Derek jeta un coup d'œil rapide à l'immense baie vitrée de son salon. Le rose se disputait avec l'orangé et toutes les nuances flamboyantes entourant le soleil couchant, tandis qu'il caressait distraitement les cheveux châtain du bel endormi. Son visage aux traits finalement détendus reposait sur son torse et ses lèvres effleuraient, immobiles, le bord du col de son haut. Derek reporta son attention sur les mèches avec lesquelles il ne pouvait s'empêcher de jouer. La courte chevelure de Stiles était constituée d'un millier de nuances brunes desquelles se distinguaient quelques cheveux aux reflets dorés. La respiration du jeune homme était lente et régulière, agréable à entendre, tout comme les battements de son cœur. Son odeur, elle était plus que supportable, délestée de toutes ces choses qui l'alourdissaient. La sérénité relative de l'adolescent était temporaire, mais Derek en profitait. Il réfléchissait. Songeait à sa descente aux enfers, à tous ses amis qui lui avaient tourné le dos. A son père. L'alpha se doutait bien que l'hyperactif ne lui avait pas dit tout ce qu'il avait sur le cœur, mais le fait qu'il accepte de se livrer à lui et de ne rien lui cacher sur le moment était un bon point. Le reste finirait par venir. Toutefois, ses confidences étaient des alarmes en elles-mêmes : Derek devait, sans doute plus que jamais, faire attention à lui. S'absenter et compter sur une histoire d'horaires pour faire ce qu'il avait à faire ne tenait plus : Stiles lui avait prouvé que sans surveillance, dérailler était pour lui une chose des plus simples. Le pire, c'était la manière dont il avait agi. En se shootant, il s'était protégé. Autrefois, jamais Derek n'aurait cru l'hyperactif capable de faire cela, encore moins d'avoir des idées suicidaires… Mais c'était pourtant bel et bien le cas. Stiles, lucide sur son état, avait préféré se bourrer de médicaments plutôt que d'essayer de passer l'arme à gauche. Dans le fond, il avait envie de vivre : subsistait en lui cet espoir de s'en sortir malgré tout. Même s'il pensait le contraire, Stiles savait qu'il n'était plus seul, que l'on faisait attention à lui. Si personne n'était au courant de son mal-être à l'heure actuelle, Derek était certain qu'il aurait fini par sauter le pas, en secret. Il aurait osé, parce qu'il aurait eu conscience de se trouver dans une situation sans retour, sans espoir. Si l'hyperactif avait choisi de se rendre apathique et complètement dans les vapes, c'était pour s'éviter de penser davantage à ce qu'il aurait fait, seul.

Alors malgré le malheur, Derek entrevoyait une lueur d'espoir. La rechute de Stiles était claire et nette, mais pas sans échappatoire. Avec lenteur et douceur, la main du loup descendit jusqu'à s'arrêter sur la courbure légère de la hanche de l'hyperactif. Perdu dans ses pensées, Derek ne s'en rendit pas tout de suite compte. Son cerveau carburait, tournait à vive allure. Nul doute que le Stiles d'autrefois le charrierait, s'il en venait à lui avouer que ses rouages cérébraux fumaient tant ils fonctionnaient à plein régime. Il le comparerait à lui, juste pour l'embêter. Une pincée douloureuse naquit dans la poitrine du loup. Pourquoi tout était si compliqué ? Et pourquoi diable lui avait-on tourné le dos ? Derek se comprenait dans le lot. En tant qu'alpha, il avait ses torts dans cette histoire et ne comptait pas les oublier. Chaque membre de sa meute avait son importance et méritait de l'attention, de l'aide, un soutien constant, mais l'effacement de Stiles avait été si subtil dans sa lenteur que le loup n'avait rien vu. Et pourtant, il aurait dû. Dans son sommeil, l'hyperactif se colla contre lui. Le souffle de Derek se coupa un instant à cause d'une pensée frivole qui éteignit tout de suite. Il était mi-homme, mi-animal, mais savait se contrôler mieux que quiconque sur cette terre. Ce n'étaient pas des fesses inconsciemment logées contre son bassin qui allaient le détourner de ses pensées principales et de son objectif premier.

xxx

Stiles avait beaucoup de mal à se concentrer, tant et si bien que cela faisait trois fois qu'il relisait la même phrase. Ce qu'il avait sous les yeux ? Le cours d'histoire impeccablement rédigé de Lydia. Il n'y avait pas une rature, pas une trace de blanco, pas de tâche d'encre, juste des mots remarquablement écrits, avec une régularité déconcertante. Si Stiles n'avait jamais fait le fier avec ses pattes de mouche, il avait au moins la fierté de se dire qu'il était le seul à arriver à se relire. A côté du cahier se trouvait son téléphone portable, irrémédiablement silencieux. Pas de problème, c'était ce qu'il désirait. Liam, Isaac et Lydia étaient en cours et ce cahier, c'était tout ce qu'avait pu lui apporter Lydia avant d'aller au lycée, la veille. Elle l'avait salué chaleureusement, ne lui avait posé aucune question quant à son absence qui de ce qu'il en savait, allait se prolonger. Derek ne voulait pas qu'il retourne au lycée pour l'instant et s'était arrangé pour faire en sorte que cela ne lui crée pas de problèmes. Pour être honnête, Stiles ne comprenait pas pourquoi le loup prenait autant de précautions, mais il n'allait pas se battre pour le contredire. Il n'en avait ni l'envie, ni la motivation. Faire ce qu'il lui disait de faire, c'était bien plus simple. Pas besoin de se prendre la tête, ni réfléchir, Stiles se contentait de rattraper certains de ses cours petit à petit sans déranger personne. Ainsi, il satisfaisait des Derek, et ne le dérangeait plus. Jamais l'alpha n'avait dit ou sous-entendu une chose pareille, mais c'était pourtant ce qui était venu à l'esprit de l'hyperactif. S'il allait un peu mieux, il gardait toutefois cette idée en tête. Elle était le fruit de vieilles habitudes, couplées à une solitude trop longue qui lui avait laissée de lourdes séquelles psychiques. La peur de déranger était un exemple flagrant de tout ce qui avait été détruit en lui. La moindre attention, la moindre marque d'affection… Loin de les refuser, il les chérissait tout en faisant attention à ne pas trop en profiter. Stiles ne comptait pas abuser de l'hospitalité de Derek, ni de tous ces contacts qu'il lui offrait. Parce que le loup, loin d'en être avare, le touchait chaque fois qu'il se rapprochait de lui. C'était doux, agréable et jamais poussé. En fait, c'était tout ce dont Stiles avait besoin pour garder la tête hors de l'eau.

- Alors, comment ça avance ?

Stiles ne put réprimer un léger sursaut. Complètement déconcentré quant à son cours, il s'était perdu dans ses pensées à tel point qu'il n'avait pas entendu Derek arriver. Le loup lui semblait, comme toujours, à l'aise. A l'aise, avec une expression le plus souvent indéchiffrable, tant et si bien que l'hyperactif savait rarement quoi en penser. Il ne réfléchissait pas trop à cela, histoire d'éviter de se faire davantage de nœuds au cerveau.

- C'est difficile, répondit Stiles alors qu'il sentait la main du loup se poser sur sa cuisse.

Le contact propagea instantanément une onde de chaleur dans son corps, corps qui lui semblait toujours se refroidir de l'intérieur dès que Derek s'éloignait. Stiles, loin d'être gêné, se laissa instantanément reculer dans le canapé et basculer légèrement sur le côté. Son épaule rencontra celle de Derek. La main sur sa cuisse semblait être à sa place. Tout sauf indécente, elle était plus proche de son genou que de l'intérieur de ses jambes. C'était affectif, sans ambiguïté.

- Qu'est-ce qui te pose problème ? S'enquit le loup sans cesser le contact, ni se décaler d'aucune manière.

Stiles hésita à répondre. Pas par gêne ou un autre sentiment du genre. Puis, il se lança :

- Je ne sais pas, c'est juste… J'ai du mal à me concentrer.

D'un regard, Derek l'incita à développer.

- Le cours est clair et tout est compréhensible, mais je pense que… Pour l'instant, je n'y arrive pas. C'est stupide, je sais, mais je… Je suis devenu beaucoup trop con.

Il lâcha cette dernière affirmation avec amertume, comme si perdre l'habitude d'étudier en cours ou simplement d'y aller avait suffi à mettre ses neurones en berne. Il entendit un soupir et la main de Derek quitta sa cuisse. Aussitôt, le froid se répandit à nouveau à l'intérieur de son corps et Stiles se figea un instant. Il se sentait glacé, d'un coup, comme si la chaleur du loup, si vite retirée, avait des conséquences physiques sur sa température corporelle. Sachant fort bien que c'était stupide, Stiles garda simplement à l'esprit qu'il avait pris goût un petit peu trop vite aux contacts que le loup lui offrait. Avec une stupeur non dissimulée, l'hyperactif vit son protecteur fermer le cahier qu'il était censé étudier.

- Mais… Fut tout ce qu'il réussit à dire.

Derek poussa le cahier de manière à ce qu'il ne soit pas à la portée du fils du shérif.

- Tu vas arrêter de te dévaloriser, dit-il simplement.

- Je sais pas, je…

- Ce n'était pas une question.

La main revint retrouver sa place sur la cuisse de Stiles, qui poussa un discret soupir. La chaleur revint instantanément. L'hyperactif retint son envie de fermer les yeux et de se reposer complètement contre Derek. Le loup avait un étrange pouvoir sur lui, celui de le détendre et de lui donner envie de se serrer contre lui en un geste. Se forçant à ne pas trop penser à cela alors qu'il savait avoir déjà fait cela à plusieurs reprises, Stiles lâcha :

- Je vais… Essayer.

Parce qu'encore une fois, il avait perdu toute combativité et n'avait pas la moindre envie de se prendre la tête, encore moins concernant un sujet aussi idiot et stupide que Derek ne devrait même pas aborder.

L'alpha secoua la tête.

- Tu vas y arriver, le corrigea-t-il.

- Tu es optimiste, releva l'hyperactif en esquissa un petit sourire timide.

- J'ai confiance en toi, rétorqua le loup sans aucune hésitation.

Stiles sentit son cœur rater un battement et, touché, regarda son hôte qui le lâcha à nouveau… Pour ouvrir ses bras. Sans même réfléchir ni penser à toutes ces marques d'affections qu'il acceptait bien trop facilement, Stiles saisit l'occasion de retrouver la chaleur familière de ses étreintes et fourra son nez dans le cou de son alpha. S'il prit ce geste de Derek pour un acte de bonté parsemé d'une once de pitié envers sa personne, la vérité était toute autre. Derek lui témoignait une certaine affection et l'aidait de son mieux, certes.

Mais cette étreinte était le moyen pour lui de laisser tomber, l'espace d'un instant, son masque indéchiffrable au profit d'une expression plus sombre, dangereuse, teintée d'une colère sans nom. Avec une douceur contrastant avec l'ire dans son regard, regard que Stiles ne pouvait voir dans sa position, Derek le serra contre lui.

Car avant de rejoindre Stiles lorsqu'il étudiait son cours, il avait reçu un message.

Autant dire qu'il n'était pas près de se calmer et qu'il allait rapidement devoir prendre des mesures expéditives.