Les révélations de Dumbledore avaient profondément ébranlé Severus, et le plaçaient dans une situation délicate. Il avait appris que le maître qu'il avait servi se prénommait en vérité Tom Elvis Jedusor. Severus n'était pas naïf au point de croire que Voldemort était son véritable nom. Cependant, le patronyme Jedusor lui était complètement inconnu. Jamais Severus n'avait entendu ce nom, et il aurait juré qu'aucune famille de sorciers au sang-pur ne le portait. Pourquoi n'avait-il pas été plus curieux ? Il avait écouté pendant des mois tous ces beaux discours sur la pureté du sang sans jamais remettre en doute la parole de son maître. Lui, un sang-mêlé talentueux, avait été souvent rabaissé par ses condisciples issus des plus anciennes familles du pays. Certains étaient en plus des crétins finis, des brutes, des dégénérés. Mais ce n'était pas le pire…

Horace Slughorn, celui qui lui avait enseigné durant sept ans les potions et qui était à maintenant son collègue, dissimulait certainement un secret. Il avait connu ce Tom Jedusor, quand il n'était qu'un adolescent étudiant à Poudlard. Selon Dumbledore, le maître des potions détenait une information importante sur son ancien élève, susceptible de l'anéantir. En vérité, le directeur de l'école de magie n'en savait rien. Il s'agissait de l'une de ses suppositions. Mais Severus avait l'intime conviction que Dumbledore n'était pas dans le faux.

Le jeune enseignant avait appris de la bouche de son nouveau maître que lui aussi avait bien connu Tom Jedusor. Tout comme Slughorn, Albus Dumbledore avait enseigné à cet étudiant jugé brillant. Contrairement à son collègue qui dispensait les cours de potions, Dumbledore avait rencontré le jeune Jedusor bien avant son arrivée à Poudlard.

- Le directeur Dippet m'avait envoyé à Londres pour remettre à cet enfant sa lettre d'admission.

Si Severus n'avait pas été assis, il serait assurément tombé. Rares étaient les futurs élèves à recevoir la visite d'un enseignant avant leur admission. Les professeurs ne se déplaçaient uniquement que pour rencontrer les enfants nés chez des Moldus, à l'instar de Lily.

- Ne me dites pas que…

- Non, Severus. Tom Jedusor vivait dans un orphelinat à Londres où il avait été laissé à sa naissance.

Cette énième révélation sidéra complètement Severus.

- C'était un enfant très intelligent, et je dirais même déjà assez puissant. Il n'avait jamais entendu parler de notre monde, mais avait pleinement conscience de sa différence. Sa mère – de ce qu'on m'a dit – est morte très peu de temps après lui avoir donné la vie dans cet orphelinat. En discutant avec Tom, j'ai rapidement compris qu'il n'était pas un petit garçon tout à fait comme les autres. Il méprisait les enfants avec lesquels il avait grandi. Il usait même de ses pouvoirs pour leur faire de très mauvais tours. À seulement onze ans, il avait un orgueil démesuré, mais je pensais que Poudlard pourrait corriger ses défauts.

Severus était hypnotisé par le récit de Dumbledore.

- Il avait un penchant pour le vol, se rappela le chef de l'Ordre. Ne pensez pas que c'était par pure convoitise, Severus, absolument pas. Tom dérobait des effets personnels à ses victimes pour en faire des trophées.

- Je ne sais pas quoi dire, souffla Severus.

- La liste de ses méfaits à l'orphelinat est très longue, croyez-moi. La directrice – une brave femme un peu trop portée sur la boisson – m'avait confié que Tom avait traumatisé deux enfants de son âge lors d'une sortie à la mer. Ces deux enfants n'ont jamais plus été les mêmes et n'ont jamais voulu dire ce que Tom leur avait fait.

- Que… Que voulez-vous dire ? balbutia Severus.

Dumbledore prit une inspiration avant de livrer au jeune homme la suite de son récit.

- Levez-vous Severus… Je vais vous montrer ce que j'ai découvert il y a quelques jours.

Dumbledore lança un sortilège sur une armoire dérobée qui s'ouvrit et laissa sortir un étrange récipient : une pensine.

- Je vais vous montrer l'un de mes souvenirs, annonça Dumbledore.

Le vieil homme pointa sa baguette sur sa propre tête et un filament d'argent s'enroula autour d'elle.

- Regardez, Severus.

Le professeur plongea son regard dans le volume aqueux et se trouva soudainement projeté dans le souvenir de Dumbledore.

OO

Severus ne se trouvait plus dans le bureau de Dumbledore, mais dans une rue déserte faite de maisons de briques. Il faisait nuit et un léger crachin s'abattait. Un réverbère éclairait faiblement la rue et on entendait au loin un chien aboyer. Severus eut comme une impression de déjà-vu. Ce quartier ressemblait étrangement à l'impasse du Tisseur, mais il était bien plus propre et légèrement moins misérable. À ses côtés se tenait Dumbledore, mais il ne portait pas son habituelle robe lavande. Il s'était vêtu avec un costume que n'importe quel Moldu aurait pu porter. Severus doutait en revanche qu'un Moldu aurait associé un veston violet avec une chemise verte, un pantalon rouge et un nœud papillon rose.

Dumbledore se dirigea vers l'une des maisons et Severus le suivit. Il le vit frapper à la porte et attendre quelques instants avant qu'une femme d'une cinquantaine d'années ouvre. Elle avait entrebâillé la porte, encore retenue par une chainette.

- Miss Benson ?

- Vous êtes le… le professeur… qui… qui… effectue des recherches sur l'orphelinat Wool ? bégaya la femme.

Elle avait des cheveux filasses retenus en une queue de cheval, et elle tremblait de tous ses membres. Dumbledore acquiesça et la femme le laissa entrer dans sa maison. Elle le conduisit dans sa cuisine et lui offrit une tasse de thé qu'elle manqua de renverser.

- Comment m'avez-vous retrouvée ? demanda-t-elle en soufflant sur sa tasse. Wool a été détruit il y a plusieurs années… J'ai vu qu'ils avaient construit des tours là-bas. Je fais des ménages dans ce quartier.

- Les bibliothèques ont parfois leur utilité, madame, répondit en souriant Dumbledore.

- Que voulez-vous savoir ? Je n'aime pas beaucoup parler de mon passé là-bas… Cela n'a pas été une période heureuse, d'autant plus que je n'ai jamais eu la chance d'être adoptée.

Dumbledore lui adressa un sourire plein de sollicitude et lui expliqua qu'il menait des recherches universitaires sur les enfants placés dans les années 1930 à Londres.

- Compliqué, soupira-t-elle. C'était un endroit sinistre, mais relativement bien entretenu. Mrs Cole faisait ce qu'elle pouvait avec les moyens qu'on lui donnait. Nous étions nombreux, vous savez… La pauvre Martha en a vu de toutes les couleurs, mais elle nous aimait bien dans le fond. Il y avait peu d'adultes pour s'occuper de nous. Les pauvres étaient rapidement débordés.

Miss Benson soupira et but une gorgée de son thé.

- Ce n'était pas tous les jours facile. Certains donnaient plus de fil à retordre… Je n'aime vraiment pas en parler.

Severus vit que le regard de la femme était vide et fatigué, comme celui de sa mère. Il ne faisait aucun doute que cette pauvre femme était usée et portait le poids d'une enfance douloureuse, faite de privations.

- Certains enfants n'étaient pas gentils, pas vrai ?

La femme hocha la tête.

- Il y avait de tout. Je me rappelle les pleurs des plus jeunes, de ceux qui avaient été abandonnés. C'était terrible pour ceux qui se souvenaient encore de leurs parents et qui pensaient qu'ils reviendraient les chercher. Moi, dans mon malheur, j'ai eu la chance d'être déposée quand je n'étais qu'un bébé. C'est ce qu'on m'a dit. On avait laissé une lettre… Ma mère, de ce qui était écrit, est morte pendant l'accouchement et mon père a baissé les bras.

Elle but une nouvelle gorgée de son thé.

- C'était monnaie courante à cette époque. On était beaucoup à avoir le même âge, ou presque.

- Aviez-vous de bonnes relations avec les enfants de votre âge.

Elle prit quelques secondes pour réfléchir.

- Oui, on se serrait les coudes… Mais il y en a un que je ne pourrai jamais oublier, dit-elle d'une voix tremblante.

- Racontez-moi, insista doucement Dumbledore.

- Je… Je ne peux pas.

Severus vit alors Dumbledore faire quelque chose qu'il n'aurait jamais soupçonné de sa part. Il agita discrètement sa baguette, et lança sur la femme ce qui semblait être un sortilège de confusion. Puis il versa discrètement une substance dans sa tasse, certainement du Veritaserum.

- N'ayez aucune crainte, vous pouvez parler.

- Il s'appelait Tom, Tom Jedusor. Il est arrivé quelques temps après moi. Je crois que sa mère est morte lors de l'accouchement. C'était un garçon bizarre qui ne jouait avec personne. Il ne parlait pas beaucoup… Il se passait toujours des choses étranges avec lui. On n'avait jamais de preuves, car parfois c'était tout simplement inexplicable… Une fois, Tom et Billy se sont disputés et bagarrés. Vous savez, c'étaient des histoires de gosses. Et peu de temps après, on a retrouvé le lapin de Billy pendu aux chevrons. C'était horrible ! Billy a pleuré pendant des jours. Il adorait son lapin, nous l'aimions tous.

- Quelles étaient vos relations avec Tom ?

- Moi, au départ, je me fichais un peu des histoires qui circulaient sur lui. C'était juste un gosse à part qui aimait être seul. Je savais qu'il ne fallait pas lui chercher des poux. Je me disais que les autres récoltaient ce qu'ils semaient. Un jour, Mrs Cole, Martha et les autres nous ont emmenés à la mer. Vous savez, on ne quittait qu'une fois par an l'orphelinat et on attendait avec impatience ce voyage. C'était l'été…

Elle renifla un peu et porta à ses lèvres un mouchoir défraichi.

- J'étais avec Dennis. C'était un bon p'tit gars… Il a été adopté quelques mois plus tard par un couple de la campagne… Tom est venu nous trouver. Je ne l'avais jamais vu comme ça, il était souriant. Il nous a dit qu'il avait vu quelque chose et qu'il voulait absolument nous le montrer. Je ne me souviens plus du nom de cette plage, ça remonte à loin. Je crois que c'était assez escarpé et qu'il y avait quelques falaises. Tom nous a dit de le suivre. On ne s'est pas méfiés… Il était si joyeux et semblait gentil. Vous devez me prendre pour une naïve, après ce que je vous ai raconté… Mais Tom ne nous avait jamais rien fait à Dennis et à moi.

Miss Benson gratta nerveusement avec ses ongles la nappe de sa table.

- Je ne sais pas comment il a fait… Mais il nous a entraînés au bord d'une falaise. J'avais peur, et je craignais qu'on se fasse disputer… On n'avait pas le droit de nous éloigner du reste du groupe. Il a dit qu'on était des trouillards, et qu'il allait nous faire voir de quoi il était capable. D'un coup, il nous a poussés et nous nous sommes retrouvés dans une grotte. La chute aurait dû nous tuer… Je ne suis même pas certaine si ce que je vous raconte s'est réellement passé. Le pire… c'est que ce n'était que le début du cauchemar. J'ignore comment Dennis, Tom et moi nous nous sommes retrouvés dans cette grotte. Il faisait sombre et froid.

- Vous a-t-il fait du mal ? demanda Dumbledore.

La femme baissa les yeux et ses doigts grattèrent une fois de plus la vieille nappe.

- Vous savez, je ne crois pas beaucoup en Dieu, mais ce gamin… C'était le diable en personne. Avec Dennis, on n'en a jamais parlé, à personne. Qui nous aurait crus ? Sans nous toucher, Tom nous a frappés, nous a tiré les cheveux, nous a pincés… Et puis, il nous a remontés à la surface. Les autres nous cherchaient. Mrs Cole nous a posé tout un tas de questions, mais on ne pouvait pas parler. Elle ne nous aurait pas crus… Moi-même, il m'arrive de penser que ce n'était qu'un cauchemar, que ce n'est jamais arrivé.

Dumbledore secoua la tête. Il semblait porter du crédit au récit de cette femme.

- En tout cas, quelques mois après cette histoire, Tom a quitté l'orphelinat. Enfin, pas vraiment. Il revenait tous les étés. Mrs Cole ne nous a pas dit où il partait, mais on a vite compris que c'était un établissement pour les fous… Il lui a plutôt bien réussi, car il se faisait discret pendant l'été. Peut-être qu'il prenait des médicaments.

OO

Le souvenir se dissipa et Severus constata qu'il était à nouveau dans le bureau de Dumbledore, et qu'il se tenait bêtement devant la pensine.

- Pourquoi m'avoir montré ceci ? demanda-t-il d'une voix blême.

Dumbledore, les bras croisés dans le dos, s'éloigna.

- Quel est le rapport avec ce que vous m'avez dit ? insista Severus.

- Qu'avez-vous compris Severus ?

Le jeune homme, ébranlé, se redressa. Il savait que Voldemort était un sorcier cruel. Il n'avait pas hésité à lancer le sortilège de la mort sur un bébé, sur Harry. Néanmoins, Severus peinait à réaliser que ce mage noir avait été un enfant, un simple petit garçon. C'était absurde. Tout le monde naissait, grandissait, vieillissait et finissait par rejoindre le tombeau. Le Seigneur des Ténèbres avait laissé croire à ses partisans qu'il n'était pas qu'un simple mortel. Et pourtant, Voldemort n'était qu'un homme qui avait vu le jour dans un sordide orphelinat.

- Tout se mélange, avoua-t-il au directeur de Poudlard.

- Ce témoignage n'a peut-être pas la moindre utilité pour détruire Voldemort, mais je voulais vous le montrer pour que vous compreniez d'où il venait. Le jeune garçon qui a étudié à Poudlard n'était pas très différent de l'enfant de l'orphelinat. Bien évidemment, Tom ne torturait pas ses camarades à Poudlard. Il était très charismatique et ne manquait pas d'admirateurs.

Dumbledore n'avait pas cessé de marcher et de fixer le sol.

- Tom, lors de cette excursion, ignorait qu'il était un sorcier. Cependant, il avait conscience qu'il était doté d'aptitudes exceptionnelles que ne possédaient pas ceux et celles qu'il aurait dû considérer comme ses frères et sœurs. Au contraire, il a choisi de les tourmenter et de les utiliser pour développer ses pouvoirs.

- Qui est-il ? Réellement… D'où vient-il ? Jedusor… Ce nom ne me dit rien.

Dumbledore lui adressa un sourire énigmatique. Le directeur savait.

- C'est un mystère que j'ai résolu au cours de ces dernières années. Tout au long de sa scolarité, j'ai gardé à l'œil Tom. Il s'en doutait bien évidemment. Il était loin d'être idiot. Tom en arrivant à Poudlard ne savait rien de ses parents, seulement que son père portait le même prénom que lui, et que son grand-père maternel se nommait Elvis. Tom était persuadé qu'il avait hérité tout son potentiel magique de son père, car – selon lui – perdre la vie en couche était bien trop trivial pour une sorcière.

Le sang de Severus pulsait dans ses veines. Non, les sorcières n'étaient pas infaillibles. La magie, malheureusement, ne protégeait pas toujours les femmes, et encore moins les mères.

- Mais il avait tort, poursuivit Dumbledore. Sa mère était une sorcière, et son père un Moldu qui avait abandonné son épouse enceinte. Ne le blâmez pas trop, Severus… Cet homme a été piégé par une sorcière, sa voisine. Elle s'appelait Mérope Gaunt.

Ce patronyme, Severus l'avait quelquefois lu dans de vieux grimoires. Mais il n'avait jamais rencontré aucun membre de cette illustre famille qu'on disait éteinte depuis quelques années. Le dernier mâle de cette lignée de sorciers au sang-pur s'était éteint à Azkaban alors que Severus suivait sa scolarité à Poudlard.

- Mérope n'a jamais eu beaucoup de chance dans sa vie, continua le directeur. Elle était la seule fille de sa famille après la mort de sa mère, et était rudoyée aussi bien par son père que par son frère. Ils vivaient tous les trois dans une vieille masure, et la pauvre Mérope, qui savait à peine utiliser la magie, subissait quotidiennement la cruauté des deux hommes. Sa vie était terne, et elle n'avait aucun espoir de quitter le clan. Cependant, il y avait le beau Tom Jedusor, le fils d'un riche couple qui possédait un très beau manoir. Tom Jedusor était un Moldu très fier, et pour ne rien vous cacher, sa famille n'était pas très appréciée là où ils étaient établis. Mérope, une jeune femme très banale, était folle amoureuse de lui. Son père a même failli la tuer quand il a appris qu'elle avait des sentiments pour ce Moldu.

- Était-ce réciproque, monsieur ?

- J'aurais aimé vous répondre que oui. Hélas, Tom Jedusor Senior n'éprouvait que du mépris pour les Gaunt. Des années de consanguinité avaient fini par altérer mentalement et physiquement les membres de cette illustre famille. La ruine n'a pas tardé à les trouver et ils se sont établis dans un cottage délabré.

Le directeur s'arrêta pour observer quelques instants Severus.

- Je vous épargne les détails, mais Elvis et Morfin Gaunt ont été incarcérés à Azkaban dans les années 1920, et Mérope s'est retrouvée seule. Pour la première fois de sa vie, elle était libre de faire ce qu'elle voulait et n'était plus battue par son père et son frère. Je pense qu'elle était réellement heureuse.

Dumbledore retourna s'asseoir à son bureau, mais Severus fut incapable de bouger.

- Les Gaunt et les Jedusor vivaient dans un petit village nommé Little Hangleton, révéla le vieil homme. Quelques semaines après l'arrestation des deux Gaunt, cette petite bourgade a été ébranlée par un terrible scandale. Le beau Tom Jedusor, fils des châtelains du coin, s'est enfui avec la misérable Mérope Gaunt, alors qu'il était plus ou moins fiancé avec une ravissante jeune femme de bonne famille.

- Jedusor était peut-être amoureux d'elle, déclara Severus.

- Non, Severus. Tom Jedusor Senior n'avait que du mépris pour cette famille et ne se souciait guère de Mérope qui n'avait aucun charme. Il ne la méprisait sans doute pas autant que les deux hommes, sans quoi elle ne serait jamais parvenue à l'approcher. J'imagine qu'il ne lui pas été difficile d'attirer, par une journée chaude d'été, Tom Jedusor chez elle. Il aimait monter à cheval chaque jour et le seul plaisir de Mérope était de le voir passer devant sa fenêtre. Elle a lui peut-être proposé un verre d'eau et le piège s'est refermé sur lui.

- Mais je croyais qu'elle était une cracmolle… Elle n'aurait pas pu…

- J'ai matière à penser que l'absence de sa famille a permis à sa magie de s'épanouir. Cependant, je ne crois pas qu'elle ait été capable de lancer le sortilège de l'Imperium. Il s'agit d'un enchantement très compliqué, et Mérope peinait à jeter des sorts d'une facilité enfantine. Je pense davantage à un philtre d'amour, procédé un peu plus romantique. Elle aurait pu s'en procurer, ou bien le fabriquer. C'est la seule explication rationnelle qui justifie leur fuite à Londres. Pendant environ un an, Little Hangleton n'a plus entendu parler d'eux, et Elvis Gaunt est mort peu après sa libération d'Azkaban. La fuite de sa fille avec un Moldu a sûrement été le choc de trop. Gaunt était très attaché à la pureté du sang, et haïssait les Moldus.

- Que sont-ils devenus après avoir rejoint Londres ? demanda Severus qui s'avançait vers une chaise.

- Ils se sont mariés et Mérope est tombée enceinte. Malheureusement, le bonheur de Mérope a été de courte durée, car environ un an après leur fuite Jedusor l'a abandonnée et est revenu à Little Hangleton. Là-bas, il a raconté qu'il avait été dupé. Les gens ont alors cru que Mérope lui avait fait croire qu'elle était enceinte pour qu'il l'épouse. En vérité, je pense que Mérope était persuadée que Jedusor était réellement tombé amoureux d'elle, et qu'elle a cessé de l'ensorceler.

- Mais ce n'était pas le cas, murmura Severus. Il ne l'a jamais aimée.

- En effet, Jedusor, après avoir retrouvé l'esprit, a quitté Mérope enceinte et est retourné vivre chez ses parents. Mérope, désespérée, a mis au monde leur fils quelques mois plus tard dans un orphelinat et est morte peu de temps après.

Les mains de Severus tenaient fermement le dossier de sa chaise. Il n'avait jamais pensé partager autant similitudes avec le Seigneur des Ténèbres. Son ancien maître avait réussi à le berner, à le manipuler en touchant du doigt les points les plus sensibles de son enfance.

- Comment avez-vous appris tout ça ? Et Jedusor ? Savez-vous ce qu'il est devenu ?

- J'enquête depuis des années, répondit en souriant Dumbledore. Ma première rencontre avec le jeune Tom Jedusor à l'orphelinat m'avait apporté quelques renseignements qui m'ont permis d'élucider quelques mystères. La directrice m'avait confié que l'enfant portait les prénoms de son père et de son grand-père maternel. J'étais à peu près certain que l'enfant était le fils d'un Moldu, car je n'avais jamais rencontré le moindre Jedusor dans notre communauté avant de faire la connaissance du jeune Tom Elvis Jedusor. Pendant des années je n'y ai pas repensé, pas même en 1943 quand Morfin Gaunt a été condamné à la perpétuité pour un triple homicide. La Gazette avait écrit que les victimes étaient trois Moldus, sans livrer le moindre détail. À cette époque, Poudlard sortait à peine d'une terrible affaire, sur laquelle je reviendrai plus tard, et cette condamnation – parmi tant d'autres – était le cadet de mes soucis. Ce n'est que plusieurs années plus tard, quand la guerre a éclaté, que j'ai commencé mon enquête. Asseyez-vous, mon garçon. Voulez-vous un bonbon au citron ? Vous me semblez bien pâle.

Severus se laissa tomber sur la chaise, mais refusa une petite douceur acidulée en émettant une sorte de grognement.

- Tant pis, répondit en hochant la tête Dumbledore. Je soupçonnais depuis un certain temps que Lord Voldemort et Tom Elvis Jedusor n'étaient qu'une seule et même personne. Mon intuition ne m'a pas trompé, d'autant plus que le brillant garçon que j'avais connu à Poudlard s'est évanoui dans la nature pendant plusieurs années. Il s'est présenté un jour dans mon bureau, alors que je venais d'être nommé directeur, et il m'a demandé de lui attribuer le poste de défense contre les forces du mal. Ce n'était pas la première fois qu'il le réclamait, mais le directeur Dippet, sous mes conseils, avait toujours refusé, prétextant son jeune âge. Quand il est revenu au début des années 1970, Tom avait beaucoup changé, et pas en bien. Sa beauté, qui le caractérisait, avait disparu, et son visage avait subi quelques transformations. Nul doute que l'abus répété de magie noire n'y était pas étranger. Naturellement, j'ai refusé. Tom avait certes des compétences très intéressantes, mais il n'avait rien d'un pédagogue.

Severus laissa échapper un rire amer.

- Je soupçonnais que ses motivations n'avaient rien à voir avec l'enseignement, poursuivit Dumbledore en ignorant son professeur. Il n'avait jamais démontré pendant ses années à Poudlard le moindre esprit de camaraderie. J'avais l'intuition qu'il voulait revenir à Poudlard pour recruter et former ses futurs disciples. C'est à partir de ce moment que j'ai réellement commencé mon enquête en axant mes recherches sur son second prénom, Elvis. J'ai épluché tous les registres de la bibliothèque de l'école et j'ai pu mettre le doigt sur Elvis Gaunt. Puis en me rendant au Ministère, j'ai appris qu'il avait eu deux enfants qui n'avaient jamais été scolarisés, Morfin et Mérope. Le nom de Morfin ne m'était pas inconnu, car j'avais lu une vingtaine d'années en arrière qu'il avait été condamné à la perpétuité à Azkaban pour l'assassinat de trois Moldus. J'ai mis la main sur les comptes-rendus de son procès et le nom Jedusor figurait à la première page.

Severus écarquilla les yeux en entendant cela.

- Thomas, Mary Jedusor et leur fils Tom ont été retrouvés morts dans leur manoir pendant le mois d'août 1943. Un meurtre inexplicable, car les corps n'avaient subi aucune violence. Nos autorités n'ont pas tardé à arrêter Morfin qui n'a pas cherché à nier. De plus, sa baguette avait bel et bien servi à tuer les trois Moldus. En découvrant cela, je n'ai pas tardé à comprendre que mon ancien élève était le fils du Moldu qui avait été assassiné et que la femme qui avait accouché et qui était morte le 31 décembre 1926 dans cet orphelinat était Mérope. J'ai donc retrouvé certains témoins qui avaient connu les Gaunt, les Jedusor, mais aussi Tom. Et j'ai aussi fait une autre découverte stupéfiante. Morfin, qui était fier d'avoir tué trois Moldus, était en vérité innocent. En lui rendant visite à Azkaban, j'ai compris que ses souvenirs avaient été trafiqués. En démêlant le vrai du faux, j'ai découvert qu'il avait rencontré son neveu à Little Hangleton en août 1943. Ce dernier a lui-même commis les meurtres de son père et de ses grands-parents et a fait accuser le frère de sa mère après avoir altéré sa mémoire. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de faire libérer Morfin. Il est mort alors que la procédure d'acquittement venait d'être enclenchée.

L'ensemble des révélations avait sidéré Severus qui n'avait pas cherché à recueillir ces confidences. Tom Jedusor et lui-même partageaient tant de points communs. Leurs mères étaient des sorcières au sang-pur, leurs pères des Moldus et les deux garçons avaient été négligés. Severus avait au moins pu grandir avec ses parents, mais il aurait préféré mille fois vivre ailleurs. Il n'avait aucun souvenir du temps où ses parents s'aimaient, étaient heureux. Il n'avait connu que les insultes, les cris et les coups.

Le doute s'insinua petit à petit dans son esprit. Et si sa mère avait utilisé la ruse – tout comme Mérope Gaunt – pour séduire son père ? Et si, tout comme Tom Jedusor, Severus avait été conçu sans amour ? Quel genre d'enfant pouvait naître d'une telle union ?

- À présent Severus, vous en savez suffisamment pour mener à bien votre nouvelle mission.