Il était étrange pour Stiles de se laisser choyer de la sorte. Par choyer, il entendait le fait d'accepter que l'on prenne soin de lui. Si les Hale ne débordaient pas d'affection à son égard – surtout Derek –, il voyait leur préoccupation et les efforts qu'ils fournissaient pour… L'aider, tout simplement. Le soigner, l'aider à manger… Toutes ces choses-là. On prenait régulièrement de ses nouvelles, on palliait au moindre de ses manques, on accédait à toutes ses demandes qui, même si elles étaient peu nombreuses, existaient. Il s'agissait souvent de choses aussi banales que de l'accompagner dans une autre pièce ou de lui passer un peu d'eau alors qu'il venait de boire.
Stiles communiquait avec les trois Hale à l'aide de son téléphone portable, dont il leur montrait souvent l'écran. La première fois, il avait vu Derek grimacer en voyant l'état de son cellulaire : il était vrai qu'il avait quelques fissures et qu'il n'était pas en grande forme. Bien sûr, Stiles s'était bien gardé de lui préciser que cet état-là était plus que récent, coïncidait avec le moment de son départ de Beacon Hills, puis de son passage à tabac. L'avantage qu'avait l'écriture dans son application de notes et donc, sa façon de communiquer, c'était qu'il avait la possibilité de limiter la quantité d'informations qu'il pouvait leur donner – il n'avait donc pas besoin d'inventer quelque excuse que ce soit pour l'instant. Evidemment, parler, user de sa bouche avait également ses avantages, cependant… Stiles restait pour l'instant muet, privé de cette parole qui était devenue sa marque de fabrique au fil des années. Et ce fait continuait de le frustrer, mais bon.
Il fallait croire qu'il n'avait pas encore digéré son agression et que celle-ci… L'avait plus marquée qu'il ne l'imaginait. L'on pouvait même plus largement parler de tous ces changements qui avaient eu lieu dans sa vie récemment, cette manière qu'on avait eue de le renier, de faire peser le poids du monde sur ses épaules. Alors peut-être que cela faisait simplement beaucoup et que Stiles avait réellement besoin de temps. Cette expression commençait d'ailleurs à prendre du sens, pour lui. Il la comprenait petit à petit.
Là encore, Derek vint le voir et s'assura qu'il avait bien mangé son petit-déjeuner. A ce sujet, Stiles devait avouer qu'il n'était pas habitué aux petits plateaux comme celui-ci. Lorsqu'il se sentait trop faible ou mal pour aller à table, il restait au lit. On lui mettait des coussins dans le dos pour l'aider à rester redressé, et on lui mettait de quoi manger dans ce plateau blanc. Stiles n'irait pas mentir en disant que la chose, en plus d'être confortable, ne l'arrangeait pas. Il ne se sentait pas encore d'attaque pour partager tous les petits-déjeuners et repas avec les Hale. Ça l'intimidait et… Il n'arrivait tout bonnement pas à se sentir à l'aise. Rester là, seul dans cette chambre, le rassurait. Il n'avait pas d'attitude à feindre, de posture à tenter de maintenir, de regard à désespérément tenter de placer. La question de la conversation ne se posait, de son côté, même pas.
Stiles regarda distraitement Derek le débarrasser de son plateau et se réinstalla un peu mieux. Evidemment, le mouvement lui arracha une grimace : par ce biais, son corps continuait de lui rappeler son état qui, s'il n'était pas alarmant, restait sacrément embêtant.
- J'arrive, fit simplement Derek, les sourcils légèrement froncés.
Stiles aurait voulu lui dire de simplement s'en aller, de ne pas s'embêter, mais le loup-garou était déjà parti. Ce qui était le plus difficile à accepter pour lui, c'était de se dire que Derek avait des yeux d'aigle. Il voyait tout. Décelait chacune de ses grimaces, devinait plus ou moins bien ses pensées générales. Ainsi, Hale revint sans surprise un instant plus tard, les mains vides… Et Stiles trouva le moyen de s'en vouloir. Il lui lança un regard fatigué, désespéré… Qui ne concernait personne d'autre que lui-même. Comment voulait-il se faire tout petit, complètement discret s'il n'arrivait pas à camoufler une douleur aussi ridicule que celle qui le traversait à l'heure actuelle ? Oui, il la jugeait ridicule dans la mesure où elle n'était pas insupportable. Stiles s'était toujours montré passablement dur envers lui-même et ce n'était pas près de changer.
Il regarda Derek tirer une chaise près du lit avant de s'installer dessus et de se saisir de son poignet. Le toucher perturba Stiles, comme chaque fois que le loup-garou lui prenait sa douleur depuis qu'il s'était réveillé dans cette chambre. La raison ? Cette façon si particulière qu'il avait de s'emparer de son poignet. Derek faisait comme… Très attention à son geste, y allait comme si la main de Stiles devait bouger le moins possible. En somme, il faisait preuve d'une délicatesse étonnante, d'autant plus lorsqu'on connaissait le personnage. Stiles avait toujours jugé Derek comme étant un loup-garou à la fois brutal dans ses actions, et passablement discret lorsqu'il avait à se déplacer. L'humain puisait, en somme, dans ses souvenirs, ses expériences personnelles. Disons qu'il n'oublierait pas la façon dont Derek s'invitait régulièrement chez lui, au début, lors des prémices de la création de la meute. Autant dire qu'il n'avait jamais pris le parti de le considérer comme étant… Doux.
Et c'était pourtant bien de douceur dont Derek faisait preuve. Il mettait du cœur à l'ouvrage sans chercher à en faire l'étalage et se concentrait pour ne rien laisser au hasard. Les détails ? Il y faisait toujours attention. Cora était un peu comme ça, aussi, à la différence qu'elle ne prenait pas autant de précautions que son frère. Elle contrôlait moins cette espèce d'impulsivité que tous les Hale semblaient partager. Peter ? Il venait généralement le voir de façon brève, histoire de constater l'avancée de sa guérison, blâmait l'espèce humaine pour son métabolisme des plus lents. Lui, de son côté, ne cherchait pas à prendre sa douleur. Par peur ? Par dégoût ? Stiles ne saurait le dire – il n'avait même pas essayé de le savoir.
Le fait est qu'il apprécia malgré lui ce confort que Derek lui assurait par ce geste aussi simple que révélateur sur sa personne car pour réussir à s'emparer de la douleur d'autrui, il fallait être très humain, faire preuve de sensibilité et… Que le bien-être de l'autre compte. Ce dernier fait était à la fois ce qui réchauffait le cœur du jeune homme et ce qui le refroidissait parfois. Car pour lui, tout était une question de temps. Un de ces jours, peut-être dans une semaine, un mois, Derek saurait ce qu'on reprochait à Stiles. Il apprendrait son éviction de la meute, la raison de son départ… Et se méprendrait, comme les autres.
Mais cette fois-ci, Stiles réussit à ne pas laisser sa négativité prendre le dessus – il était trop fatigué pour cela, de toute façon. Son cerveau le poussa à simplement profiter de ce moment de calme et de sérénité que l'ancien alpha lui apportait. A lui faire également prendre conscience du contraste entre ce qu'il avait vécu et ce à quoi il avait finalement droit. La chaleur accueillante des Hale, le rejet glacial de la meute. Deux opposés qui faisaient de lui un être perdu entre ce qui lui paraissait être deux extrêmes. Le fait est que Stiles accepta sa douleur, et le fait qu'on la lui prenne, comme il accepta le fait qu'il avait momentanément droit à la paix. Puis cela lui permettrait… De guérir, de gagner un peu de temps.
Finalement, il n'était pas si mécontent d'être tombé sur la famille Hale…
