Derek n'apprécia pas la façon dont il obtint – trop facilement – le consentement de Stiles quant au sujet qu'il mourrait d'envie d'aborder avec lui depuis… Depuis que Cora, Peter et lui l'avaient recueilli dans leur chambre d'hôtel. Ou, plus largement, depuis leur première rencontre quelques jours plutôt… Ce moment où Stiles les avait fuis.

Ce qui le dérangeait par rapport à ce « oui » silencieux qu'il avait obtenu de Stiles… C'était ce qu'il avait compris et ressenti. Ce regard qui ne fuyait pas… A cause de cette terreur que Derek continuait d'y lire, celle-là même qui rendait cet accord… Pas véritablement sincère. Son consentement, il l'avait donné, mais… Un peu par obligation, comme s'il n'avait pas d'autre choix que de le faire. Pourtant, il l'avait puisque Derek lui avait explicitement dit qu'il ne le forcerait à rien. Or, Stiles ne semblait pas le croire. Il lui donnait l'impression de simplement obéir pour éviter… Pour éviter quoi ? Qu'on le frappe ? Qu'on l'insulte ? Derek se doutait bien que son passage à tabac l'avait marqué, mais il était certain qu'il y avait autre chose.

Et que la meute n'était autre que l'origine de toutes ses peurs actuelles.

- Qu'est-ce qui s'est passé pour que ces loups te tombent dessus ? Demanda l'ancien alpha.

Même s'il connaissait déjà une partie de l'histoire grâce à Maïa Roberts, cette alpha qu'il avait prévenue d'hypothétiques représailles en cas de récidive, il avait besoin d'entendre la version de Stiles. Que ce dernier lui fasse part de son point de vue et de son ressenti avec ses propres mots. Ce n'était pas là une question de curiosité : il s'agissait plutôt d'un moyen de libérer sa parole, de le pousser à se confier. Ce n'était qu'ensuite qu'il aborderait le sujet de la meute et, plus largement, de la raison de sa venue ici, dans cette ville si loin de Beacon Hills… Or la chose ne semblait pas très bien partie puisque Stiles ne pipa mot. A vrai dire, il n'essaya même pas d'ouvrir la bouche. Comme avec Peter, il se montrait muet. Embêté, Derek se mordit discrètement l'intérieur de la joue. Changement de sujet.

- Ce n'est pas grave, lui dit-il rapidement pour temporiser. C'est peut-être encore trop frais… On pourra y revenir plus tard.

L'ancien alpha connaissait suffisamment l'humain pour savoir que celui-ci avait tendance… A imaginer mille et une choses, en particulier dans ce genre de situation. Ainsi, l'aîné devait se montrer aussi transparent que possible dans ses intentions, histoire de ne pas exacerber cette angoisse et cette peur qui imprégnaient tout autant son visage que son odeur. Ces choses-là devaient être sacrément fortes puisque même la prise de douleur ne suffisait pas à le détendre… Elle le fatiguait, il le voyait, mais pas suffisamment pour mettre son cerveau en pause.

- J'aimerais savoir quelque chose, si tu le veux bien, enchaîna-t-il.

A la façon dont Stiles le regarda, Derek sut qu'il ne devait pas le faire attendre pour lui faire connaître cette chose qui le taraudait. Il lâcha son poignet.

- Si tu ne parles pas parce que tu ne le veux pas, lève la main droite, lui demanda-t-il avec patience. Si c'est parce que tu n'y arrives juste pas, lève la main gauche.

Il était difficile pour Derek de ne pas montrer la façon dont Stiles le troublait, parce que… C'était exactement ce qu'il lui faisait. L'intensité de ce qu'il ressentait le perturbait au point qu'il désirait prendre toutes les précautions possibles pour ne pas accroître sa peur… Sans savoir lesquelles seraient les bonnes.

- Quelle que soit ta réponse, je la croirai et je la respecterai. Je ne te jugerai pas, Stiles. J'ai simplement besoin de savoir pour qu'on puisse y aller à ton rythme et… Que je connaisse tes limites.

Pour Derek, parler autant relevait de l'effort – sans exagération. Lui qui appréciait l'idée de faire connaître sa pensée en utilisant le moins de mots possible se retrouvait quelque peu lésé et obligé de sortir de sa zone de confort, mais… La situation l'exigeait. Stiles n'étant pas dans son état normal, Derek n'avait d'autre choix que de s'adapter et d'agir en conséquence. Il laisserait bien la place à quelqu'un d'autre, cependant, il se savait le plus apte à obtenir quelque chose de l'hyperactif. Peter ? Trop direct, trop manipulateur. Cora ? Trop envahissante dans son inquiétude, trop impatiente. Lui, il se connaissait patient et mesuré, d'autant plus qu'il avait un avantage, et pas des moindres : il connaissait plutôt bien le personnage. L'ancien alpha devait cependant avouer que le voir dans un tel état était pour lui du jamais vu tant il savait Stiles fier et… Solide, par rapport à bien des gens.

Derek se demanda un instant si Stiles comprenait ce qu'il lui disait ou si la prise de douleur l'avait mis dans un état second… Mais très vite, l'hyperactif lui donna une réponse sans que celle-ci ne soit accompagnée du moindre mot. Sa main gauche, laquelle tremblait très légèrement, se leva avec lenteur.

- Tu ne peux pas parler… Tu n'y arrives pas, répéta Derek en le regardant, histoire d'être sûr de ce qu'il devait comprendre.

Cette fois, Stiles hocha la tête de façon un peu plus assurée. C'était exactement ça, il n'y arrivait pas. Que ce soit une question de force, de traumatisme, de sentiment d'impuissance ou de terreur… Sa voix ne voulait pas sortir en tant que telle et ce, malgré le fait qu'il ne soit pas complètement fermé à l'idée de prononcer quelques mots.

- Je te crois, fit directement Derek. Je te crois, d'accord ?

Nouveau hochement de tête, un peu craintif cette fois-ci car Stiles, de son côté… Ne savait pas s'il pouvait faire de même le concernant. Il ne connaissait pas ses intentions, après tout. Derek n'était pas un ami, encore moins un frère spirituel comme l'avait été Scott autrefois. Mais avait-il seulement d'autres choix que celui de lui faire confiance ? Il se trouvait en position d'infériorité, entouré de ce qu'il restait de la famille Hale… Et si un seul de ses membres se trouvait dans la pièce avec lui, il savait les deux autres dans le coin. Assez loin pour leur laisser un peu d'intimité, assez près pour agir en cas de problème.

- Je veux que tu saches que tu es en sécurité, continua l'ancien alpha. Personne ne sait que tu es ici, pas même la meute.

Derek crut voir une lueur d'espoir illuminer très brièvement le regard whisky de l'humain… Avant que celui-ci ne redevienne rapidement aussi sombre qu'il l'était au départ, empli de ce trouble mêlant terreur et angoisse.

- Tu es libre de partir quand tu veux, lui indiqua-t-il, mais on préfère te garder ici, avec nous le temps d'être sûrs qu'il ne t'arrivera rien quand tu ressortiras… Le temps que tu guérisses, aussi.

Et même si les traits de Stiles ne se crispèrent pas davantage, Derek prit les devants pour se saisir à nouveau de son poignet. La douleur n'avait pas encore pointé le bout de son nez à proprement parler, et pourtant… Ses veines noircissaient déjà. Derek perçut avec aisance le léger soupir que Stiles, complètement épuisé, ne put s'empêcher de pousser. La façon qu'eut l'hyperactif de se rallonger correctement parla d'ailleurs pour lui par rapport à ce à quoi il était en train de penser. Malgré la peur, malgré l'angoisse, il avait au moins en partie conscience de son état… De celui de son corps meurtri. Un instant, quelques images volubiles se rappelèrent à sa mémoire vacillante. Stiles ferma les yeux une seconde, submergé par une prise de conscience aussi douloureuse que véridique. Tout compte fait, il n'était pas si mal, ici… Entouré par trois loups bientôt ennemis. Ils ne l'étaient pas encore, mais cela ne saurait tarder. Pour le traiter comme s'il était encore l'un des leurs, les Hale ne devaient probablement pas être au courant de ce qu'il s'était passé à Beacon Hills. Mais lorsqu'ils sauraient, lorsque Scott leur téléphonerait ou qu'ils oseraient lui demander des comptes à cet alpha tout puissant… Les choses changeraient. Et Stiles revivrait l'horreur, les coups. Ils n'auraient pas la même violence qu'au restaurant, pas la même origine non plus.

Et c'était bête parce qu'en soi… Il n'avait rien fait. Rien de grave, en tout cas.

Mais on ne réfléchirait pas, on croirait ce qu'on leur dirait, parce que… C'était toujours comme ça que les choses se passaient.

Alors Stiles, bercé par les mots rassurants de Derek, rouvrit péniblement les yeux, lesquels avaient les paupières qui s'alourdissaient grandement. Il pouvait croire l'ancien alpha… Temporairement. S'autoriser un temps mort, se reposer un peu avant de reprendre la route. Refaire sa vie dans cette ville alors que les Hale et ses agresseurs du Loup de Jade s'y trouvaient ? C'était finalement hors de question. Mais Stiles se rendit à l'évidence : il avait vraisemblablement un peu de temps… Quelques jours devant lui.

Je ne suis pas un monstre, je ne paierai pas pour un crime que je n'ai pas commis. Voilà ce qu'il se répétait pour ne rien oublier de son combat pour sa propre survie. Personne ne le croyait… Alors il savait ne pouvoir compter que sur sa propre personne. Il accepta cependant momentanément l'idée que Derek puisse être honnête avec lui… Tant qu'il n'était au courant de rien.