Ils partirent le lendemain aux aurores et comme attendu, le chemin du retour ne se fit pas non sans mal. Le blizzard avait fortement ralenti leur progression et ils mirent plus de cinq jours pour regagner le village des feuilles dont les alentours étaient recouverts d'une fine couche de neige.
À leur arrivée, ils ne purent même pas prendre le temps de souffler un peu et se rendirent directement dans le bureau du maître Hokage qui les attendait de pied ferme. Assis derrière son bureau, un parchemin entre les mains, il en lisait les grandes lignes à voix haute tout en leur posant des questions de temps en temps.
« Et en ce qui concerne les autres ninjas, est-il possible que certains aient pu s'en sortir vivants malgré tout ? demanda-t-il à la fin de sa lecture.
_ Je ne pense pas, lui répondit Kakashi, la mine sombre. Il ne reste pratiquement plus rien du laboratoire et les galeries ont toutes été ensevelies sous les gravats. Ils n'avaient aucun moyen de s'échapper et il est plus que probable que la chimère les ait tous réduit en charpie avant de nous prendre en chasse. Nous avons nous-même eu beaucoup de chances. Venir à bout de cette chose n'a pas été facile. »
Sarutobi hocha la tête et garda le silence quelques instants. Il coula alors un regard lourd de sens en direction de la jeune femme qui était restée en retrait depuis le début de la discussion. Elle avait appuyé certains propos de son camarade, mais s'était gardée de tout commentaire, ce qui ne lui ressemblait pas.
« Je ne crois pas que c'était juste de la chance, glissa-t-il en repliant la missive. Je vais transmettre votre rapport aux autorités de Kumo et nous verrons lequel de nos deux villages aura la lourde tâche de prévenir Ame concernant les agissements de leurs ressortissants. »
Le ton aigre de sa voix trahissait son profond ressentiment vis-à-vis des dirigeants du village de la pluie. Il n'était pas ravi de devoir potentiellement traiter avec eux et encore moins avec leur chef qui avait causé tant de torts pendant les grandes guerres ninjas. Mais si des menaces pesaient sur leur équilibre politique, et donc par extension sur la paix entre les différents pays, il était de son devoir de les avertir. Le maître Hokage soupira et s'enfonça un peu plus profondément dans le dossier de son siège tout en braquant ses prunelles sur les deux jônins.
« C'est tout ce que vous avez à me dire ? Il n'y a rien d'autre ? »
Ultia se tendit imperceptiblement. Elle savait parfaitement que la question lui était directement destinée. Il soupçonnait quelque chose ou du moins, il avait conscience qu'ils ne lui avaient pas tout dit et leur offrait encore la possibilité de le faire. De jouer cartes sur table avec lui. Le ninja au masque ne laissa rien paraître et commença à répondre par la négative, mais elle le coupa brusquement au milieu de sa phrase :
« Arrête Kakashi, c'est bon. Inutile de faire semblant, elle se tourna vers le vieil homme et lui fit face. Il sait tout. Il sait pour le démon à deux queues.
_ Je vois, souffla-t-il en joignant les mains sous son menton.
_ Je n'ai pas eu le choix. Je ne pouvais pas faire autrement. Utiliser la puissance de mon bijû était le seul moyen de terrasser cette créature avant qu'elle ne mette la région à feu et à sang. Sans quoi, il y aurait eu des morts, et peut-être même qu'on ne serait pas ici, devant vous, tous les deux.
_ Je ne t'ai pas demandé de te justifier Ultia. Tu es en droit de faire ce que tu veux. »
La réponse de ce dernier la laissa quelque peu dubitative. Elle s'était attendue à – et avait redouté – une réaction plus virulente de se part, en totale opposition avec son comportement actuel.
« Mhhh, si vous le dîtes ..., commença-t-elle sans vraiment y croire. Dans ce cas, vous pouvez également en informer les autres membres du conseil ou qui vous voulez. Ça m'est bien égal.
_ Si c'est vraiment ce que tu souhaites, je le ferais. Mais es-tu sûre de toi ? À partir du moment où d'autres seront au courant, je ne pourrais pas garantir que ton secret ne se propagera pas en dehors des murs de ce village.
_ Qu'est-ce que vous craigniez ? Que les ninjas de Kumo finissent par en entendre parler ? »
Il acquiesça ses paroles par un hochement de tête.
« Ils ne feront rien. Je ne suis plus considérée comme un membre du village, ils ne peuvent rien faire pour m'obliger à y retourner. Et ils ne prendront pas le risque de causer un autre incident diplomatique, même pour un affront aussi grand. Ils auraient trop à perdre. »
La kunoichi marqua une pause et reprit sur un ton plus calme :
« Et puis, si vous voulez que j'aide le gamin avec son démon, il faudra bien que certains soient mis dans la confidence. Nous n'avons pas le choix, nous ne pouvons plus garder ça pour nous. »
« Je ne comprends pas pourquoi tu lui as dit, lança Kakashi alors qu'ils marchaient tous les deux dans les couloirs. Tu pouvais très bien le garder pour toi, il n'aurait pas insisté.
_ J'en ai assez de me cacher et de mentir à tout le monde, même si je ne suis plus tellement sûre que ça soit une bonne idée, avoua-t-elle. Je ne pense pas être prête à assumer les regards hostiles dont je vais être la cible, quoi que ... Ce n'est pas comme si la plupart ne me regardait pas déjà comme ça depuis que je suis arrivée ici. »
Ultia renifla avec dédain et se stoppa sur le seuil des grandes portes en bois de l'académie pour faire face à son interlocuteur. Il fit de même et elle le regarda longuement dans les yeux – dans son unique œil visible – pendant un moment, avant de murmurer, la bouche sèche :
« Tu n'étais pas obligé.
_ Je sais, lui répondit-il, comprenant parfaitement de quoi elle parlait.
_ Pourquoi ? Tu ne me dois rien. Tu avais parfaitement le droit de tout dire aux membres du conseil ou de le faire figurer dans ton rapport, alors pourquoi est-ce que tu ne l'as pas fait ?
_ Ce n'était pas à moi de le dire. Je n'avais pas à faire ce choix pour toi, déclara-t-il en plongeant ses mains dans ses poches. C'est toi que ça concerne et personne d'autre. C'était à toi de choisir d'en parler ou non, même si je maintiens que tu n'avais pas à le faire. Sarutobi n'avait pas besoin de tout savoir non plus. »
La jeune femme lui offrit un mince sourire. Elle aurait pu le remercier pour la prévenance dont il avait fait preuve – et elle aurait dû le faire – mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. À la place, elle se frotta nerveusement le bras et braqua ses prunelles sur un point au-dehors tandis qu'elle s'éclaircissait la voix.
« Je crois qu'on est partis sur de mauvaises bases tous les deux.
_ Plutôt toi que moi. » susurra-t-il, les yeux rieurs.
Elle reporta son attention sur lui. Aucune trace de reproche ne transparaissait dans ses mots, mais plutôt une pointe subtile de taquinerie amicale, presque complice, confirmée par les traits détendus de son visage. Ultia leva les yeux au ciel et soupira.
« Ne me fais pas regretter ce que je suis en train de faire. » le prévint-elle en lui tendant la main.
Le ninja copieur haussa un sourcil et la regarda, quelque peu surpris par son geste, avant de saisir la main qu'elle lui tendait. Il la serra doucement au creux de la sienne, scellant ainsi la promesse d'un nouveau départ entre eux deux.
Ils auraient pu rester ainsi encore un moment, mais ils furent brusquement interrompus par Gaï qui fit irruption dans le hall du bâtiment. Il se jeta avec enthousiasme sur la kunoichi et referma son bras autour de son cou tout en débitant un flot de paroles inintelligibles. Mais heureusement pour elle, il finit par la relâcher et posa les mains sur ses épaules, la surplombant de toute sa hauteur.
« On va aller boire un verre tous les deux, qu'est-ce que tu en dis ? Comme ça, tu vas pouvoir me raconter tous les détails de votre mission, et surtout me dire à quel point ça a été un enfer pour toi de faire équipe avec lui. » lui dit-il en pointant du doigt le jônin dans son dos qui les observait en silence.
Ultia ouvrit la bouche pour protester, mais le ninja aux gros sourcils ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit et commença déjà à l'entraîner dehors. Ils firent tout au juste quelques pas avant de se retourner pour voir que Kakashi n'avait toujours pas bougé.
« Je suppose que tu ne viens pas avec nous ?
_ En fait si, pourquoi pas. » répondit le ninja copieur en se mettant en route.
Gaï parut surpris, puis légèrement contrarié, et glissa à l'oreille de son interlocutrice, suffisamment fort pour être entendu de tout le monde :
« Même s'il vient, ne te gêne surtout pas pour lui et soit la plus honnête possible. Je sais à quel point il peut être terriblement agaçant en mission. »
Ultia marchait le long des couloirs, ses cheveux attachés en une queue de cheval bougeant dans son dos au rythme de ses pas. Elle descendit deux par deux les marches du grand escalier et tourna sur la droite pour emprunter un autre corridor lorsqu'elle distingua une silhouette masculine qui avançait dans sa direction. Elle ne lui prêta pas d'attention particulière et continua son chemin, mais une fois arrivé à sa hauteur, l'homme se décala sur le côté et lui barra le passage, l'empêchant d'aller plus loin.
« Je peux vous aider ? » demanda-t-elle en lui jetant un regard de travers.
Elle plissa les yeux et observa attentivement le visage du nouveau venu qui ne lui était pas inconnu. Il avait une cicatrice en forme de croix sur le menton et son œil droit était recouvert par des bandages. Ses cheveux grisonnaient par endroits, trahissant son âge avancé, de même que la canne en bois sur laquelle il se tenait appuyé pour conserver son équilibre.
La kunoichi serra des dents en le reconnaissant. Danzô Shimura. Elle n'avait aucun doute sur le pourquoi du comment il prenait la peine de venir lui parler, seul à seul, dans un coin isolé. Elle savait que les membres du conseil et les chefs des différents clans du village avaient été mis au courant de son statut de jinchûriki. Depuis, et sous les conseils de Shikaku Nara – un des rares qui lui avait fait part de son soutien – elle se faisait la plus discrète possible, le temps que les choses se tassent un peu.
« Si on veut, commença-t-il. Je n'ai pas eu le temps de m'entretenir avec toi depuis les révélations que nous a faites Hiruzen à ton sujet. C'était une nouvelle pour le moins inattendue, mais malgré tout, je veux que tu saches que je suis heureux que tu sois parmi nous. Une personne telle que toi, avec tes capacités, ne peut être qu'un atout pour Konoha. »
Elle tiqua à l'entente de ses dernières paroles et fronça les sourcils. Elle n'aimait pas la tournure que semblait prendre leur discussion – enfin si on pouvait vraiment appeler ça ainsi – et se força à garder le silence. Plus que tout, la jeune femme ne voulait pas dire quelque chose qui pourrait se retourner contre elle et lui causer du tort par la suite. Elle avait entendu tout un tas de choses sur l'homme en face d'elle et la plupart n'avaient rien d'élogieuses. Peu de ninjas le tenaient en haute estime, elle-même ne faisait pas exception, mais de par sa position actuelle, il était pratiquement intouchable.
« Mais j'ai peur que tu ne gâches ton talent en restant avec les autres jônins, continua-t-il sur le même ton doucereux. Et puis, tes supérieurs ne pourront pas toujours te proposer uniquement des missions en solo. Tu aurais tout intérêt à rejoindre les rangs des forces spéciales par exemple. On y gagnerait tous, toi la première. »
Ultia retint un ricanement.
« Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Je n'ai malheureusement pas les qualifications requises pour, expliqua-t-elle. Les dirigeants de mon ancien village voulaient déjà que j'en fasse partie à l'époque, mais je ne remplissais pas tous les critères. Je n'étais pas assez docile selon leurs dires, et je suppose que c'est toujours le cas. »
Elle releva ses prunelles brûlantes d'une lueur provocatrice vers lui. Le sous-entendu était parfaitement clair : elle suivait ses propres règles et si, aujourd'hui, ils étaient mis dans la confidence de son secret, c'était uniquement parce qu'elle l'avait décidé. Pas parce qu'on l'avait obligé.
« Je me suis sans doute mal fait comprendre. Je ne te parle pas de faire partie des forces de l'Anbu, mais plutôt de rejoindre une branche un peu plus ''officieuse''. Elle n'est composée que des meilleurs éléments et je suis sûr que tu pourrais t'y épanouir pleinement.
_ J'apprécie votre offre, si tant est que s'en est une, mais je suis obligée de refuser. Croyez-moi, c'est mieux comme ça. »
Elle amorça un mouvement sur le côté, mettant fin à cette entrevue qui malgré tout, la mettait mal à l'aise. Mais son interlocuteur ne la laissa pas faire et lui barra de nouveau le passage, cette fois-ci, avec le manche de sa canne en bois.
« Tu penses que tu es en droit de refuser ? le timbre de sa voix avait changé, devenant soudainement plus menaçant. Tu nous as tous mis en danger en nous dissimulant la vérité. Imagine un instant ce qu'il se serait passé si les ninjas de Kumo avaient déclenché une guerre pour te récupérer ? La moindre des choses serait de te rattraper et de compenser ce manque de jugement en te mettant au service du village.
_ C'est déjà le cas. » grinça-t-elle entre ses dents, les poings serrés.
Danzô lui lança un regard courroucé.
« Tu ne sembles pas te rendre compte du cadeau que je te fais. Tu ne devrais même pas être ici, toi, l'étrangère qui vient d'ailleurs. »
Il lui avait presque craché ses mots au visage, lesquels sonnaient comme la pire des insultes dans sa bouche. Elle savait que les transferts entre les villages étaient plus que contestés. Certains avaient su passer outre mais d'autres, au contraire, leur faisaient bien comprendre – à elle et aux autres – qu'ils n'avaient rien à faire ici.
Elle prit une profonde inspiration pour essayer de calmer les picotements qui parcouraient chacun de ses muscles. Elle allait répliquer, lorsqu'elle perçut des bruits de pas dans son dos, suivis par une voix masculine qu'elle ne connaissait que trop bien.
« Ah ! Je te cherchais Ultia. Tu es prête à partir ? demanda le ninja copieur en approchant. Il faudrait qu'on parte maintenant si on veut être de retour avant la nuit. »
La jeune femme lui jeta un coup d'œil rapide. Elle ne se souvenait pas devoir aller quelque part avec lui. Elle haussa un sourcil interrogateur à son attention alors qu'il arrivait à leur niveau, saluant poliment le chef du haut conseil. Ce dernier lui rendit son salut par un léger signe de tête.
« Il faut vraiment qu'on y aille. » insista-t-il en croisant son regard.
Kakashi posa une main sur sa taille et la poussa doucement en avant. Elle se laissa faire et suivit le mouvement, avançant silencieusement. Elle braqua cependant, une dernière fois ses prunelles sombres sur la silhouette du vieil homme, jusqu'à ce qu'elle le perde de vue en tournant au coin d'un couloir. Elle fit alors face au jônin.
« Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Tu ne peux plus te passer de moi ? railla-t-elle.
_ C'est ta façon de me remercier ? il marqua une pause. Qu'est-ce qu'il voulait ? »
Elle soupira et balaya sa question d'un geste de la main.
« Rien, c'est sans importance, dit-elle en reprenant sa route. Lui et les autres sont au courant pour moi et ça ne plaît pas à tout le monde. Il voulait juste m'intimider, mais s'il croit qu'il me fait peur, il se trompe. Il ne sait pas à qui il a à faire.
_ Toi non plus, la prévint-il en lui attrapant le bras, la forçant à s'arrêter. Ne sous-estime pas Danzô. Tu ne sais pas de quoi il est capable pour arriver à ses fins. »
Elle le regarda sans rien dire. Elle ne voyait pas quoi dire de toute façon et baissa finalement les yeux vers sa main qui tenait toujours fermement la manche de son vêtement. Il suivit le chemin de ses pupilles et dut comprendre ce qu'elle attendait de lui car il finit par la lâcher. Il passa une main dans ses cheveux gris avant de soupirer.
« Ma proposition tient toujours tu sais. Si tu as envie de prendre l'air en dehors du village, tu peux m'accompagner en mission. Ce n'était pas un mensonge, je dois vraiment y aller.
_ Ça ira merci, refusa-t-elle poliment. En plus j'ai promis à Takumi de passer le voir. Il veut qu'on s'entraîne ensemble et il va finir par se vexer si je lui fais faux bond encore une fois.
_ Comme tu voudras, il haussa les épaules. Mais méfie-toi de Danzo. Il n'est certainement pas venu te voir sans arrière-pensées. Il s'intéresse à toi et encore plus à ton démon. Et ça ne sera certainement pas le seul. »
Elle vit une vive lueur briller dans les iris de son interlocuteur, mais qu'elle n'arriva pas à identifier sur le moment tant ce fut fugace. Une profonde irritation peignait les traits de son visage. Il avait clairement été opposé au fait qu'elle partage son secret avec les membres du conseil, et sa dernière phrase sonnait comme un mauvais présage. Mais en cet instant, aucun des deux ne pouvaient imaginer à quel point c'était vrai, et dieu sait que Kakashi aurait aimé avoir tort, au moins pour cette fois.
