Stiles pensait sincèrement que Derek s'en irait s'en faire d'histoire. Il s'agissait même pour lui de la suite logique puisque l'alpha avait ignoré son mal-être jusqu'à maintenant – de son point de vue, du moins. En fait, il ne voyait pas pour quelle raison le loup insisterait pour… Pour quoi, au final ? Il ne lui avait pas posé la moindre question, n'avait pas cherché à savoir quoi que ce soit : il lui avait juste fait part, a priori, d'un éventuel inconfort par rapport à son odeur – c'était en tout cas ce que l'hyperactif avait compris. Si la situation lui faisait mal, il n'avait pas l'intention qu'elle dure outre mesure : ses émotions, il réussirait à les museler – il lui fallait juste encore un peu de temps. Et puis il oublierait – il l'espérait.
Or, il sentait que ce baiser volé n'était pas près de lui sortir de la tête. Pour lui… Ça ne serait jamais quelque chose d'anodin, pas même une « erreur » en tant que telle. On n'embrassait pas quelqu'un par erreur… Le geste, qu'importe son origine, était là. Qu'il soit fait exprès ou qu'il ait été réalisé sous le coup d'une pulsion, il n'avait rien de cette fameuse bévue, laquelle serait un non-sens total.
Enfin, là n'était plus vraiment le problème, de toute façon… Puisqu'il devait dormir, ou du moins essayer réellement de rejoindre les bras de Morphée. Or, avec un cerveau comme le sien, difficile de se détendre suffisamment pour cela. Stiles s'imagina facilement patienter des heures avant de céder à l'épuisement mental qui le prendrait : sans mentir, il avait hâte. Il y avait de bien meilleures manières de s'endormir, mais l'hyperactif se connaissait et savait fort bien que calmer son flux de pensées infini relevait de l'épreuve… Et qu'il n'avait pas l'énergie suffisante pour se mentaliser à ce sujet. Alors ça prendrait le temps que ça prendrait, mais il finirait tout de même par sombrer à un moment où à un autre.
Voilà la théorie.
Néanmoins, si la discussion était close… Et l'était juste aux yeux de Stiles, parce qu'il l'avait désiré. Parler avec Derek de ce sujet-là lui aurait plu… Si l'alpha ne l'avait pas ignoré si longuement. Cet évènement, bien qu'extrêmement récent, était d'une importance certaine, que ce soit pour l'un ou pour l'autre et… Discuter, ils auraient dû le faire tout de suite. Stiles l'avait désiré, mais Derek s'était évertué à vouloir faire comme si de rien n'était… Alors tant pis pour lui.
Cependant, l'alpha n'avait pas dit son dernier mot. Stiles l'entendit pousser un profond soupir. Peu lui importait de l'avoir potentiellement agacé tant l'hyperactif se sentait lésé dans cette histoire. Il appréciait beaucoup Derek et ne pouvait que se montrer reconnaissant pour tous les efforts qu'il mettait dans son confort et son hypothétique guérison… Mais ça, ça n'allait pas. Pour autant, Stiles ne voulait pas lui en vouloir. Alors pour accepter son ignorance, il lui fallait davantage de silence, et du temps. Une fois qu'il se serait recentré sur lui-même et qu'il aurait digéré l'évènement, les choses reviendraient à la normale – c'était en tout cas ce qu'il espérait.
Mais sa couverture lui fut subitement retirée et Stiles se sentit brusquement quitter le canapé. Désarçonné, il croisa le regard de Derek alors que celui-ci le portait simplement, comme s'il ne pesait rien. Pour être honnête, Stiles ne savait pas ce qu'il était censé voir dans ses prunelles à la fois si claires et si troubles. Mais le loup détourna le regard et se dirigea vers les escaliers.
- Repose-moi, lui demanda Stiles d'une voix rauque.
Il l'avait voulue autoritaire et teintée de colère, or elle apparaissait simplement peu assurée et empreinte d'une émotion, oui… Mais pas la bonne. Alors il insista et Derek eut pour seule réaction un bref regard sur son visage, un regard bien vite détourné. Stiles sut-il à quel point ses traits se tendirent ? A quel point la douleur s'y peignit ? Pas le moins du monde physique – Derek lui avait directement pris celle de sa jambe en le prenant dans ses bras –, elle était de l'ordre du psychique. Stiles était blessé.
- Repose-moi, insista-t-il en essayant de se donner l'air autoritaire.
Autant dire que sa face actuelle ne lui donnait pas l'air le plus crédible qui soit. Alors il ne fut bien évidemment pas étonné du peu d'importance que Derek accorda à sa demande d'autant plus… Qu'il avait déjà commencé à monter les escaliers. Pourquoi faire ? Se demanda instantanément Stiles. Aussitôt, une pensée lui vint, laquelle l'indigna peut-être plus encore que le simple fait que Derek ne l'écoute pas. Ils dormaient régulièrement ensemble, ces derniers temps… Or Stiles n'avait, dans ces circonstances, pas la moindre envie de partager son lit, même si c'était en tout bien tout honneur. Avec ce baiser volé inexpliqué qui prenait des airs de tabous à cause du parfait silence du loup-garou à ce sujet… Cette fameuse expression « en tout bien tout honneur » perdait quelque peu son sens. Et c'était con parce que Stiles… Aimait bien ce qui était devenu une espèce de rituel qu'ils répétaient plus ou moins régulièrement.
Mais ce soir, il voulait retourner sur son canapé. Est-ce qu'il réussit cependant à formuler quelque contestation que ce soit ? Non, pas la moindre. Parce qu'il peinait à réaliser l'ampleur de la colère qui le prenait de façon si… Passive. Il la ressentait, sans qu'elle arrive à prendre possession de lui, pour la simple et bonne raison qu'elle ne le dominait pas en tant que telle. Elle était là, c'était elle qui le faisait se sentir indigné, mais… Elle ne lui fit rien faire à proprement parler – pas assez consistante.
Ainsi, lorsqu'il eut finalement trouvé quelque chose à dire pour obliger Derek à ne pas concrétiser son idée, le loup poussa la porte de sa chambre à l'aide de son pied. Mais Stiles, au lieu de se décrisper comme il en avait l'habitude chaque fois qu'il voyait ce lit, se referma davantage sur lui-même. Puisqu'il n'avait pas ses béquilles, il ne pourrait pas partir sans que Derek ne l'aide – ou le porte encore. Il n'avait alors d'autre choix que… L'écouter ? Le laisser faire ? Stiles ne savait pas ce que Derek voulait, mais une chose était certaine à ses yeux.
Ce serait non à tout, y compris concernant quelque discussion que ce soit.
Stiles n'avait pas la moindre envie d'être là. Son hôte, soi-disant à l'écoute de ses besoins, ne s'en rendait-il pas compte ? Si, assurément. Il sentait ses émotions, c'était un loup. Un putain de loup qui ne respectait pas son besoin de solitude.
Qui, pour lui, ne le respectait pas tout court à l'heure actuelle.
Alors Stiles garda un air des plus fermés lorsque Derek ne déposa sur le lit. Il prit note de la façon dont il fit attention à son confort mais choisit de ne la relever d'aucune manière. Si Derek choisissait de prendre soin de son corps, il se devait également de protéger son âme. Pas que Stiles le lui demande, disons que pour lui… C'était logique. L'inverse relevait pour lui de l'hypocrisie. Et il espéra malgré tout ne pas s'être complètement trompé sur Derek. Parce qu'il avait choisi de lui faire confiance et… Stiles était tombé une fois. Dans un sens, il savait qu'il aurait pu en mourir. Il ne supporterait pas une autre chute. Il avait mal, mais était très en colère et se considérait pour l'instant assez stable pour ne pas sombrer à nouveau. Et en même temps, il n'avait pas assez recouvré ses forces mentales pour ne plus se considérer véritablement fragile. Il l'était encore et n'avait pas la moindre envie de basculer à nouveau comme il l'avait fait avant que Derek commence à faire attention à lui.
Mais il savait la frontière avec son état de départ mince, et c'était peut-être ça le pire, à ses yeux : savoir qu'un rien avait le pouvoir de le faire descendre plus bas que terre.
- Je veux dormir, maugréa-t-il, l'air plus que bougon.
Stiles avait malgré tout l'espoir que Derek finisse par l'écouter, parce que s'il était quelque peu descendu dans son estime… Il restait encore étonnamment haut – à cause de l'affection toujours plus poussée que l'hyperactif lui portait. Alors oui, l'humain se trouva idiot. Con. Mais une onde de tristesse le traversa rapidement, au point d'éteindre en un instant cette colère si passive qui l'aidait à rester peu coopératif.
Parce que Stiles prit conscience du fait que cet éloignement suite à ce baiser volé… Pouvait être le début d'une chose qu'il avait déjà bien connue : l'abandon. Alors, la tristesse se transforma en angoisse sourde.
Et Stiles prit instantanément la décision de tout faire pour que cette finalité n'ait pas lieu.
- Tu vas dormir, finit enfin par dire Derek en s'asseyant de son côté, au bord du lit. Après qu'on en aura discuté.
Une pointe de colère réussit à s'introduire à nouveau dans les pensées de l'humain, qui rétorqua d'une voix rauque :
- On discute quand ça t'arrange, en somme.
Parce que c'était de cette façon qu'il le ressentait et… Il n'avait pas pu s'empêcher de verbaliser cet état de fait.
Derek soupira et l'on eut dit qu'il avait passé sa soirée à le faire.
- J'avais besoin de réfléchir, sembla-t-il avouer à contrecœur.
Mais cette explication, très sommaire, ne satisfit pas Stiles, bien au contraire. En lui, bien des émotions se battirent les unes contre les autres : et toutes semblèrent gagner.
- Et moi d'en parler, lâcha amèrement l'humain. Mais tu m'as imposé le silence. J'espère que ton temps de réflexion a donné quelque chose, parce que je ne compte plus en reparler après ça. Plus jamais.
Disons qu'il avait vu ce qu'un simple baiser avait fait à leur relation et l'éloignement qu'il avait occasionné. C'était d'autant plus dur à laisser passer que Stiles se sentait coupable d'avoir quelque peu apprécié la sensation… Qu'il devait oublier à tout prix. L'hyperactif avait beau en vouloir à Derek pour cet égoïsme marqué, il ne pouvait toutefois s'empêcher d'avouer qu'il… Avait peur de le perdre – et c'était là une chose qu'il désirait absolument éviter. Parce qu'il lui pardonnerait cette ignorance, il le savait. Il en avait besoin. Négliger son ressentiment dès qu'il le pourrait pour ne plus sombrer… Et ne pas perdre l'une des seules personnes qu'il appréciait vraiment et qui se souciait de son existence.
