- Tout va bien se passer, Stiles, détends-toi.

La voix d'Isaac était douce, reposante, rassurante. Moins que celle de Derek, mais c'était déjà ça. Il lui apportait au moins un peu de ce calme dont il avait besoin pour calmer les battements désordonnés de son cœur. Cela faisait à peine une petite dizaine de minutes qu'ils avaient passé les portes du lycée, mais Stiles n'était pas à son aise. Voir du monde, même sans sociabiliser comme il le faisait avant, c'était… Bizarre. Autrefois, se retrouver au milieu d'une foule ne l'aurait pas dérangé, bien au contraire : Stiles aimait les gens, le contact humain et voir le monde bouger autour de lui. Mais ça, c'était fini. Ce temps-là n'était plus qu'un lointain souvenir auquel penser était presque douloureux. Désormais, se retrouver entouré de tous ces gens qu'il avait pourtant pour la plupart déjà vus l'angoissait. Pour limiter son humiliation, il n'avait pris qu'une béquille et mettait par conséquent un certain temps à marcher. Son rythme lent lui procurait un profond sentiment de honte, mais il faisait tout pour ne pas le montrer. Il avait aperçu des idiots rires en le pointant du doigt et il était hors de question qu'il leur fasse plaisir en laissant éclater ses véritables sentiments. Et puis, il y avait Lydia et Isaac. Liam ne devrait pas tarder à arriver non plus. En soi, il n'était pas seul. Il n'était plus seul.

- Ouais, je sais, je… C'est juste… Que ça fait longtemps, finit par répondre l'hyperactif, le regard sur le menton d'Isaac.

Il était incapable de regarder un seul de ses amis dans les yeux. Au loft, il aurait sans doute réussi, comme cela lui était déjà arrivé, mais là… Il n'était pas du tout à son aise. En fait, il luttait carrément contre cette angoisse qui montait et qui menaçait de faire naître en lui une crise de panique à tout instant. Oui, il était maquillé – à la perfection d'ailleurs. Oui, il était accompagné. Oui, il allait mieux. Non, les traces laissées par son père ne se voyaient pas le moins du monde. Il n'y avait que lui qui les voyait sans même voir son visage grimé. Les véritables blessures des actes de son paternel étaient plus morales que physiques. Les plaies étaient béantes et il ne se passait pas un jour sans que Stiles n'ait à un moment ou à un autre une pensée fugitive concernant son père et ce qu'il lui avait fait. Parfois, il se disait qu'il l'avait mérité, qu'il n'était pas un assez bon fils. D'autres fois, il lui arrivait d'être lucide et de lui en vouloir, parce que toute cette situation était injuste.

- C'est impressionnant !

Stiles sursauta légèrement et releva la tête. Il ne put empêcher un fin et faible sourire d'étirer ses lèvres en voyant le visage ébahi de Liam qui venait d'arriver.

Il l'aimait bien, ce petit louveteau impulsif. Il avait cette franchise et surtout ce côté innocent adorable que lui n'avait plus. Et puis après Derek, c'était bien lui qui avait fait attention à l'hyperactif, lui qui avait fait en sorte de lui montrer qu'il n'était plus seul, qui était venu le rejoindre dans sa chambre lorsqu'il en ressentait le besoin. Parce que Liam sentait son mal-être, même s'il ne s'en rendait pas compte. Maintenant qu'il savait tout, il faisait d'autant plus attention à lui. Alors, même s'il était gêné, Stiles le laissa regarder son visage sous tous les angles en détournant bien évidemment le regard.

- Lydia… Lydia est très douée, balbutia Stiles.

Puis, il se rabroua intérieurement. Ce qu'il détestait sa manière de parler. Il avait perdu toute sa confiance en lui depuis longtemps, mais… Seul, ça ne le dérangeait pas, parce qu'il n'avait pas à parler. Là, on faisait attention à lui, on lui parlait, on essayait de le rassurer. Il devait répondre, interagir et faire des efforts pour ces gens qui lui accordaient en peu de temps bien plus que ce qu'il avait reçu en quelques mois. Mais c'était nouveau et Stiles avait comme… Oublié la manière dont il était censé fonctionner. Il était détruit, ne savait plus comment il devait agir, réagir, parler. Qu'attendait-on de lui ? Dans tous les cas, il faisait au mieux : mais sa timidité grandissante ne l'aidait pas vraiment. Avait-il peur qu'on le lâche encore, qu'importe le moment ? Oui, un grand oui. Tout pouvait redevenir comme avant cet accident et lui, Stiles Stilinski, pouvait redevenir ce fantôme que tout le monde avait oublié. Il ne suffisait pas de grand-chose et, très honnêtement, il n'avait pas envie de retrouver ce quotidien morne qui l'avait torturé durant de si longs mois. Si tout ça recommençait…

… Cette fois, peut-être qu'il en mourrait.

Parce qu'il était capable de se procurer bien plus d'antidépresseur qu'on ne le croyait, et personne ne pouvait imaginer tout ces soirs où Stiles s'était retrouvé à détailler ses boîtes de médicaments du regard. Combien de fois avait-il songé à prendre une dose faramineuse, une dose bien trop forte pour son corps d'adolescent ? Stiles était rusé, Stiles était aussi parfaitement conscient de tout son malheur.

Mais même s'il savait que cette fois-ci, c'était différent, Stiles ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur que tout recommence et repenser à toutes les planques de médicaments qu'il avait chez lui l'apaisait. Là, Derek le mesurait, faisait en sorte qu'il ne prenne que le strict nécessaire : mais qu'en serait-il lorsqu'il le renverrait chez son père ?

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- Je… Je suis rentré ! Articula Stiles, essoufflé.

Monter les escaliers avec une jambe encore bien inutilisable et en s'aidant de sa béquille et de la rambarde n'était pas chose aisée. Lydia, en le ramenant, lui avait bien proposé de l'aider à monter en maudissant l'ascenseur d'être encore en panne, mais Stiles avait refusé. Officiellement, c'était parce qu'il pouvait y arriver simplement. Officieusement… Il voulait s'enlever cette image de fardeau et d'assisté qu'il avait de lui-même. En soi, il pouvait marcher, c'était juste… Compliqué. Il pouvait bien se permettre cet effort sachant qu'au loft, Derek ferait tout pour l'obliger à reposer sa jambe valide alors on pouvait dire que ça compensait.

Et Stiles avait on ne peut plus raison.

A peine quelques secondes après qu'il eut fermé la bouche, l'hyperactif vit le loup-garou débarquer, un air inquiet peint sur le visage.

- Personne ne t'a aidé à monter ? Demanda-t-il, perplexe, en lui prenant son sac de cours et sa béquille.

- Pas besoin, je… J'y arrive tout seul, répondit l'hyperactif en forçant un sourire.

Mais Derek n'était pas dupe et son regard perçant le lui fit bien comprendre. S'il ne dit rien, il n'en pensa toutefois pas moins. Le loup était plus que conscient du manque de confiance de Stiles et de la présence de ses fortes insécurités. Comment ne pas les remarquer ? Il sentait régulièrement la peur dans son odeur, une peur subtile et en petite quantité. Elle était viscérale, sans être forte, sans inonder les narines de Derek. Celui-ci déposa le sac et la béquille à un endroit qu'il jugea bon et revint vers l'hyperactif qui s'appuyait contre le mur, sa jambe blessée ne touchant pas le sol. Il mettrait du temps avant de pouvoir remarcher normalement. En fait, il aurait dû en être capable depuis un moment mais sa nécrose avait bien ralenti les choses. Sans prévenir, il prit l'hyperactif dans ses bras comme il le faisait depuis un moment, c'est-à-dire en le portant comme une princesse et l'amena jusqu'au canapé, sur lequel il l'installa confortablement. De là, il lui demanda rapidement de retirer son pantalon le temps qu'il aille chercher tout le matériel médical qu'il réservait à sa plaie. Il le vit rougir, comme toujours, mais ne s'attarda pas là-dessus et monta chercher tout son attirail.

Lorsque Derek revint, Stiles était en t-shirt-chemise et en boxer, sa jambe blessée tendue avec son pied reposant sur la table. Ce qui était pratique avec l'hyperactif, c'est qu'il était coopératif. Il savait que le loup faisait cela pour son bien, même s'il ne devait sans doute pas apprécier de devoir se déshabiller à moitié en sa présence. Derek ne doutait pas de la minutie de Stiles concernant son traitement, mais il avait vu ce que cela avait donné : l'hyperactif avait si peu fait attention à lui-même qu'il avait eu beau faire tout ce qu'il fallait, il n'avait tout de même pas remarqué quel tournant avait pris sa plaie. Il avait fallu que Derek enquête, fasse venir Deaton pour tout découvrir. Le souvenir de la plaie nécrosée de l'hyperactif le fit frissonner, mais il ne montra rien de son inconfort lorsqu'il retira les bandages usés de la jambe de Stiles. Ce qu'il le rassurait, c'était de voir que la plaie – extrêmement bien nettoyée par le père de Liam – avait bien meilleure mine et semblait commencer à réellement guérir. C'était léger et lent, mais il ne pouvait que le constater. Honnêtement, ça lui allait.

- Comment ça s'est passé, aujourd'hui ? Demanda-t-il en commençant à désinfecter la blessure.

Dans le même temps, il prit discrètement la douleur de Stiles. Ce n'était jamais une étape agréable et il faisait en sorte que durant son traitement, l'hyperactif ressente le moins et de douleur possible, si bien qu'il arrêtait souvent de prêter attention à ce que faisait Derek pour penser à autre chose. Dans ces moments-là, il était un petit peu plus ouvert à la discussion.

- On peut dire que ça allait, je pense…

Derek appliqua avec soin la pommade et attendit d'avoir terminé avant de relever la tête vers l'hyperactif. Il y avait quelque chose dans sa voix qui le tendait, quelque chose qui obligeait son loup intérieur à rester sur le qui-vive.

- Dis-m'en plus, quémanda le loup en retournant s'occuper de sa jambe.

Il comprenait que Stiles puisse se montrer hésitant, c'était on ne peut plus compréhensible. Ce qu'il captait moins, c'était ce petit quelque chose sous-jacent qui le tendait imperceptiblement, et qui crispait Stiles. Ce dernier planta son regard dans le vague, simplement parce qu'il ne savait pas où il pourrait poser ses yeux. Il n'était pas contre l'idée de parler à Derek de ce qui s'était probablement passé dans la journée, mais… Peut-être y avait-il trop fait attention alors que… Ce n'était rien, ou du moins, pas grand-chose… En soi, sa journée n'était pas mauvaise, c'était juste…

- Je… J'ai peut-être surpris des regards qui m'ont un peu… Un peu dérangés.

Il ne s'agissait pas des regards de ces quelques idiots qui s'étaient moqués de son handicap temporaire et de sa démarche hésitante. A la limite, cela lui procurait de la honte, mais c'était tout. Non, ces regards dont il parlait l'avaient particulièrement déstabilisé, qu'il soit en cours ou dans les couloirs.

- Quel genre de regards ? Demanda Derek en essayant de rester concentré sur ce qu'il faisait, histoire de ne pas faire d'erreur d'asepsie.

- Des regards… Bizarres et… Appuyés. Un peu trop… Insistants, peut-être répondit Stiles après avoir hésité, ne sachant pas bien si ses mots étaient bien choisis. C'est sans doute rien, mais… Mais ça revenait assez souvent.

- Tu en as parlé à Isaac, Liam ou… Lydia ?

La banshee avait son caractère et maintenant qu'elle savait pour Stiles, elle n'avait pas la moindre intention de le lâcher. Il en allait de même pour Isaac et Liam, même si le premier avait tendance à ne pas trop montrer qu'il faisait attention aux choses, tandis que le second était impulsif et peinait encore un peu à contrôler son trouble de la colère. Lydia était celle des trois qui avait le plus la tête sur les épaules et qui savait garder son sang-froid.

Stiles secoua la tête, mouvement que perçut Derek même s'il ne le regardait pas directement.

- J'avais pas envie de les embêter et puis… Scott n'est pas venu me voir, en soi. Et puis j'ai peut-être un peu exagéré mais… Mais ça m'a dérangé.

Derek avait relevé la tête à la simple mention du prénom de Scott, que Stiles avait lâché par inadvertance, stoppant ainsi ses soins.

- Scott te regardait mal ? Répéta-t-il, un peu inquiet.

Stiles rougit de honte et s'affaissa, comme écrasé par un poids invisible.

- Je dirais pas qu'il me regardait mal, juste que… C'était un peu trop insistant et… Peut-être assez récurrent dans la journée.

- Tu sais Stiles, il ne faut jamais prendre ce genre de choses à la légère. S'il te pose le moindre problème en cours, tu m'en parles, d'accord ?

Stiles hocha la tête tout en lui rappelant d'un rire nerveux que tout cela n'était que suppositions et peut-être exagérations de sa part, que ce n'était rien de bien grave. Après tout, Scott ne lui parlait plus, on pouvait même carrément dire qu'il avait coupé les ponts avec lui. Penser donc qu'il faisait assez attention à lui pour lui lancer quelques regards sombres de temps à autres, c'était… Un poil tiré par les cheveux. Mais le regard de Derek parlait pour lui.

Il se méfiait.