Il y avait plusieurs réactions possibles que l'on pouvait avoir suite à un baiser que l'on pensait inattendu. Ces réactions pouvaient être instantanées ou bien arriver un peu plus tard, comme si elles étaient à retardement.

Pour Stiles, c'était le cas.

- Tu as faim ?

L'hyperactif releva des yeux fatigués en direction de Derek, dont l'air impassible ne le surprit d'aucune manière. Il secoua la tête et le loup-garou lui dit tout naturellement qu'ils mangeraient donc un peu plus tard, avant d'aller à l'étage.

Stiles se rallongea confortablement dans le canapé. Ils n'en avaient pas parlé. Ça s'était passé la veille, il le savait, mais ils n'avaient pas abordé le sujet une seule fois. Pourtant, si on lui demandait son avis, Stiles dirait qu'il ne s'agissait pas de quelque chose d'anodin.

On n'embrassait pas quelqu'un de manière aussi simple sans qu'il y ait quelque chose derrière, dans le sens où… Il leur fallait une explication, à tous les deux.

Parce que de ce baiser, il avait gardé un souvenir quasi-intact. Stiles se souvenait parfaitement de la douceur avec laquelle Derek avait dérivé, initié ce moment d'une timidité étonnante. L'hyperactif sentait encore ses lèvres sur les siennes, ses mains qui le maintenaient contre lui sans le forcer. Déjà là, il lui avait laissé une ouverture, pour lui permettre de le repousser s'il le désirait. Derek n'avait pas voulu le forcer ni lui imposer quoi que ce soit et ça, c'était quelque chose que Stiles avait senti. Pourtant, il ne pensait pas que c'était prévu, que Derek avait imaginé cela à l'avance. Pour être honnête, l'hyperactif ne l'avait pas vu venir non plus mais… Il n'avait pu s'empêcher d'apprécier le moment. D'aimer le geste, le contact. La proximité, la chaleur surnaturelle que dégageait Derek. La sensation du baiser en elle-même, aussi. C'était fort simple, mais il ne s'agissait ni plus ni moins que de ce qu'il avait ressenti.

Ça, c'était pour le côté purement positif. Il n'y en avait pas de négatif à proprement parler, simplement… Le reste n'était que confusion et questionnements. De son point de vue, leur relation n'était pas si ambigüe que cela. Avant ce baiser, il n'y avait rien eu de plus que… Des étreintes, un bisou sur la joue de temps à autres et… Ce n'était pas parce que cela s'était doucement transformé en rituel que c'était bizarre. Quoique Stiles finit par se dire que si. Pour autant, il ne saurait pas dire qui avait initié ce petit jeu de contacts. Enfin au départ, Derek ne faisait que lui donner une certaine forme d'affection, de sorte à lui remonter le moral. Et s'il en avait toujours besoin, Stiles était toutefois conscient que les choses avaient pris un sacré tournant – il ne s'agissait pas de quelque chose qu'il pouvait ignorer. Le sens n'était pas le même.

Donc Stiles se remémorait ce moment presque sans arrêt sans que ça le perturbe dans le mauvais sens du terme mais il se savait incapable de l'oublier. Parce qu'en plus, il avait renchéri, laissé ses mains se perdre dans les cheveux de Derek pendant que celui-ci grognait sa satisfaction contre ses lèvres sans jamais le lâcher.

Et puis, tout s'était arrêté naturellement. Stiles, épuisé, avait commencé à se laisser aller contre lui, à fermer les yeux tant il était épuisé. D'aucuns auraient pu penser qu'il avait tout imaginé, mais l'hyperactif était plus que conscient du caractère réel de la chose. Ce baiser, ce rapprochement… Il ne les avait pas rêvés : ni l'un, ni l'autre.

Lorsqu'ils s'étaient séparés, rien n'avait été brutal et Derek lui avait doucement dit de se reposer. Autant dire que Stiles était désormais dans l'incompréhension la plus totale, celle qui lui faisait lentement réaliser que, oui, il fallait en parler. Jamais il n'irait s'avancer à dire que Derek et lui étaient en couple ou entretenaient quelque chose de particulier. Ce qu'il s'était passé pouvait aisément être décrit comme un moment d'égarement. En soi, pour Stiles, ça l'était. Une dérive dans l'affection qu'ils se portaient mutuellement. Alors non, pour lui, il n'y avait pas d'amour, du moins… Pas réellement. Mais il s'était passé quelque chose de clair et qui risquait, dans un sens, de donner une autre couleur à leur relation.

Stiles appréciait toujours autant la présence de Derek et la seule gêne qu'il ressentait concernait ce silence que l'un et l'autre entretenaient au sujet de ce baiser volé... Avec un plaisir inouï. Parce qu'à ce souvenir, l'hyperactif ne ressentait aucune forme de dégoût quelle qu'elle soit, rien de négatif. Pour autant, il ne désirait pas particulièrement recommencer, pas pour l'instant du moins : pas sans une explication, en tout cas. Il fallait qu'il sache pourquoi Derek… Pourquoi il avait fait ce qui les avait égarés tous les deux. Cette magie avait envoûté Stiles sans toutefois l'exciter d'une quelconque manière. Seule une tendresse certaine s'était emparée de lui et avait diffusé dans son corps une onde légère qui l'avait détendu tout entier.

Pourquoi sur le moment, la chose avait-elle été aussi simple ? Aussi naturelle ?

Et pourquoi n'en avaient-ils toujours pas parlé ?

Du côté de Stiles, il s'agissait principalement d'un manque d'assurance. Disons qu'il peinait à se dire qu'un homme comme Derek l'avait embrassé, lui, l'humain de bas étage, enraciné dans sa dépression, coulé par ses démons. On disait souvent qu'il fallait être heureux et se sentir bien pour attirer autrui : Stiles ne voyait pas ce qui, chez lui, aurait pu pousser Derek à dériver de leurs échanges purs habituels. Enfin « purs »… Sans notion d'égarement, cela s'entendait. Parce que quand il y réfléchissait bien, ce qu'ils partageaient depuis quelques temps était réellement particulier. Stiles n'avait pour ainsi dire jamais vu Derek se comporter ainsi avec qui que ce soit – et pour être honnête, il trouverait cela bizarre s'il assistait à ce genre de choses.

Alors qu'il se sentait bien à l'idée d'être proche de lui, d'avoir droit à cette affection poussée qu'il lui portait… Et que Stiles lui-même lui rendait bien. Parce qu'il ne se noyait pas dans quelque déni que ce soit : il appréciait déposer ses lèvres sur sa joue, lui aussi, flirter avec ces limites tacites qu'ils n'avaient pas dépassées… Jusqu'à la veille. Des limites dont ils n'avaient jamais discuté, mais qui étaient là.

Ainsi, Stiles savait pertinemment que plus rien ne serait pareil, dans un sens. Tant qu'ils n'auraient pas discuté de cet évènement – pour Stiles, c'en était véritablement un –, subsisterait un petit quelque chose qui les bloquerait sans doute un peu. Enfin, de son côté en tout cas. Derek continuait d'agir tout à fait normalement avec lui et ne s'éloignait pas comme n'importe quel personnage de roman cliché l'aurait fait. Il n'hésitait pas à lui parler de temps à autres, à l'aider à marcher, à… Faire tout ce qu'il faisait d'habitude, en somme. Ils avaient même dormi ensemble… Comme s'il ne s'était jamais rien passé.

La seule différence, que Stiles avait notifiée malgré lui… C'était cette façon qu'avait Derek de ne plus le regarder dans les yeux. De ne changer aucune de ses habitudes, sauf celle-ci. De fuir son regard chaque fois que c'était possible.

Pour Stiles, il n'y avait rien de plus clair : d'une manière ou d'une autre, ce « dérapage » avait gêné Derek. L'hyperactif pouvait comprendre et… Il ne lui en voudrait pas de regretter dans la mesure ou il s'agissait vraisemblablement d'un accident. Leur petit rituel affectif avait ses dangers et… Celui de s'embrasser par « accident » en était un. Disons que de son point de vue, cette proximité qu'ils avaient dans ce genre de moments participait grandement à rendre cette habitude risquée.

Le problème là-dedans, c'est que Derek faisait comme si de rien n'était et par sécurité, Stiles suivait. Pour autant, il était d'avis que la discussion était nécessaire et que le silence ne ferait que rendre la situation et leur relation… Etrange, avec le temps. Un baiser, ce n'était pas quelque chose que l'on pouvait faire disparaître de ses souvenirs en un claquement de doigts.

Maintenant, Stiles se demandait ce qu'il était censé en penser. De son côté, il essayait tant bien que mal d'analyser l'attitude de Derek et d'en déduire des conclusions, une idée qui, il l'espérait, se rapprochait au maximum de la réalité. Si l'alpha regrettait, cela voulait techniquement dire que ce qu'ils avaient fait était en quelque sorte… Mal, et qu'il valait mieux tout oublier. Qu'il s'agissait, en somme, d'une erreur.

Et c'est ce qu'il s'efforça de penser lorsqu'ils se mirent à table une bonne heure plus tard. Oui, il essaya de se convaincre qu'il n'avait pas réellement aimé, que ce qu'il avait ressenti n'était rien de plus qu'une illusion. En fait, Stiles devait s'être senti trop seul pour se dire, sur le moment, qu'ils ne devaient pas faire ça, qu'il ne fallait pas qu'il aime le contact de Derek – intime, qui plus est. Pour lui, un baiser restait un geste intime : ni plus, ni moins.

Ils parlèrent. Ils parlèrent de tout, de rien, sauf du sujet qui rendait le moindre de leurs gestes envers l'autre si délicat. Mais Stiles sut, par un élan instinctif, que chacun allait dormir de son côté ce soir. Si en temps normal, cette idée ne lui aurait pas fait grand-chose, elle lui noua l'estomac.

Parce que la façon dont Derek orientait la conversation pour l'éloigner au maximum de tout ce qui pourrait se rapprocher du sujet sans jamais le regarder dans les yeux laissait présager quelque chose qui alarmait d'ores et déjà Stiles… Et ne présageait rien de bon quant à leur relation.

Mais l'hyperactif, par expérience et habitude, fit bonne figure. Réprima au mieux le négatif qui commençait à prendre de l'ampleur en lui.

Et sourit, parce qu'il s'imaginait que l'ignorance volontaire de Derek traduisait un comportement et une attitude qu'il attendait de lui.

Alors Stiles continua sur cette sombre lancée sans que Derek l'arrête.