Derek savait qu'il était censé prendre des mesures expéditives. Il en était bien conscient. Laisser perdurer une telle situation ne pouvait être que négatif et provoquer une certaine nécrose au sein de la meute. Meute dont l'équilibre était encore un peu stable pour l'instant, mais pas suffisamment pour qu'il ait l'esprit tranquille. Cependant, plus encore que la raison de son dilemme, c'était Stiles qui le préoccupait – comme toujours. Difficile de dire où en était le jeune homme tant il était imprévisible. Le peu d'informations que Derek glanait venaient de son odeur – son regard ne cachait rien, mais les effluves qu'il dégageait permettaient au loup d'analyser un peu plus précisément ses émotions.
En fait, c'était justement cet élément-là qui empêchait Derek de passer à l'action.
L'état mental de Stiles.
En l'état actuel des choses, Derek ne se voyait pas partir en « mission punition ». Laisser l'humain seul… Il avait bien vu ce que cela donnait. Pour l'instant, Stiles avait besoin d'une surveillance quasi-constante et d'une certaine attention. Ces temps-ci, le loup le voyait comme un équilibriste qui avait manqué de tomber à plusieurs reprises… Et cela le terrifiait. Il se rappelait fort bien de ses paroles lorsqu'il lui avait parlé après sa rechute. Si Stiles n'avait pas eu ses médicaments à portée de main, s'il ne les avait pas trouvés… Peut-être que la surprise que Derek avait eu en rentrant aurait pu être bien plus sordide.
La pire de toutes.
L'idée de le faire retourner encore lui avait également traversé l'esprit, étant donné que cela faisait partie de leur deal : si Stiles l'autorisait à parler de son histoire à l'un de ses amis, le loup se devait de le laisser repartir au lycée. Oui, mais… La donne avait un petit peu changé et Derek considérait – à raison – l'état de l'humain encore un peu trop fragile pour cela. Son équilibre mental était si précaire que Derek ne voulait pas prendre le moindre risque pour l'instant. Le préparer petit à petit au retour à la vie normale : oui. L'y jeter dès maintenant : non. Le loup et l'humain en Derek s'accordaient sur un point, un besoin bien précis.
Le protéger.
Peut-être Derek pensait-il à cette idée un peu trop fort, mais… C'était nécessaire.
Et lorsqu'il exposa son point de vue à l'hyperactif, il sut qu'il avait raison sur toute la ligne. Stiles ne lui avait, pour ainsi dire, pas opposé la moindre résistance malgré son attitude datant d'avant qu'il décide de parler des agissements discrets de Scott à Liam. Cette passivité continuait d'inquiéter Derek tout autant que son humeur changeante et rien que pour cette raison, il se sentit plus léger à l'idée de le garder encore un peu ici. Tant pis si ça le bloquait au loft, s'il devait remettre certaines choses à plus tard. Pour lui, ça en valait la peine.
- Comment tu le sens ? Demanda-t-il.
Depuis cinq minutes déjà, l'alpha était au téléphone avec son oncle. S'il l'avait écouté raconter sa journée et qu'il en avait fait de même, Derek continuait de surveiller Stiles avec ses sens lupins. Il lui laissait du temps seul, de l'espace et donc un semblant d'intimité pour lui redonner confiance, mais il gardait la main au cas-où. Ses oreilles et son nez étaient à son service. Pour l'instant, rien d'anormal à signaler : il entendait l'hyperactif tourner les pages d'un des cahiers de Lydia dans l'espoir de retenir quelque chose. Son odeur n'était pas très parlante, parce que pour étudier, Stiles avait fait au maximum le vide dans son esprit et pour l'instant, cela fonctionnait.
- Comme un ivrogne, répondit Peter d'un air agacé.
Derek soupira et se pinça l'arête du nez.
- Mais encore ?
- Il est dans le déni. Melissa n'arrive pas à lui faire entendre raison.
Cette fois, la voix de Peter était descendue d'un ton et était atrocement sérieuse. L'alpha entendit un soupir et il se tendit.
- Il nie boire à outrance, tout comme il nie avoir levé la main sur notre petit humain, lui apprit son oncle.
Et juste avec cette information, Derek se demanda de quelle manière sa journée pourrait s'empirer. Aussitôt, le visage encore un peu abîmé de l'hyperactif naquit dans son esprit. Ses poignets bleuis, aussi.
- Mais nous savons bien évidemment qu'il ment étant donné qu'il a l'air d'oublier que je peux entendre le moindre de ses battements de cœur. Je plains notre petit humain de vivre avec un tel idiot…
- Il n'est pas idiot, rétorqua Derek, agacé.
Noah était loin d'être un homme stupide au sens propre du terme. Loin de lui trouver des excuses, le loup-garou voyait où il en était arrivé et surtout, de quelle manière. Le déni dirigeait d'une main de maître chacun de ses actes. Qu'importe les efforts que l'on déploierait pour lui faire entendre raison, il faudrait au shérif subir un fort déclic pour se sortir de cette situation. Oui, Noah niait tout ce qu'il avait fait, y compris les mauvais traitements qu'il avait fait subir à son fils. Parce qu'au fond, il était persuadé de n'avoir rien fait ou en tout cas, rien de mal. Le seul à savoir la vérité, c'était son cœur. Ainsi, il le trahissait.
- Continue de t'occuper de lui, on finira bien par en tirer quelque chose, soupira le loup, en se pinçant à nouveau l'arête du nez.
- Moi, je pense surtout qu'il lui faut un déclic, lâcha Peter à l'autre bout du fil. A mon avis, il va falloir qu'il sache.
- Non, s'opposa aussitôt l'alpha.
Peter parlait de faire connaître à Noah l'étendue de l'état de Stiles, aussi bien physique que mental. Lui parler de la réalité de l'accident, de la dépression du jeune homme, de l'opération clandestine qu'il avait dû subir, de ces coups qu'il n'oublierait jamais. Que Noah le veuille ou non, il avait blessé son fils. Fils qui se sentait déjà assez coupable comme cela concernant l'état de son paternel. Et la priorité de Derek ne portait pas d'autre nom que celui de Stiles. Alors, il refusa que Peter ouvre les yeux au shérif de cette manière tant que l'hyperactif n'aurait pas donné son accord à ce sujet.
- Dis-lui simplement qu'il ne reverra pas son fils tant qu'il n'aura pas changé, tant qu'il sera un danger pour lui.
Un soupir se fit entendre au bout du fil. Derek pensa alors à quelque chose. S'il ne pouvait pas se déplacer pour l'instant, il pouvait au moins faire quelque chose de simple…
- Une dernière chose, dit-il. Tu diras à Melissa McCall de rappeler à son fils que chaque acte a des conséquences. Ne dis rien de plus. Melissa ne comprendra peut-être pas mais Scott verra exactement de quoi je parle.
Sur ces mots, il raccrocha.
La menace, qui semblait plutôt douce, était plus sous-jacente qu'autre chose. On disait que Scott était lent d'esprit et il l'avait montré à plusieurs reprises, mais tout cela n'était rien d'autre que du pipeau. Oui, Scott était lent, uniquement lorsque cela l'arrangeait. Pour réussir à isoler régulièrement Stiles et à l'agresser au lycée sans jamais se faire voir… Oui, le latino avait de la ressource et si Derek ne le calmait pas bientôt, Scott risquait de déraper. Ce qu'il avait déjà fait à l'hyperactif était impardonnable : néanmoins, l'alpha avait peur que les choses ne dégénèrent davantage. Ainsi, il ferait les choses dans l'ordre, sans mettre son protégé en danger.
En lui exposant cette menace des plus simples, il le mettait en garde. De là, Scott serait tendu et, dans un monde utopiste, se remettrait en question. Toutefois, Derek doutait de cette finalité. En somme, l'alpha sut qu'il le recadrerait à la prochaine réunion de meute, qui serait le cadre le plus adapté à ce genre de jugements. Ainsi il pourrait lui refaire le portrait tout en surveillant les constantes de l'hyperactif, qu'il retrancherait à l'étage. Ce plan-là, fraîchement imaginé, suffit à apaiser temporairement son loup. De toute manière, quelle que soit la façon dont il le sanctionnerait, Scott apprendrait et retiendrait la leçon. Qu'on le veuille ou non, le monde surnaturel n'était pas tendre, on pouvait même le juger cruel par certains aspects. Mais c'était comme cela qu'il marchait. Et encore, Derek faisait tout pour que les membres de sa meute soient à l'aise et s'accordait sur leur avis, tout en assouplissant certains aspects de cette vie peu commune qu'ils devaient mener.
Pour cette fois-ci, il ne ferait pas de cadeau.
Parfois, la douceur aidait. D'autres fois, elle laissait la porte ouverte aux dérives pour les gens qui, comme Scott, cachaient un autre visage. L'entièreté de la meute avait sa responsabilité quant à l'oubli et la dépression de Stiles. Néanmoins, un seul avait cherché sciemment à lui faire du mal. Un seul avait levé la main sur lui. Isolé. Harcelé. Frappé. Alors pour l'instant, Scott paierait le prix fort. Mais Derek voyait déjà sa tolérance baisser.
Sachant qu'il ferait mieux de se calmer, Derek déposa son téléphone sur le premier meuble venu et décida d'aller voir son protégé. Surveiller ses battements de cœur ainsi que son odeur étaient une chose, le voir en était une autre.
Stiles était toujours aussi pâle. Toujours aussi fin. Le regard toujours aussi fuyant. Mais doucement, il changeait. Il avait notamment cette lueur dans le regard, ce semblant d'étincelle de vie qui doucement revenait. Derek sentit quelque chose se serrer au creux de son ventre alors que l'hyperactif levait jolis ses yeux ambrés dans sa direction. Et juste en le regardant, sa colère passa au second plan. Ses envies de vengeance aussi. Juste à cause de ces prunelles, cette lueur.
- Je vais bien, s'empressa de dire l'hyperactif, légèrement angoissé par le silence de Derek.
En l'état actuel des choses, il n'était pas envahi par autant de pensées nécrosantes que d'ordinaire. Bon, sa concentration n'était pas des plus qualitatives, ce qui rendait son travail sur ses cours des plus bancals et inefficaces. Toutefois, il s'efforçait de faire avec, alors… Dans un sens, il ne mentait pas. Et puisqu'il savait que Derek l'avait laissé le temps de passer un appel à il ne savait qui, il tenait à le rassurer, à espérer qu'il ne l'ait pas raccourci pour revenir à ses côtés. C'était idiot, mais Stiles aimerait que Derek ait confiance en lui. Sa méfiance était justifiée, certes. Cependant, l'hyperactif commençait doucement à se dire qu'il devait faire des efforts de son côté, tout simplement parce que le temps passé ici lui permettait de réfléchir et de se dire qu'il voulait s'en sortir… Et ne plus embêter le loup. Derek donnait tout autant son corps que son temps pour lui. Le nombre de gestes affectueux qu'il avait à son égard était non négligeable. Appréciable. Trop, sans doute.
Derek hocha doucement la tête avant de s'installer près de lui.
- Je sais.
De là, il passa un bras autour de lui et Stiles retrouva cette chaleur tant aimée, celle qui lui donnait l'impression de ne plus avoir de problèmes. Légèrement gêné, il se racla la gorge :
- Arrête, ou je vais finir par te redemander un câlin.
Derek haussa les épaules d'un air désinvolte alors qu'en lui, son loup était sur les starting-blocks. Prêt à donner son affection de manière démesurée. L'homme, bien plus mesuré, répondit d'un ton qui se voulait neutre :
- Un de plus ou un de moins…
- Je risque de prendre ça pour une invitation, soupira l'hyperactif en posant nonchalamment sa tête sur l'épaule du loup.
- Tu ne devrais pas prendre tes désirs pour la réalité, rétorqua Derek en l'étreignant de ses deux bras, cette fois-ci.
- La réalité est quand même vachement cool.
Stiles se pelotonna contre cet homme qui, il mit du temps à s'en rendre compte, avait presque « plaisanté » avec lui ou plutôt… Joué. De manière douce, plus ou moins subtile mais surtout d'une façon si agréable qu'il ne pouvait s'empêcher de se rapprocher de lui.
- J'imagine que tu arrêtes de réviser ? Soupira l'alpha d'un air faussement agacé.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Tu m'emprisonnes, joua timidement Stiles.
- Plains-toi.
- Jamais.
Stiles ne sut pas vraiment comment ils finirent allongés sur le lit, mais le fait était qu'il restait là, entre les bras de ce loup qui le surprenait de jours en jours. Comment se plaindre d'un homme pareil ? C'était bien parce qu'il se montrait si affectueux avec lui que Stiles se permettait d'essayer de retrouver un semblant de vie, un semblant de la personnalité qui le caractérisait autrefois, avec cette envie de jouer avec lui, de le provoquer – dans une moindre mesure bien sûr. Alors il se blottit d'autant plus contre lui et profita de la chaleur qui irradiait sans arrêt de son corps. Néanmoins, parce qu'il fallait bien que ça arrive, une pensée fugitive et angoissante passa la barrière de ses lèvres sans qu'il n'y fasse attention :
- Tu… Tu me laisses pas, hein ?
Sa voix était devenue soudainement fébrile, presque cassée. Parce que même si Derek le mettait à l'aise, il continuait, dans un sens, d'être animé par la peur de l'abandon, celle qui l'avait poussé à s'effacer petit à petit. Et Derek, lui, l'amenait à s'affirmer, à faire attention à lui. Une chose était certaine : il avait beau avoir Liam, Stiles savait qu'il laisserait sans doute tout tomber si l'alpha décidait de l'abandonner d'une quelconque manière.
- Jamais.
Ainsi, deux lèvres étonnamment douces vinrent se poser sur son front et éloignèrent, l'espace d'un instant, la noirceur fébrile de ses pensées. Au même moment, l'étreinte sur lui se raffermit.
Et Derek, de son côté, avait totalement relégué ses idées au second plan. En lui, seul le besoin de le submerger d'une affection mesurée régnait.
