Au départ, il ne s'agissait que de simples regards que Stiles avait rangés dans la catégorie « méfiance ». Oui, il se méfiait, mais sans plus. En fait, il gardait à l'esprit le fait que sa présence dérangeait Scott, mais ça n'allait pas plus loin. En soi, s'il se faisait discret, s'il se faisait oublier, ça allait, non ? Il suffisait simplement qu'il parle peu, qu'il s'éclipse de temps en temps lorsque Scott décidait de s'incruster dans le groupe et le tour était joué. C'était suffisant à ses yeux, encore qu'il réfléchissait à de nouvelles mesures pour éviter de déranger Scott, mais également les autres. Liam, Lydia et Isaac étaient adorables, mais il avait à cœur le fait de ne pas abuser de leur gentillesse, surtout qu'elle pouvait s'envoler à tout moment.

Alors, il trouvait des excuses crédibles et surtout, il veillait à les leur sortir à distance. En fait, il se débrouillait pour leur envoyer un message du type « je dois réviser à la bibliothèque parce que j'ai pas vraiment réussi à suivre le cours de ce matin et je mange sur place » ou encore, « le prof de chimie veut me voir parce que mes notes ont baissé, je vous rejoins plus tard ». Et cela allait croissant parce que… Parce qu'il se sentait mal. Les regards de Scott étaient de plus en plus fréquents, de plus en plus appuyés et Stiles… Il ne voulait pas déranger ses trois amis avec cette histoire. Il en avait parlé à Derek sur le coup d'une pulsion, d'une espèce de besoin de verbaliser ce petit point noir qui l'embêtait. Le pire était qu'il ne devait pas y faire attention, c'étaient juste… Des regards. Mais dans sa paranoïa, il ne les ignorait pas. Il tournait la tête, voyait Scott le fixer d'un air insistant et sombre, puis il baissait les yeux. Il n'arrivait pas à soutenir les orbes ébènes du latino. Vrai alpha ou pas, Stiles ne se mettait absolument pas à son niveau et se sentait tout bonnement écrasé par sa haine.

Sauf qu'à peine trois jours après son retour au lycée, les choses changèrent. Scott ne se contenta pas de regards. Au sortir du cours d'histoire, il bouscula – l'air de rien – l'hyperactif qui, s'il perdit l'équilibre, se rattrapa in extremis. En fait, sa béquille était tombée et il avait été obligé de s'appuyer sur sa jambe blessée pour ne pas choir. Oui mais c'était douloureux, très douloureux, si bien qu'il n'avait pu empêcher un petit cri plaintif de passer la barrière de ses lèvres qu'il avait gardées closes dans l'espoir de l'étouffer. Scott avait alors fait semblant de n'avoir rien remarquer, de n'avoir rien fait et il avait continué son chemin, sous les yeux toutefois outrés d'Isaac qui, s'il n'avait rien dit à Lydia qui parlait un peu plus loin avec Jackson et n'avait par conséquent rien vu, avait relevé la béquille de Stiles et l'avait fait s'appuyer sur lui en attendant. Puis il lui avait demandé si ça allait et pris sa douleur. Ce qui l'avait choqué, c'était la pauvre excuse qu'avait sortie Stiles :

- Il a pas dû faire exprès, je lui en veux pas… Je suis plus vraiment quelqu'un qu'on remarque, il a pas dû me voir, haha…

Puis, ils allaient tous les trois retrouver Liam dans la cour avant d'aller manger au réfectoire. Cette fois, Stiles ne s'éclipsa pas – il s'agissait de ne pas s'attirer leur suspicion – et le repas se passa tranquillement. Stiles écouta les discussions, intervint de temps à autres, s'autorisa quelques frêles sourires, mais pas beaucoup plus. Il vit Scott, assis à une table un peu plus loin et surprit son regard toujours plus insistant. Frissonnant, Stiles décida toutefois de faire comme s'il n'existait pas, histoire que ses trois amis ne remarquent rien. Leur cacher n'était pas vraiment son but, simplement… Inutile de les déranger pour des broutilles. C'était de sa faute s'il était sensible, s'il faisait trop attention aux détails de ce type. Après tout, Scott ne faisait que le regarder. Bon, il l'avait bousculé une fois, mais il n'avait pas fait exprès, il ne l'avait simplement pas vu.

Et ce genre de réflexions qu'il se faisait à lui-même le faisait aller sur un terrain un peu plus sombre, un peu plus dangereux. Parce que si Scott le regardait de cette manière et agissait comme s'il ne le voyait pas, c'était sans doute parce qu'il était de trop car oui, l'épisode de la matinée se reproduisit à plusieurs reprises les jours suivants et cette fois, en l'absence de ses trois amis. Puisque Stiles faisait en sorte qu'ils passent des moments sans lui, il s'isolait, en faisant toutefois en sorte que cela ne soit pas trop récurrent, ni trop suspect. Et Scott choisissait ce genre de moments pour agir. Mais Stiles était trop gentil, il se disait que c'était du hasard, que Scott ne ferait pas exprès d'attendre qu'il soit seul pour le faire trébucher à des moments où il n'avait rien pour se rattraper. Il tombait alors au sol en retenant comme il pouvait des gémissements de douleur qui ne demandaient qu'à s'exprimer. Puis ensuite, il disparaissait aussi vite qu'il était apparu, en continuant son chemin d'un pas rapide, sans doute pour ne pas être associé aux chutes de Stiles Stilinski, aussi idiot que maladroit. Il ne voulait pas qu'on puisse le relier à celui qui avait été autrefois son meilleur ami.

Aussi fragile et rare qu'il était, son sourire finit par disparaître complètement au contraire de ses idées sombres qui, elles, gagnaient progressivement en puissance.

Parce que si Stiles avait amorcé un retour dans la vie normale en retournant en cours, il n'était pas pour autant sorti de sa dépression qui était lentement en train de regagner du terrain dans le secret le plus total.

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Stiles ne faisait qu'éteindre et rallumer son téléphone. Pourquoi faire ? Simplement pour se convaincre que le message qu'il avait reçu n'était qu'un rêve. Si Scott continuait simplement de le bousculer de temps en temps lorsqu'il était seul, il ne lui avait jamais envoyé de messages.

Jusqu'à ce jour, exactement une semaine et demi après son retour en cours.

Stiles ralluma son téléphone et le message lui apparut, sanglant, cruel.

Honnête.

« T'aurais dû crever dans cet accident. »

Stiles éteignit encore son téléphone et le balança à côté de lui sur le canapé avant de se prendre la tête dans ses mains et de lâcher un soupir tremblant. Il avait envie de faire des efforts, voulait conserver l'espoir qu'il s'en sortirait un jour. Mais sa motivation était bancale à cause du retour de l'avancée de ses idées noires. Déjà qu'il avait du mal à se sentir à nouveau à sa place comme c'était le cas autrefois, recevoir ce genre de messages ne l'aidait pas du tout. Si l'on ajoutait à cela sa jambe qui le lançait régulièrement à cause de toutes ses chutes « accidentelles »… Non, ça n'allait pas. Vraiment pas. Lydia, Isaac et Liam faisaient attention à lui et faisaient en sorte qu'il ne reste pas trop seul mais ils ne pouvaient pas savoir que Scott agissait désormais lorsqu'ils étaient absents parce qu'ils n'étaient même pas au courant des regards qu'il lui lançait. Il avait beau être long à la détente, il savait être un minimum intelligent quand il le voulait et il avait l'air de faire attention à ce qu'on ne le remarque pas. Si Stiles avait vu tous ces regards… C'était juste parce qu'il était un peu parano.

Stiles soupira fébrilement une nouvelle fois. Une chance que Lydia seule l'ait ramené et que Derek ne soit pas encore rentré. Il avait beau s'être confié une fois au loup, il ne voulait vraiment plus l'embêter avec ces bêtises qui n'étaient rien d'autre que des broutilles. Et puis les mots de Scott tournaient en boucle dans sa tête, imprégnant sans doute son odeur de cette putridité propre à ce dégoût qu'il avait de lui-même, dégoût mélangé à une tristesse et une souffrance hors normes.

Non parce que plus il y réfléchissait, plus il se disait qu'il aurait effectivement dû mourir dans cet accident de voiture. Sa survie n'avait pas occasionné grand-chose de bien : à part endetter son père et le faire replonger dans l'alcoolisme, qu'avait-il fait ? Rien. On s'obligeait à faire attention à lui maintenant qu'il avait du mal à se déplacer, on prenait soin de lui alors qu'il ne le méritait pas, on essayait de le réintégrer partiellement dans un groupe dont il ne faisait plus partie… En fait, Stiles était mauvais. Il était une poussière qu'il fallait faire disparaître, un bout de crasse à nettoyer sans laquelle tout était propre. Sincèrement, à quoi servait-il ?

Il releva légèrement la tête et son visage complètement démaquillé se posa sur la boîte qu'il avait dénichée. Oui, en cherchant frénétiquement durant de longues minutes, il avait trouvé ses antidépresseurs, cachés par Derek. Ce dernier faisait en sorte qu'il réduise tout doucement son traitement ou du moins, qu'il se limite parce que Stiles avait tendance à doubler les doses lorsqu'il se sentait mal. Ce qu'il avait oublié, c'est que l'hyperactif était futé ne s'arrêtait pas quand il était déterminé à faire quelque chose. Sa seule volonté actuelle était de moins souffrir. Juste… Que ça soit supportable. Mourir viendrait plus tard sans doute, pas tout de suite. Parce qu'il voulait quand même essayer, se dire que tout n'était pas fini.

Une pensée fugace traversa son esprit. Méritait-il tout ce qui lui arrivait ? Avait-il mérité son isolation de la meute, la haine de Scott, les coups de son père ? Il avait envie de dire non, mais son moi intérieur lui souffla un « oui » un peu pervers ». Après tout, n'était-il pas un meurtrier ? Il avait ruiné la vie de son meilleur ami en le privant de son premier amour tout comme il avait ôté celle de Donovan. Il avait envie de se dire que ce n'était rien d'autre qu'un accident, qu'il avait simplement fait de son mieux pour survivre et l'empêcher de faire du mal à son père, mais… Il fallait arrêter de se voiler la face. Il était coupable et c'était tout. On dit souvent que le karma rattrapait ceux qui faisaient de mauvaises actions : c'était chose faite. Stiles avait tué, il se prenait de violents retours de bâton. Pas grave, il méritait tout ce qui lui arrivait. Et puis… C'était peut-être pour ça qu'il avait survécu à son accident de voiture. Pour payer cher les actes qu'il avait commis sans le vouloir. Mais même involontaire, ce genre de choses finissait par se payer.

Lorsqu'il avait trouvé la boîte, Stiles s'était également muni d'un verre d'eau. Parce que ce n'était pas pour regarder d'un air idiot les cachets qu'il les avait pris. Ce n'était pas non plus pour en prendre un seul.

Non, son idée c'était juste de tripler la dose et de coupler ça à ses antidouleurs habituels parce que rien d'autre ne pourrait l'aider à se sentir mieux actuellement.

Et surtout, se shooter un peu l'empêcherait de faire de regrettables bêtises… Pour le moment.