Stiles retint un soupir d'aise. Derek avait des mains en or, des doigts de fée. Il avait dit qu'il s'occuperait de lui et… Eh bien, il n'avait pas menti.

L'hyperactif se pressait une poche de glace contre sa pommette. Il était assis sur le canapé, seulement vêtu d'un t-shirt et d'un boxer. Si la honte l'avait submergé deux jours plus tôt lorsque le loup lui avait dit de se déshabiller d'un air blasé, c'était moins le cas aujourd'hui. La douceur des soins de Derek faisait tout. Stiles avait dû lui montrer une fois comment s'occuper de sa jambe, le loup avait retenu chaque consigne à la lettre et l'hyperactif dut s'avouer qu'il n'avait jamais été aussi choyé. Lui-même n'avait jamais été aussi patient avec sa propre jambe. En effet, il se dépêchait à chaque fois, rien que pour avoir assez de temps pour gérer la maison avant le retour de son père. Il bâclait ses propres soins pour penser à son père qui n'avait pourtant pas fait cas des efforts de son fils. Là, Stiles n'avait rien à gérer et la seule chose que lui avait imposée Derek, c'était de se reposer. Ce dernier prenait son temps, soignait sa jambe avec une lenteur agréable.

En fait, ce qui touchait Stiles et le poussait à accepter cette aide, c'était de constater que Derek se dégageait du temps pour lui. Parce qu'il en avait, des choses à faire, il ne fallait pas se leurrer : le loup-garou organisait son emploi du temps de manière pouvoir passer du temps avec Stiles et le soigner sans se presser.

- Tout va bien ? Si je te fais mal, dis-le moi.

La voix de Derek, bien que grave, était… Fort agréable à entendre. Elle était empreinte de cette espèce de douceur qui ne s'entendait pas, mais se sentait. L'attitude du loup envers lui était fort étonnante. Il avait beau lui avoir clairement stipulé qu'il s'occupait de lui, Stiles ne pensait pas qu'il prendrait autant ses propres mots au pied de la lettre. C'était étrange d'être celui à qui on faisait attention, celui qu'on soignait, celui dont on demandait des nouvelles. Oui, parce que Liam lui envoyait des messages tous les jours pour savoir comment il allait, si sa jambe guérissait… Un véritable petit ange.

Derek était un ange, lui aussi, d'un autre type. Au visage plus taillé, à l'air qui se voulait ténébreux, aux manières un peu bourrues, aux gestes soigneux, aux yeux d'une pureté incroyable… Un ange gardien ? Une légère bouffée de chaleur envahit l'adolescent. Chaque fois que le loup lui posait ce genre de question, il ressentait un étrange mélange de joie et d'un sentiment d'illégitimité. Le bonheur de l'attention qu'on lui accordait, en parallèle de l'impression de ne pas mériter ladite attention. Comme si on ne devait pas lui demander son avis, prendre de ses nouvelles, prendre soin de lui, s'inquiéter de son état – physique ou mental.

Comme si ce n'était pas normal.

- Oui, ça va, t'inquiète pas…

Même prononcer ces simples mots, il avait l'impression de ne pas avoir le droit de le faire. Pour autant, il combattait son sentiment d'illégitimité. Pour Derek. Parce que… Merde, il avait été le premier à voir que quelque chose n'allait pas et il l'avait pris chez lui pour qu'il soit en sécurité.

Loin de sa solitude. Loin de ses démons. Loin de son père.

Parce que Derek n'avait aucunement l'intention de laisser une chance à Noah tant que celui-ci n'aurait pas entamé un tant soit peu de démarches pour arrêter l'alcool. Il n'était pas forcément violent de nature et tout se passait « bien » quand il ne buvait pas. La violence en lui surgissait uniquement lorsqu'il se laissait aller à la boisson. En fait, Noah Stilinski arrêtait de se battre contre ses potentiels penchants dès qu'il touchait à un verre d'alcool et ça, c'était dangereux. Stiles n'avait pas à subir ça. A vrai dire, il fallait qu'il casse complètement la routine que le jeune homme s'était créé.

Pour commencer, il lui avait confisqué ses médicaments hormis son Adderall, dont il avait bien évidemment besoin. Toutefois, Derek surveillait ses prises, vérifiant de loin qu'il ne doublait pas les doses. Parfois, il lui accordait le droit de prendre son antidépresseur de manière à ce que cela soit de plus en plus espacé – et pour cela, il avait bien évidemment demandé conseil au docteur Dumbar, qui s'en était allé se renseigner auprès d'une amie psychiatre, dont Derek avait pris les coordonnées. Bien qu'il ne soit pas encore question d'une potentielle thérapie pour Stiles, l'alpha était prévoyant et préférait prendre des informations, au cas-où.

L'avantage, c'est que Stiles était coopératif, comme s'il était trop fatigué mentalement pour se battre et continuer sa routine malsaine pour lui. Il acceptait en toute connaissance de cause, même s'il avait toujours du mal à accepter pleinement le fait qu'on puisse s'occuper de lui. Oui, Derek en était conscient et cela lui faisait d'autant plus mal au cœur. Alors qu'il bandait soigneusement la jambe de l'hyperactif, il se fustigea intérieurement et lui demanda à nouveau si tout allait bien. Evidemment, il avait déjà la réponse, mais il voulait entendre sa voix et ainsi étudier le comportement du jeune homme. Ce qui l'intéressait, c'était de voir s'il préférait lui mentir ou s'il coopérait jusqu'au bout. Pour le moment, Stiles continuait de répondre honnêtement et c'était une bonne chose. Il voulait s'en sortir, c'était certain. Il avait juste… Besoin d'aide.

- Tu penses retourner en cours, demain, ou tu préfères attendre encore un peu ? Lui demanda le loup après avoir terminé son ouvrage et l'avoir aidé à renfiler son pantalon de jogging.

En raison de sa « convalescence » imposée et de son visage, Stiles n'était pas encore revenu au lycée et n'avait pas peur que son père en soit alerté : Noah Stilinski s'occupait si peu de son fils qu'il ne pouvait pas lui en vouloir. A vrai dire, il n'en avait pas le droit. Enfin, c'était ce que pensait Derek. Stiles, de son côté, lui avait expliqué qu'il avait peur que ses absences répétées déçoivent son paternel. Il avait alors continué en lui confiant ce besoin qu'il avait d'être un meilleur fils, pas une déception ambulante. Derek avait alors compris que le venin que le shérif avait instillé en lui ce premier soir à l'hôpital continuait d'agir. L'hyperactif ne lui avait jamais rien dit à ce sujet-là, mais le loup n'était pas bête – et il était « heureux » d'avoir été témoin ce soir-là, autrement, les choses auraient été un peu plus compliquées. L'intervention de Noah Stilinski avait été une partie du déclic qui lui avait permis de voir une brèche dans la comédie de l'adolescent.

Alors, Derek n'en avait pas démordu et avait répliqué qu'il ne lui devait rien. Il ne décevait personne et se devait de penser à lui. Son repos était important et il n'avait cessé de lui rabâcher ce fait malgré son caractère un peu particulier. Parce que le loup aimait se faire comprendre en peu de mots et sans avoir à parler beaucoup. Avec Stiles, il devait s'adapter. Ce n'était pas simple, mais cela restait nécessaire. Ce qui était particulier avec l'adolescent, c'était le fait qu'il avait toujours peur de déranger et décevoir tout en étant conscient de ce qui n'allait pas. Il savait qu'il avait commencé une descente folle à la pente raide. Il voulait s'en sortir mais n'avait rien trouvé qui pourrait l'aider. Enfin si : il s'était dit que sa guérison passerait par son acceptation auprès de son père et de la meute. Sauf que ce n'était pas comme ça que ça marchait, pas dans son cas. Ses blessures invisibles étaient trop profondes pour que cela suffise, surtout dans un contexte où il donnait sans rien recevoir en retour.

- Je sais pas, je… Avec ce visage ? Je sais pas si c'est… Enfin, tu vois.

La voix de Stiles n'était pas vraiment assurée. Le premier jour, c'était Derek qui l'avait convaincu de ne pas y retourner même s'il avait insisté pour assister au moins aux cours du matin. Le second, l'hyperactif lui-même s'était alors fait la réflexion qu'il n'était pas beau à voir. Sa peau changeait doucement de couleur mais le bleu dominait toujours au niveau de sa pommette. Ses poignets, ça allait : les manches longues de ses chemises suffisaient à les cacher. Et là, voilà que le loup commençait à songer qu'un retour au lycée était envisageable ! Si Stiles était motivé à revenir au début, ce n'était plus vraiment le cas maintenant. Des élèves au lycée, il y en avait. Son visage était ce qu'il avait de plus visible. Que penseraient les gens en voyant sa pommette bleuie ? Que dirait-on au sujet du shérif ? Parce qu'on penserait immédiatement à lui, c'était certain, puisqu'il s'agissait du coupable idéal. Si l'on savait, sans doute la ville se retournerait-elle contre lui et il ne le méritait pas… Il avait juste fait une erreur. Juste un peu bu. Juste brisé sa promesse.

Juste replongé dans son addiction.

Et même s'il lui en voulait un peu de lui faire subir quelque chose qu'il ne méritait pas, Stiles ne pouvait pas s'empêcher de culpabiliser de temps à autres de ne pas être chez lui pour s'occuper de son paternel.

- On peut arranger ça, lui dit Derek en s'installant nonchalamment à côté de lui sur le canapé.

Stiles tourna la tête vers lui et le regarda avec étonnement. Le loup avait l'air impassible mais, comme souvent ces temps-ci, il cachait ses réelles réactions. L'hyperactif réagissait de manière… Pure. Il ne savait pas si c'était la présence de cette pommette bleuie qui changeait sa perception des choses mais à chaque fois qu'il le regardait et quelle que soit sa réaction, elle était… Directe, sans filtre, d'une innocence folle. Comme si Stiles avait définitivement laissé tomber les masques de sa comédie et se montrait de manière brute, tel qu'il était devenu. Brisé par la solitude. Si bien qu'il ne comprenait toujours pas complètement comment on pouvait continuer de prendre soin de lui à l'heure actuelle.

- Comment ça ? S'enquit-t-il de cette voix toujours vacillante, peu assurée.

Derek lui lança un regard entendu qui ne montrait rien de son trouble. Oui, Stiles le perturbait toujours. Sa fragilité était là, palpable à un point inimaginable.

- Il suffit de te maquiller, répondit-il simplement.

Stiles détourna le regard et rit nerveusement.

- T'es marrant toi, dit-il, gêné. Mais je sais pas faire. Et ne songe même pas à me faire regarder des vidéos, des tutos, des… Enfin, je suis pas doué de mes mains, hein.

Derek hocha la tête, sans laisser transparaître quoi que ce soit, bien qu'une idée avait germé dans son esprit. Il changea délibérément de sujet et finit par partir préparer le repas, avec des doses plus importantes que Stiles pouvait l'imaginer mais il ne pouvait pas s'en douter : il s'était mis à surfer sur internet, son téléphone étant devenu son meilleur ami lorsqu'il était seul. De son côté, Derek envoya quelques messages après s'être mis aux fourneaux, tant il était sûr que son idée marcherait. Stiles, de son côté, ne se doutait de rien. Il avait reçu pour consigne du loup de se lever le moins possible pour le moment, de laisser ses deux jambes se reposer. Il avait beau n'en avoir qu'une seule de blessée, il était important de ménager la seconde que Derek avait remarqué tremblotante à chaque fois qu'il l'avait vu marcher avec la béquille que Peter avait ramenée le premier soir, non sans s'être plaint de son rôle de « garde-ivrogne ».

« Si tu forces trop sur cette jambe, elle te lâchera au moment où tu en auras le plus besoin » lui avait dit Derek et il l'écoutait, parce qu'il savait qu'il avait raison. Il sentait même que ce moment était proche alors il la laissait se reposer, elle aussi. De toute manière, quel choix avait-il, si ce n'est d'écouter la seule personne qui prenait réellement soin de lui ?

Le temps passait. Stiles n'était pas certain d'avoir faim, mais il essayait de se dire que ça allait être bon, ne serait-ce que pour se donner l'envie de manger. Derek faisait des efforts. Stiles savait qu'il commandait, la plupart du temps. Mais depuis qu'il était là, en convalescence forcée au loft, le lycanthrope retroussait ses manches et se mettait aux fourneaux, pour il ne savait quelle raison. Mais ce que Stiles retenait, c'était qu'il sortait de sa zone de confort pour lui et le pire, c'est qu'il s'en sortait bien. Ce qu'il faisait était toujours bon.

Des coups retentirent soudain contre la porte et cela fit sursauter Stiles, qui ne s'y attendait pas. Il se redressa légèrement sur le canapé, sa jambe blessée tendue dont le pied reposait sur un coussin confortable sur la table basse. Si Derek avait de la visite, à défaut de pouvoir se mettre à l'écart, qu'il soit au moins présentable.

- Derek ? Appela-t-il sans lever la voix. Y a quelqu'un…

- Je sais, répondit le loup en arrivant dans la grande pièce à vivre, un torchon sur l'épaule.

Stiles suivit des yeux le loup qui se mouvait tel un félin, tant il était à l'aise sur son territoire qu'était le loft.

- Si je dois… Aller autre part, tu… Tu penses pas que tu devrais me passer ma béquille avant d'ouvrir ? Ne put-il s'empêcher de demander. Histoire que j'aie le temps de… Enfin t'as compris.

Derek tourna la tête vers lui. Son expression était indéchiffrable.

- Stiles, je ne vais pas te faire partir alors que tu as de la visite, rétorqua le loup comme si c'était une évidence.

Hein ? Ne comprenant pas, l'hyperactif ne sut quoi répondre et son air innocemment perdu brisa partiellement le masque de Derek, qui ne put empêcher un petit rictus d'apparaître. Stiles était adorable… Et il avait hâte de voir sa réaction alors ni une ni deux, il déverrouilla puis ouvrit la porte du loft. Une petite tête blonde apparut, suivie de cheveux bouclés puis d'une tignasse rousse – blonde vénitienne ! Et Stiles écarquilla les yeux, bouche bée alors que Liam était le premier à venir vers lui, le sourire aux lèvres, comme s'il était sincèrement heureux de le voir.