Le regard de Stiles était éteint. Il était neuf heures du matin et il était là, au loft, au lieu d'assister à ses différents cours du jour.

Pourtant, il avait accepté – à contrecœur – la proposition de Derek, à une condition. Ne pas informer tous ses « amis » du comportement abusif de Scott, qu'il continuait de minimiser. Non, il avait limité les confessions à une personne, mais n'avait pu choisir laquelle : il avait lancé à Derek qu'il n'aurait qu'à choisir la personne qu'il considérait la plus apte à savoir. Si Stiles avait choisi lui-même, il aurait beaucoup hésité entre Lydia et Isaac. Liam, de son côté, était bien trop jeune et dévoué à Scott. Jeune transformé, il ne pouvait pas voir sa vision de son presque alpha ainsi sabotée. Lydia et Isaac accuseraient mieux le coup. Enfin, si ça ne tenait qu'à lui, il aurait choisi de continuer à tout garder pour lui, parce que… C'était mieux comme ça ? Seul Derek pouvait savoir. Seul Derek était capable d'insister et surtout d'arriver à lui tirer les vers du nez. Seul Derek pouvait le faire parler tout en faisant en sorte qu'il soit consentant. Pour être honnête, Stiles ne savait pas vraiment comment ni pourquoi il arrivait à s'ouvrir à lui quand il le lui demandait. Était-ce parce qu'il l'aidait chaque jour qui passait ? Était-ce parce qu'il l'avait sans doute sauvé de ses pensées intérieures qui le tuaient ? N'allez pas croire que l'hyperactif était sorti d'affaire : mentalement, ça n'allait toujours pas vraiment. On ne pouvait pas se débarrasser de son mal-être en quelques jours seulement, encore moins lorsque l'on avait eu de sérieuses pensées suicidaires.

L'impact qu'avait eu Scott sur lui, avant et après son accident, se faisait toujours ressentir et Derek ne pouvait pas l'effacer en si peu de temps. Il lui en faudrait plus et l'un comme l'autre en étaient conscients.

L'hyperactif remonta le plaid qui le recouvrait jusqu'à son menton. Il se sentait vide, ne savait pas quoi faire… Il aurait dû insister, aller en cours. Au moins, ça l'aurait occupé.

Mais Derek avait insisté pour qu'il se repose un ou deux jours. Très franchement, Stiles n'en voyait pas l'intérêt. S'il avait plus ou moins accepté le marché du loup, c'était bien pour retourner en cours. Manque de chance, ici, c'était Derek Hale qui décidait. En soi, Stiles était libre de faire ce qu'il voulait et pouvait se battre, refuser son aide, imposer ses choix puisqu'ils le concernaient directement : pourtant, il ne le faisait pas. Au fond, c'était parce qu'il n'avait pas tant envie que ça de se débrouiller et de se battre seul pour recouvrer un minimum de santé mentale. Stiles restait quand même lucide. La solitude l'aurait poussé à ne rien faire. Chez lui, sans son père, il se serait laissé couler sans même essayer de se rattraper à quelque chose. Déjà qu'avec lui, il s'ignorait… Lorsqu'il était là, avec lui, Stiles s'était plié en quatre pour remonter dans son estime, lui remonter le moral, lui faciliter la vie, lui éviter de se tirer une balle. L'hyperactif savait que cette pensée fugace traversait parfois l'esprit de son paternel et pas besoin d'avoir des facultés surnaturelles pour le deviner. Il avait suffi qu'il prononce ces mots une fois, à l'hôpital, pour que Stiles comprenne que c'était du sérieux. Noah n'était pas le genre d'homme à dire des paroles en l'air.

Oui mais voilà, même s'il n'était pas seul à proprement parler, Stiles n'avait aucune motivation. Lorsque Derek lui avait sorti, la veille au soir, qu'il ne retournerait pas tout de suite en cours, l'hyperactif avait simplement hoché la tête avant de poser celle-ci sur son oreiller et de fermer les yeux. Le sommeil lui était venu très naturellement et il était simple de deviner pourquoi : dormir était la seule activité qu'il aimait pratiquer en ce moment. Quoi de plus normal que d'apprécier des heures de néant, de savoir que le temps passait sans le sentir s'écouler ?

Et puis, entre ça et la culpabilité qu'il ressentait, on ne pouvait pas dire qu'il allait vers des jours heureux. En fait, son père lui manquait et malgré ce qu'il lui avait fait subir à de multiples reprises, Stiles… S'en voulait. Que faisait son paternel à l'heure actuelle ? Etait-il entouré ? Il savait que Peter allait le surveiller de temps à autres mais… Noah n'était pas vraiment capable de vivre seul. Il n'y avait qu'à voir l'état de la maison et son état à lui lorsque Stiles était revenu. Sans son fils, le père était tombé dans les bras de sa vieille amie, l'addiction. Quoique, en y repensant, c'était à cause de lui, qu'il avait replongé. Lui, Stiles, le fils indigne, l'incapable, l'empoté, le pauvre con capable de n'occasionner que des problèmes. Tout ce qu'il lui avait apporté récemment, c'était une facture exubérante pour les soins qui lui avaient été apportés lorsqu'on l'avait pris en charge après son accident. Si l'on ajoutait à cela les frais d'Eichen House que son père avait à peine pu commencer à rembourser…

Et Scott. Scott McCall, son ancien meilleur ami. Que dire ? Il lui avait arraché son premier amour de la pire des manières. Il avait tué Allison, effaçant à jamais le bonheur de la vie du latino, qui le lui rendait bien. En soi, justice était faite.

Il apportait le malheur sur son passage : le destin se chargeait de lui rendre la pareille.

Allongé sur le canapé et le plaid bien remonté, Stiles ressassait au lieu d'être en cours et se faisait les mêmes réflexions qu'auparavant, comme s'il n'avait pas progressé.

En fait, c'était ça, la dépression : une boucle infinie, un ouroboros. Un cycle sans fin duquel il ne pouvait pas vraiment sortir. Du moins, pas sans aide. Mais qui aurait la patience de le suivre sur ce chemin tortueux qui n'était rien d'autre que celui de la guérison ? Derek était adorable, mais jamais il ne tiendrait jusque-là. C'était bien trop long, bien trop compliqué. Et puis c'était un alpha, il avait bien d'autres choses à faire. Il n'allait pas passer sa vie à aider un pauvre adolescent comme lui, un hyperactif insupportable et incapable de se sortir lui-même de la prison mentale dans laquelle il s'était lui-même jeté.

Et pourtant, Stiles commençait lentement mais sûrement à être sûr d'une chose.

Il voulait s'en sortir.

Il le voulait, oui. Mais il ne savait pas comment faire.

Stiles releva lentement ses yeux éteints pour les poser sur la table basse. Son téléphone avait vibré ce qui, malgré ses récents « échanges » avec Lydia, Liam, Isaac et Scott, par la force des choses, restait un évènement particulièrement rare, si bien qu'il avait manqué de sursauter. Et si Stiles se saisit mollement mais rapidement de son cellulaire, ce n'était pas parce qu'il espérait recevoir un message amical, non : c'était bien parce qu'il n'avait strictement rien à faire et que lorsque c'était le cas, il pensait trop, noircissant davantage ses réflexions déjà pas bien reluisantes. L'espoir d'amitiés réelles restait néanmoins tapi en lui, loin, entre mille et une pensées amères. Sa seule peur, c'était de tomber sur un texto de Scott. Son message de la dernière fois lui avait fait l'effet d'une bombe qui l'avait poussé à se shooter aux médicaments. Alors, Stiles ne savait pas ce qu'il serait capable de faire en cas de récidive du latino. Mentalement, il était fragile et Scott devait forcément s'en être rendu compte.

Un semblant de surprise illumina fugacement les yeux fades de Stiles, qui venait de déverrouiller son téléphone.

De : Liam Dumby-Dunbar.

Je peux passer te voir après les cours ?

Ce n'était pas tant l'identité de celui qui le contactait qui l'étonnait que le contenu brut de son message plus que clair. Néanmoins, pour éviter de torturer son esprit qui commençait déjà à analyser les mots de Liam en long, en large et en travers, Stiles répondit de manière pragmatique.

A : Liam Dumby-Dunbar

C'est pas à moi qu'il faut demander ça, je suis toujours chez Derek.

Là aussi, il s'en voulait : imposer sa présence pas le moins du monde profitable n'était pas son objectif, loin de là.

Etonnamment, Liam lui répondit quelques secondes plus tard que Derek était d'accord, ce à quoi Stiles fronça les sourcils et rétorqua qu'il aurait sans doute bien mieux à faire que de passer le voir, lui, après les cours. Parfois, il arrivait à faire preuve d'honnêteté et c'était le cas à ce moment-là : la sidération l'aidait à parler franchement sans même qu'il en prenne réellement conscience. Et le dernier message de Liam fut sans équivoque : « Je passerai. »

Stiles ne l'empêcherait pas de faire ce qu'il voulait, mais il ne comprenait pas pourquoi l'adorable petit louveteau voudrait le voir, lui. Là aussi, il avait régressé sans même s'en rendre compte. Incapable d'imaginer que Liam voudrait lui rendre visite par amitié, Stiles se disait qu'il avait forcément quelque chose à lui demander ou à lui dire. Peut-être que son père lui avait demandé de le tenir au courant par rapport à sa blessure à la jambe, pour éviter tout risque de le réopérer par la suite ? Une opération gratuite, en Amérique, c'était vraiment exceptionnel et aucun médecin ne réitèrerait l'expérience s'il voulait avoir de l'argent sur son compte en banque à la fin du mois.

Reposant son téléphone sur la table basse, Stiles se réinstalla dans sa position initiale et remonta à nouveau le plaid jusqu'à son menton. Il avait froid. C'était un froid intérieur qui ne lui laissait pas de répit et qui l'empêchait de réfléchir correctement.

Ce qu'il aimerait que Derek soit là, avec lui. Pas besoin qu'il lui parle ou qu'il le touche, juste… Qu'il soit à ses côtés. Parce que, l'air de rien, sa présence l'aidait, dans un sens, à accepter sa situation et à la supporter. Il ne lui dirait pas, de peur que le loup s'oblige encore plus à le couver, mais il le pensait sincèrement. Derek, c'était son phare dans la tempête qu'était son cerveau.

S'il avait attendu quelques minutes, il aurait vu son souhait se réaliser. Mais fatigué de tout, il se rendormit juste avant que le loup ne pénètre dans le salon. Il ne vit alors pas son visage défait, ni son regard triste. Ne se posa donc pas de question et ne put s'imaginer l'inquiétude qui rongeait le loup à son sujet.