Epilogue
« Hé bah, ça se dépeuple de plus en plus par ici. »
Nul ne se donna la peine de répondre à la remarque sarcastique de Xigbar. Les quelques silhouettes noires et sinistres enveloppées dans leurs grands manteaux noirs étaient assises sur leur siège respectif, éparpillées dans la grande salle blanche sans plafond ni sol apparents. Cependant, des regards s'attardaient sur les sièges délaissés lors de la réunion du jour.
Luxord, qui triait paisiblement son jeu de cartes, prit la parole : « Vous pourriez peut-être expliquer au reste d'entre nous la raison de ces absences, hmm ?
-Le Supérieur est occupé à des affaires importantes et ne pourra exceptionnellement pas se joindre à nous », répondit Saïx, l'air plus renfrogné que jamais. Une large balafre lui traversait la joue, suintant encore, et il bougeait avec précaution, comme si son corps avait subi quelque blessure. « Et je pense n'avoir pas besoin de vous expliquer ce qui est arrivé à Xaldin.
-Abattu par l'Imposteur, n'est-ce pas ? ricana Xigbar que la perte d'un collègue ne semblait guère émouvoir.
-Quant aux Numéros Huit et Treize, poursuivit Saïx en lui jetant un regard mauvais, ils se sont rendus coupables de trahison envers l'Organisation. »
Il n'y eut guère de réaction. Luxord hocha la tête comme si la réponse ne le surprenait pas. Quant à Demyx, il se contenta de refouler tant bien que mal un bâillement.
« Le Numéro Treize s'est enfui et est désormais introuvable, continua Saïx, le visage de marbre. Il y a fort à parier qu'il a rejoint nos ennemis. Quant au Numéro Huit... il a aidé notre otage à s'échapper.
-On t'a pas manqué, en tout cas, lança Xigbar, hilare, avec un grand geste vers la nouvelle cicatrice de Saïx. C'est la poupée qui t'a fait ça ? »
Saïx se renfrogna encore davantage si c'était possible.
« Le Numéro Quatorze a conduit l'Imposteur jusqu'ici, répliqua-t-il. Elle aussi constitue une menace à éliminer sans pitié.
-Xion a fait ça ? Elle manque pas d'air, commenta Demyx.
-Tu n'as rien écouté depuis le début, avoue, soupira Xigbar en levant les bras en l'air. Bon, et alors, chef ? On fait quoi ?
-Les ordres n'ont pas changé, déclara Saïx d'une voix lugubre. La Numéro Quatorze doit toujours être éliminé. Ainsi que l'Imposteur. Leur existence est un trop grand danger pour nos plans, désormais. Quant au Numéro Treize, le Supérieur n'a pas encore pris sa décision. Nous avons donc pour ordre de l'arrêter et de le ramener ici, si possible. S'il cause trop de soucis, vous êtes autorisés à l'éliminer. Quant à Axel, il s'agit d'un traître. Vous devrez le traiter comme tel. Je vous demanderais de prendre garde à notre ancienne otage, Kairi. Elle est introuvable à son domicile, ce qui signifie qu'elle est sans aucun doute avec nos ennemis. Elle dispose désormais, elle aussi, du pouvoir de la Keyblade.
-Vraiment ? dit Luxord en portant la main à son menton, le regard rusé. Ils se multiplient, ceux-là. Après tout le mal qu'on s'est donné pour construire un porteur de Keyblade...
-Et un mot à dire sur le réveil du Héros ? intervint une nouvelle fois Xigbar avec un sourire en coin, comme se délectant de souligner les échecs de son propre groupe.
-C'est un problème, en effet. Mais... » Saïx les fixa de son regard jaune. « … peut-être qu'on pourrait en tirer des avantages. Nous n'avons guère besoin que les Porteurs de Keyblade nous aiment, après tout. Simplement qu'ils fassent leur travail. »
« … évidemment que je n'allais pas me priver et que je l'ai mangé !
-Oui, et bien, après te plains pas d'avoir été malade pendant trois jours !
-C'est pas grave, Donald ! dit Sora en croisant nonchalamment les bras derrière la tête. Je m'en suis remis, c'est ce qui compte ! Et ce gâteau était vraiment bon. Tu sais pas ce que tu as manqué !
-Au moins, moi, je n'ai pas vomi pendant toute une nuit...
-Et puis, je pense que Sora a l'habitude de dormir des jours durant, fit remarquer Riku depuis son siège à côté de son meilleur ami. Il a toujours aimé se la couler douce. Deux jours et demi, ça n'a pas dû représenter grand-chose pour lui.
-Voilà ! Merci, Riku ! … Attends, quoi ? »
Dingo et Donald s'esclaffèrent, tandis que Sora feignait une mine boudeuse. Riku s'autorisa un léger sourire. Ça devenait une habitude depuis le réveil de son ami.
Une petite sonnerie retentit sur le tableau de bord du Vaisseau Gummi et Donald sauta à bas de son siège pour aller consulter l'écran devant eux. Par les fenêtres latérales, les galaxies et autant de mondes filaient à la vitesse de l'éclair.
« On arrive ! » cancana-t-il.
Et effectivement, par la fenêtre qui leur faisait face, la lumière chatoyante d'un monde se rapprochait à vue d'œil Sora se laissa tomber de son siège et s'approcha, fasciné, insensible aux légères secousses du vaisseau.
« Les Îles du Destin, murmura-t-il. Wahou... »
Riku le fixa un moment. Ça ressemblait bien à Sora de s'extasier de tout, mais cet émerveillement pour son monde natal lui paraissait un peu trop poussé. C'était sans doute compréhensible : en dépit du travail de Naminé et de l'apport des souvenirs de Roxas, il n'avait pu retrouver tous ses souvenirs de son monde natal. Naminé n'avait pas eu l'occasion de finir son travail avec sa disparition.
Il n'avait pas voulu croire Xion quand elle était revenue en pleurs. Que DiZ avait bel et bien perdu la raison et que Naminé avait subi sa colère quand elle avait voulu s'interposer entre lui et Xion. Mais une fois suffisamment remis, il s'était rendu à la Cité du Crépuscule et avait trouvé le manoir désert. Le sous-sol était dévasté par les combats, des traces de lutte partout, le sol couvert des fragments des écrans brisés et de débris d'explosions. Une lumière faiblarde émanait d'un seul écran près du plafond, qui luisait sinistrement, seul dans la pénombre à son arrivée.
Restauration à 78%
Réveil envisageable mais non conseillé.
Il avait cherché et appelé Naminé et DiZ, en vain. Les lieux étaient complètement déserts. Aucune trace de ses deux anciens alliés.
Il n'y avait rien d'autre à faire et il avait dû se résoudre à activer le réveil de Sora et de ses amis. A son grand soulagement, il avait trouvé Sora en pleine forme, bien qu'ils se soient rendus compte qu'il avait encore beaucoup à réapprendre concernant ses capacités à manier la Keyblade. Non pas que cela eut jeté une ombre sur leurs retrouvailles.
« Bon, je suis bien content qu'on fasse une pause ! dit Sora en s'étirant. J'ai hâte de revoir les autres ! »
Le Vaisseau Gummi fut soudain enveloppé de lumière alors qu'il traversait la frontière du monde. Ils crevèrent les nuages et se retrouvèrent à survoler une immense mer où se reflétait le soleil de la fin de l'été. Il devait être midi passé.
Bien vite, une grande île apparut sous leurs yeux et Sora, comme toutes les fois où ils étaient venus, se colla à la vitre pour la détailler du regard, Donald n'amorça pas la descente. Ils passèrent l'île, survolèrent encore les flots et quelques autres îles de l'archipel et ne ralentirent qu'en atteignant la dernière, à l'extrême nord. La dernière avant l'immensité de la mer.
Il s'agissait de l'île où Riku avait prétendu avoir été abrité pendant sa « convalescence ». De petite taille, très éloignée de l'île principale, elle ne comptait qu'un hameau de pêcheurs et quelques fermes. Ses habitants vivaient dans l'ensemble en autarcie, bien que certains se rendent deux fois par mois en ville se ravitailler. Kairi avait discuté avec ses parents et les avait persuadés qu'il serait mieux pour elle d'y demeurer, le temps que la situation se calme. Et en effet, l'Organisation ne l'avait pas retrouvée. Il avait eu vent qu'un homme en manteau noir avait été aperçu à une ou deux reprises sur l'île principale : visiblement, ils continuaient de la chercher, mais ses parents gardaient le secret de sa nouvelle habitation.
L'autre fois, Sora et lui s'étaient rendus sur la petite île afin de la débarrasser des Sans-cœur qui s'y étaient multipliés. Ils avaient dû faire face à un dilemme, en sachant que chaque Sans-cœur tué par la Keyblade offrait son cœur à l'Organisation, mais Sora avait finalement décidé de prendre ce risque. Même si certains de ses souvenirs manquaient, il était toujours attaché à l'île de son enfance et n'avait pu supporter de la voir en proie aux Ténèbres.
Kairi n'était pas venue les aider. Elle avait eu l'air plus effondrée que jamais quand elle leur avait avoué qu'elle avait perdu l'usage de la Keyblade. Elle n'avait plus vraiment été la même depuis toute la débâcle avec DiZ. Il s'était demandé qu'est-ce qui, entre son emprisonnement par l'Organisation, la trahison de DiZ ou la disparition de sa Simili en était la cause.
Sora, de son côté, avait beaucoup à réapprendre, et Riku l'avait emmené voir Yen Sid, comme le lui avait conseillé le Roi Mickey avant sa disparition, pour faire un point sur la situation. Il lui manquait des souvenirs, certes, mais il avait été plutôt soulagé de constater que Sora avait gardé tout son optimisme contagieux et n'avait paru nullement abattu par la situation, ce qui lui avait ôté un poids des épaules. Sora lui avait même sauté dans les bras en le retrouvant et ne lui avait pas reproché son rôle aux côtés de Maléfique. Ils avaient passé les semaines suivantes à arpenter les mondes en cherchant des indices sur les plans de l'Organisation, occasion pour Sora de perfectionner ses techniques de Keyblade.
L'Organisation... se faisait désirer. A part quelques témoignages d'habitants de certains mondes et l'apparition occasionnelle d'un Simili, elle était introuvable. Riku n'aimait pas cela. Il avait la sensation persistante qu'il s'agissait du calme avant la tempête. Elle préparait un mauvais coup, il le savait, mais quoi ?
Quelques jours plus tôt, ils avaient eu une rencontre cryptique avec Axel dans le monde d'Agrabah. Il n'avait fait que discuter, mais Riku était resté sur ses gardes pendant toute la durée de la conversation, trouvant Sora trop inconscient et Axel trop insistant. Il avait visiblement tenté de glaner des informations avec ses questions – qui les aidait ? Est-ce que les filles allaient bien ? - mais Riku était déterminé à ne pas laisser échapper la moindre information sur Xion ou Kairi. Axel avait dit des choses étranges qu'il n'avait pas voulu expliquer mais qui avait renforcé la sensation de malaise de Riku. Il avait obligé Sora et les autres à quitter ce monde immédiatement après.
Le vaisseau atterrit en douceur en bordure des champs, survolant le sol jusqu'à se placer sous un bosquet d'arbres qui l'abriterait facilement des regards curieux. Sora n'attendit pas que la porte se soit entièrement ouverte pour sauter à terre. Riku le suivit, aussitôt aveuglé par la lumière et la chaleur.
« Woah, il fait vraiment chaud ici ! » Le dernier monde qu'ils avaient visité avait été sous la neige, la différence était frappante.
« Bon, on y va, oui ou non ? » ronchonnait déjà Donald en tapant de la patte par terre.
Le petit quatuor se mit tranquillement en route. Riku prit le temps de regarder le paysage champêtre autour de lui et de profiter de l'air marin. Bien que la soif d'aventure ne le quittait jamais totalement, il appréciait retrouver les sensations de son monde natal.
Ils passèrent plusieurs champs en suivant le chemin de terre jusqu'à arriver en vue d'une petite ferme, tout au bout. Deux filles levèrent la tête à leur approche ; agenouillées devant une grande bâche boueuse étendue sur le sol dans la cour de la ferme, elles étaient occupées à trier une montagne de légumes fraichement cueillis et à les placer dans des cageots de bois à leurs côtés.
La surprise dans leurs yeux laissa place à du soulagement et du ravissement. Kairi se releva et battit des mains, rendant un son étouffé par ses gants de travail.
« Sora ! Riku ! Vous êtes revenus !
-Et nous, on compte pour du beurre ? marmonna Donald mais Sora s'était déjà élancé vers les filles en agitant les bras.
-On est rentrés ! » s'écria-t-il en s'arrêtant devant elles, hors d'haleine. Riku dut se retenir de rouler les yeux devant tant d'exubérance.
« Bienvenue, dit Kairi, avec un sourire doux. Vous avez fait un bon voyage ?
-Ouais ! Y a trop de choses que je dois te raconter, tu verras ! »
Riku suivit en silence la petite conversation entre les deux jeunes gens. En dépit de l'émotion dans leurs yeux, il y avait une certaine réserve dans leurs interactions. Sora parlait à Kairi comme à une bonne amie, mais de la même manière qu'il parlerait à des vieilles connaissances des mondes qu'il visitait. Riku savait pourquoi. Tous ses souvenirs de la jeune fille ne lui avaient pas été rendus, toujours hébergés en Xion, si bien qu'il n'arrivait pas encore à réaliser à quel point elle comptait pour lui. En réponse, il semblait que Kairi demeurait un peu plus timide et contenue qu'habituellement, comme si elle n'osait se montrait trop familière. Cela dit, il connaissait ses amis et savait que ce lien passé ne tarderait pas à se reforger, encore plus fort qu'il ne l'était au début.
En parlant de Xion... Elle demeurait légèrement en retrait, observant sans dire grand-chose, comme les autres fois. Il pensait bien que, vu sa situation, elle ne savait guère où se mettre. Se sentait-elle coupable ? Ne savait-elle pas comment elle devait se comporter avec le jeune garçon, dont elle aurait dû être le clone ? Il croisa soudain son regard et lui sourit. Le visage de Xion se détendit légèrement et elle lui retourna son sourire. Plus les jours passaient et plus elle paraissait en forme, remarqua-t-il. C'était une petite victoire envers l'Organisation.
Elle n'avait pas perdu tout espoir après avoir perdu ses amis. C'était elle qui avait demandé à rester avec Kairi dans cette petite ferme – qui appartenait à de vagues connaissances du maire – quand Riku était parti réveiller Sora. Pourtant, son corps était considéré comme perdu avant... Il supposait que la paix et l'air de la campagne lui avaient fait du bien, bien que cette explication reste douteuse.
Sora se penchait sur la pile de légumes, tandis que Donald surveillait d'un air suspicieux une petite troupe de canards un peu plus loin et que Dingo examinait l'entrée du garage où se profilait la silhouette d'un énorme tracteur.
« C'est vous qui avez cueilli tout ça ?
-Avec les amis de mon père, corrigea doucement Kairi. On a eu beaucoup de travail ces derniers jours. En plus, nous devons nous préparer pour la rentrée...
-Oh, c'est vrai, la rentrée ! » Sora rit nerveusement et se gratta la joue. « Euh, je pense pas que je pourrai y être. Tant que l'Organisation est toujours là, je peux pas... enfin...
-Je comprends, dit Kairi avec un sourire.
-Ouais... et toi, Xion, tu vas aller au lycée, toi aussi ? »
Xion parut décontenancée par l'attention soudaine que Sora tournait vers elle et prit une seconde pour répondre.
« C'est-à-dire que... On ne peut pas vraiment aller sur l'île principale, marmonna-t-elle. Ce serait trop risqué, avec l'Organisation qui surveille...
-Mais Xion et moi pensions peut-être nous déguiser, dit soudain Kairi en se retournant vers sa compagne qui eut une petite grimace. Avec une perruque et un pseudonyme ! Si jamais un membre de l'Organisation revient par ici, il ne pourra pas nous repérer parmi la foule des lycéens. Enfin, c'était une idée de Xion.
-Je ne sais pas si... »
Riku émit un rire bref et ce fut au tour de Kairi de paraître surprise avant d'oser un large sourire.
« Je suis contente de voir que tu as l'air plus heureux, Riku, dit-elle. Alors, qu'est-ce que vous avez vu depuis la dernière fois ? »
Sans se faire prier, Sora se lança alors dans de grandes explications avec force détails et exagérations et Riku ne prit la parole que pour le tempérer.
Xion s'était esquivée au bout de quelques minutes, prenant le prétexte d'aller ranger un cageot rempli de légumes. Elle poussa la porte d'entrée de la ferme, entrant dans un petit couloir étroit à cause des caissettes qui s'entassaient entre la porte et un lavabo couvert de terre. Un peu plus loin, des étagères en bois soutenaient déjà un grand nombre de cageots remplis et elle y enfonça le sien dans un petit espace libre.
Alors qu'elle achevait de se laver les mains au lavabo, un très léger son trahit l'arrivée d'un nouveau venu avant qu'une ombre tombe sur le seuil.
« Tu étais là, nota Riku.
-Je finissais juste de ranger. » Elle jeta un coup d'œil à la serviette sale accrochée à côté du lavabo, changea d'avis et s'essuya rapidement les mains sur son pantalon de travail aux ourlets boueux. « Où sont les autres ?
-Partis pour une promenade. Je pense que Sora a tellement de choses à raconter qu'ils pourront faire trois fois le tour de l'île avant qu'il ait fini », plaisanta Riku.
Il paraissait plus détendu que toutes les autres fois où Xion l'avait vu, se tenant les mains dans les poches, bizarrement nonchalant. Même ses vêtements – il avait troqué son long manteau noir contre un jean et un haut aux couleurs pâles – atténuaient grandement la froideur qu'elle lui avait connue..
« Tu les évites ? demanda-t-il.
-Oui, admit-elle. Je ne sais pas trop si c'est une bonne idée que je passe trop de temps avec Sora. C'est pour ça que je ne suis pas partie avec vous, ça et je ne voulais pas laisser Kairi seule. Comme j'ai été conçue pour absorber ses souvenirs, j'ai peur de lui faire du mal.
-Tu crois qu'il y a toujours un risque, même si ses souvenirs sont désormais bien à l'abri dans le cœur de leur propriétaire ?
-Je ne sais pas, mais je ne veux prendre aucun risque.
-Hmm... » Il parut sur le point d'ajouter quelque chose puis se ravisa. « Au fait, je voulais te donner quelque chose. »
Il tira un petit pot de sa poche et le lui tendit. Elle le prit et l'ouvrit avec curiosité. Il était rempli d'une crème légèrement odorante d'un vert qui rappelait les baumes utilisés par Aeris. « On l'a trouvé dans un des derniers mondes qu'on a visités. Selon ses habitants, il possède des propriétés magiques qui permettent de consolider le corps et de guérir toutes sortes de maladies. Je pensais que ça te serait utile.
-Merci. Je vais essayer ça. »
Elle s'engagea dans l'étroit passage sans fenêtre qui menait aux chambres et ouvrit la porte de celle qu'elle partageait avec Kairi. Une petite pièce au sol craquelé, deux lits jumeaux occupant l'essentiel de l'espace à droite, une armoire à gauche et un grand coffre sous la fenêtre qui, faisant face de la porte, donnait vue sur un espace boisé derrière la ferme. Elle prit un peu de crème sur ses doigts et la renifla. L'odeur était particulière. Bah, ça ne pouvait pas faire de mal. Elle entreprit de se passer du baume sur les bras, constatant avec satisfaction qu'à l'exception d'une légère tache noirâtre sous son coude gauche, ils étaient parfaitement normaux.
Ça n'avait pas été le cas des semaines plus tôt. Naminé et du repos digne de ce nom avaient vraiment fait des merveilles. Elle remonta légèrement son t-shirt rouge. Là, les taches étaient bien plus évidentes. Plusieurs constellaient ses côtes, hideuses comme des bleus, et une large dépassait de son sous-vêtement, recouvrant son cœur. Et elle savait que dans son dos, c'était encore pire.
« Est-ce que je pourrais te demander de m'aider ? demanda-t-elle en s'asseyant au bord du lit, fronçant les sourcils d'un air préoccupé.
-... Tu es sûre ? »
Elle lui jeta un coup d'œil. Il était demeuré près de la porte et, en dépit du bandeau qui lui couvrait toujours les yeux, il avait l'air bizarrement gêné.
Ah mais oui. Il avait eu la même réaction, lors de cette matinée à la Forteresse Oubliée. Elle avait dû manquer de décence, pour lui.
« Désolée, c'est bon...Je demanderai à Nam... à Kairi », marmonna-t-elle.
Il grimaça comme si elle venait de lui reprocher un manquement quelconque.
« Montre-moi ça », soupira-t-il en se recomposant un visage neutre. Il s'assit à côté d'elle et souleva délicatement le tissu de son épaule, là où elle n'avait pas pu porter son regard mais où elle savait se trouver d'autres taches. Xion le laissa faire, laissant son esprit vagabonder.
Et ce faisant, le souvenir de ses amis enfonça encore un pic glacé dans sa poitrine. Le baume était froid dans son dos, mais ne suffisait pas à la distraire de la douleur immatérielle à l'intérieur de son cœur.
« Est-ce que tu... as des nouvelles d'Axel ? » demanda-t-elle après un bref moment de silence.
Il prit le temps de prendre une bonne quantité de baume. Ah, oui, il lui semblait bien qu'il y avait une belle tache noire, là, entre ses omoplates. Quand elle lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, il fronçait les sourcils. Était-ce dû à sa question ou à l'état effrayant de son dos ?
« On l'a rapidement croisé, admit-il enfin, il y a quelques jours. Je crois qu'il fuit l'Organisation. Je ne sais pas ce qu'il prépare. Je pense... qu'il essayait de savoir où tu étais. Nous n'avons pas discuté longtemps. »
Xion se mordit la lèvre. De sous le couvercle du coffre dépassait la manche de son manteau qu'elle conservait soigneusement. C'était sa clé de sortie en cas d'ennui... ou si elle succombait à son besoin de partir à l'aventure.
« Tu lui as dit quoi ?
-Je n'ai rien révélé. Je n'ai pas dit où tu te trouvais. »
Il referma le pot avec un clac sonore dans le silence.
« Si tu le revois, est-ce que tu pourras lui dire que je vais bien et que je suis en train de me rétablir ? » demanda-t-elle timidement.
Il parut y réfléchir puis hocha gravement la tête.
« Bien sûr. Pas de problème.
-Merci. »
Un nouvel instant de silence. Elle avait grandement besoin de penser à autre chose.
« Bon, à mon tour de te soigner ! » lança-t-elle soudain, tentant de clore le souvenir de la conversation précédente qui s'attardait dans sa tête.
Il la regarda sans comprendre et elle agita le rouleau de bandages qu'elle venait de récupérer dans un sac plastique posé sur le coffre.
« Ça fait combien de temps qu'on a pas changé tes bandages ?
-On a trouvé un guérisseur dans un autre monde avant-hier... Non, c'était encore avant.
-Tu veux dire que ça fait au moins trois jours ? Bon, allez, je m'en occupe, dit Xion d'une voix légère. J'ai l'habitude maintenant ! »
Il fallait dire qu'avec Naminé, elles s'étaient occupées des soins de Riku pendant plusieurs jours avant qu'il ne soit suffisamment rétabli, en suivant à la lettre les indications d'Aeris. Sa remarque tira un sourire à Riku qui retira son propre haut, l'air blasé de celui qui accompli une tâche quotidienne. Xion se pencha vers les bandages autour de sa hanche et entreprit de dénouer aussi habilement que possible le nœud réalisé par un guérisseur bien plus expérimenté qu'elle.
« Dis-moi la vérité. Est-ce que mon dos est dans un état aussi terrible ?
-Hé bien... Je ne dirais pas ça. Il y a toujours des traces, mais elles sont moins sombres, comme des bleus qui disparaissent. J'avoue que je suis surpris. Je n'en espérais pas tant.
-Oui, tu devais penser que c'en était fini pour moi, à l'époque.
-Disons que j'essayais de rester optimiste, mais... »
Il s'interrompit, de même que Xion. Les bandages étaient entièrement dénoués, mettant à nu sa blessure. Du moins, l'endroit où elle devrait se trouver. Car à la place, il ne demeurait plus qu'une très légère cicatrice rosée qui courait sur sa peau. Fascinée, Xion y passa un doigt curieux.
« … C'est entièrement guéri ! constata-t-elle. Woah... Je ne sais pas ce qu'il y a dans ces baumes, mais ils sont vraiment efficaces ! »
Le muscle se contracta sous ses doigts et elle ôta vivement son doigt.
« Je te fais des chatouilles ? s'étonna-t-elle. Désolée.
-Ce n'est rien... »
Le silence retomba à nouveau. Ils avaient épuisé tous les sujets de conversation les plus évidents et n'avaient plus rien pour s'occuper l'esprit. Le visage de Riku s'était fermé et Xion le dévisagea avec curiosité, se demandant une fois encore ce qu'il pensait de l'autre côté de son masque de tissu.
« Tu portes encore ce bandeau, constata-telle. Pourtant, tu vas mieux, non ? »
Elle savait qu'elle n'avait jamais très bien compris ses motivations, ni son combat contre les ténèbres qui empoisonnaient son cœur, comme il le disait.
« Oui... Une simple précaution, dit-il dans un souffle. Comme toi avec Sora. »
Elle le considéra un moment. L'atmosphère qui s'était doucement installée dans la pièce, comme une bulle qui éclipsait toute pensée du monde extérieur, lui parut propice au geste qu'elle entreprit alors, mue par une simple et pure curiosité. Elle leva les mains et les posa sur son bandeau. Riku parut hésiter brièvement – ses lèvres s'entrouvrirent comme sous la surprise – mais il ne fit rien pour l'en empêcher et doucement, tout doucement, elle écarta légèrement le tissu noir de ses yeux.
Deux yeux d'un bleu glacé croisèrent les siens et elle en demeura un instant fascinée.
« Tu as des yeux très beaux », dit-elle mine de rien. Une seconde plus tard, elle réalisa ce qu'elle venait de dire et se sentit rougir. « Je suis désolée. »
Les yeux bleu vif la fixaient toujours et elle crut y lire une sorte de surprise attendrie. Des mains grimpèrent pour rejoindre les siennes et des doigts fins, un peu froids, s'enroulèrent autour de ses poignets avec douceur, faisant lâcher le bandeau et disparaître ce regard qu'il dissimulait au monde.
Ils étaient vraiment proches. Xion le fixait toujours et elle savait qu'il lui retournait son regard.
Il se pencha en avant au moment où elle bougeait légèrement ses jambes pour tenter de soulager la lancination croissante causée par sa posture tordue vers lui. Elle perdit l'équilibre et bascula en arrière. Son dos s'enfonça dans le couvre-lit. Pendant un moment, ils se fixèrent, interdits. Ses mains avaient failli cogner contre son menton, celles de Riku toujours de ses poignets alors qu'elle l'avait entraîné avec elle sans le vouloir. Le visage du jeune homme était juste au-dessus du sien. Elle pouvait sentir son souffle sur le bout de son nez. Des cheveux argentés tombèrent autour de leurs visages comme un rideau fin, les coupant du monde.
Il se pencha encore. En réponse, elle leva légèrement la tête.
Des lèvres effleurèrent les siennes. Son cœur cognait dans sa poitrine, mais Riku était si prêt que c'était peut-être le sien qu'elle ressentait ; peut-être leurs cœurs se mêlaient-ils dans leur proximité.
Soudain, Riku laissa échapper une exclamation et se redressa, alarmé.
« Je suis désolé. » Il la lâcha, prêt à s'écarter d'elle. « Ce n'était pas... je ne voulais pas te... »
Xion ne le laissa pas finir sa phrase. Avant que le courage ne lui manque, elle enroula, d'un geste ralenti par les timidité, ses bras autour des épaules de Riku et le serra fort contre elle. Elle rougirait de ses actes plus tard. A cet instant, elle ne ressentait que le besoin d'enlacer le réconfort d'une présence qui avait partagé toutes ces souffrances avec elle. Leur poitrine se pressa l'une contre l'autre et elle sentit un cœur fort battre comme en réponse au sien. L'une de ses mains rencontra la pointe d'une omoplate, l'autre se perdit dans un voile de cheveux.
La chaleur de lèvres se posa sur son cou. Elle manquait d'air, respira profondément. Des papillons s'agitèrent dans son ventre, éveillant une chaleur pas si désagréable. Ses jambes protestaient de leur angle inconfortable sous la masse de Riku, mais elle les ignora. Elle serra encore plus fort Riku contre elle en fermant les yeux. Une main s'aventura dans ses cheveux sans trace de l'hésitation précédente, une autre lui effleura par mégarde les reins et quand des lèvres se pressèrent contre les siennes, toute pensée disparut.
Ils se dirent au revoir alors que le soleil commençait à effleurer les eaux. Naminé aurait bien convié Sora et ses amis à dîner, mais lui et Riku préféraient, à regret, ne pas s'attarder de peur d'attirer l'attention de l'Organisation.
Il lui tint les mains tant en réitérant ses adieux, lui promettant encore et encore de revenir la voir très bientôt.
« Même si je ne me souviens pas de tout, j'ai hâte qu'on crée de nouveaux souvenirs ensemble, s'écria-t-il, et elle se sentit fondre une nouvelle fois, comme lorsqu'il l'avait protégée dans le Manoir Oblivion. Et merci pour tout ce que tu as fait pour moi ! Riku m'avait raconté... Si jamais tu retrouves la Keyblade, est-ce que tu viendras avec nous ?
-Je ne sais pas, dit-elle. Sans doute. J'aimerais qu'on ne soit plus séparés. » C'est ce que Kairi aurait dit, non ?
Elle était tellement désolée de devoir lui mentir ainsi.
Ils se dirent encore une fois au revoir, Sora agita la main, puis se hâta de rejoindre Riku, Dingo et Donald, ce dernier menaçant de le laisser sur place s'il ne se pressait pas.
Puis, ils disparurent à un coude du sentier et quelques minutes plus tard, elle aperçut un éclat d'argent dans le ciel crépusculaire alors que disparaissait le Vaisseau Gummi.
Elle croisa le regard de Xion, qui s'était empourprée. Naminé n'en comprit pas la raison.
Elle se tenait maintenant devant le petit miroir de la salle de bain, achevant de se laver les mains et le visage. Demain, le ramassage des légumes continuerait, et puis Xion et elle devraient se pencher sur la création de déguisements convenables pour la rentrée.
J'ai hâte qu'on crée de nouveaux souvenirs ensemble.
« Il faudrait que tu offres ces mots à Kairi, quand elle reviendra », murmura Naminé en fixant son reflet.
Ce n'était pas elle, que Sora souhaitait connaître, elle le savait. Il avait oublié l'existence de Naminé. Naminé qui était censée avoir disparu, maintenant que son rôle était achevé.
Mais elle avait aidé Xion, toutes ces semaines. Elle lui avait retiré un par un les souvenirs intrus qui bouleversaient son corps et son cœur, les laissant s'enfuir dans les ténèbres. Xion était la seule à être au courant de son secret. Elle avait promis à Kairi de ne rien dire, mais il était si douloureux de mentir à Riku et à Sora. Mais bon. Apprendre la disparition de Kairi les dévasterait. Elle ne voulait pas voir une telle souffrance sur leur visage. Mieux valait que ce soit Naminé qui soit morte.
Elle se pencha en avant. Au sein de ses longs cheveux roux, en désordre après cette journée de travail, un unique cheveu blond se mêlait aux autres. Il en pousserait d'autres. Son identité finirait par ne plus être un secret.
Oh, elle avait hâte que Kairi revienne. En attendant, elle était décidée à lui faire confiance, à se faire confiance et à continuer sa vie.
FIN
