Peter Hale ne faisait pas peur. Du moins pas à proprement parler. En fait, il avait le visage sempiternellement rieur, avec une lueur malicieuse qui rendait son expression un tantinet moins dérangeante. Il restait dangereux, tel l'ancien alpha psychopathe qu'il était, mais il gardait cet élan sympathique qui faisait qu'on ne le fuyait pas directement et que… Cora et Derek continuaient de le garder dans leur vie. Ces deux-là, on savait qu'ils avaient la tête sur les épaules et qu'ils avaient le recul nécessaire pour juger leur oncle.
Oui mais voilà, Stiles était terrifié. Terrifié, parce que se retrouver face à un visage connu ne l'arrangeait pas du tout. Parce que Peter était encore et toujours un membre de la meute, cette meute-même qu'il s'était mis en tête de fuir pour sa survie… Et plus particulièrement celle de sa santé mentale. Or, Peter n'était pas la bonne personne pour l'aider à préserver le peu qu'il lui restait – c'était tout l'inverse.
- Il est rare de te trouver sans voix, je suppose que je tombe dans un moment de grâce.
La voix de Peter ne changeait pas de ce dont il avait l'habitude, elle gardait cette intonation moqueuse teintée d'un mépris qui se voulait dominant, mais qui servait surtout à lui donner ce genre un peu particulier.
En temps normal, Stiles lui aurait répété à quel point il trouvait ça nul, à quel point Peter valait mieux que ça – il le pensait dur comme fer –, mais pas aujourd'hui. Pas maintenant. Pas après ce qu'il avait vécu. Il n'avait plus envie d'encenser personne, ni de se montrer agréable. Il était juste censé… Fuir, encore. Un tas de questions émergèrent brusquement dans son esprit torturé. Stiles se retrouva incapable de parler, de prononcer le moindre mot. Qu'est-ce qui allait lui arriver, maintenant ? Pour survivre, il ne fallait pas que Scott soit au courant. On ne devait pas le retrouver.
Sauf qu'il semblerait que ce soit d'ores et déjà le cas. Si Peter était là, Derek et Cora ne devaient pas être loin. Qui disait les Hale… Disait « la meute ». Quand les avait-on envoyés à sa recherche ? A partir de quel moment avait-on décidé de le poursuivre ? Tant de questions auxquelles Stiles ne désirait pas avoir de réponses… Son idée à lui, c'était de repartir de zéro, de recommencer sa vie ailleurs. N'en avait-il pas le droit ? Scott lui dirait sans doute que non, pour la bonne et simple raison qu'il était, selon lui, un monstre. Si Stiles avait tendance à un peu trop bien accepter les critiques et ce que beaucoup considéraient comme des états de fait, il n'était pas d'accord avec cette affirmation. Il n'avait rien fait de mal… Ce n'était pas vraiment de sa faute. Pas cette fois.
Et puis Scott avait été d'accord pour le laisser partir… A la condition qu'il ne remette plus les pieds à Beacon Hills. Stiles comptait respecter cet arrangement, qui lui allait parfaitement. Qu'est-ce qui avait changé ? Une main passa devant son visage et Stiles eut un mouvement de recul instinctif né d'une peur dont il ne se rappelait pas encore l'origine.
- Bien, à défaut de parler tu es au moins capable de réagir, lâcha Peter d'un air étrange.
Un mélange entre une espèce de perplexité et d'inquiétude trop irréaliste pour être réelle. En tout cas, le loup n'avait pas l'air aussi assuré que d'ordinaire. Au contraire, il semblait peu à l'aise et ce genre qu'il se donnait était réellement… Bancal. C'était comme si Peter ne savait pas vraiment où se mettre, ni comment agir. Si la situation était cocasse tant voir un Peter peu sûr de lui était risible, Stiles n'avait pas la moindre envie de rire, ni même d'esquisser un rictus ou de se moquer de lui comme il avait coutume de le faire autrefois. Il sentait une sueur froide s'écouler dans son dos, entendait son propre cœur battre à mille à l'heure.
Alors voilà, Peter ne lui faisait pas peur à proprement parler, mais ce que sa présence signifiait… Si.
Stiles aurait pu le supplier de le laisser partir, de ne pas vendre la mèche concernant le nom de la ville dans laquelle il l'avait trouvé, parce qu'il aimerait enfin se poser quelque part. Arrêter de fuir, pour faire quelque chose avec cette nouvelle vie qu'il devait bâtir de ses propres mains. Oui, il aurait pu, mais sa fierté l'en empêcha. Il ne s'abaisserait pas à cela. Aucun membre de sa meute ne méritait la moindre de ses suppliques. Alors, il fixa simplement Peter en se demandant ce qu'il faisait là, ce qu'on savait de ce qui lui était arrivé, si Derek et Cora étaient au courant aussi… Pour lui, la réponse n'était pas automatique. Peter avait toujours été du genre individualiste. Son truc, c'était de glaner des informations lorsqu'il savait qu'elles pouvaient lui servir, et… Faire en sorte d'être le seul à pouvoir en profiter. Pour Stiles, seul ce raisonnement tenait la route.
- Stiles, est-ce que tu m'entends ?
L'hyperactif cligna des yeux. Il devait répondre, non ? Faire semblant ne servirait à rien, d'autant plus qu'il était clair que Peter entendait les battements erratiques de son cœur tout comme il sentait son odeur, qui ne devait pas être des plus ragoutantes. Stiles ne ressentait absolument rien de positif en cet instant. Dans un sens, il se pensait fichu… Mais continuait, paradoxalement, à réfléchir, à se torturer l'esprit pour trouver une solution. Partir – encore – lui apparaissait comme une obligation, un moyen de survivre. Pour cela, il lui faudrait aussi passer à la vitesse supérieure, en se transformant physiquement. En coupant ses cheveux, en faisant une coloration banale… En s'achetant des lunettes sans mettre de correction, en changeant son style. En portant du parfum, en faisant tout pour effacer celui qu'il était.
Ainsi, il hocha doucement la tête. Les mots ne sortaient pas – sa gorge était trop nouée pour cela. Parce que tout ce trajet, toutes ces heures de route, à s'épuiser, à ne rien faire d'autre que conduire… A dormir dans sa Jeep, à se trouver des endroits discrets… Tout cela n'avait, au final, servi à rien. Il y avait de quoi avoir les glandes, avoir envie de pleurer – ce que Stiles ne ferait pas. Il ne pleurait que lorsqu'il cauchemardait. Pas quand tous ses efforts étaient réduits à néant. Il préférait craquer pour des chimères plutôt que pour le réel. Ça lui paraissait plus acceptable. Moins pathétique mais tout aussi paradoxal que le reste de sa personnalité. A côté de cela, il avait mal. La douleur était pour l'instant acceptable, comme si son corps n'était pas complètement réveillé et avait décidé de lui laisser un sursis. Ce n'était qu'une question de temps avant que la souffrance ne l'assomme et le cloue définitivement au lit… Raison de plus pour qu'il s'en aille au plus vite. Mais comment le faire comprendre à Peter ? Comment faire en sorte qu'il soit suffisamment clément avec lui pour le laisser partir et, de préférence, sans avertir Scott ? Stiles devait trouver un moyen de susciter son intérêt et de le garder. Si Peter était étrangement fidèle à l'alpha, l'hyperactif savait qu'il pouvait momentanément le détourner de lui. Restait maintenant à trouver quelque chose de suffisamment crédible et valable pour cela.
A parler, aussi.
Sauf qu'il n'en était actuellement pas capable. En lui, quelque chose était bloqué et Stiles pouvait juste… Regarder Peter, réagir, réfléchir. C'était tout. Le reste…
- Tu es sûr que tu m'entends, Stiles ? Réessaya Peter.
A nouveau, l'humain hocha la tête. De toute façon, mentir en se forçant à ne pas réagir ne fonctionnerait pas : face à un loup-garou, c'était fichtrement inutile. D'ailleurs, le jeune homme était tellement apeuré qu'il ne s'était même pas rendu compte du fait que Peter l'avait appelé tout à fait normalement, par deux fois. Pas de sobriquet ridicule, pas d'appellation rabaissante. Juste « Stiles ».
- … Je suppose que tu vas bien, finit par soupirer le vieux loup.
Presque automatiquement, Stiles réitéra son mouvement de tête. Mis à part la façon dont son corps le tiraillait graduellement de part en part… Oui, il allait bien… Sans doute. Peter, assis au bord du lit jusqu'à maintenant, se leva et l'hyperactif eu un nouveau recul instinctif. L'oncle Hale se figea un instant, avant de lui lancer un regard particulier, difficile à décrypter. Il ouvrit la bouche, hésita, lâcha deux mots :
- Détends-toi.
Sans rien ajouter, Peter sortit de la pièce, laissant Stiles seul et des questions plein la tête. Bien évidemment, le jeune homme fut incapable de se décrisper pour un sou. Parce que si Peter était là, Derek et Cora ne devaient pas être loin. Parce qu'au final, un rien le séparait de la meute. Il suffisait d'un coup de fil, de quelques mots. Et à côté de cela, son corps était définitivement en train de se réveiller. Pourquoi avait-il si mal ? Pourquoi avait-il l'impression qu'un camion lui avait roulé dessus ? Pourquoi… Qu'est-ce qui s'était passé ? Qu'est-ce qui allait se passer ? Alors oui, Stiles savait qu'il avait besoin de se préserver tout autant que de se reposer. Mais il était dans de beaux draps et ça… Ça réveillait complètement sa conscience. Dans sa tête, un mot, une action régnait.
Il devait encore… Fuir.
