Il paraissait évident aux yeux de Miranda que Regina n'était pas à l'aise durant ce dîner. Elle attribuait cela au fait que son amie, Gina, pouvait être gênée de mélanger ainsi vie privée et vie professionnelle, et qu'elle ne se sentait pas aussi à l'aise qu'elle le souhaitait.
« Dis-moi, Emma, est-ce que Regina a pu te raconter les dernières informations ? »
Le rouge monta rapidement aux joues d'Emma. Que pouvait-elle répondre ? Pas la vérité, cela était certain. Emma avait quasiment sauté au cou de son avocate, ne lui laissant ainsi nullement la possibilité de lui raconter ses dernières nouvelles. Mais comment dire cela à Miranda ?
« Non. Malheureusement non, car j'ai embrassé ton amie. » Ce n'était clairement pas possible.
Regina reprit rapidement la parole, de peur que sa jeune protégée ne raconte ce qu'il venait de se passer. Elle ne savait pas encore quoi en penser. Elle s'était laissée porter par ce magnifique nuage que lui avait offert Emma, le temps d'un instant. Maintenant, ses idées revenaient en place. Ce n'était clairement pas un comportement convenable au vu de la situation.
Tiraillée entre deux sentiments bien distincts, l'euphorie de ce baiser partagé, la douceur de ses lèvres, le petit nuage d'apaisement que cela lui avait apporté, et la colère qu'elle avait envers elle-même de s'être laissée aller si facilement, d'avoir créé une fois de plus une situation complexe à gérer.
« Non. Emma me racontait son état depuis notre dernière rencontre. » Puis elle se tourna vers la jeune femme.
« Le procès concernant votre divorce sera prononcé à huis clos, sans obligation de votre part d'être présente. En revanche, j'ai fait une demande auprès des autorités compétentes en matière de crimes sexuels pour entamer un procès et attaquer Monsieur Jones. »
« Qu'est-ce que cela signifie ? » demanda timidement Emma.
« Eh bien, une enquête va être ouverte par les enquêteurs de cette unité. Tout son passé et le vôtre seront étudiés et un procès sera ouvert. »
« Peut-être que tu pourrais expliquer à Emma la différence entre ces deux procès. » Suggéra Miranda.
« Oui. Il y a une différence. Concernant le divorce, nous avons dû nous rendre dans un tribunal familial, rattaché à la juridiction des King County Superior Court. Ici, nous traitons les affaires civiles. Avec la situation actuelle, tout sera rapporté à un tribunal pénal. Nous serons sur le même site, mais l'audience aura lieu dans une division particulière. C'est l'État qui poursuivra Monsieur Jones. Il y aura donc aussi un jury pour trancher. Vous serez appelée à la barre pour témoigner. Il faut aussi savoir que ce genre de procès est très médiatisé. »
À l'entente de ces derniers mots, Emma déposa ses couverts et se leva, faisant des allers-retours dans le salon. « Non. C'est impossible pour moi. La première fois a été bien trop douloureuse. Je ne suis pas prête à le refaire devant les caméras et devant tout ce monde. Je suis désolée. »
« Emma, je comprends. Je sais que cela est très dur. Mais il faut le faire, il faut obtenir justice pour tout le mal qu'il vous a fait. Il ne doit pas rester impuni. Ce serait beaucoup trop facile pour lui, » Admit Regina, restant à table et faisant un signe de tête à Miranda, lui demandant ainsi, silencieusement, son appui.
Miranda se leva et se posta devant Emma, arrêtant ainsi ses va-et-vient incessants. Elle posa ses mains sur ses épaules et la fixa dans les yeux.
« Emma, écoutez-nous. Comme je vous l'avais déjà dit une fois, j'ai été moi aussi dans cette situation, presque similaire. Et grâce à Regina, j'ai pu tenir et je me suis accrochée. C'est important pour vous d'obtenir justice. Cela lui sera encore plus difficile si le procès est médiatisé. »
« Mais pourquoi faire ? Salir son nom de famille ? Gagner de l'argent ? Je ne veux pas de tout cela. »
Regina, commençant à manquer cruellement de patience, tenta de contenir ses émotions et resta assise.
« Permettez-moi de vous retourner la question. Et pourquoi pas ? Vous souhaitez qu'un violeur, qu'un homme sans respect pour les femmes, un homme qui a abusé de vous, s'en sorte si facilement ? De quoi avez-vous peur, Miss Swan ? »
Les années avaient peut-être éloigné les deux amies, mais Miranda était sûre de pouvoir reconnaître un ton de sarcasme dans la voix d'Regina. Elle ne pouvait décemment pas laisser cette situation s'envenimer. Elle regarda Regina, tentant de capter son regard, lui faisant de gros yeux, signe d'arrêter son discours. Ce n'est pas comme cela qu'elle pourrait l'aider. L'avocate, se sentant de trop, ressentant peut-être une pointe d'amertume, se leva.
« Je ne vais pas vous déranger davantage. Miranda, je te remercie pour ce dîner. Miss Swan, tentez d'y réfléchir. »
Et sans réellement attendre de réponse, elle se dirigea vers la sortie.
Cela dit, elle ne quitta pas pour autant la rue. Une fois installée derrière son volant, elle resta là, regardant la lumière de la cuisine de la grande maison Kley's. Regina se sentait vide. Comment pouvait-elle vivre un tel ascenseur émotionnel en si peu de temps ? Voulait-elle y réfléchir ? Elle n'en avait pas le temps. Elle devait encore récupérer Henry, qui se trouvait chez une amie, mais aussi une collègue. Elle roula jusqu'à Madison Park, un quartier à l'Est de Seattle, une zone résidentielle calme et tranquille, primée pour sa vue sur l'eau et ses nombreux chemins de randonnée.
Son amie, Kathy Walsh-Smith, vivait tout près de son propre domicile. Regina était heureuse de l'avoir près d'elle. Kathy était souvent de bons conseils et était une amie très dévouée, toujours prête à rendre service. Elle s'était mariée très jeune à Andrew Smith, un architecte. Elles s'étaient connues alors qu'elles travaillaient pour le bureau des enquêtes du procureur rattaché au département de la police de Seattle. Quand Regina travaillait encore pour l'unité des victimes, Kathy, elle, travaillait à l'unité des gangs. Elles avaient été amenées à travailler ensemble sur quelques affaires complexes. Autour d'un verre après une plaidoirie, une amitié était née.
Regina lui racontant à l'époque ses difficultés à adopter un enfant en tant que femme seule, Kathy se confiant sur son infertilité. Les coups durs de la vie les avaient rapprochées. L'avocate se gara devant le domicile des Walsh-Smith.
« Bonsoir Kathy. Comment tu vas ? »
« Entre ! Henry s'est endormi dans les bras d'Andrew. Je t'offre un verre ? »
« Volontiers. »
Les deux femmes s'installèrent sur la terrasse pour ne pas réveiller Henry. Andrew, lui, était resté, servant d'oreiller à l'enfant, lisant son livre tranquillement.
« Gina, je t'écoute. »
« Que dois-je dire ? »
« Tu ne vas pas me la faire, pas à moi. Qu'est-ce qui te tracasse autant ? »
« Ce n'est vraiment pas une bonne journée. Et je suis épuisée. »
« Depuis que tu as quitté le pénal pour le civil, je ne pense pas t'avoir vue comme ça souvent. C'est à cause de l'affaire de Mademoiselle Swan ? Tu sais que les gens parlent de ton implication. Ton passage auprès du Capitaine Morris est remonté à mes oreilles. »
« Si tu veux mon avis, les gens parlent trop. Elle ne souhaite pas poursuivre son ex-mari. »
« Mais elle doit réclamer justice ! Je me doute bien que c'est ce que tu lui as dit. Mais n'oublie pas que tu ne peux obliger personne. Même si cela est difficile à entendre pour nous, qui avons un goût pour la justice, un peu trop prononcé. »
« Mais cette femme... » Regina laissa sa phrase en suspens. Comment pouvait-elle amener ce qu'elle avait à dire à son amie.
« Oui ? » Kathy lui attrapa les mains.
« Tu sais que tu peux tout me dire. »
« Elle m'a embrassée... » Dit-elle confuse. Cela lui faisait drôle de le verbaliser, de le dire à voix haute. Cela le paraissait-il plus réel ?
« Quoi ? Mais... Qui ? Mademoiselle Swan ? » Dit-elle surprise, mais gardant un grand sourire accroché au visage.
« Oui. Et je pense que je me suis laissé faire bêtement, prise de court par ce relant de douceur qu'elle dégageait à ce moment-là. »
« Tu es donc sensible à ses charmes ? » demanda curieusement son amie, toujours le sourire béat.
« Je ne sais pas. Non, je ne pense pas, » répondit-elle en baissant le regard.
Regina essaya pendant une fraction de seconde d'y réfléchir. Mais elle n'y arrivait pas. Comment avait-elle pu apprécier ce baiser ? Elle était en position de force face à Emma, qui était, elle, dans un état de grande fragilité à ce moment-là de sa vie.
« Mais elle est humaine, avant d'être victime. » Reprit Kathy, voyant son amie sombrer dans la réflexion.
« Pardon ? »
« Je te connais trop bien. Tu es une grande professionnelle, et tu dois te dire en ce moment que maintenant il y a conflit d'intérêts. Et tu as peur de perdre ton intégrité. Je le comprends. Mais avant tout, vous êtes humaines. »
Regina Mills ne s'était jamais cachée de son attrait pour la gent féminine. Au contraire, elle vouait un culte à la femme. Heureusement que Kathy était à ses côtés pour lui rappeler, de temps à autre, de continuer à croire en l'amour, sous toutes ses formes.
Durant une petite demi-heure, Kathy resta là, à regarder son amie se morfondre dans cette passion qu'elle niait. Regina ne mettait pas de mots sur ce qu'elle avait ressenti. Elle était décidée à en discuter avec Emma quand les choses seraient plus calmes.
Elle récupéra son fils, son petit Henry, et ils rentrèrent chez eux. Après l'avoir couché dans son propre lit, elle se changea et s'endormit contre lui, sans même jeter un œil à son téléphone.
Ce n'est que le lendemain matin, après un réveil mouvementé par un Henry surexcité, qui n'avait qu'une seule hâte, raconter sa soirée à sa mère.
« Maman ! Tu sais ce que tata Kathy m'a fait à manger hier soir ? »
« Non, mon chéri. Mais tu ne me laisserais pas prendre un café d'abord ? »
« Des nuggets de poulet ! »
Regina sortit de son lit avec difficultés et attrapa son petit garçon dans les bras pour le conduire jusqu'au salon. Il courut vers la télévision pour, comme chaque matin, mettre son émission animalière préférée. Regina, quant à elle, se traîna jusqu'à la cuisine pour préparer leur petit-déjeuner, et surtout se préparer une tasse quasi-indécente de café. C'est une fois cela fait qu'ils s'attablèrent, et elle en profita pour récupérer son téléphone et son ordinateur pour regarder de quoi sa journée serait faite. Elle s'aperçut rapidement des nombreux messages de Miranda et d'Emma.
Elle ouvrit en premier la conversation de Miranda Kley's :
« Tu n'aurais pas dû partir comme cela. Je sais à quel point cela peut t'énerver. Comme nous tous. »
« Emma a passé la nuit en larmes. Pourrais-tu avoir l'amabilité de venir présenter des excuses. Je n'ai pas à te rappeler sa situation déjà bien complexe. Fais preuve de patience. »
Regina, n'aimant pas être rappelée à l'ordre, leva les yeux au ciel. Elle n'avait pour le moment aucune envie de se rendre au domicile des Kley's. Il en était hors de question. D'autant plus qu'elle ne savait pas encore comment aborder le sujet du baiser avec Emma. Même si avoir pu échanger avec son amie la veille au soir l'avait soulagée. Elle reprit une gorgée de café. Regarda quelques images télévisuelles, puis se replongea dans son téléphone, elle ne faisait que retarder le moment inévitable de la lecture des messages d'Emma.
« Regina, pourriez-vous revenir ? Nous devrions parler. »
« Comment pouvez-vous attendre cela de moi ? Je ne suis pas vous. Je n'ai pas votre courage. »
« Oubliez tout cela. »
« Oubliez ce dont vous avez besoin pour revenir. Je souhaiterais vous parler. »
« Comment ai-je pu être aussi idiote ? Et comment avez-vous pu l'être ? »
« Vous devez profiter de votre enfant. Passez une bonne nuit, bien avancée… »
Regina sentit son cœur se serrer légèrement. Elle se souvenait encore de l'instant où Emma l'avait embrassée. À sa propre surprise, elle ne l'avait pas repoussée. Le baiser était d'une tendresse infinie, inattendu. Un moment de chaleur dans une vie souvent glacée par la rigueur professionnelle. Regina se demandait si, quelque part, elle ne souhaitait pas secrètement que cela se reproduise. Elle tapa quelques mots sur son clavier, les relut et les envoya.
« Emma, j'ai bien reçu vos messages. Je comprends que vous traversez une période extrêmement difficile. Ce qui s'est passé hier soir était un moment d'égarement, et cela n'affectera en rien notre relation professionnelle. Nous devons continuer à nous concentrer sur votre affaire. Cependant, je ne peux nier que cela m'a également troublée. Peut-être devrions-nous en discuter en personne pour clarifier ce que cela signifie pour nous deux. Je vous propose de nous rencontrer demain pour parler de la suite. Prenez soin de vous. »
Elle espérait que sa réponse apporterait un peu de clarté et de stabilité à une situation déjà très chaotique. La frontière entre le professionnel et le personnel était parfois dangereusement fine. Elle se devait de naviguer avec prudence.
