3 juillet
Accident
Les routes d'Alola étaient pentues et sinueuses. Après tout, la plupart du temps, elles descendaient des volcans, s'enroulaient autour des kilomètres de nature sauvage des quatre îles, des lagunes et des criques. Que ce soit dans la jungle Sombrefeuille d'Akala, le Grand canyon de Poni ou bien le mont Lanakila qui surplombait Ula-Ula.
Les accidents étaient peu nombreux. On utilisait la voiture à Alola, mais, dans le même temps, les Pokémontures qui étaient mises à la disposition de tout le monde sur l'archipel. C'était une façon de voyager étonnante, où les camionnettes de livraison de fruits croisaient les adolescents à dos de Tauros. Tout le monde était extrêmement prudent en général mais, à cause du terrain difficile et de l'insouciance qui vient avec une vie paisible, quand il se passait quelque chose c'était très grave.
« Tu ne peux pas appeler de pokémonture ?! Je croyais qu'Alola avait un des systèmes de radio les plus performants du monde ! s'exclama Gladio en faisant de grands gestes vers le ciel, comme s'il accusait le volcan d'offrir une barrière impénétrable aux ondes salvatrices.
-Je peux en appeler une, rétorqua Lune, l'appareil allumé dans la main. Mais ça ne serait d'aucun secours ! Nous ne pouvons pas transporter Tili dans cet état, il nous faut quelque chose de plus stable qu'un Dracaufeu ou un Mastouffe. Comme un hélicoptère, par exemple !
-Il continue de perdre du sang, gémit Lili d'une petite voix. Le garrot ne suffit pas. Grand frère, s'il te plaît, va couper des lianes un peu plus haut dans la pente. Il faut que j'arrive à serrer le bandage. »
Ils n'avaient rien trouvé qui s'avérât utile dans la trousse de secours de la voiture. Comment une poignée de pansements waterproof, des gouttes pour les yeux et une plaquette de gélules au paracétamol pourraient être d'une quelconque utilité dans la nature sauvage d'Alola ?
« Tili, reste avec nous ! ordonna Lune en se penchant au-dessus de leur ami. Gladio… Les Pokémontures ne nous seront d'aucune utilité mais nos Pokémons peuvent nous aider à sortir Tili de là. Si je confie un message à ton Nostenfer, il pourra rejoindre le motel Duchemin près de la Route 8. On nous appellera un hélicoptère.
-Bien sûr, je m'en doute bien, grommela le jeune homme, contrarié de laisser exploser ainsi ses sentiments. Tiens le coup, Tili, OK ?
-Ahah, tu devrais utiliser mon… Bruyverne pour transporter le message, ânonna faiblement le blessé. Je suis sûr qu'il… vole plus vite que son Nostenfer…
-Tili, économise ton énergie, lui ordonna anxieusement Lilie en repositionnant les feuilles de palmier tâchées de sang.
-Ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose de le faire parler, hasarda Lune, tapie près d'elle. Tili, est-ce que tu as connu beaucoup de péripéties de ce genre quand tu as fait ton Tour des Îles ? Des chutes, des heures entières à tourner en rond sans parvenir à retrouver ton chemin ?
-Pas des comme ça… c'est sûr, souffla le jeune Dresseur. Je n'ai jamais conduit, alors… comment j'aurais pu entrer en collision avec… un troupeau de Tauros ?
-Ils venaient sûrement du Ranch Ohana, pesta Gladio en découpant de grandes longueurs de lianes un peu plus loin. Ils n'avaient rien à faire là, entre le parc volcanique et la jungle Sombrefeuille ! Évidemment, il a fallu qu'on tombe sur ce troupeau à l'endroit le plus perdu d'Akala !
-Quelque chose a dû les effrayer, supposa sa sœur. Ce n'est pas du tout le genre d'endroit où ces Pokémons iraient spontanément.
-Gladio, ajouta Lune en lui jetant un regard inquiet, ce n'est pas de ta faute, tu sais. Ces Tauros n'avaient rien à faire ici.
-Ça aurait pu être n'importe quel Pokémon que le résultat aurait été le même. Tu as fini de rédiger le message ?
-Oui. Je vérifiais juste les coordonnées exactes sur le Motismadex. Tiens. Ça ne devrait plus être très long, maintenant, Tili. Nostenfer n'aura peut-être même pas besoin de voler jusqu'au motel, n'importe quel Dresseur qu'il croisera sur son chemin sera apte à nous envoyer de l'aide.
-Tili, je suis désolée, mais ça va encore faire mal, annonça l'infirmière désignée. »
Lune tourna un nouveau regard anxieux vers la jambe de leur ami, préoccupée, cette fois-ci, par sa santé physique plutôt que par l'état émotionnel de Gladio. Son short était maculé de terre. Il avait assez miraculeusement résisté au dérapage sur la route rocheuse mais la jambe, en-dessous, n'avait pas eu cette chance. La droite ne présentait "que" des coupures et des éraflures ayant fortement entaillé la chair. Mais la gauche était brisée, c'était sûr, la bosse qui formait un dôme parfait sur la cuisse laissait assez peu de place au doute. En outre, une plaie horrible, suintant de sang, était ouverte juste à la naissance du genou.
« Mon Pokémon trouvera le motel en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, assura Gladio en venant à la fois assister sa sœur et soutenir son ami, soulevant sa jambe pour qu'elle puisse passer les feuilles en-dessous. Et tu vois, Tili, ça n'a rien à voir avec sa vitesse ou celle de ton Bruyverne. C'est simplement que j'ai habité là-bas, je te rappelle. »
Lune attrapa la main de Tili et la serra de toutes ses forces. Il essayait de se montrer brave et insouciant, comme toujours, faisant même le geste de placer sa main derrière sa tête, mais il était pâle comme la mort. Ses yeux étaient exorbités de douleur et en vérité, il n'avait presque plus la force de rendre son étreinte à sa camarade d'aventures.
« Il faut faire vite, murmura la jeune fille, qui blêmissait à vue d'œil tant son angoisse augmentait. J'aurais dû préciser dans le message qu'il aurait sûrement besoin d'une transfusion sanguine ! Ils se seraient préparés… Gladio ! Il n'y avait vraiment rien dans la trousse de secours ?
-Non, sauf si tu considères que des masques en tissu seraient plus utiles que des feuilles pour éponger le sang, renifla le jeune homme. Mais c'est vrai qu'il y avait une couverture de survie sous le siège passager.
-Alors donne-la-lui vite ! Quand Lilie aura fini de rafistoler sa plaie…
-C'est bon, affirma l'intéressée en retombant assise sur son séant. J'ai… J'ai fini… »
Elle s'essuya le front en tremblant et une traînée rouge resta sur sa peau et sa frange pâls. Elle n'eut même pas la force de s'en sentir surprise. Pendant ce temps, Gladio couvrit Tili avec le matériel de survie et Lune se leva pour scruter le ciel turquoise de l'île, à la recherche du moindre point qui vrombirait à l'horizon.
Étendu sur le sol poussiéreux de la route, Tili les observa tour à tour de ses yeux à peine entrouverts. Il sourit. Une expression bien inattendue sur un visage écorché, décoiffée, cireux alors que la peau était mate, épuisé par le choc et la perte de sang ! Mais il exprimait une telle tendresse lorsqu'il s'arrêta sur la petite blonde frêle habillée tout en blanc, son frère maussade aux vêtures noires et sa rivale debout, avec ses shorts à fleurs… Il entrouvrit ses lèvres abîmées et murmura :
« Merci... »
Lilie se mit à crier quand ses yeux se fermèrent. Gladio jura et entreprit de lui secouer l'épaule pour qu'il reprenne connaissance. Lune demeura à mi-chemin de la pente, figée par la peur. Quand les sauveteurs de l'hélicoptère se posèrent près d'eux vingt minutes plus tard, ils se regroupèrent autour de la civière de Tili et refusèrent de s'en écarter trop loin jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'hôpital d'Ho'ohale. Là, ils attendirent dans le couloir des urgences que les infirmiers les examinent et soignent leurs égratignures, leurs bosses… le poignet foulé de Lune, la côte cassée de Lilie et le genou démis de Gladio !
Ils patientèrent ensuite jusqu'à ce que leur ami se réveille. Ils avaient tellement de choses à lui dire ! Leur amitié n'avait jamais été aussi intense que ce jour-là, bien loin de petites brouilles et des petits tracas qui pouvaient les séparer.
