1er juillet
Derniers mots
Sur la vieille commode, la photo aux couleurs étincelantes attendait toujours, comme si elle était destinée à se faire ambassadrice d'une journée qui aurait de nouveau lieu, un jour… Quand Lune serait revenue et que l'eau de la lagune serait d'un bleu limpide, avec un beau ciel qui se mirerait dedans et même un arc-en-ciel… Devant l'ombre du volcan, dans cette projection chimérique du futur, Lilie, Gladio et Tili seraient là eux aussi et ils entoureraient leur amie, parce qu'elle serait enfin de retour…
Lune était partie depuis plus de dix ans.
Ils avaient encore la vie devant eux pour la revoir, naturellement : ils n'étaient que de jeunes adolescents lorsque tout ce qui les avait liés pour toujours s'était passé. La jeune fille avait à peine quelques années de plus quand elle avait tout quitté pour une vie d'errance à travers les galaxies. Ils étaient encore jeunes… et ils n'avaient pas quitté Alola, dans l'espoir qu'elle reviendrait.
Mais, lentement, Tili, Gladio et Lilie, à des degrés différents, se disaient que, peut-être, tout ce temps avait été du temps gaspillé.
Ils n'avaient pas beaucoup l'occasion d'en parler. Leur groupe de quatre s'était un peu fragilisé depuis que Lune avait disparu. Gladio et Lilie étaient frère et sœur mais le jeune homme s'était déjà enfui une fois en laissant sa cadette derrière lui, ils savaient bien qu'il pourrait recommencer. Tili ne s'entendait pas forcément très bien avec Gladio une fois qu'ils étaient seuls; sa nonchalance et ses plaisanteries avaient besoin d'être tempérées par la détermination de Lune. Lilie passait du temps avec Tili mais c'était bien le seul lien à être vraiment fort. Il avait essayé de la protéger plusieurs fois, ça créait une certaine confiance qu'ils ne retrouvaient pas avec n'importe qui.
« Tu te souviens des derniers mots que Lune nous a adressés ? demanda enfin Lilie un jour de juillet, alors que la chaleur écrasante pesait sur les palmiers et les maisons d'Alola. »
Tili se la re-figura tout de suite, cette scène. Ils avaient de nouveau quinze ans. Leur amie se tenait au milieu de l'Autel du Soleil, les motifs compliqués qui marquaient le sol, les canaux… Non, ce n'était pas ça, se reprit-il brusquement, effaré. Elle ne portait pas son débardeur blanc, son short, son chapeau, ses chaussettes à hibiscus comme dans l'image que ses souvenirs lui renvoyaient sans cesse… Au contraire, il n'y avait pas une seule parcelle de peau qui dépassait, dans cette combinaison spatiale. Avec une pierre dans l'estomac, Tili comprit soudain pourquoi il n'arrivait jamais à distinguer son visage quand il repensait à elle. C'était le casque, le casque de protection offert par les envoyés de l'Ultra-Mégalopole. Il dissimulait complètement ses traits, ses yeux…
« Tili ? l'appela Lilie, inquiète, en avançant la main.
-Elle a dit "Quand j'aurai trouvé ce que je cherche, je reviendrai", récita Tili. Tu crois qu'elle n'a tout simplement pas trouvé ?
-Je ne sais pas, répondit la jeune fille en baissant la tête. Monsieur Nikolaï lui a déjà donné de quoi fusionner Necrozma avec Doudou…
-Le Necrosol, intervint une voix qui les fit sursauter tous les deux. Mais tu sais bien que cette relation parasitaire n'est bonne ni pour l'un, ni pour l'autre. Ed ne va pas rester chevillé à Doudou éternellement. »
Gladio tira une chaise et s'assit face à la fenêtre, au soleil, à la plage, à la balustrade de bois et aux palmiers. Le ciel commençait à changer de couleur. Un orage, aussi brusque que lourd, allait bientôt leur tomber dessus. Gladio adressa un signe de tête à Tili et une étreinte du poignet à sa sœur, puis il regarda de nouveau dehors.
« Lune est partie voyager entre les mondes parce qu'elle voulait rendre à Ed sa lumière, rappela-t-il. Elle prendra le temps qu'il faudra pour y parvenir. »
Il ajouta, le poing contre la poitrine :
« Je la comprends. Jamais je n'aurais abandonné, pas même un seul instant, si de ma réussite avait dépendue la guérison complète de Silvallié !
-Je le sais bien, fit savoir Lilie d'une voix abattue. Ce que je me demandais, c'est pourquoi c'est aussi long. Si Monsieur Nikolaï a déjà découvert un procédé qui est, certes, temporaire, mais qui montre qu'il est possible de rendre sa forme première à ce Pokémon de l'espace… un autre civilisation devrait avoir trouvé la vraie solution, non ?
-Hé, Gladio a raison ! tâcha de la réconforter Tili en se cognant lui aussi la poitrine. Lune est courageuse et l'espace est vaste ! Avec ces deux paramètres mis ensemble, c'est normal que son périple prenne du temps. »
Ou alors…
Peut-être que ce n'était pas que de rendre sa forme première à Necrozma, ce que Lune recherchait. Peut-être que c'était plus profond.
Plus diffus.
Plus difficile à comprendre, dans cette existence humaine si compliquée !
Et alors, peut-être que Lune ne reviendrait jamais.
Les premières gouttes se mirent à tomber.
Ce texte fait suite, dans l'idée, au jour du 15 octobre : Urgence, confession, aventure du Flufftober 2023.
