FLASH BACK
TREIZE ANS PLUS TÔT
Il pleuvait averse. La pluie tombait depuis plusieurs jours sur le village, rendant glissants les chemins taillés dans la roche. Le toit des bâtiments les plus haut disparaissait dans le brouillard ambiant et, par moments, le tonnerre grondait au loin, mais la fillette se moquait de tout ça. Elle n'y faisait même plus attention. Les lèvres tremblantes, elle gardait les yeux fixés droit devant elle, sur la nouvelle pierre tombale fraîchement érigée.
Des larmes roulèrent sur ses joues, mais elle ne fit rien pour les cacher. Les gouttes de pluie qui mouillaient son visage lui permettaient de pleurer librement la mort de son père sans que personne ne puisse juger son moment de faiblesse. Elle jeta un regard en coin sur la silhouette frêle qui se tenait à ses côtés. Sa mère observait le sol boueux sous ses pieds, sans sourciller. En cet instant, elle semblait aussi fragile que du verre sur le point de se briser. Ultia resserra un peu plus fort sa main autour de la sienne, mais sa mère ne bougea pas. Elle n'esquissa aucun geste en retour, comme si elle tenait un poids mort au bout de ses doigts. La fillette finit par reporter son attention sur le service funéraire, essayant tant bien que mal de se concentrer sur les mots que prononçaient le prête, en vain.
La seule chose qui occupait ses pensées était les moments qu'elle avait partagés avec son père. Elle avait toujours été proche de lui, bien plus qu'avec sa mère qui passait pourtant ses journées à s'occuper d'elle et de la maison. Son père était souvent absent, mais à chaque fois qu'il rentrait de mission, il passait tout son temps libre avec elle. Elle pensa également, avec une pointe de regret, aux moments qu'ils ne pourraient pas partager, que son père manquerait. Il ne la verrait jamais suivre ses traces. Il ne la verrait pas devenir guênin, puis chûnin et enfin - elle le priait de tout son coeur - jônin. Il ne la verrait pas grandir. Son père ne verrait rien de tout cela car il était mort au combat. Elle serra des dents, un goût aigre sur la langue. On lui avait enlevé son père, et plus rien ne serait jamais comme avant.
La guerre ninja avait éclaté quelques mois plus tôt, et ravageait depuis, les rangs des combattants ninjas. Les enterrements étaient devenus fréquents. Elle n'était malheureusement pas la seule à pleurer la disparition d'un proche et, les prêtes répétaient tellement de fois les mêmes mots, qu'ils en perdaient tout leur sens.
Les jours qui suivirent l'enterrement furent le début de la fin. Ultia assista, impuissante, au déclin de sa mère. Cette dernière se laissait sombrer, se noyant dans son propre chagrin, et entraînait sa fille avec elle. Au début, Ultia avait essayé de l'aider du mieux qu'elle pouvait, mais du haut de ses huit ans, elle ne pouvait pas faire grand-chose. L'ambiance du quotidien, autrefois chaleureuse, était devenue sombre, lugubre.
La fillette jeta un coup d'œil dans les placards. Le frigo était vide et les boites de conserves diminuaient drastiquement, bientôt, elles n'auraient plus rien à manger. Elle se dirigea vers le salon qui restait perpétuellement plongé dans le noir. Les rideaux étaient fermés et ne laissaient passer qu'un mince filet de lumière. Ultia devina plus qu'elle ne vit la silhouette recroquevillée de sa mère, assise dans le canapé, qui lui tournait le dos. Elle se plaça devant elle.
« Maman ? »
Sa mère n'eut aucune réaction qui aurait pu prouver qu'elle avait remarqué sa présence ou même qu'elle l'avait écouté. Ultia réitéra sa demande, et finit par poser une main sur son avant-bras. Elle sentit le corps de sa mère bouger légèrement sous sa paume. Elle n'avait pas sursauté, n'avait eu aucun mouvement de recul.
« Maman, il n'y a presque plus rien dans les placards. Ils sont vides. » expliqua-t-elle.
Toujours rien.
« Il faut aller faire les courses … »
Ultia essaya plusieurs fois de la faire réagir, avant de capituler. Elle sortit à petits pas du salon. Elle n'avait jamais vu sa mère dans cet état. La mort de son père l'avait plongé dans un état proche de la léthargie. Elle ne parlait plus, ne pleurait pas non plus. Elle passait ses journées, assise dans le noir, à attendre. Attendre quoi ? Ultia ne le savait pas. Ou plutôt, elle ne voulait pas le savoir, même si au fond, elle s'en doutait. Elle attendait la fin.
Ultia repensa avec nostalgie à la femme, belle et souriante, qui lui racontait des histoires sur sa famille - un ancien clan ninja prestigieux qui avait été contraint de fuir sa terre natale pour survivre - ou qui lui caressait les cheveux pour la réconforter. La femme qui se trouvait maintenant dans son salon n'avait plus rien à voir avec celle de ses souvenirs. La fillette retint un soupir et enfila son manteau pour affronter le froid dehors. Elle devait se montrer patiente. Sa mère finirait par aller mieux, par surmonter son chagrin et reprendre sa vie en main. Il le fallait. Ultia avait besoin d'elle, elle ne pouvait pas la laisser seule. Alors lorsque, cinq jours plus tard, elle trouva sa mère debout dans la cuisine, elle eut à nouveau de l'espoir. Elle pensa que le plus dur était passé, que tout ça était derrière elles et qu'elles iraient de l'avant. Ensemble.
« Ultia, quand tu auras fini de manger, va préparer tes affaires.
_ On part quelque part ? »
Les iris ternes de sa mère se posèrent sur elle. Elle marqua une pause, puis hocha la tête.
« Oui … Oui, on va quelque part. »
Ultia lui offrit un timide sourire. Elle alla préparer un sac avec quelques affaires et suivit sa mère dans les ruelles quasi-désertes du village. La fillette resserra son écharpe autour de son cou tandis que des flocons de neige tombaient sur le sol. Elles ne marchaient pas en direction de la sortie sud comme elle l'aurait pensé, mais vers le centre, vers les infrastructures ninjas. Peut-être que sa mère n'avait pas encore eu le temps de récupérer toutes les affaires ayant appartenu à son père ? Elles arrivèrent devant la grande porte en bois de l'académie ninja où deux personnes - les doyennes du conseil - les attendaient. Elles s'arrêtèrent juste devant elles.
« Tu es sûre de toi Reira ? C'est vraiment ce que tu veux ? »
La question ne lui était pas adressée. Elle était adressée à sa mère qui acquiesça. Son visage devint livide et elle pinça ses lèvres avec force, comme si elle se retenait de vomir. La plus vieille des deux femmes, celle aux longs cheveux grisonnants, se baissa doucement pour se mettre à la hauteur d'Ultia et lui fit signe d'approcher.
« Approche Ultia, elle hésita, mais fit tout de même un pas en avant. Tu vas intégrer l'académie ninja plus tôt que prévu et tu vas rester ici quelques temps, avec les autres enfants. »
Elle tiqua.
« Pourquoi est-ce que je ne peux pas rester chez moi ? Les enfants qui vivent ici sont ceux qui n'ont plus de parents. Ce n'est pas mon cas. Et ma mère a besoin de moi à la maison. »
La doyenne laissa échapper un soupir, dont le souffle se transforma en petits nuages au contact de l'air froid. Elle lança un regard lourd de reproches par-dessus son épaule, en direction de sa mère. La voix éraillée de celle-ci résonna alors à ses oreilles.
« Tu vas rester avec eux Ultia …
_ Pourquoi je ne peux pas rester avec toi ? lui demanda-t-elle en se retournant.
_ Parce que je vais partir.
_ Partir où ? Pourquoi ? Quand est-ce que tu reviens ?
_ Je ne reviendrais pas … »
Il fallu quelques instants à la fillette pour assimiler les mots qu'elle venait d'entendre, et pour en comprendre le sens. Ses yeux s'écarquillèrent. Elle tourna la tête de gauche à droite en signe de refus. Sa mère fit glisser ses doigts froids le long de sa mâchoire tout en lui souriant tristement.
« Tu ressembles tellement à ton père … »
Et sur ces mots, elle tourna les talons. Ultia voulut la rattraper, mais une main s'abattit avec force sur son épaule, la clouant sur place. Elle se débattit et bientôt, des bras puissants l'enserrèrent et la soulevèrent dans les airs. Elle donna de violents coups de pieds dans le vide, mais les membres du conseil ne relâchèrent pas leurs prises sur elle. Elle cria à s'en déchirer les poumons, mais à aucun moment, sa mère ne se retourna. Elle ne montra pas le moindre signe d'hésitation et continua son chemin. Elle remonta la rue principale en sens inverse, emmitouflée dans ses vêtements chauds, sa longue tresse aux reflets rouge vif se balançant en rythme dans son dos. Pas une seule fois, elle ne jeta un regard en arrière sur sa fille. Les larmes coulaient abondamment sur le visage d'Ultia et cette fois, la pluie n'était pas là pour les dissimuler.
La mort de son père avait causé une fêlure dans son cœur.
L'abandon de sa mère avait achevé de le briser en mille morceaux.
Ultia ferma les yeux quelques instants avant de les rouvrir. Elle avisa le vide sous ses pieds au travers de la fenêtre. La vue depuis les quartiers des invités diplomatiques donnait directement sur le flanc escarpé de la montagne et elle se demanda si elle devait y voir un message caché pour la suite de leur mission. Les appartements qui avaient été mis à leur disposition étaient plutôt spacieux. Ils ne se marchaient pas dessus et, même s'ils partageaient la même chambre, leurs lits étaient suffisamment espacés pour qu'ils n'entendent pas leurs respirations respectives.
La kunoichi retint un soupir, puis tourna la tête. Aoba était assis dans un coin, attendant patiemment l'heure de leur entrevue avec le conseil de Kumo pendant que Takumi faisait les cent pas dans la pièce. Les mains jointes dans son dos, il ressemblait à un lion en cage et lui donnait le tournis.
Des petits coups se firent entendre contre la porte en bois et Takumi se jeta presque sur la poignée pour ouvrir. De l'autre côté, se tenait une jeune femme à la peau mate et aux grands yeux verts. Elle portait une tenue très formelle et ses cheveux gris étaient attachés en un chignon strict à l'arrière de son crâne. Elle releva le menton, affichant une expression neutre.
« La réunion va commencer dans quelques minutes, elle fit un pas sur le côté. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire jusqu'à la salle du conseil. »
Darui n'avait pas menti. Absolument tous les représentants des principaux clans ninjas, ainsi que les commandants jônins et les membres du conseil étaient présents. Il ne manquait plus que le Raikage.
Ils prirent place autour de la table en silence. Takumi et Aoba s'assirent chacun d'un côté, en face de la seule place qui restait vacante : celle du Raikage. Celui-ci finit par faire son apparition quelques minutes plus tard. Il posa alors un regard sévère sur les trois ninjas, et plus particulièrement sur elle.
« Alors c'est toi qu'ils ont envoyé pour parler de paix ? Ils en ont du culot. »
Il ne croyait pas si bien dire, mais Ultia se garda de tout commentaire. Le Raikage fit racler les pieds de sa chaise sur le sol et son assistante - la femme qui les avait conduit jusqu'ici - expliqua en détail le but de cette entrevue, ainsi que les différentes demandes de Konoha. Le Raikage, les deux mains regroupées sous son menton, l'écoutait attentivement, tout en gardant ses prunelles braquées sur les trois shinobis assis en face de lui. Son interlocutrice lui tendit ensuite un rouleau de parchemin sur lequel était inscrit le renouvellement des accords de paix. Il en lit les premières lignes en haussant un épais sourcil blond. Il retint un rire moqueur.
« Konoha s'attend à ce que je signe ça ? demanda-t-il avec un geste dédaigneux de la main.
_ Ce ne sont ni plus, ni moins, que les accords qui sont déjà actuellement en vigueur entre nos deux villages,intervint le jônin aux lunettes de soleil. Rien ne change.
_ Justement mon garçon, le Raikage insista sur ce dernier mot, ce qui déplut fortement au principal concerné. Ces accords n'avantagent que Konoha. Je ne vois pas pourquoi je les re-signerais en l'état alors qu'ils me contraignent plus qu'autre chose. Qu'est-ce que j'y ai à gagner ? »
Aoba fronça les sourcils. Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais Ultia fut plus rapide.
« Tu as le droit de proposer des modifications. Nous étudierons les demandes et jugerons si elles méritent de figurer ou non dans les nouveaux accords.
_ Je peux demander de modifier n'importe quel point ? »
Elle acquiesça.
« Tu peux essayer.
_ Même les transferts ? la coupa-t-il.
_ Même les transferts. » confirma-t-elle du bout des lèvres.
Un air satisfait apparu sur le visage du Raikage. Il avait toujours été contre les transferts. Ils avaient été mis en place sous la gouvernance de son père, à qui on avait forcé la main pour accepter et sauver les apparences vis-à-vis des autres pays ninjas. Et depuis sa nomination officielle au rang de kage, il cherchait à tout prix un moyen d'y mettre un terme. Les transferts ne servaient à rien selon lui, à part faire peser une épée de damoclès au-dessus de sa tête. Le pire, c'était que depuis tout ce temps, aucun des espions qu'il avait envoyé n'avaient réussi à mettre la main sur des secrets politiques compromettants. Ni même sur des techniques secrètes qui auraient pu lui apporter un avantage considérable. Ses espions étaient toujours revenus bredouille. Ils n'étaient pas de taille face aux équipes du renseignement et aux forces spéciales de Konoha. Ultia elle-même, tout comme Takumi, avait dû subir leurs interrogatoires pendant des jours. Elle avait dû répondre à leurs questions, toujours les mêmes, à en avoir mal au crâne, et montrer patte blanche avant de pouvoir déambuler à sa guise dans le village. Ses moindres faits et gestes avaient été surveillés, analysés au peigne fin, et reportés aux membres du conseil, même après qu'elle est mise le maître Hokage dans la confidence de sa condition de jinchûriki. Mais elle ne s'en formalisait pas, à leurs place, elle aurait fait pareil.
La jeune femme tapota distraitement ses ongles contre le bois de la table. Elle savait que le Raikage cherchait un moyen de supprimer les transferts et elle venait de le lui offrir sur un plateau d'argent. Il allait saisir cette opportunité, elle en aurait mis sa main à couper. Il allait négocier leur retrait et elle rechignerait pour la forme. Pour ne pas lui laisser croire qu'elle s'en moquait. C'était un petit sacrifice qu'elle était prête à faire pour la sauvegarde de son secret et des accords de paix. Le Raikage n'aurait alors plus qu'à signer, et ils pourraient rentrer chez eux.
« Bien, il faut qu'on discute des éventuelles modifications entre nous, après quoi, nous vous les soumettrons, le Raikage se rassit plus confortablement dans son siège. Vous pouvez disposer, je ne vous retiens pas plus longtemps. Nous reprendrons les discussions demain après-midi. »
Ils se levèrent tous les trois sans rien ajouter, et sortirent en silence de la salle du conseil.
« Vous qui le connaissez, vous pensez qu'il va finir par signer les accords ou qu'il nous mène en bateau ? demanda Aoboa, l'air grave, au détour d'un couloir.
_ Il va les signer, affirma Takumi. Il a tout autant besoin de cette paix que nous. Et en plus, il pense avoir la main sur les négociations parce qu'on a accepté de rediscuter les transferts. Il cherche un moyen de les supprimer depuis qu'il est devenu Raikage, c'est pour dire. Il s'est jeté sur la première occasion pour le faire.
_ Les transferts ne servent à rien, ajouta-t-elle. Si le Raikage accepte de signer les accords avec son sang, la paix sera garantie. Beaucoup plus qu'avec les transferts. Et ils mobilisent des ressources qu'on pourrait utiliser ailleurs. Tout le monde y gagnerait, mais ça, il n'a pas besoin de le savoir. »
Aoba ne semblait pas aussi convaincu que ses interlocuteurs.
« Je ne le sens pas …
_ Et tu as raison, seul un fou ferait confiance au Raikage. »
