Carlos termina son service avec soulagement. La soirée avait été mouvementée et à minuit passé il avait hâte de retrouver TK. Il rentra chez lui en luttant contre le sommeil. Il gara sa voiture et monta comme un automate. L'appartement était plongé dans le noir. Carlos supposa que son amant dormait déjà et se prépara pour le rejoindre silencieusement, sans rien allumer. Ce ne fut qu'une fois sous les draps qu'il réalisa que le lit était vide. Soudainement bien réveillé, il s'assit dans son lit, alluma la lumière et regarda autour de lui. Il n'y avait aucun doute, le loft était vide. Il prit son portable et constata qu'il n'avait reçu aucun message de TK. Il essaya de se souvenir si son homme avait une raison de ne pas être là si tard, mais rien ne lui vint. Il regarda alors dans leur calendrier partagé et constata qu'il avait un escape game à vingt heures avec les autres membres du 126… peut-être étaient-ils allés boire un verre ensuite… Une pointe d'inquiétude le saisit, habituellement TK lui envoyait un message lorsqu'il sortait. Il appela son amant, mais le téléphone sonna dans le vide jusqu'à tomber sur la boîte vocale. Il réessaya quatre fois, avant de lui envoyer un message pour lui demander de le rappeler. Il tenta ensuite de joindre les autres membres de l'équipe avec le même résultat. Son inquiétude monta en flèche, quelque chose n'allait pas, il n'était pas normal que personne ne réponde.

Incapable de rester à attendre sans rien faire et persuadé que son homme était en danger, Carlos décida de commencer par là où l'équipe avait dû se rendre : la salle d'escape game. Il se rhabilla à la hâte, à présent bien réveillé et se rendit à l'adresse notée dans leur calendrier.

Le stress montait en lui alors qu'il conduisait, son instinct lui criait que quelque chose n'allait pas et ça ne s'arrangea pas lorsqu'il se gara dans le parking de l'escape game : les voitures des membres de l'équipe étaient toutes là.

Sur ses gardes, Carlos entra dans le bâtiment. La porte n'était pas verrouillée, mais il n'y avait personne à l'accueil. Le policier appela, fit quelques pas, personne. Il regarda autour de lui : un bureau d'accueil avec plusieurs écrans d'ordinateur, à gauche du bureau des casiers, à droite commençait un couloir. Carlos composa à nouveau le numéro de TK et entendit la sonnerie venir des casiers. Il eut alors la certitude que l'équipe était toujours là. Il passa alors derrière le bureau et découvrit une personne étendue au sol. Il se précipita aux côtés de la jeune femme pour prendre son pouls. Il était faible, mais présent. Carlos appela les secours tout en regardant les écrans d'ordinateur. Son cœur manqua un battement.

L'équipe était là, sur un des écrans. Dans un décor représentant une terrasse sur le toit d'un immeuble avec la tour Eiffel et les toits de Paris peints sur les murs. Il y avait un bar sur un côté de la salle avec une horloge numérique au-dessus. Owen et Judd étaient au sol, entre les tables. TK, en larmes faisait un point de compression à son père, Nancy à Judd. Le reste de l'équipe semblait chercher quelque chose activement, renversant les tables et les chaises, vidant le comptoir du bar.

"911, quelle est votre urgence ?

-Officier de police Carlos Reyes, matricule 45-67L, pas en service. Je suis à la salle "travelling escape room" 2768 Grange avenue. Il me faut une ambulance pour une femme d'environ vingt ans inconsciente sans trace apparente de blessure avec un pouls faible. Il faut aussi une équipe de police et au moins deux ambulances pour huit personnes qui semblent coincées dans une des salles du lieu. Je les vois sur la vidéosurveillance, deux semblent blessées par balles.

-Les équipes sont en route, agent Reyes, ne partez pas explorer seul, attendez vos collègues. Où êtes-vous ?

-Je suis à l'accueil. Attendez, il se passe quelque chose…"

La lumière s'éteignit dans la salle parisienne, seule restait visible l'horloge qui afficha tout d'abord 00:00:00 puis 00:30:00. La lumière se ralluma, Paul était au sol, en sang.

"Que se passe-t-il ?

-Oh mon Dieu ! Il y a une victime par balle de plus, il y a un moniteur, dans trente minutes il y aura une nouvelle victime, je pense. Dîtes-moi que les équipes sont bientôt là.

-Ils seront là dans cinq minutes. Que pouvez-vous voir sur l'état des victimes dans la salle ?

-Il s'agit des pompiers de la 126e. Owen, Judd et Paul sont au sol, les urgentistes de l'équipe leur font des points de compression, pour chacun d'eux ça semble être au niveau du cœur. Ils semblent tous les trois inconscients et perdre beaucoup de sang.

-Pouvez-vous les entendre ou leur parler ?

-Attendez…"

Carlos prit un mouchoir puis tenta de trouver un micro ou un casque, de monter le volume de l'ordinateur, de faire bouger la souris… sans succès.

"Non, c'est comme si je ne pouvais pas contrôler l'ordinateur. Ah, ça y est, j'entends les équipes arriver.

-Très bien, vous pouvez raccrocher agent Reyes."

Le latino expliqua dans les grandes lignes les raisons de son arrivée là et ce qu'il avait fait depuis. N'étant pas en service, Carlos ne put suivre les policiers qui venaient d'arriver dans leur exploration des locaux. Il resta avec l'un des agents et les équipes de secouristes qui attendaient pour intervenir auprès des pompiers emprisonnés. Il regardait, anxieux, ce qu'il se passait sur les écrans. Il voyait les forces de police ouvrir les portes une à une, sur des salles vides de tout occupant. Les minutes s'égrainaient dans la salle du 126 et l'angoisse de Carlos augmentait. Il avait bien compris ce qui allait se passer si jamais le minuteur arrivait à zéro et le redoutait. Pour tenter de ne pas se laisser aller à son stress, il aida le policier resté là à chercher la liste des salles du lieu, mais trouver la plaquette de l'entreprise eut l'effet inverse. Cet escape game devait être un des plus gros de l'état. Il proposait vingt salles sur trois niveaux. Il restait dix minutes au compteur et l'équipe d'intervention n'avait pas encore fini de fouiller le rez-de-chaussée ! L'agent qui était resté avec lui lui demanda de rester calme, lui rappelant que l'équipe était obligée de suivre les procédures et qu'ils faisaient de leur mieux.

Carlos tenta de protester, mais l'agent finit par simplement le mettre dehors en lui disant de se calmer avant de revenir. Le latino perdit le peu de sang froid qu'il lui restait et tapa contre le mur, laissant son angoisse et sa frustration sortir. Le mur se teinta de rouge, mais il continua de frapper. Il ne pouvait pas aider son homme et ça le tuait de l'intérieur. Finalement, conscient du temps qui s'écoulait, il se laissa glisser au sol pour reprendre son souffle et ses esprits, ignorant volontairement le sang qui coulait de ses poings. Une fois qu'il se sentit à nouveau capable d'être à l'intérieur sans interférer dans le travail de ses collègues, il retourna devant les écrans. La lumière s'éteignit dans la prison des pompiers au moment où il arriva. Il jeta un coup d'œil aux autres écrans, l'équipe terminait de fouiller le rez-de-chaussée et s'engageait dans les escaliers vers l'étage. La lumière se ralluma à l'écran. Matteo était au sol, Nancy en larmes semblait hésiter entre s'occuper de lui et lâcher Judd ou continuer le point de compression qu'elle faisait déjà. Marjan décida pour elle en tirant le corps du nouveau blessé à ses côtés pour qu'elle puisse faire les deux points de compression en même temps.

Carlos était horrifié de voir ses amis se vider de leur sang ainsi et de ce qui risquait d'arriver trop vite. Le temps sur l'horloge était à présent de quinze minutes. Il réalisa que TK était le seul homme de l'équipe à ne pas être au sol. Le policier se mit à craindre que son homme soit le prochain, que l'équipe d'intervention n'arrive pas à temps, qu'il perde l'amour de sa vie…

Alors il regarda, terrifié, Marjan retourner la salle d'escape game à la recherche d'il ne savait quoi, le temps défilait trop vite, les policiers avancaient trop lentement. Il remarqua à peine un des secouristes soigner ses poings blessés, par contre il ne manqua pas les mains sur ses épaules lorsqu'il ne resta qu'une minute. Ils avaient raison. A l'instant, il n'avait qu'une envie : partir lui-même à la recherche de son amant. Les secondes défilèrent et la lumière s'éteignit, plongeant Carlos dans une profonde angoisse. Le minuteur afficha sept minutes et la lumière revint.

"Non !" s'exclama Carlos en découvrant TK au sol, une tâche rouge sur la poitrine.

Il tenta d'échapper à son collègue et aux secouristes qui le maintenaient. Il se débattit quelques secondes sans parvenir à se défaire de leurs prises avant de tomber à genoux, des larmes coulant sur ses joues, les yeux à nouveau fixés sur les écrans. Marjan compressait à présent les plaies du père et du fils Strand. Elle parlait avec Tommy et Nancy. Toutes trois semblaient paniquées.

Une trappe s'ouvrit soudainement au sol et un premier policier entra. Les trois femmes semblèrent soulagées et Carlos se mit à espérer pour la vie de TK. L'ensemble de l'équipe d'intervention entra, sur leurs gardes. La lumière s'éteignit à nouveau. Le noir fut zébré de raies de lumières. Carlos comprit que l'assassin éliminait les survivants. La rage le saisit. Il repéra un mouvement sur les écrans. Sans laisser le temps à ses gardes de réagir, il partit en courant à l'extérieur. Il fit le tour du bâtiment et constata que son intuition était la bonne : une silhouette sortait par une porte dérobée.

Carlos fonça sur l'homme et lui envoya plusieurs coups de poings. La rage l'aveuglait, l'image de son amant immobile, au sol, en sang, l'obsédait. L'homme avait beau lui renvoyer les coups, Carlos ne les sentait pas, il frappait sans arrêt. Ce ne fut que lorsqu'il fut ceinturé et éloigné qu'il réalisa que l'homme était immobile, au sol, en sang. Pendant un court instant, il redouta de l'avoir tué dans son accès de rage, mais les secouristes le rassurèrent avant de le raccompagner à leurs véhicules. Les ambulances et camions de pompiers semblaient arriver sans discontinuer ainsi que les voitures de police. Le père de Carlos arriva et le prit dans ses bras, mais le jeune homme ne pouvait pas y rester, il cherchait son amant parmi les corps sur les brancards, redoutant de le trouver sous un des trop nombreux draps blancs.

Les secouristes s'activaient autour des corps, les poussant tout en compressant leurs blessures. Ils les mettaient dans les ambulances et les camions de pompiers pour les emmener vers l'hôpital. Carlos commençait à craindre le pire lorsqu'enfin il aperçut un brancard avec son amant. Il se précipita vers les secouristes qui lui refusèrent l'accès à l'ambulance. Ils lui indiquèrent le nom de l'hôpital où ils emmenaient TK tout en installant le blessé dans leur véhicule et partirent à toute vitesse, sirènes hurlantes.

Des larmes dévalaient ses joues, alors que le jeune homme regardait l'ambulance s'éloigner. Le bref aperçu qu'il avait eu de TK lui avait suffit à comprendre que son pronostic vital était engagé. La terreur s'infiltra en lui comme un poison, le faisant trembler des pieds à la tête alors qu'il tentait de rejoindre sa voiture pour suivre son amant à l'hôpital. Le père de Carlos lui interdit de prendre sa voiture dans l'état où il était et le fit monter dans la sienne. Carlos était dans un état second, tout ce à quoi il pensait était TK et sa peur de le perdre. Il ne réalisa qu'ils étaient à l'hôpital que lorsque sa mère le prit dans ses bras et le guida jusqu'à une salle d'attente. Les familles des membres du 126 et des policiers blessés arrivèrent un à un. Seule Grace sortit le latino de sa torpeur. Ils n'échangèrent pas un mot. Elle s'assit à ses côtés, lui prit la main et la serra. Carlos savait qu'elle priait pour Judd et leurs amis, il se mit lui aussi à prier pour TK et le reste de l'équipe.

Les heures suivantes furent ponctuées par les passages des médecins appelant en premier en familles de ceux qui n'avaient pas survécu : trois policiers, Matthéo, Marjan, Nancy, Tommy et Owen. Grace et Carlos avaient pris les nouvelles pour Tommy et Owen, leurs familles respectives n'étant pas à l'hôpital ou entre les mains des docteurs. Tous deux s'étaient effondrés aux nouvelles. Tommy laissait deux petites filles à présent orphelines derrière elle et Owen décédait quelques mois seulement après la mère de TK. Ajouté à cela les décès de leurs trois autres amis, Grace et Carlos étaient sonnés. Ils redoutaient et espéraient l'arrivée des médecins qui leur donneraient les nouvelles de leurs conjoints respectifs et de Paul.

Les familles de deux autres policiers furent appelées, mais cette fois pour leur annoncer que les blessés allaient s'en remettre. Carlos redoubla de ferveur dans ses prières.

Grace fut appelée en même temps que la famille de Paul, absente. Carlos laissa donc son amie aller voir le médecin seule pendant que lui-même allait s'enquérir du verdict concernant Paul. Il fut soulagé d'apprendre qu'il vivrait, son pacemaker lui avait sauvé la vie. Il allait être gardé dans un coma artificiel pour quelques jours, mais tout irait bien pour lui. Carlos rejoignit ensuite Grace qui pleurait.

"La balle n'a pas touché le cœur, ça ira." lui dit-elle entre ses larmes en le prenant dans ses bras.

Quand les infirmières vinrent les informer qu'il pouvaient aller voir Paul et Judd dans leurs chambres, Carlos déclina mais poussa Grace à accepter. Seul à présent avec sa mère, il angoissa. Il repensa aux précédents passages de TK à l'hôpital et se demanda comment il était possible qu'ils se retrouvent aussi souvent dans cette configuration. Deux fois TK avait survécu à des situations dramatiques, il fallait qu'il survive à nouveau. Carlos ne pourrait pas continuer sa vie sans lui.

Le temps passa extrêmement lentement pour le jeune homme qui, malgré la présence de sa mère, se sentait seul et désespéré. Finalement, après ce qui lui sembla avoir été une éternité, un médecin demanda la famille de TK. Carlos se précipita, suivi de sa mère. Il eut beau écouter le médecin, c'était comme si les mots n'avaient pas de sens, jusqu'à ce qu'il lui dise que ses jours n'étaient plus en danger.

"Il va s'en remettre ? demanda le jeune homme pour être certain d'avoir bien compris.

-Oui.

-Gracias Dios mio."

Carlos tomba à genoux, pleurant de soulagement et serrant sa mère dans ses bras. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce qu'une infirmière vienne les chercher pour les mener jusqu'à la chambre que Paul et TK allaient partager. Carlos s'assit aux côtés de son homme, prit sa main dans la sienne et caressa ses cheveux tout en s'efforçant à ne pas prêter attention à son teint particulièrement blanc. Sa mère l'embrassa sur le front en lui disant qu'elle allait lui chercher des vêtements, il était évident qu'il n'allait pas quitter le chevet de TK de si tôt.