- On peut dire qu'il a eu de la chance.
Mélissa semblait fatiguée, Noah Stilinski également. Ce dernier passa ses mains sur son visage et se frotta les yeux, comme s'il venait de se réveiller d'un cauchemar, ce qui était potentiellement le cas. Son fils avait eu un accident de voiture quelques heures plus tôt. Derek, lui, attendait à l'écart mais tendait l'oreille.
- Comment a-t-il pu… Avoir un accident en rentrant du lycée ? Demanda le shérif, un brin désespéré.
- Il s'est endormi au volant. D'après les médecins, il aurait ingéré quelque chose qui aurait provoqué une, disons… Une espèce de somnolence.
Le regard de Stilinski s'assombrit.
- De la drogue ? S'enquit-il. Ne me dites pas que mon fils est tombé si bas !
De son côté, Derek haussa un sourcil. Il ne perdait pas une miette de la conversation, voulant comprendre ce qu'il s'était passé.
- Non, répondit Mélissa, plutôt des médicaments. Dites-moi, Stiles suit-il un traitement particulier en ce moment ?
Noah Stilinski eut l'air un peu rassuré, Derek l'entendit au léger soupir qu'il poussa.
- Contre son hyperactivité, oui.
Mélissa continua de discuter avec le shérif durant quelques minutes, avant que ce dernier ne cherche à voir son fils, ce que l'infirmière autorisa. Par chance, les blessures de Stiles n'étaient pas extrêmement graves, de par le fait qu'il n'allait pas trop vite à ce moment-là. Il s'en sortait avec deux côtes cassées et une grande plaie qui partait de sa cheville à son genou. S'en suivaient d'autres bleus et plaies moins importantes, dont la plupart si situaient sur son visage émacié.
En y repensant, il avait eu de la chance.
En voyant le shérif entrer dans la chambre qu'occupait Stiles, Derek se rapprocha de la porte. En le voyant faire, Mélissa lui indiqua qu'il pourrait aller voir Stiles dès que son père serait parti un visiteur à la fois. Le lycéen avait besoin de repos. Et c'était ce qu'il faisait, même si Derek n'était pas dupe. Il voyait à travers les vitres l'air endormi du petit humain mais savait que ce n'était qu'une façade. En réalité, Stiles était parfaitement réveillé et il le savait. Il entendait les battements erratiques de son cœur. Espérant toutefois en apprendre un peu plus, Derek tendit à nouveau son oreille de loup-garou. Même à l'extérieur de la pièce, il entendait clairement chacun des mots prononcés par le shérif.
- Stiles, putain de Stiles…
Derek fronça légèrement les sourcils. Drôle de façon de saluer son fils qui venait d'avoir un accident de voiture.
Dans la chambre, Noah Stilinski ne prit même pas la peine de s'assoir. Il restait à côté du lit, debout et droit, comme s'il comptait partir d'un moment à l'autre. Pourquoi ne s'asseyait-il pas ?
- Aujourd'hui, c'est un accident de voiture… Et demain ? Demain tu as prévu quoi ?
Le ton du shérif était particulier : un mélange de colère, de tristesse et de reproches. Derek sentait l'ombre poindre derrière ces mots simples.
- Tu es insupportable… Quand arrêteras-tu tes conneries ? Bordel, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un fils pareil ?
Le cœur de Stiles rata un battement, ce qui confirmait définitivement le fait qu'il était bel et bien éveillé.
- J'en ai assez de toutes tes frasques… Après la mort de ta mère, je me suis consolé en me disant qu'on pourrait vivre tranquillement, toi et moi, qu'on s'aiderait mutuellement. Et à la place, qu'est-ce qui se passe ? Je me retrouve avec un putain d'hyperactif de merde qui ne sait rien faire d'autre que s'attirer des ennuis et faire de la merde !
Les doigts de Stiles serrèrent légèrement les draps, sans que Noah remarque ce détail. S'il avait vu cela, nul doute qu'il aurait regretté ses paroles et qu'il aurait arrêté, mais non pensant que son fils dormait, il continua de cracher tout ce qu'il avait sur le cœur. Stiles n'entendait probablement rien, autant en profiter.
- Chaque jour, je me lève en me disant : tiens, que va faire Stiles, aujourd'hui ? Va-t-il enfin se comporter normalement ? Va-t-il finalement me faciliter la vie ? Ce soir, je rentre du boulot et qui m'appelle ? L'hôpital, et tout ça pour me dire que tu as eu un accident de voiture ! Conduire normalement, même ça tu ne sais pas le faire. Mon dieu, qu'ai-je fait pour mériter un fils pareil ? Si tu continues, Stiles, tu vas finir par avoir ma peau, ça c'est sûr…
Le cœur de Derek se serrait, comme si c'était à lui qu'on s'adressait. Comment le shérif pouvait-il parler à son fils de cette manière ? Qu'il dorme ou non, ce n'était pas une raison. Savoir, en plus de cela, que Stiles était parfaitement réveillé et qu'il entendait sans doute chacun des mots acerbes et tranchants de son père, le stupéfia. Comment faisait-il pour garder cet air endormi, si paisible, si immobile ? Pourquoi ne montrait-il pas au shérif qu'il avait tout entendu ? Pourquoi ne se rebellait-il pas comme il avait l'habitude de le faire avec Derek ?
Le shérif prit une grande inspiration tremblante il craquait, à sa manière, lâchait toute sa colère retenue depuis longtemps. Toute sa fatigue, aussi.
- Tu vas me tuer, Stiles. Des années que je tiens pour toi, pour nous. Mais toi, tu ne fais que me compliquer la vie, tu me donnes juste envie d'arrêter tout ça. De lâcher tout, de me tirer une balle dans la tête.
De l'autre côté du couloir, à l'extérieur de la chambre, Derek s'étouffa avec sa propre salive. Quoi ?
- Ça arrivera, Stiles. Tu me fatigues tellement que parfois, je me demande ce que j'attends pour sauter le pas. Mon attachement pour toi, peut-être. Tu es tout ce qu'il me reste de ta mère…
Stiles serra un peu plus les draps et dut faire de gros efforts pour garder ce masque d'endormissement. Même Derek le sentait à ses battements de cœur irréguliers mais effrénés.
- Alors maintenant repose-toi et s'il te plaît, facilite-moi la vie…
Et Noah Stilinski sortit. Il passa devant Derek, l'air de rien, avant de s'arrêter et de le remercier brièvement pour avoir appelé les secours pour son fils. Ensuite il s'en alla, sans se douter que l'alpha avait tout entendu de cette conversation à sens unique. Son propre cœur battant à tout rompre, il avait mal, mais sans doute pas autant que Stiles. Un frisson le parcourut. Quelque chose avait changé. Il se retourna vers l'une des vitres et ce qu'il vit brisa les parois en pierre de son cœur.
Dès le départ du shérif de sa chambre, Stiles avait cessé de faire semblant. Des larmes s'étaient mises à dévaler ses joues et ses yeux entrouverts regardaient le plafond, avant de se fermer à nouveau. Qu'il était dur de vivre en sachant que personne n'était de son côté. Il en arrivait même à désespérer son père. Quel fils poussait son père à penser au suicide ? Aucun, à part lui. Ce n'était même pas voulu et Stiles n'avait jamais pensé être à ce point un poids. Il était horrible, monstrueux. Un poids pour son père, tout en étant paradoxalement la personne qui le maintenait en vie.
Les mots prononcés par le shérif ne quittaient pas Stiles et étaient désormais ancrés en lui, comme une marque au fer rouge ou un tatouage permanent, quelque chose qui ne le quitterait jamais. Tout était de sa faute. Là où il passait, seuls le chaos et la souffrance pointaient le bout de leur nez.
Deux personnes avaient achevé de briser Stiles, ce jour-là. Scott, puis Noah, son père. Deux des personnes les plus importantes pour lui, les plus chères à ses yeux.
Pour être honnête, Stiles n'avait même pas envie de guérir, de se soigner. S'il avait pu mourir dans cet accident, ou même d'une autre manière, il n'aurait plus embêté personne. Le problème était qu'il aurait achevé de détruire son père et ça, ce n'était pas envisageable. Il devait tenir, pour lui. Se racheter, lui montrer qu'il pouvait être un bon fils et pas qu'un emmerdeur de service.
- Désolé p'pa… Je ferai plus de vagues, j'te le promets… Souffla-t-il douloureusement.
Dans un geste lent, il amena sa main droite à son visage, qui le cacha un peu. Il en profita pour essuyer quelques larmes, bien qu'elles furent bien vite remplacées par d'autres. C'était un torrent sans fin.
Toujours dans le couloir, Derek se mordit la lèvre. Aller voir Stiles était peut-être une mauvaise idée, mais l'alpha ne se voyait pas le laisser tout seul, là, alors que son père lui avait dit toutes ces choses horribles. Plus que jamais, Stiles avait besoin de soutien. Moins il aurait un bon moral, plus sa guérison serait lente. Car le jeune Stilinski était toujours un humain : contrairement à Derek et à la plupart des membres de la meute, Stiles ne pouvait pas cicatriser, ni guérir aussi vite. Chez les humains, la volonté et le moral impactaient beaucoup la guérison. Laisser l'hyperactif seul après un accident de voiture et des remontrances de son père n'était pas la bonne chose à faire. Rien qu'à voir ses larmes, à entendre ses sanglots silencieux et ses chuchotements, Derek savait ce qu'il avait à faire. Même s'il était réputé pour être un alpha froid et grognon, il avait tout de même un cœur et allait faire un effort. Pour Stiles, un membre de sa meute.
Stiles continuait de pleurer silencieusement. À sa douleur morale s'ajoutait la souffrance physique. On lui avait injecté un puissant antidouleur dès son arrivée à l'hôpital mais celui-ci commençait à ne plus faire effet. En effet, cela faisait déjà presque six heures que Stiles était là. Il serrait les dents, tout autant que les poings. Il était seul. Dieu sait à quel point il aurait aimé retenir son père, tout à l'heure. Cependant, il n'avait pas eu le courage de lui montrer qu'il était réveillé. Il n'avait pas non plus eu le cran de les affronter, lui et ses quatre vérités, qu'il avait apparemment décidé de lui cracher au visage lorsqu'il avait eu l'air endormi. Ce que Stiles se demandait, c'était pourquoi son père ne le lui avait pas dit en face avant. Depuis combien de temps pensait-il tout cela ?
Et maintenant, Stiles allait devoir dormir ici, à l'hôpital. Seul. Il arrivait plus ou moins régulièrement au jeune homme de faire des crises de panique, mais ça arrivait surtout chez lui, quand son père était là. Ici, il n'avait personne pour l'aider. Il se demanda alors ironiquement comment Noah pouvait le supporter encore avec ses fameuses crises de panique, lui qui était tant de fois venu le rassurer, que ce soit le jour où la nuit. Stiles se trouva alors cruellement pathétique. Il fallait qu'il change, qu'il soit un meilleur fils. Premièrement, il devait arrêter de pleurer, c'était pitoyable. Allez, Stiles, c'est pas grand-chose, encaisse… C'est tout ce que tu as à faire : encaisser. Le problème était pourtant celui-là Stiles encaissait déjà depuis trop longtemps. Comme tout le monde, il avait ses limites, qu'il essayait de repousser tant bien que mal.
Stiles était fatigué, aussi bien physiquement que mentalement. L'effet de son double médicament s'était déjà dissipé, mais il gardait néanmoins toujours cette lourdeur qui lui pesait sur les épaules et lui donnait envie de dormir. Pourtant, il n'y arrivait pas. Son esprit était trop préoccupé par son accident et les paroles de son père. Son propre mal-être ne le préoccupait même pas, comme s'il était devenu normal pour lui de souffrir. Si seulement il pouvait dormir… Quelques heures passeraient, quelques heures durant lesquelles il oublierait tout, ne penserait plus à rien.
Stiles laissa retomber sa main mouillée sur le drap et ferma les yeux durant de longues minutes, cherchant le sommeil, l'inconscience qui le tentait tant. Qu'il était difficile pour lui de se glisser dans le royaume de Morphée alors que tant de pensées l'assaillaient et que son corps le tiraillait de partout malgré le puissant antidouleur qu'on lui avait administré !
Une sensation de chaleur étrange fit sursauter Stiles, qui grimaça à cause de ses deux côtes cassées. La chaleur recouvrait sa main, celle qui avait servi à essuyer quelques larmes. Il fronça légèrement les sourcils et entrouvrit un œil, avant d'ouvrir complètement les deux. Le choc l'envahit. Derek Hale était assis sur la chaise près du lit et avait sa grande main posée sur celle de Stiles. Ce dernier n'en revenait toujours pas. Que faisait l'alpha ici ? Avait-il vu Stiles pleurer ? Bien sûr que oui, le jeune homme n'avait pas essuyé correctement ses joues et ses yeux rougis parlaient pour lui. De quoi j'ai l'air à ses yeux, maintenant ? D'un faible, quoi d'autre encore ? Néanmoins, Stiles ne put s'empêcher de laisser sa main sous celle de Derek. Il aurait pu la bouger, la retirer, mais il n'y arrivait pas. Cela faisait bien longtemps que l'on n'avait pas eu un geste d'affection à son encontre. Le jeune Stilinski en était bouleversé et cela se voyait.
Sauf que ce n'était pas seulement un geste d'affection.
Stiles vit les veines du poignet de Derek se teinter de noir et il comprit tout de suite ce qu'il faisait, surtout lorsque sa douleur s'atténua grandement. Aussitôt, il tourna la tête et leva les yeux vers le visage de son alpha. L'inquiétude le prit lorsqu'il le vit endurer tant bien que mal la douleur qu'il lui prenait. Son visage grimaçant montrait toutefois son aptitude à tenir le coup, à encaisser sans broncher. Mais Stiles avait beau apprécier le geste, ce n'était pas le cas de ce qu'il voyait. Il était hors de question que Derek souffre à cause de lui. Stiles ne voulait plus faire du mal à qui que ce soit il en avait déjà assez fait comme ça.
- Arrête, souffla-t-il. Derek, arrête.
Alors, il tenta de retirer sa main, mais la poigne de l'alpha se fit plus forte. Impossible de rompre le contact, surtout qu'il avait très bien entendu ses paroles, malgré leur faible volume.
- Tais-toi, j'ai presque fini, fit l'aîné d'une voix rauque qui trahissait partiellement sa souffrance.
Stiles ne trouva rien à redire, alors il soupira. Il ne voulait pas que Derek le soulage de sa douleur, mais ne pouvait pas s'opposer à l'alpha, encore moins dans son état. Il n'en avait ni la capacité, ni la force. Parfois, la volonté seule ne suffisait pas. Stiles était épuisé et ne pouvait pas nier le fait que la manipulation de Derek le soulageait beaucoup. C'était le prix à payer pour Hale qui le dérangeait. Il n'avait pas à souffrir à sa place. Oui, l'alpha était costaud. Il avait beau être un loup-garou, ce n'était pas une raison pour lui ajouter quelque souffrance que ce soit.
La manipulation prit fin, mais Derek ne retira pas sa main de celle de Stiles. Il la laissa où il était, couvrant la peau fine et blanche du plus jeune. Ce dernier, physiquement soulagé pour le moment, eut les paupières lourdes, mais lutta pour garder les yeux ouverts. Épuisé, c'était le mot qui décrivait le mieux l'état de Stiles. Néanmoins, il ne devait ou plutôt ne pouvait pas s'endormir maintenant. Pas alors que Derek était là, pas alors qu'il venait de supporter sa propre douleur pour le soulager lui, l'humain de la meute. Lydia et Kira étaient elles aussi humaines, mais avaient cependant des capacités relatives au surnaturel, contrairement à Stiles. Même à côté d'elles, il n'était rien.
Derek n'était pas aveugle, il voyait bien que Stiles était littéralement mort de fatigue et c'était on ne peut plus normal. Son accident de voiture ne datait que de quelques heures et il avait d'ailleurs été étonné qu'il se soit réveillé si vite. Le jeune homme s'en tirait relativement bien au vu des circonstances mais à son niveau, il avait quand même pris tarif. Deux côtes cassées et une longue plaie à la jambe. Pour un humain, ce n'était pas négligeable.
Il vit les yeux de Stiles papillonner et se demanda pourquoi il ne se laissait tout simplement pas aller. Il avait besoin de repos et ça se voyait. Ses blessures l'éprouvaient.
- Repose-toi Stiles, tu en as besoin, dit-il doucement.
Le jeune Stilinski aurait voulu lui dire non ou même secouer la tête pour lui signifier que ce n'était pas dans ses intentions, mais il n'en avait pas la force. La prise de douleur avait différents effets, dont celui-là cette technique fatiguait beaucoup celui sur qui elle était pratiquée, en plus de le détendre.
Même s'il ne le voulait pas, Stiles finit par fermer les yeux, l'épuisement ayant raison de lui.
Avec tout ça, il ne s'était même pas demandé pourquoi Derek se trouvait à son chevet.
