ses pensées à l'écrit. Elle se soigna comme elle le put, des compresses de gaze, quelques strips feraient l'affaire. Elle reprit son journal et reprit l'écriture.
« Quel est le pourcentage de douleur qu'un être humain peut-il encaisser avant de sombrer ? Cela fait des semaines que j'envie mon ancienne vie, les drogues et l'alcool pourraient sans doute m'aider à avoir moins mal, à moins y penser, à oublier sans doute. Peut-être que cela ne m'affectera pas de la même manière. Peut-être trouverais-je du bonheur dans tout cela. Je n'en sais rien. Mais je me fais peur à envisager de retomber. Mais que faire d'autre ? Peut-être pourrais-je appeler Ruby ? Non. Finalement non. Elle doit m'en vouloir de ne pas l'avoir appelée depuis des mois, d'avoir annulé nos deux dernières visites.
Mais que pourrais-je faire ? Appeler ma psy ?
Je veux conserver mon argent. Après tout, à quoi bon garder de l'argent, si mon avenir se transforme en pénombre. L'enfant en moi, se demande ce qu'il souhaiterait. Bon, ce journal est vraiment n'importe quoi. Rien n'a de sens. Mais bon, il est à moi. À moi. À moi. À moi. Mon envie actuellement. M'enfuir. Mais pour aller où ? Je n'ai rien, ni personne. Que verrais-je ? Dormir à la rue ? À qui pourrais-je demander une telle faveur ? »
Il était hors de question pour Emma à ce moment de passer la nuit dans cette maison. Elle attendit assise dans la salle de bain, d'entendre depuis l'étage le son de la télévision, signe que Killian était occupé devant un match.
Elle se releva rapidement, prépara un sac à dos rapidement et en silence, descendit les escaliers, sortie de la maison et s'engouffra dans sa voiture.
Elle roula, roula des heures sans but, sans finalement quitter Seattle. Elle tournait en rond. Une seule chose l'empêchait de quitter la ville : Miranda.
Elle était celle qui avait offert une chance, qui avait eu confiance en Emma. Elle était celle qui avait offert une opportunité à Emma. Ce n'était pas rien à ses yeux. Durant ces dernières années, elles avaient pu se revoir à plusieurs reprises, tantôt pour faire le point concernant les ventes ou les nouvelles collections, tantôt durant des visites de courtoisie de la part de Miranda. Miranda voyait en Emma une jeune femme préoccupée qui méritait sa chance. Se voyait-elle en elle ? Peut-être un effet miroir.
Miranda s'était même permise deux ou trois fois de l'inviter après le travail pour lui offrir un café, dans le but de discuter.
C'est pour cette unique raison qu'Emma se permit de lui téléphoner, à cette heure si avancée de la soirée.
« Miranda, je vous prie de m'excuser. Je ne vous dérange pas ? »
« Emma ? Que se passe-t-il ? Tout va bien ? »
« Je suis désolée. Je dois quitter la ville. Je ne pourrai pas ouvrir la boutique. »
« Que se passe-t-il ? Vous avez l'air paniqué. »
« Je… Je ne sais pas. Miranda. Je vous prie de m'excuser. » Répondit Emma, la voix tremblante.
« Mais de quoi ? Emma, je ne comprends rien. »
« Je suis en train de faire quelque chose de totalement insensé ! »
« Emma, dites-moi comment puis-je vous aider ? »
« Je… Miranda… Si… Je… » Miranda pouvait entendre Emma sangloter.
« Où êtes-vous ? Je vais venir à votre rencontre. »
« Sur le parking du magasin. »
« Ne bougez pas, j'arrive d'ici une demi-heure. »
Miranda raccrocha rapidement et sauta dans ses premiers vêtements, avant de récupérer sa voiture et de rouler à vive allure dans les rues de Seattle. Elle était inquiète pour son employée, qu'elle affectionnait tout particulièrement.
Emma, de son côté, n'avait pas bougé, toujours garée sur le parking du magasin. Elle réfléchissait à ce qu'elle pourrait faire, à ce qu'elle venait de faire, et à où cela la conduirait. Elle sortit de ses pensées quand un bruit retentit sur la vitre côté passager.
Miranda venait de toquer à la fenêtre. Dans le même temps, elle ouvrit la portière et s'installa. Dans un silence pesant, elle détailla Emma, qui était dans un piteux état, le visage tuméfié, du sang encore sur son tee-shirt, un jogging, les cheveux emmêlés.
« Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Que vous est-il arrivé ? »
« Miranda… » Emma laissa un temps, ne sachant pas si elle pouvait se confier ainsi.
« Mon mari… Il… »
« Emma, je pense comprendre. Votre mari, Killian, vous bat. N'est-ce pas ? »
« Oui. »
« Laissez-moi vous aider. Vous avez besoin d'aide. »
« Non. Non. Ne vous embêtez pas pour moi. Je vais m'enfuir. »
« Ce n'est jamais une solution, Emma. Croyez-moi, c'est quelque chose que je connais. Laissez-moi vous aider. J'insiste. Je connais des gens qui pourraient vous aider. »
« Merci, Miranda. Je n'en attendais pas autant. »
« Est-ce que vous pouvez conduire encore une trentaine de minutes ? »
« Oui, je pense. »
« Je vais monter dans ma voiture et vous allez me suivre. D'accord ? »
« Où allons-nous ? Qu'est-ce que vous voulez faire de moi ? » Demanda-t-elle, toujours les yeux embués de larmes. Miranda posa une main sur le genou d'Emma pour tenter de la rassurer.
« Nous allons aller chez moi. Vous pourrez ainsi vous nettoyer, vous changer et dormir tranquillement. Et demain, je prévois d'appeler une de mes connaissances, une avocate, pour qu'elle puisse vous aider dans vos démarches. »
« Mais je n'ai pas les moyens de payer tout cela. »
« Emma, je ne vous demande rien. Absolument rien. Ne craignez rien, ne pensez pas à cela. Votre sécurité avant tout. D'accord ? »
Emma ne sut répondre, mais lui offrit un sourire. Était-ce une lumière face à ses problèmes ? Miranda était-elle donc la solution ? Et si c'était si simple de demander de l'aide ?
Une demi-heure plus tard, Miranda et Emma passaient le portail de la magnifique et grande maison de Miranda Kley's. Miranda demanda à Emma de garer sa voiture dans le parking. Elle ne voulait pas que la voiture d'Emma soit vue ici. Elle préférait prendre des précautions. Elle connaissait ce genre de situation. Elle ne voulait pas attirer le regard de quiconque.
Elle lui fit faire un tour de sa demeure.
« Vous vivez seule ici ? » Demanda curieusement Emma.
« Oui. Une grande maison que j'ai héritée de mes parents à leur décès. »
« Je suis sincèrement désolée. »
« Ne le soyez pas. J'ai fait mon deuil depuis. Vous savez, je… » Miranda fut coupée par la sonnerie incessante du téléphone d'Emma.
« Qui est-ce ? »
« C'est Killian. Il doit me chercher… »
« Ne répondez pas. Promettez-le-moi, Emma. »
« Promis. » Répondit-elle, un tremblement dans la voix.
Miranda accompagna Emma jusqu'à l'une de ses chambres d'amis. Elle lui montra où se doucher et lui prêta quelques vêtements de nuit.
Puis elle la laissa seule dans ses appartements, avant de descendre et de s'installer dans son salon. Elle récupéra son téléphone portable en chemin et composa un numéro de téléphone.
*Bip*
*Bip*
« Regina ? »
« Miranda Kley's ! Que me vaut le plaisir de ton appel ? »
« J'ai un service à te demander. »
« Cela ne m'étonne pas. Mais que deviens-tu ? »
« Oh et bien. Écoute, ma chère amie. Des hauts et des bas comme tout le monde. Et toi, raconte-moi.»
« Une routine s'installe. Je pense que c'est une bonne chose pour Eli. »
« Je suppose, oui. »
« Je t'écoute ? Comment puis-je t'aider ? »
« Je suppose que tu dois avoir un planning déjà bien chargé. Mais pourrais-tu recevoir une jeune femme pour moi ? Une de mes employées. »
« Quel est le motif ? »
« Emma est battue par son mari. »
« Je comprends ce qui te pousse à m'appeler. Où est-elle ? »
« Chez moi. Elle m'a appelée tout à l'heure. Et tu me connais, tu sais, cela m'a touché. On ne peut pas la laisser ainsi. Je souhaiterais l'aider, elle a déjà connu assez de misère à ce que je peux voir d'elle. »
« Nous l'aiderons donc. »
« Gina ? »
« La familiarité ? Quelque chose ne va pas ? »
« Sois douce avec elle. Je t'en prie. »
« Je le suis toujours. »
« Je ne plaisante pas, Regina. Je te connais, tu ne fais pas dans la sensibilité. Je comprends. Mais entre femmes, aidons-nous. »
« La vie ne l'a pas été avec moi. » Répondit l'avocate.
« Gina. Je le sais. Ni avec moi. Mais ce n'est pas une raison. D'autant plus que tu t'es battue pour moi. Je te demande de le refaire. Je t'en prie. »
« Soit. Je le serai… Du mieux que je le peux. »
