- Comment il était ? S'enquit Derek après avoir bu un simple verre d'eau.
- Complètement ivre. Et tu sais que j'ai une sainte horreur des alcooliques, répondit Peter, l'air dégoûté.
Derek hocha simplement la tête. Il n'avait pas besoin d'en entendre plus, il avait compris. Compris qu'il avait bien fait de ramener Stiles ici, parce que l'éloigner du danger était sa priorité.
C'était Liam qui l'avait alerté dans la journée mais Derek ayant été occupé, il n'avait pas pu se libérer avant ce soir-là. Le louveteau avait trouvé étrange que Stiles ait attrapé une grippe si soudainement et surtout le fait qu'il ne lui ait pas répondu même après plusieurs heures lui avait fait se dire que quelque chose n'allait pas et Derek l'avait pris au sérieux, à raison. La relation entre Stiles et son père n'était pas aussi normale qu'elle ne le semblait de prime abord. Il y avait un fossé entre eux que Derek connaissait, de par ce qu'il avait entendu à l'hôpital l'autre fois. Pour autant, il n'aurait jamais pu imaginer retrouver Stiles blessé. Légèrement, mais blessé tout de même. Son visage n'était pas très beau à voir à cause de l'énorme bleu sur sa pommette. Son poignet non plus. Et Derek ne pouvait que se douter de l'identité de celui qui lui avait fait ça, notamment avec ce que venait de lui confirmer Peter, qu'il avait envoyé voir si Noah était rentré, ce qui rendait la chose encore plus horrible. Parce que Stiles était en dépression, qu'il commençait à peine à se rendre compte qu'il n'était pas seul et qui pourtant s'en prenait plein la figure à cause de son propre père.
En tant qu'Alpha, Derek ne pouvait pas laisser passer ça. En tant qu'ami, encore moins. Enfin… Ils n'étaient pas vraiment amis mais le loup ne pouvait nier que l'adolescent comptait pour lui. Un peu. Pas mal, en fait. Et tout ça lui faisait regretter de ne s'être pas rendu compte plus tôt des soucis de l'hyperactif. Au moins, désormais, il était là. Et il espérait ne plus jamais sentir une odeur aussi médicamenteuse chez Stiles. C'était trop artificiel, trop chimique et puis ça l'abrutissait. Déjà deux bonnes heures que Stiles était chez lui, sur son canapé et pas une fois il ne s'était réveillé. Il dormait plus profondément que jamais, ce qui démontrait un épuisement total, comme si ses cernes n'étaient pas assez criants de vérité. Et Derek éprouvait un besoin irrépressible de le garder ici, au loft, en sécurité. Cet adolescent avait eu son compte, il devait se reposer et avoir l'occasion de penser à lui, d'aller mieux. Or, même chez lui, ce n'était pas possible. Il avait fallu que son père boive et devait s'y être remis il y a un moment. Derek se souvenait parfaitement bien des effluves d'alcool qu'il avait ressenti à peine avait-il pénétré à l'intérieur de la bâtisse. Ça empestait l'éthanol, facile de déduire que ça faisait au moins plusieurs jours que le shérif revenait ivre mort chez lui. Et c'était sans doute Stiles qui devait le gérer alors qu'il avait mieux à faire et surtout, qu'il devait se ménager. Le docteur avait opéré sa jambe, ça ne voulait pas dire pour autant qu'il était guéri. Stiles devait y aller à son rythme et prendre soin de lui-même. Ce n'était pas en gérant son père qu'il allait y arriver.
En jetant un œil au bel endormi, Derek se demanda comment le sort pouvait autant s'acharner sur un adolescent comme lui. Parce que même si Stiles était parfois agaçant au possible – et encore, c'était au passé –, il ne méritait pas ce qui lui arrivait. Il ne méritait ni d'être mis à l'écart, ni de se faire frapper par son propre père. Comment tout avait-il pu dégénérer de cette manière ?
- Je me suis occupé de cet énergumène pour qu'il ne fasse pas de connerie en étant seul mais c'est la dernière fois, le prévint Peter en faisant référence à Noah Stilinski.
Derek hocha simplement la tête, comprenant parfaitement son point de vue et pensa au fait que ces derniers jours, c'était Stiles qui s'en occupait malgré le repos qu'il devait prendre. Quelle mauvaise idée. Il aurait dû se libérer et aller voir comment se portait l'adolescent mais en même temps, ce n'était pas censé être ses affaires. Stiles savait se gérer seul. Enfin… Pas en ce moment. Et puisque la seule personne apte à l'aider était celle qu'il aidait lui, autant dire que ce n'était pas gagné. Il fallait que quelqu'un prenne les choses en main. Et ce quelqu'un, c'était Derek.
xxx
Stiles se réveilla en sursaut, en sueur, son cœur battant la chamade. La respiration hachée et saccadée, il ouvrit les yeux brusquement et douta de l'avoir fait lorsqu'il remarqua… Que l'obscurité l'entourait. Tout était noir, complètement noir. Et ça ne sentait pas l'alcool. Très peu à l'aise et à la limite de l'angoisse, Stiles se redressa ou du moins, il essaya. Il se sentait assez faible et était si peu sûr de lui qu'il ne savait même pas s'il était actuellement éveillé ou encore dans son cauchemar, dont il espérait vraiment être sorti. Mais son esprit était si embrumé que Stiles n'arrivait actuellement pas à discerner la réalité du rêve. En même temps, il n'y voyait rien, ce qui ne l'aidait pas des masses. Et pourtant, c'est cette obscurité qui lui fit avoir un éclair de lucidité, aussi fugace que clair : son père avait besoin de lui. Mais cette pensée, loin de l'éclairer, fit réagir son corps d'une manière bien particulière. Son rythme cardiaque s'emballa d'autant plus alors qu'il bougeait sans savoir ce qu'il faisait, tentant sans doute de retirer la couverture qu'il ne savait pas être étalée sur lui. Les sueurs froides se multiplièrent. Son corps se crispa un peu trop pour son bien. Stiles ne reconnaissait pas la texture de ce qu'il touchait, ce qui se trouvait juste en-dessous de lui. L'odeur ou plutôt le manque de fragrance d'alcool le perturba d'autant plus. Sentir également que la chose sur laquelle il était n'était pas large le moins du monde lui laissa penser qu'il ne se trouvait effectivement pas dans sa chambre.
Voilà le seul semblant de pensée claire qu'il eut alors qu'il refermait les yeux avec force. Sa respiration commençait réellement à se faire difficile. Tout s'embrouillait encore plus que ça ne l'était déjà. Le fait d'être hyperactif n'aida pas vraiment Stiles à réfléchir alors qu'il se mettait à grimacer. Sa jambe lui faisait mal, sa tête aussi, sa joue… Oui, la douleur commençait à affluer et l'adolescent ne se demanda même pas pourquoi. Pourquoi se le demander, d'ailleurs ? Dans son état, Stiles ne pouvait vraiment pas réfléchir à la moindre chose, quelle qu'elle soit.
Sauf que là, l'air commençait à lui manquer et c'était loin d'être agréable. Stiles ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas sur quoi se concentrer pour stabiliser son état, si tant est que cela soit possible. Dans un nouveau sursaut de lucidité, Stiles se dit qu'il avait besoin d'aide mais ce mot avait plus d'écho qu'il ne l'imaginait.
- Stiles !
L'interpelé ne réagit pas, sauf lorsqu'une douce chaleur se mit à l'entourer. On le déplaça légèrement, il le sentit un peu trop bien et ça l'inquiéta d'autant plus. Il se débattit, parce qu'il paniquait : il avait vraiment besoin d'air et se sentait déjà presque tourner de l'œil. Autant dire que c'était loin d'être agréable. Mais sentir, presque entendre un cœur battre avec un calme presque olympien contre lui coupa son propre rythme, qui se mit doucement à ralentir sans qu'il ne comprenne comment. La chaleur se fit plus forte et la respiration de Stiles reprit ses droits petit à petit, en quelques secondes seulement…
… Pour lui.
Parce qu'en réalité, Derek avait mis dix bonnes minutes à calmer l'adolescent et autant dire que ça n'avait pas été facile.
Stiles finit par ouvrir les yeux et cette fois-ci, la lumière était allumée. Il put discerner sans peine les traits du visage fatigué de Derek et son cœur rata un battement. Il se crispa, mais différemment. Que faisait-il dans ses bras, en plein milieu de la nuit, s'il en croyait l'obscurité totale qu'il percevait grâce à la grande baie vitrée du fond ? Et pourquoi Derek le regardait-il de cette manière ? Pourquoi ne semblait-il pas énervé, irrité le moins du monde ? De ce qu'il en savait, Derek était un loup grincheux et comme toute personne normalement constituée, il ne devait pas apprécier de se lever en pleine nuit à cause de quelque chose qui perturbait son sommeil, ce qui était d'autant plus vrai pour un loup de son genre. Parce que le cerveau de Stiles recommençait à tourner à plein régime : il savait qu'il était la cause du lever de Derek. Car ce dernier dormait la nuit. Il ne s'amusait pas, comme Stiles autrefois, à tromper le sommeil pour faire quelque recherche que ce soit, il dormait, se reposait.
- Ça va ? Lui demanda abruptement le loup en voyant qu'il avait repris ses esprits.
Pour autant, Stiles gardait cet air perdu qui le faisait paraître plus jeune et complètement déboussolé, cet air qui créa un petit nœud dans son estomac. Si l'on ajoutait à cela le joli bleu qui ornait toujours la pommette de l'adolescent, l'on pouvait aisément comprendre l'inquiétude de Derek, parce qu'il s'agissait bien de cela. Il était inquiet.
Stiles hocha lentement la tête et détourna le regard. Il réfléchissait, encore. D'une voix peu assurée, il finit par demander ce qui le turlupinait : pourquoi il se trouvait là, au loft. Pour le fait d'être dans ses bras, il avait sa réponse. Et même si cette proximité aurait dû le gêner, il l'apprécia. Parce qu'il manquait cruellement de contacts physiques et d'attention. Alors l'étreinte de Derek, tout comme celles de Liam quelques jours plus tôt, lui faisait du bien.
Derek se racla la gorge.
- Je suis passé te voir, t'étais pas bien. Dans ton état, je pouvais pas te laisser seul alors je t'ai amené ici, fin de l'histoire, répondit-il en résumant un maximum sans trahir sa réelle inquiétude.
- Je… J'aurais pas été seul, mon père devait rentrer, rétorqua innocemment Stiles.
Et ses yeux whisky empreints de pureté n'aidèrent pas Derek à calmer son loup intérieur, loup qui grattait aux portes de son esprit. Il n'avait qu'une envie, garder l'adolescent près de lui parce qu'il avait besoin de le protéger. C'était ancré en lui, à tel point que son loup lui hurlait de ne pas laisser Stiles partir tant que ça n'irait pas.
Ce fut son loup également qui le poussa à être honnête, à dire les choses de manière crue, à être dur, dans un sens.
- Ton père est rentré, commença-t-il simplement.
- Oh, il faut que je… Je dois aller le voir, balbutia Stiles, légèrement confus.
- C'est lui qui t'a fait ça ? Demanda toutefois Derek, camouflant assez bien son feu intérieur.
Stiles se raidit complètement et cette simple crispation fut une réponse claire pour Derek, même s'il s'en doutait déjà. Parce que ça ne pouvait qu'être Noah Stilinski. Néanmoins, la petite voix de Stiles se fit entendre :
- Il… A pas fait exprès.
Derek tomba des nues : cet aveu aussi simple que rapide, ce n'était pas vraiment ce à quoi il s'attendait. De la part de Stiles, il aurait imaginé des mensonges plus ou moins crédibles – bien que facilement décelables grâce à ses sens lupins, un minimum de combativité, du panache… Mais là, rien. Stiles était complètement démuni, bousillé, brisé.
Il avait été seul trop longtemps pour rester le même.
A nouveau, le regard de Stiles se releva vers celui du loup qui était complètement décontenancé par la situation à laquelle il ne s'attendait pas du tout. A la place de la colère se trouvait un trouble qui ne cessait de s'approfondir au fur et à mesure que l'adolescent parlait.
- Il était pas lui-même, il voulait pas… Dit tristement Stiles. C'est pas sa faute.
- J'espère que tu n'es pas sérieux, souffla Derek.
Sauf que Stiles l'était et le loup n'eut pas de mal à le comprendre, notamment avec le silence plutôt clair qui lui répondit. Stiles détourna même légèrement le sujet sans le vouloir. A vrai dire, il s'était perdu dans ses pensées et venait à l'instant de se rappeler de quelque chose.
- Je dois rentrer, dit platement l'adolescent sans bouger une seule seconde dans l'étreinte de Derek. Mon père a besoin de moi.
Le loup resserra ses bras autour de l'hyperactif : non, il n'était pas d'accord et comptait bien le lui faire comprendre.
- Ton père se débrouille très bien pour décuver tout seul, se renfrogna Derek.
- Décuver ? Répéta Stiles, l'air ahuri, avant…
… Qu'il ait l'air absent. Parce que l'information ne tarda pas à faire sens dans son cerveau, à allumer une petite lumière de compréhension. Et la lassitude prit possession de lui. Noah lui avait promis. Mais qu'était réellement une promesse, à ses yeux ? Est-ce que ça avait à ses yeux la même valeur qu'à ceux de Stiles ? La réponse était là, claire, limpide.
Noah ne tenait pas ses promesses. Il n'en avait rien à faire. Sans doute avait-il voulu avoir bonne conscience en la faisant, ou peut-être avait-il simplement voulu faire plaisir à Stiles, pour le rassurer. Après tout, ce n'était pas un mauvais bougre. Il était juste… Mal. Et avait besoin de réconfort. L'alcool, son allié, son compagnon de déboire. Penser qu'il avait réussi à s'en passer durant de longues années déprima soudain Stiles. Parce qu'il avait replongé. Ou peut-être n'avait-il jamais réellement arrêté ? L'hyperactif n'était plus sûr de rien. Ce en quoi il croyait était tout bonnement bancal et menaçait de s'effondrer à chaque mot que pouvait prononcer Derek. Stiles ne mit à aucun moment sa parole en doute : il connaissait Derek. Même s'il avait eu autrefois un bon paquet de différends avec lui, si une chose n'avait jamais changé, c'était l'honnêteté du loup. Depuis qu'il le connaissait, Derek avait toujours été franc dans ses intentions, ses mots, ses actes. Il disait ce qu'il pensait sans filtre et ce, même si ça faisait mal. Il était droit et n'aimait pas le mensonge.
Il était horriblement honnête.
Alors Stiles ne chercha même plus à contester, à essayer de défendre davantage son père. Parce qu'il lui avait promis et qu'il avait bafoué cela. Stiles, lui, croyait aux promesses et à ce devoir de les respecter. C'était un peu un repère pour lui, quelque chose qui lui permettait de se dire que les choses seraient et resteraient telles qu'elles devaient être. On pouvait même aller jusqu'à parler d'ancrage, en un sens.
Sauf que Noah n'avait pas tenu sa promesse, Stiles douta même du fait qu'il ait pu essayer de s'y tenir. Au fond, où pouvait se trouver la vérité ? Et pourtant…
- Je dois aller m'occuper de lui, lâcha presque mécaniquement l'adolescent d'une voix un tantinet enrouée en baissant la tête.
… Stiles pensa que c'était de sa faute. Parce que ses efforts n'étaient pas assez nombreux. Parce qu'il n'avait pas encore réussi à montrer à son père qu'il pouvait être un meilleur fils. Parce qu'il ne faisait jamais assez. Parce qu'il n'était que le vilain petit canard de la famille, un pâle souvenir de Claudia. Parce qu'il n'était pas à la hauteur de cette femme, sa mère, cet ange parti trop tôt. Elle était tout, il n'était rien. Juste un adolescent à problèmes avec un putain de TDAH.
Tout était de sa faute.
Une larme coula et roula avec lenteur sur sa joue bleuie. Et le souffle de Derek se coupa alors qu'il voulait protester, lui dire avec fermeté qu'il ne le laisserait pas rentrer chez lui tant que cette situation ne changerait pas. Mais cette souffrance lui cloua le bec, purement et simplement. L'odeur de Stiles était aussi piquante que cette larme unique.
Alors au lieu de parler inutilement, Derek laissa son instinct agir pour lui. Il s'éloigna une seconde pour aller éteindre la lumière, puis il revint. Avec douceur, il rallongea Stiles sur le canapé et s'installa derrière lui, en grande cuillère. De ses bras, il l'entoura à nouveau après avoir rabattu le plaid sur eux.
Malgré ses pensées et cette idée de rentrer chez lui pour s'occuper de son père, Stiles ne protesta pas et laissa complètement le loup faire. Après tout, même s'il ne s'en rendait pas vraiment compte, les médicaments faisaient toujours un peu effet et il était épuisé, son corps tout autant que son esprit. Et puis… Il était profondément perturbé. Ses réflexions avaient beau être claires, elles n'étaient pas pour autant tournées dans le bon sens. Sa résistance n'était pas non plus au beau fixe, la preuve en était qu'il laissait complètement faire Derek et qu'il ne protesta pas une seconde lorsque celui-ci finit par lui dire de dormir, sans autre forme de procès.
Alors il le fit. Il se rendormit, parce qu'on le lui avait demandé. Sans doute la chaleur de l'étreinte de Derek y était-elle pour quelque chose. Peut-être cette impression de sécurité qu'il ressentait à chaque fois en sa présence jouait aussi là-dessus.
Tout ce que Stiles retint avant de céder à l'épuisement fut que même s'il avait les larmes aux yeux, aucune n'emprunta le même chemin que la première.
