Les draps et la couette lui parurent plus doux qu'à l'accoutumée. Pour quelle raison ? Stiles ne saurait le dire. Peut-être parce que… Parce qu'il y faisait un peu plus attention pour mettre de côté son stress latent. Et parce qu'il s'évitait également de laisser ses yeux dériver vers le corps splendide de Derek, qui était tout bonnement en train de se déshabiller. Comme chaque nuit, il dormait en boxer. Il lui avait d'ailleurs confié une fois que le seul frottement qu'il pouvait supporter la nuit, c'était celui de sa literie. Puis avec des vêtements, il aurait trop chaud. Stiles, lui, n'avait rien enlevé. Seul, il le faisait, mais avec Derek, il avait un peu de mal. Complexe d'infériorité. Honte, aussi. Pas beaucoup, juste un peu. Stiles n'était pas extrêmement à l'aise avec son corps. Pas complètement, en tout cas. Par chance, la chose n'était pas maladive. Simplement, le contexte ne s'y prêtait pas et l'hyperactif se voyait mal se dévêtir juste parce que Derek le faisait. Puis, ça changerait ledit contexte. Lui donnerait un aspect tout autre. L'air de ce qu'ils n'étaient pas.
Une image de leurs corps nus l'un contre l'autre apparut dans son esprit et Stiles la balaya d'un revers de pensée. C'était une chose beaucoup trop saugrenue pour qu'elle puisse être possible. Pourquoi y avait-il donc très brièvement songé ? Parce qu'il avait un cerveau tout aussi hyperactif que son corps et qu'il était malencontreusement capable de se faire une image mentale d'à peu près tout et n'importe quoi.
C'était fatigant, parfois.
Alors non, Stiles ne rougit pas, ne fut pas gêné de cette vision plus que fugace. Parce qu'il n'était pas surpris de l'avoir dessinée.
Parce que c'était la première fois qu'il imaginait ça. Tant que ça ne se répétait pas, cela ne voulait rien dire, pas vrai ? Bien sûr que cela ne voulait rien dire. Une image comme ça n'avait pas forcément de signification profonde. Stiles fut soudainement coupé dans sa réflexion – qui, il fallait le dire, tournait en rond – par Derek qui se glissait à côté de lui, sous les draps.
Il n'éteignit pas la lumière. S'adossa contre sa tête de lit, un coussin dans le dos, de sorte à rester confortablement assis. Stiles l'imita, se voyant mal rester couché pendant que le loup-garou lui parlait. Après tout, il n'avait pas oublié que ce dernier voulait discuter. De quoi ? Il ne le savait pas précisément mais s'imaginait bien que la conversation concernerait la réunion. D'ailleurs, il semblait avoir abandonné le manteau de colère qui rendait son regard plus dur que d'ordinaire et plus froid que jamais. Là, c'était plus simple de le regarder sans se dire qu'il devait baisser les yeux. Si Stiles ne sentait pas l'aura d'alpha en tant que telle, il la devinait. Et elle était forte lorsqu'il était en colère.
En cet instant, ça allait. Alors, Stiles attendit qu'il se décide, qu'il ouvre la bouche. Cela finit par arriver.
- Comment tu te sens ?
Stiles fut sincèrement surpris, car il n'imaginait pas que Derek ouvrirait la discussion de cette manière, sur quelque chose d'aussi futile et qui le concernait lui. Pris de court, il fut un peu lent à répondre et, sachant qu'il ne pouvait lui mentir, tenta de gagner un peu de temps.
- Physiquement, ça va. J'ai moins mal.
- Et moralement ?
Bien sûr, il s'y attendait. Ainsi, il tenta d'esquiver un peu la chose.
- Tu le sais déjà, non ?
De cette façon, pas besoin d'épiloguer. Etape suivante. Stiles n'était jamais à l'aise lorsqu'il devait parler de son ressenti. C'était… Bizarre, presque inapproprié : les séquelles d'un mal-être trop longtemps ignoré, relégué en arrière-plan parce que… Parce qu'il n'était pas celui qui avait perdu sa petite-amie, son premier amour. C'était bête, mais la solidité de ce malaise venait de là. Lui, il n'avait rien perdu. Enfin si, Allison était une amie chère à son cœur et même s'il ne connaissait pas très bien Aiden, il l'aimait bien – même si Lydia s'était entichée de lui à un moment où l'hyperactif était encore à fond sur elle.
Dans tous les cas, c'était lui, qui avait pris les amours de ses deux amis. Lui et lui seul. Ainsi, il ne prenait en compte que leur ressenti. Pas le sien. On ne pouvait pas se plaindre lorsque l'on était coupable. Et c'était quelque chose qui durait, qui le mettait toujours mal à l'aise lorsqu'on lui demandait s'il allait bien. Dans le cas où Derek aurait été un humain, la chose n'aurait pas été gênante et Stiles aurait pu lui mentir aisément. Et même si l'autre ne le croyait pas, il n'aurait eu aucune preuve de son mensonge. Là, c'était mission impossible. Stiles pouvait souffrir en silence, ça ne le gênait plus. En revanche, faire l'étalage de ce qu'il ressentait lui… Il voyait presque ça comme une forme d'indécence.
Parce que c'était lui, le vilain mouton noir, celui qui tuait, qui faisait souffrir. Le fait que tout ceci ait été involontaire n'y changeait rien. C'était son corps qui avait agi. Pour Donovan ? Il n'avait même pas l'excuse de la possession. Il avait voulu se défendre, défendre son père, surprise. Donovan avait perdu la vie, et Stiles… S'en était sorti avec… Juste une morsure à l'épaule. Il en avait d'ailleurs si peu pris soin que la cicatrice était particulièrement hideuse… Mais il s'en fichait parce qu'ainsi, il était obligé de se souvenir, incapable de se donner le droit d'oublier.
- Je veux que tu le dises, Stiles.
L'hyperactif poussa un léger soupir. Evidemment.
- Je n'aime pas faire ça, avoua-t-il directement.
Comme c'était honnête, peut-être Derek le laisserait-il tranquille ?
- Et pourtant, c'est ce dont tu as besoin.
Raté. Néanmoins, Derek ne le laissa pas ainsi et l'aida à sa manière… En le lançant directement sur le sujet qui l'intéressait.
- Tu sais, j'ai remarqué à quel point tu t'es fait discret pendant la réunion, et même après, lâcha le loup d'une voix posée. Tu n'as pas à t'effacer de cette manière.
Mais il savait toutefois que c'était presque un réflexe pour Stiles, un réflexe qu'il essayait doucement de lui désapprendre. Derek n'était pas toujours quelqu'un de patient mais concernant certains sujets, il n'avait pas le choix, tout comme il savait que Stiles mettrait un temps monstre à guérir.
Physiquement et moralement.
Stiles lui jeta un regard en coin furtif.
- Tu étais en colère, répondit-il spontanément.
Et sitôt qu'il eut cet élément en sa possession, Derek comprit son cheminement de pensée. Parce qu'à force, il commençait à s'y habituer… Et à connaître l'énergumène. A comprendre la façon dont il voyait désormais son monde, assombri par le spectre constant de la culpabilité.
- Et tu pensais que c'était contre toi.
Pas besoin de poser la question, énoncer ses paroles sous formes d'affirmation suffisait. De son côté, Stiles ne nia pas, mais baissa les yeux.
- Je ne voulais pas te déranger ou que ma présence t'agace davantage.
Evidemment, songea Derek, j'aurais dû y penser. Mais cette idée ne lui avait pas effleuré l'esprit, jusqu'à ce qu'il se calme. Soumis à la colère, aucun humain ne pouvait songer à tout. Un loup-garou, encore moins. La priorité de Derek avait donc été de se changer les idées pour justement éviter que Stiles subisse sa colère, de quelque manière que ce soit. Son humeur ayant été massacrante, l'alpha avait limité au maximum leurs interactions, de sorte à le protéger d'un éventuel mot mal placé. Parce qu'il s'agissait bien de cela. Derek pouvait parfois dire des choses qui faisaient mal car dans ce genre d'état, tout pouvait le faire exploser, mais jamais il n'aurait levé la main sur l'hyperactif. Sur personne. Jamais.
Sans prévenir, Derek se rapprocha et passa un bras autour du corps de l'hyperactif pour le ramener contre lui. Stiles ne lutta pas, accepta le contact de Derek, qu'il appréciait de manière démesurée. Qu'il ne trouvait pas étrange, mais naturel. Rassurant. Ainsi, il laissa sa tête reposer sur l'épaule nue du loup et profita silencieusement de sa main reposant sur sa hanche habillée. Intime fut le mot qui lui vint tout de suite à l'esprit. Pour lui, c'était un contact intime. Peut-être pas pour Derek, certes. De toute manière, Stiles n'irait jamais lui faire la remarque… Pour la simple raison qu'il ne voulait pas que cette main si chaude quitte sa hanche si froide. Froide, comme l'entièreté de son corps. Qui, lui, n'était pas vraiment froid. La sensation était plus intérieure qu'autre chose.
- Ce n'est pas contre toi que j'en ai.
Stiles tiqua : Derek parlait au présent, pas au passé. Il lui paraissait bien plus détendu que tout à l'heure… Mais était-ce réel ? Et s'il s'était suffisamment calmé pour ne faire que dissimuler ses restes de colère ? Est-ce qu'il devait… La main quitta sa hanche, coupant ses réflexions, pour trouver refuge dans ses cheveux tandis que deux lèvres se posèrent avec une délicatesse inouïe sur son front. Ce contact-là fut très bref.
Le souffle de Stiles se coupa un instant. Il en voulait encore, mais ne demanda rien.
- Je suis désolé de t'avoir laissé penser que c'était de ta faute. Si je t'ai laissé de côté, c'est parce qu'il fallait que je me calme. Mais ne t'efface plus, Stiles, tu n'as pas à le faire. Tu as le droit d'exister, tu sais ?
Cette voix, bordel… Ce qu'il l'aimait. Ces mots, aussi. Dans un sens, ils lui faisaient du bien. Dans l'autre, l'hyperactif n'était pas certain de les mériter. N'ayant pas la moindre envie de croiser son regard si particulier qu'il ne saurait soutenir, Stiles se cala davantage contre le loup, tout en gardant la tête posée sur son épaule. Que Derek lui autorise ce genre de contacts était un cadeau pour lui… Et c'était pour cette raison qu'il n'en demandait pas plus, bien qu'il en ait foutrement envie.
- Oui, je sais, souffla-t-il.
Quelque part, il dut s'apaiser car ses épaules se firent moins crispées et moins de pensées sombres lui encombrèrent le crâne. Elles n'avaient pas disparu, cependant… Elles restaient en arrière-plan, retenues par tous ces contacts qui lui faisaient du bien. Leurs effets étaient multiples et efficaces, à tel point que Stiles fut honnête dans sa réponse. Oui, il savait qu'il avait le droit d'exister… En cet instant, il y croyait.
Légers déplacements. Pas un bras autour de ses épaules, mais deux bras qui l'entourèrent, l'étreignirent avec aisance. Stiles ne se fit pas prier pour accepter cette étreinte dans laquelle il se fondait déjà. Sa tête n'était plus tout à fait sur l'épaule de Derek, peut-être un peu plus logée dans son cou. Il n'était plus tout à fait installé sagement à côté du loup, peut-être tourné face à lui. Ses jambes n'étaient plus tout à fait seules, peut-être s'étaient-elles doucement entremêlées avec celles de l'alpha – et si sa blessure lui fit mal un instant, Derek lui vola aussitôt sa douleur. Stiles esquissa un sourire aussi doux que léger et, dans un élan qu'il ne comprit pas lui-même, alla de son propre chef déposer un baiser plus que décent sur la joue de Derek. A moitié dans sa barbe de trois jours. En lui murmurant un « merci » qui fit changer le regard de son vis-à-vis. Vis-à-vis qui, sans sourire, vint à son tour poser ses lèvres sur sa joue imberbe, pas si loin que cela de la commissure de ses lippes. L'étreinte sur Stiles se raffermit, et le châtain ferma les yeux pour profiter davantage de cette affection si particulière. Et c'est ainsi qu'il laissa lentement le sommeil le gagner, sans le soustraire à cette chaleur bienheureuse qui l'entourait, lui faisait oublier le froid de son propre corps. Stiles ne se décolla pas de Derek de la nuit.
