« Toi ... C'est toi. »

Ultia sourit. Il avait compris.

Le Raikage se leva alors brusquement, renversant sa chaise au passage, et fit claquer les paumes de ses mains contre le bureau en bois. Le souffle court, il la fusilla du regard. Il était furieux et il n'allait pas tarder à craquer. Ultia savoura la colère qui déformait les traits de son visage.

« N'oublie pas que tu ne peux rien me faire, souffla-t-elle en relevant le menton avec impertinence. Je suis protégée par les lois diplomatiques et mes co-équipiers ont reçu des instructions claires. Si tu tentes quoi que ce soit contre moi, contre l'un d'entre nous, ou que tu refuses de signer les accords, plusieurs unités d'élite déferleront sur Kumo et détruiront tout sur leurs passages. »

Elle se leva ensuite et fourra la main dans l'une des poches intérieures de sa veste de jônin. Elle en sortit le parchemin des accords qu'elle déposa sur la table, juste sous le nez de son interlocuteur.

« Ils attendent mon signal. C'est moi qui lancerai l'assaut, si assaut il doit y avoir. Alors, à moins que tu ne souhaites voir ce palais ou la moitié du village réduit en cendres, je te conseille de mettre ta fierté de côté et de signer les accords.

_ Tu as trahis Kumo. Tu nous as trahis, siffla le Raikage entre ses dents.

_ Je n'ai trahis personne. J'ai juste fait un choix, et je me suis choisie moi avant tout le reste.

_ C'est ce que tu te répètes la nuit avant de t'endormir pour te paraître plus supportable ? Tu n'as toujours été qu'une petite ingrate, égoïste et insupportable, c'est vrai. Mais jamais je n'aurais cru que tu tomberais aussi bas, que tu serais capable de la pire des bassesses pour arriver à tes fins. »

Ultia haussa un sourcil. Il ne manquait pas de culot, c'est lui qui osait parler de coups bas ?

« Qu'est-ce que Konoha t'a promis pour que tu acceptes de te salir les mains ? De nous trahir sans le moindre scrupule ? Kumo t'a tout donné, absolument tout ! Et c'est comme ça que tu nous remercies ? En nous plantant un couteau dans le dos ?

_ Kumo m'a aussi tout pris, elle lui jeta un regard noir avant de poser à son tour les mains sur le bureau et de se pencher en avant, rapprochant son visage de celui du Raikage. Sois plus intelligente qu'eux, pas plus juste. C'est ce qu'on m'a appris ici, merci pour la leçon. »

La jeune femme se redressa, puis du menton, désigna le rouleau de parchemin.

« Signes-les. Maintenant. »

Elle croisa une nouvelle fois les pupilles sombres du Raikage, mais ne tressaillit pas. À aucun moment elle ne faiblit devant la puissance de son regard. Le Raikage fut le premier à baisser les yeux, dirigeant son attention sur le parchemin devant lui. Ultia vit les contours de sa mâchoire se serrer, si fort qu'elle pouvait presque entendre ses dents grincer. Il fit plusieurs fois la navette entre les accords et elle, comme s'il jaugeait les risques. S'il signait les accords, il renonçait à toutes les modifications qu'il voulait imposer, mais cela garantirait un semblant de paix entre Kumo et Konoha. Du moins en apparence. Mais s'il refusait, alors il devrait faire face aux conséquences et l'une d'entre elles se trouvait juste devant lui, prête à revêtir l'apparence mortelle de son bijû et à ravager le palais avec ses flammes.

Ultia pria intérieurement pour qu'il fasse le bon choix, celui de la raison, car elle redoutait ce qui se passerait dans le cas contraire. Elle n'avait pas de plan B.

Le Raikage tiqua, et saisit un couteau dans l'un des tiroirs de son bureau avant d'entailler la paume de sa main droite. Ultia retint un soupir de soulagement, elle ne devait pas crier victoire trop vite. Elle observa chacun de ses gestes, tandis que son coeur tambourinait avec force dans sa poitrine et que son sang pulsait contre ses tempes. Elle était tendue comme un arc.

Le Raikage déglutit une première fois, puis une deuxième, et traça un sceau ensanglanté en bas du parchemin, y apposant enfin sa signature. Au moment précis où il releva la main, Ultia se saisit du parchemin qu'elle rangea précautionneusement dans la poche de sa veste. Elle hocha la tête, échangeant un regard entendu avec son interlocuteur.

« Je ne vais pas te déranger plus longtemps, nous avons de la route. Je te remercie pour ton hospitalité et ta coopération. » lâcha-t-elle ironiquement avec de tourner les talons.

Un cri rageur retentit dans son dos lorsqu'elle posa la main sur la poignée en laiton, et un éclair fracassa le battant à seulement quelques centimètres de sa tête. Ultia se figea sur place, jetant un coup d'oeil sur le bois calciné, encore fumant, dont l'odeur de brûlé vint lui assaillir les narines. Elle entendit des bruits de pas de l'autre côté de la porte et aperçu la silhouette gracile de Mabui à travers les morceaux de bois

L'éclair avait percé un trou dans la porte, par lequel elle pouvait apercevoir nettement les contours de l'antichambre. La jeune femme ravala difficilement sa salive et tourna la tête. Le Raikage haletait, la respiration extatique. Est-ce qu'il avait fait exprès de la manquer, pour lui faire peur ? Ou est-ce que, par miracle, il avait raté son coup ? Elle n'était pas sûre de vouloir connaître la réponse. Elle resserra sa prise sur la poignée, la gorge sèche.

Le Raikage pointa alors un doigt menaçant dans sa direction.

« Je te jure sur ma vie que, si un jour tu remets les pieds dans ce village ou dans ce pays, je n'aurais aucun scrupule à te traquer et à arracher Matatabi de ton cadavre. Je te tuerais de mes propres mains. »

Elle sentit le démon-chat remuer au fond de ses entrailles, mais ne lui prêta pas attention. Ultia garda le silence. Aucune remarque cinglante ne lui vint. Sa langue était beaucoup trop engourdie, trop lourde dans sa bouche pour prononcer le moindre mot. Elle déglutit une nouvelle fois, puis acquiesça. Elle savait que le Raikage ne venait pas de prononcer des paroles en l'air.

Il le ferait. Il la tuerait si il recroisait un jour sa route.

Pour être honnête, elle était même étonnée qu'il prenne la peine de la prévenir.

Ultia ne s'attarda pas plus longtemps et sortit du bureau en laissant la porte ouverte derrière elle. Elle emprunta une série de plusieurs escaliers et tourna à l'angle d'un couloir désert avant de s'autoriser une pause. Elle sentit ses jambes flageolaient sous son poids et prit appui contre le mur. Tout son corps, du bout de ses doigts jusqu'à ses orteils, était parcouru de spasmes. Sa lèvre inférieure trembla, et elle serra des dents pour ne pas laisser échapper le moindre son. Elle prit sur elle pour essayer de se calmer, prenant de grandes et profondes respirations. Mais elle ne pouvait s'empêcher de repenser à cet éclair qui avait bien failli la toucher, au bruit du bois éclatant sous l'impact, à l'odeur de brûlé, et aux prunelles assassines du Raikage braquées sur elle.

De la promesse mortelle qu'elle y avait lue.

Elle battit plusieurs fois des cils avant de reprendre son chemin et de se diriger vers la sortie du village. Elle ne voulait pas - ne pouvait pas - rester ici plus longtemps. Il fallait qu'elle parte. Maintenant.

La jeune femme retrouva Takumi et Aoba devant la porte principale du village. Ils se tenaient en retrait de la foule, assis sur des rochers, le regard braqué sur la rue commerçante. Takumi fut le premier à la voir se frayer un chemin parmi les passants et vint à sa rencontre, Aoba sur ses talons.

« Comment ça c'est passé ? la pressa-t-il une fois arrivé à sa hauteur.

_ Il ne faut pas qu'on s'éternise ici. Il faut qu'on parte. Maintenant.

_ Est-ce que le Raikage a signé les accords ? » demanda à son tour le ninja aux lunettes de soleil.

Ultia lâcha un soupir et ferma les yeux quelques instants.

« Oui. Oui, il les a signés. Non sans mal. » confirma-t-elle, l'air grave.

Takumi fronça les sourcils, mais garda le silence. Il ne lui posa aucune question, même si elle savait que celles-ci lui brûlaient le bout de la langue. Il garderait ses interrogations et ses remarques pour plus tard. Ce n'était ni le lieu, ni le moment pour une telle discussion.

Ultia esquissa un pas vers la sortie, mais fut soudain coupée dans son élan.

« Tu pars sans dire au revoir ? » fit une voix familière dans son dos.

Elle se figea, avant de jeter un regard nerveux par-dessus son épaule. Darui marchait nonchalamment dans leur direction, et elle hésita entre prendre la fuite ou courir le risque de le laisser approcher encore plus. Mais le sourire en coin qu'il abordait suffit à lui faire comprendre qu'il n'avait pas encore eu vent des détails de son entrevue avec le Raikage. Darui ne venait pas pour lui tendre un piège ou la confronter.

Ultia lui rendit faiblement son sourire tout en se tournant pour lui faire face.

« Je n'ai jamais été très douée pour les au revoir. Tu le sais mieux que personne.

_ Mais j'ai comme l'impression que celui-ci est le dernier avant un petit moment. Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais le Raikage est furieux, dit-il en pointant du pouce le palais derrière lui. Il a même fait convoquer Killer Bee. Une idée du pourquoi ? »

La jeune femme sentit son estomac se contracter, mais elle s'efforça de conserver un visage le plus neutre possible et haussa les épaules dans un geste qui se voulait désinvolte. Elle savait pertinemment que la convocation de Killer Bee avait un lien avec les révélations qu'elle venait de faire au Raikage. Il voulait une confirmation, savoir si quelqu'un d'autre était au courant de sa trahison. Killer Bee l'avait prévenu, il lui avait dit que si on lui posait la question, il ne mentirait pas. Il ne la couvrirait pas. Elle espérait juste que son ancien maître avait encore suffisamment d'affection pour elle pour lui permettre de quitter le pays sans encombre et que, ordres ou pas, il ne se lancerait pas à sa poursuite.

Il y avait peu de chances que cela se produise de toute façon. Ils devaient tous être sur le pied de guerre, trop occupés à fouiller le village à la recherche des supposés parchemins d'invocation disséminés par son ninneko. Du moins, pour le moment. Et lorsqu'ils comprendraient qu'elle avait menti, qu'il n'y avait aucun parchemin et donc aucun risque pour la sécurité du village, il serait trop tard.

Elle serait déjà loin.

« Il n'a sûrement pas apprécié que je lui force la main pour signer les accords. Mais nous avons eu ce que nous voulions, nous n'avons donc pas de raisons de rester plus longtemps et la route est longue jusqu'à Konoha.

_ Comment est-ce que tu as fait pour le convaincre ? Pour qu'il accepte de signer les accords ? demanda son ancien camarade, suspicieux. Il ne semblait pas vraiment disposer à le faire.

_ Tu n'auras qu'à lui poser la question. » éluda-t-elle.

Darui se retint difficilement de lever les yeux au ciel, soupirant à la place. Il finit par secouer la tête, faisant bouger quelques mèches de cheveux blancs, puis tendit ensuite une main vers elle.

« J'ai quand même été content de te revoir Ul. Peut-être à une prochaine fois ? Lorsque les choses se seront un peu tassées. »

Elle releva la tête et croisa le regard de son interlocuteur, la gorge serrée. Il n'y aurait pas de prochaine fois. Darui ne le savait pas encore, mais au vu du rang qu'il occupait, il ne tarderait pas à apprendre ce qu'elle avait fait. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne soit mis dans la confidence. Comment réagirait-il ? Est-ce qu'il serait toujours aussi conciliant avec elle ou est-ce qu'il la maudirait ? Est-ce qu'il la considérerait lui aussi comme une traîtresse ? Une lâche ?

Ultia se rapprocha brusquement, comblant la maigre distance qui les séparait, et serra ses bras autour de la nuque de Darui. Elle sentit ses muscles se raidir sous son geste. Elle faisait rarement preuve d'affection physique, et ceci n'avait rien à voir avec la franche, mais brève accolade qu'elle lui avait donné leur de leurs retrouvailles. Elle s'accrochait à lui, désespérément.

Elle ne lui disait pas au revoir, elle lui disait adieu. Et pardon.

La jeune femme finit par se reculer, mais conserva tout de même un contact physique avec Darui en agrippant ses mains autour de ses avant-bras. Elle pouvait voir la confusion briller dans le fond de ses iris noirs.

« Essaye de ne pas trop m'en vouloir. »

Le ninja haussa un sourcil, perplexe, ne comprenant pas pourquoi elle lui disait ça. Mais Ultia ne lui laissa pas le temps de poser la moindre question. Elle tourna les talons sans rien dire de plus et disparu entre les rochers, ses deux camarades courant dans son sillage.

Le parchemin des accords ne lui avait jamais semblé peser aussi lourd. Elle sentait le papier frotter contre ses côtes, elles-mêmes comprimaient par un poids invisible qui s'intensifiait à chaque pas qu'elle faisait. À chaque pas qui l'éloignait de Kumo. Elle espérait juste que le jeu en valait la chandelle et que, tôt ou tard, elle n'allait pas le regretter.

Ni en payer le prix.