Guest : toujours contente de te voir motivée ! :D

Aujourd'hui, la réponse à une énigme posée il y a si longtemps qu'on l'a tous oubliée !


« Et le voici, victorieux à nouveau. »

Le cœur de Drago rata un battement. Cela faisait une éternité que Kenaran lui décrivait le combat qui se déroulait à une distance telle qu'on ne pouvait voir quoi que ce soit, et entendre encore moins.

Monsieur Temrah les avait rejoints. Il avait posé sa main sur l'épaule libre de Drago et avait dirigé ses yeux aveugles sur l'horizon.

Nguyen également avait débarqué. Le discours du Maléfistinien s'était alors paré de petites remarques condescendantes, du genre « J'espère que votre stock de potion Poussos est suffisant pour guérir deux corps entièrement ? » ou « Je crains que la potion de sommeil sans rêves ne soit indispensable suite à un traumatisme de ce genre… » faisant blêmir Drago qui n'osait interrompre le récit pour s'enquérir de l'identité des blessés.

Et puis des Surveillants étaient venus à leur tour. Ceux qui n'avaient pas rejoint l'expédition. Il aurait fallu leur ordonner de rejoindre leurs postes, leur rappeler que leur travail primait sur leur curiosité et leur inquiétude, mais qui en aurait été capable ?

Kenaran cligna des yeux, et ses iris reprirent leur habituelle couleur gris sombre. Il tourna alors le regard vers Drago.

« Cessez de vous tourmenter, Monsieur Malfoy : Votre héro est sain et sauf. »

Il le fixa un instant en silence, puis ajouta, avant de se détourner pour rejoindre sa délégation :

« Lors de notre prochaine entrevue, j'espère vous découvrir plus loquace. »

Drago le regarda partir, paralysé, les yeux grands ouverts… Puis ce fut comme s'il regagnait d'un coup le monde réel : Il fut de nouveau capable d'entendre le bruit des vagues, de sentir la chaleur excessive sous sa cape de peau, et de sentir le poids trop important de Vif-Eclair et de Monsieur Temrah sur ses épaules : Ses jambes flanchèrent et il s'écroula à genoux sur la roche. La douleur soudaine lui fit monter les larmes aux yeux, et l'albatros sur son épaule s'envola immédiatement, lui claquant maladroitement ses grandes ailes dans le visage, avant de faire un élégant demi-tour et de revenir se poser devant lui pour l'observer de son regard attentif.

Drago releva une dernière fois la clochette devant lui, murmura le nom de « Harry », et crut défaillir de soulagement quand le petit battant teinta à nouveau vers l'avant.

« Allons, allons, marmonna Monsieur Temrah en cherchant de nouveau son épaule pour y tapoter sa vieille main parcheminée. Vous êtes trop émotif, mon petit Malfoy. Monsieur Nguyen, je crains que nous ne soyons contraints à nous contenter de chocolat en tablette, puisque notre jeune ami se trouve mal. Je vous laisse vous en occuper. Quant à vous-autres, allez aider notre infirmier, enfin. Amenez des brancards, préparez serviettes et couvertures, ne restez pas les bras ballants. »

Quelques minutes plus tard, les troupes revenaient : D'abord les trois Tatzelwurm, aussi rapides que des étoiles filantes. Ils débarquèrent avec quatre des gardes de Kenaran, notamment l'une des guerrières jumelles, blessée, qui fut aussitôt prise en charge par les gobelins du carrosse. Arriva également Hermione Granger, qui distribua les ordres aux Surveillants encore présents comme une figure d'autorité, et dressa à Nguyen un bilan des blessés. Et enfin, s'écroula de sa monture Bill Weasley, encore lui, trempé, tremblant et claquant des dents, qui n'avait pas été blessé, mais avait peut-être à nouveau été pris pour cible privilégiée par le Détraqueur. Drago se dirigea aussitôt vers lui pour poser sa cape brulante sur ses épaules.

Le rouquin leva ses yeux bleus vers lui, ricana, puis plaisanta : « Et bien on dirait qu'il a un faible pour les Gueules Cassées dans notre genre. Mais on l'a eu. Par Merlin, on l'a eu. »

Et les soldats en balai débarquèrent enfin.

Cette fois, Potter n'avait pas tenté de dissimuler ses mésaventures en séchant ses vêtements où en dissimulant ses blessures : Il ruisselait, et du coin de son œil gauche jusqu'à l'arrière de son crâne, les dents du Détraqueur avaient laissé de longues griffures déjà suppurantes. Sa chemise était rouge de sang jusqu'aux hanches.

Mais il allait bien.

Un tourbillon blond frappa Drago de plein fouet, le faisant tomber à la renverse quand Fleur Delacour se précipita vers son époux pour l'embrasser, avant de l'aider à se relever, puis à hurler pour qu'on lui apporte de quoi le réchauffer et le soigner.

À nouveau, c'était le tumulte : Les blessés les plus graves – un Auror avait eu les deux jambes pulvérisées, Deux étudiants qui avait été dans la même année qu'eux à Poudlard, la première à Gryffondor, le second à Serdaigle, avaient chacun un bras qui pendait comme des membres sans vie de marionnettes, la poitrine de Savage avait été fracassée et il avait été placé dans une civière tractée entre deux balais, Ginny Weasley était incapable de marcher seule et sa robe déchirée laissait voir des blessures encore plus hideuses que celles qui ornaient le crâne de Potter… – Les blessés les plus graves, donc, étaient transportés à l'infirmerie. Les blessés légers – et là, Drago n'avait franchement pas la possibilité de faire la liste tant ils étaient nombreux – étaient directement soignés sur la plage avec des sorts ou des potions, par un Surveillant que Nguyen avait pris sous son aile.

Drago ramassa sa peau de morse, qui était tombée au sol quand Fleur avait emmené Bill à l'intérieur et se redressa à son tour, cherchant des yeux l'endroit où il pouvait être le plus utile.

« Drago ! »

Il eut à peine le temps de tourner la tête que déjà Potter se trouvait devant lui, lui avait saisi les joues et l'embrassait fermement. Ses lèvres avaient un gout de sang. Il y eut des exclamations surprises, mais également des sifflements moqueurs et des cris de joie ou d'encouragement.

Quand enfin, Potter recula légèrement son visage, Drago put voir l'éclat joyeux dans les yeux d'émeraude, et il s'en voulut de nouveau.

L'éclat s'effaça doucement.

« Je suis désolé… » marmonna Drago sans oser bouger, mais en confirmant le doute et les craintes de Potter : « Ça ne change rien entre nous. »

·

Il aurait certainement dû mettre les choses au point plus tôt.

Juste après avoir annoncé la position du Détraqueur à Potter ? Est-ce que ça n'aurait pas risqué de trop déstabiliser le Survivant ?

Avant qu'il ne s'affiche ainsi à l'embrasser en public, en tout cas. Drago n'avait pas supporté de voir les yeux verts s'éteindre, et il avait fui. Il l'avait ridiculisé.

Il était retourné à l'infirmerie, où il avait libéré Carrow, afin que celui-ci puisse s'occuper de Jugson, comme ils le faisaient tous les jours. Drago le regardait faire, abattu, affalé sans aucune élégance sur une chaise. Parfois, il lâchait un conseil ou un ordre au détenu : « Ne frotte pas si fort. Doucement. Voilà. »

Potter était parvenu à capturer le Détraqueur.

Il avait mis un Détraqueur en prison.

Il avait enfermé un Détraqueur à Azkaban.

Peu importait comment on formulait les choses, l'idée était sidérante.

Il avait eu le temps de voir la cage, ou plutôt l'espèce d'aquarium de Magie qu'ils avaient tracté derrière eux. Des murs chatoyants, lumineux, opalescents, comme l'était le Patronus de Potter. À l'intérieur de ce cercueil, une masse de magie concentrée, si épaisse qu'elle empêchait tout mouvement de la créature, comme des sables mouvants compactés. Enfin, autour de son crâne, de sa capuche, un bâillon épais, une espèce de muselière argentée si lumineuse qu'elle en blessait les yeux, et qui s'enfonçait dans sa gueule béante, emportant le tissu noir avec elle.

Le Détraqueur ne pouvait même plus émettre son râle.

Sa faim devait être incommensurable.

Celui-ci ne faisait pas que réagir à son instinct : Il avait espéré, il avait réfléchi. Il s'était aperçu qu'il n'était pas de taille à lutter contre Potter, et il avait eu l'intelligence suffisante pour vouloir amener ses compagnons, qui patrouillaient à l'extérieur du dôme, à lui. Il avait compris que son sang pouvait creuser dans les boucliers de protection de l'île. Il s'était mutilé, encore et encore, s'était ouvert la poitrine à mains nues pour faire jaillir le flot noir, ronger la magie, et parvenir à ses fins. Il avait même été suffisamment perspicace pour effectuer sa tâche sous les flots, là où son sang se dissolvait lentement dans la mer, rendant sa tâche infiniment plus longue, mais aussi beaucoup plus sûre qu'à l'air libre, où il risquait d'être découvert.

Il était un être conscient, doué de raison, avec des craintes, des faiblesses, et des espoirs brisés.

Et Potter l'avait capturé et enfermé comme une bête…

Et Drago se demandait si le Détraqueur ne méritait pas, un peu plus que lui-même, d'être libéré…

« Carrow. Tu peux changer de jambe. Quand la peau devient rouge, comme ça, c'est que tu as trop frotté, d'accord ? »

Ils avaient tous été invités à fêter la victoire dans le Hangar. Tous, même la délégation Européenne, même les enfants, même les elfes et les gobelins. Quand Drago était passé non loin de la salle, il avait entendu les cris et les chants.

Il s'était enfui, à nouveau.

Il avait passé l'après-midi complète à fuir ou à se cacher dans l'infirmerie.

Jugson avait été récuré des pieds à la tête. Son crâne chauve brillait, ses ongles reluisaient. Les poils de ses bras et de ses mollets étaient emmêlés à force d'avoir été lustrés dans un sens ou dans l'autre, frottés jusqu'à être arrachés par endroits.

« Carrow… Tu vas passer la nuit ici, d'accord ? Tu pourras… Oui, tu peux lui faire un câlin. Fais attention, son nez doit rester à l'air libre. Voilà. Tu pourras rester à côté de lui cette nuit, je reviendrai te chercher demain matin. Ça te va ? »

·

Drago n'avait aucune envie de rejoindre les autres à la Patinoire ou au Hangar. Cette nuit, il la passerait dans sa cellule.

Mais d'abord, il devait aller sur la plage. Il s'emmitoufla dans la peau de morse avant de sortir. Cette guenille était affreuse et lui donnait une apparence bestiale, mais à nouveau, la simple idée de posséder quelque chose donnait à la loque une valeur incommensurable. Il se serait battu becs et ongles si quelqu'un avait menacé de la lui reprendre.

Il vit la cage magique et brillante devant le carrosse, et s'y attarda un moment.

Personne ne montait la garde. Lui aurait exigé qu'une dizaine de Sorciers surveillent les lieux en permanence.

Plus tôt et en catimini, il s'était faufilé dans la salle des gardes pour y voler de quoi préparer l'un de ces fameux sandwiches au pastrami et à la moutarde dont Potter l'avait nourri, à l'époque, puis il l'avait donné à Carrow. Lui même n'avait pas mangé.

Il n'avait pas faim.

Il espérait que pour une fois, le Détraqueur puisse pénétrer dans son esprit à lui, éprouver ses émotions à lui et ses sensations à lui : Ne pas avoir faim. Pour une fois.

Il soupira, puis poursuivit sa route, cherchant à nouveau les rochers correspondants, sur la plage déserte et noire.

Il éleva la voix et tenta de prononcer le nom de la Selkie dans sa langue de marée :

« Lshl' ? »

Il répéta son appel deux ou trois fois, jusqu'à ce qu'une voix étonnée ne le fasse se retourner :

« Tu me cherches, Malfoy-Drago-Malfoy ? »

Il lui adressa un sourire, soulagé qu'elle ne soit pas encore partie :

« Je suis désolé d'avoir disparu si vite, ce matin. Je ne t'ai même pas remercié pour la peau de morse. Et pour ce que tu m'as dit sur le Détraqueur. Tu as surement aidé à sauver des vies. »

Elle fit une moue en haussant les épaules : « Des vies humaines, précisa-t-elle comme si ce fait relativisait les choses. La peau te plait, alors ?! » Ce sujet était davantage à son gout.

Drago baissa les yeux vers sa tenue et ricana en resserrant les pans de la dépouille contre son corps.

« Oui, beaucoup, répondit-il. D'ailleurs… D'ailleurs, je voulais te remercier aussi pour le gras, et… pour tout, en fait.

– Je n'ai jamais compris l'intérêt que vous portez aux remerciements.

– Pour être honnête, moi non plus. »

Ils restèrent silencieux un moment, puis la Selkie prit la main de Drago et l'emmena à sa suite en affirmant :

« Viens. La lune est douce, cette nuit ! C'est un temps pour chanter et danser ! »

Il la suivit sans résister, et il reconnut immédiatement les rochers noirs qui entouraient le squelette désarticulé. Une large silhouette se trouvait là, et Drago, surpris par cette présence, trébucha nerveusement avant de saluer en bégayant :

« Ma… Major Mullan… »

La Sorcière lui accorda un regard aimable, bien que teinté d'une bonne dose d'agacement.

« Malfoy », salua-t-elle en retour.