Chapitre dix-sept : L'équilibre fragile
Tandis qu'Alphonse passait son examen, ses futurs collègues commentaient avec inquiétude les dernières nouvelles de la diplomatie du continent. Mustang venait de leur apprendre que les nations de Drachma et Aerugo venaient de signer un traité d'assistance mutuelle.
- On vient juste de finir de renvoyer l'Autre Côté à sa place ! Ils ont un sacré sens du timing ! Pesta Serena
- On peut craindre une attaque conjointe sur deux fronts ? Aerugo d'un côté et Drachma de l'autre ? S'inquiéta Sayuri
- Officiellement c'est un traité commercial d'assistance mutuelle. Mais quand on y regarde de plus près, Drachma a offert des prix bien trop avantageux sur le marché de l'énergie. Si on lit entre les lignes, on doit s'attendre à une première attaque au sud du côté d'Aerugo, qui sera sans doute suivie d'une attaque de plus grande envergure au Nord si Amestris est suffisamment affaiblie par ses efforts sur le premier front. Comme ça, Drachma peut se payer la plus large part du gâteau.
Les Alchimistes soupirèrent conjointement. Décidément, ça n'en finirait jamais. Edward pesta à son tour :
- C'est complètement hors sol. On lutte pour notre survie d'un côté et ils se concentrent sur des rivalités de cour d'école de l'autre ! On est pas tous censé s'unir contre l'Autre Côté ?
- Olivia pense qu'une alliance entre l'Autre Côté et Drachma est une possibilité mais je la trouve un peu parano. Commenta Mustang tandis que Serena grognait.
- Et les autres pays voisins, ils en disent quoi ? Demanda Malo
- Creta et Milos ont rappelé qu'il était nécessaire de s'unir dans la paix, ce qui est ironique quand on pense qu'ils se mettent sur la gueule depuis des années ! La réponse de Xing en revanche m'a fait bien plus plaisir...
- Qu'est ce qu'ils ont dit ? S'enquit Edward
- Ils ont répondu qu'ils trouvaient l'idée d'une alliance territoriale de cette ampleur absolument charmante et que pour rétablir l'équilibre, ils envisageaient sérieusement un traité équivalent entre l'Empire et Amestris... Sourit Mustang
- Hey, ça c'est mon pote ! S'exclama Ed avec bonne humeur
- Je pense sérieusement que l'idée que Xing puisse intervenir risque de pousser Drachma à la réflexion mais on peut véritablement s'attendre à tout de leur part. Ils se sont mal remis de la bataille de Briggs et de la manipulation de Kimblee. Faut dire que c'était un massacre...
- Tout ça est absurde. Complètement absurde. Conclue Serena avec mauvaise humeur.
*o*
Alphonse passa ses examens avec une facilité déconcertante et on lui proposa, en toute logique, de rejoindre l'Ordre des Premiums. L'état major désigna un maitre en alchimie et l'heureuse élue réagit en paniquant totalement.
- Non ! Non non non non non ! Je suis pas prête ! Pas prête du tout !
Sayuri se tordait les mains d'angoisse et secouait la tête dans tous les sens. Serena qui l'observait commençait à craindre qu'elle ne perde connaissance.
- Mais enfin, tu sais bien que ça fait partie du job de prendre des apprentis...
- Mais pourquoi moi ? Gémit la jeune japonaise
- Armstrong a déjà une apprentie, tu sais bien. Sa cousine, à qui il transmet la glorieuse alchimie de la famille...
- Et toi ? Pourquoi pas toi ? T'es alchimiste depuis plus longtemps que moi !
- J'ai déjà Malo avec moi
- Ça compte pas, il est déjà intronisé Malo !
- Ils ont du penser que ça valait pas le coup de casser la dynamique de mon duo avec lui. Et puis bon... Y'a un passif avec les frères Elric, je sais pas si t'es au courant...
- La Terre entière est au courant ! Et pourquoi pas Mustang alors ? Il a personne Mustang ! Continua Sayuri en continuant de tordre ses mains dans tous les sens
- Riche idée. Je te rappelle que Mustang sort avec l'ex d'Alphonse. À savoir, ma charmante et délicate frangine, ce vieux salopard. Il reste que toi, Sayu...
- Mais je suis pas prête !
Serena soupira et prit son amie par les épaules en lui soufflant :
- Je sais que c'est impressionnant. Mais on parle d'Alphonse Elric. Il aurait pu être intronisé en même temps que son frère sans que personne d'autre que la Générale n'y voit de problème. C'est déjà un excellent alchimiste !
- Dans ce cas, j'ai rien à lui apprendre, c'est encore pire !
- Sayu, t'es une des meilleures alchimistes de cette Maison, personne ne comprend rien à ce que tu fais tellement c'est incroyable ! Arrête un peu de te rabaisser sans arrêt ! Ça va très bien se passer. En plus du reste, je t'assure qu'Alphonse est un des garçons les plus gentils que cette Terre ait porté. Ça va bien se passer, calme toi !
Sa jeune amie allait répondre quand on frappa à la porte énergiquement. Elle se figea un peu et regarda son amie d'un air effrayée. Serena sourit et murmura :
- Tu vas quand même pas le laisser poireauter devant la porte pendant des heures, si ?
- Entrez ! S'écria Sayuri d'une voix chevrotante
La porte s'ouvrit pour laisser le passage à un Alphonse figé dans son uniforme inconfortable et visiblement également un peu paralysé par l'appréhension. Derrière lui, son grand frère leva les yeux au ciel et le poussa dans le dos pour le forcer à entrer dans la pièce. Pour évacuer la malaise naissant, Serena ironisa :
- Si c'est pas mignon ! Il accompagne son petit frère à l'école !
Edward sourit mais Sayuri et Alphonse regardèrent Serena comme si elle avait parlé une langue étrangère. Après avoir reçu un autre coup de coude de son grand frère, Alphonse sembla retrouver sa langue et balbutia :
- Maître c'est un honneur de...
- Ah non ! Non ! Hors de question ! Interrompit tout de suite Sayuri d'une voix forte
Tout le monde sursauta et Alphonse regarda vers les deux autres d'un air confus. Heureusement, la japonaise avait pris une grande inspiration et entreprit de se justifier rapidement :
- C'est ridicule. Hors de question que tu m'appelles maître ! T'es pas un peu plus âgé que mois en plus ?
- De pas grand chose... Murmura Alphonse
- Peu importe, appelle moi Sayuri. C'est mon prénom en plus... Termina-t-elle dans un souffle
- Le prend pas comme ça, Sayu... Tu sais bien que c'est ce qu'on nous demande de faire à l'école... D'ailleurs, tu appelais bien le Colonel Armstrong Maître. Tu le fais toujours d'ailleurs. Sourit Serena en retenant plusieurs blagues ironiques
- Ouais mais c'est le Colonel Armstrong quoi... Se justifia la jeune femme
Sa justification maladroite fut malgré tout comprise par tout le monde. Effectivement, Alex Louis Armstrong inspirait les titres les plus ronflant à ses subordonnés comme aux autres. Edward jeta un œil à Serena, le sourcil froncé et demanda :
- D'ailleurs, t'as appelé Mustang Maître toi ?
- Oh là non ! Absolument pas ! Même pas en rêve ! Répondit la jeune femme avec un rire sincère, comme si la simple idée était hilarante.
L'ambiance s'étant un peu détendue, Edward et Serena décidèrent de laisser un peu d'espace au nouveau duo et quittèrent la pièce. Avant de partir, Serena sourit et dit :
- Sayu ? Ça te dit une bagarre ?
- Bagarre ? Oh ouais, carrément ! S'exclama la japonaise avec soulagement
- Je préviens les deux autres... Sourit Serena en fermant la porte
Elle croisa le regard circonspect d'Edward, qui demanda :
- Bagarre ?
- Ben ouais
- C'est un nom de code pour quoi ?
- Une habitude qu'on a prit avec Malo, Sayuri et Alicia. On se réunit dans le gymnase de la Caserne et on se bagarre. Puis après, on ouvre quelques bouteilles et on mange des sushis ou des burgers en parlant de chez nous. On parle de nos souvenirs d'enfance. Des dessins animés qu'on regardait quand on était petit. Des grandes compétitions sportives qu'on a vu. C'est pour ça qu'on reste entre expatriés. Ça nous permet de discuter sans toujours devoir rajouter du contexte pour expliquer aux natifs. Et puis, ça permet de s'entrainer régulièrement. Et de faire descendre un peu la pression. On se propose toujours une bagarre quand on voit que l'un d'entre nous est tendu. Comme Sayuri en ce moment. Elle se met trop de pression.
- Je vois... C'est sympa comme tradition...
Serena hocha la tête et ils prirent tous les deux la direction de la bibliothèque. Un court silence s'installa. Alors qu'ils descendaient les escaliers vers le rez de chaussé, Edward se fit la réflexion innocente que Serena avait remis une robe, que l'été ne devait donc pas être bien loin. La chaleur devenait en effet de plus en plus pesante et sa longue robe fluide fendue sur un côté laissait entrevoir régulièrement sa jambe droite. L'esprit du jeune homme travailla tout seul et des images très nettes et très puissantes s'imposèrent à lui contre sa volonté. C'était cette même jambe qui s'était enroulée autour de ses hanches et il se souvenait de la sensation de sa cuisse sous sa main et de sa voix à elle qui murmurait son prénom à lui dans un souffle. Son cœur s'accéléra considérablement et l'étouffa un peu. Il fallait changer de sujet. Trouver un truc. N'importe quoi. Et vite.
- Et sinon, tu bosses sur quoi en ce moment ? Demanda-t-il d'une voix bien trop forte
Serena sursauta un peu et le regarda d'un air interdit avant de répondre, perplexe :
- Et ben... Les boucliers, comme d'habitude...
- Encore ? S'étonna Edward d'un ton toujours aussi étrange, avec une expression qui l'était tout autant
- Ben oui, je travaille dessus depuis mon intronisation en fait. On a réussi à en améliorer la taille mais ça a jamais été vraiment ça qui m'intéressait...
- Je t'en supplie, dis m'en plus...
- OK ben... Pour moi, le plus gros problème des boucliers, c'est leur activation.
- Qu'est ce que tu veux dire par là ? Demanda Ed, qui combattait farouchement les images qui continuait de l'assaillir
Il fallait les remettre dans son coffre. Sinon, ça allait faire mal.
- C'est des boucliers alchimiques donc il faut un alchimiste pour les activer...
- Jusque ici, je te suis parfaitement
- Ben c'est ça qui me pose problème. On est pas si nombreux que ça. On peut pas compter sur un alchimiste dans chaque village, ce qui fait qu'on peut pas protéger tout le monde. Pour le moment, l'Autre Côté s'attaque aux grandes villes mais un jour, ils comprendront qu'ils peuvent faire plus de dégâts en s'en prenant aux petites villes et villages. Comment on fait pour les protéger eux ? Sans compter les endroits où on REFUSE de faire de l'alchimie, comme à Ishbal par exemple. Il faut aussi qu'on puisse les protéger eux !
- Attends, attends, attends... Donc si je comprends bien...
Les images invasives s'étaient effacées dans l'esprit d'Edward, complètement focalisé sur ce que l'esprit de Serena avait à proposer à la place.
- Tu voudrais que les boucliers soient activables par n'importe qui ? Tu veux faire de l'alchimie sans alchimiste ?
- En gros, c'est ça.
Edward cligna des yeux et s'arrêta de marcher. Serena s'arrêta à son tour, regardant son collègue d'un air vaguement inquiet. Si il y a bien une chose dont elle était certaine, c'était qu'Edward avait un talent et une connaissance de l'alchimie absolument remarquable et elle appréhendait un peu son opinion sur son grand projet.
- C'est ambitieux, Commandant... Se contenta-t-il de dire
- Je sais. J'y suis depuis plus d'un an et je fais des progrès parcellaires.
- Au delà de la question des boucliers, si t'arrives à faire de l'alchimie sans alchimiste c'est un nouveau champ des possibles qui s'ouvrirait dans toutes les autres disciplines. Ça serait...
Il s'interrompit tout seul, les yeux dans le vague, comme submergé par tout ce qu'une telle découverte pourrait signifier. Serena eut un petit sourire, partagée entre l'amusement et l'attendrissement.
- Et t'es parti sur une activation automatique ou sur demande ? Demanda-t-il
- Mmh ? Oh j'aimais bien l'activation automatique sans intervention humaine mais je me suis confrontée à trop de problématiques qui me semblaient franchement insoluble. J'en suis à une activation sur demande par un non alchimiste. C'est presque aussi compliqué mais j'ai des pistes prometteuse.
- Dommage, l'activation sans intervention humaine, ça me semble bien plus... Enfin... Je comprends là où tu veux en venir. Dans tous les cas, c'est un truc de ouf !
- Je sais. Et toi ? Toujours sur ton mémoire exhaustif sur les différentes formes d'alchimie à l'Ouest ?
- Ouais. J'ai presque fini la deuxième partie. Je ferai la troisième sur les liens possibles entre notre alchimie et la leur, toutes les hypothèses qui sont envisageables... Quand Alphonse sera intronisé, on a prévu de faire le même travail avec l'éléxirologie de Xing. T'as pu lire la première partie au fait ?
- Oui, c'était... enfin... c'était très cool. J'ai pu en tirer quelques pistes de réflexions donc j'avoue que j'ai un peu hâte que tu sortes la deuxième partie.
- Tu sais que tu peux me demander si t'as des questions ?
- Mmh. Ouais. Bien sûr.
Elle eut quand même un sourire sincère qui fit vibrer le coffre dans la tête d'Edward, qui jugea plus prudent de la laisser entrer seule dans la bibliothèque. Décidément, il n'y avait qu'elle pour se poser des problèmes pareils. Mais il n'y avait aussi qu'elle pour les résoudre.
*o*
Quelques jours plus tard, Ed se prenait le pied de son petit frère sur l'épaule et était projeté quelques mètres plus loin. La voix puissante de Maël éclata d'un grand rire :
- Admirable, jeune homme ! Admirable !
Alphonse se redressa fièrement et parvint de justesse à éviter la contre attaque de son aîné. Maël pavoisait :
- Quel dommage que je n'ai pas pu vous former plus tôt ! Admirable ! Autant l'un que l'autre… On sent bien l'influence d'Izumi ! Ah ah !
Quand il lui en prenait l'envie, Maël demandait aux alchimistes intronisés ou apprentis de combattre devant lui. Cet entrainement dirigé était très apprécié par les combattants confirmés, au vu de la remarquable expertise du professeur. Edward n'avait pas eu souvent l'occasion d'être entrainé par Maël, en avait entendu le plus grand bien de son petit frère et écoutait avec attention les conseils avisés qu'il lui donnait.
- Cette jambe te ralentit un peu trop mon garçon. Pourtant, ça peut être un avantage redoutable. Commenta Maël en montrant l'automail rutilant d'Edward
- Un coup avec ça dans le coin de la gueule et vous pioncez pendant quelques heures. Confirma Ed en se relevant
- Encore faut-il que tu puisses atteindre la gueule en question… Commenta Alphonse avec un sourire
- Il a toujours été meilleur que moi. Confirma Ed à Maël
- Il ne faut pas partir du principe que l'autre est meilleur, sinon, tu ne parviendras jamais à le battre ! C'est une prophétie auto réalisatrice du plus mauvais effet. Mais ça sera pour la prochaine fois ! Mes nouvelles victimes viennent d'arriver ! Dit Maël d'un ton gourmand
Ed et Al se retournèrent pour voir arriver Malo et Serena, revêtus tout les deux de leurs tenues d'entrainement réglementaire. Maël ne perdit pas de temps et interpela Malo :
- Joli coquard, Malo ! C'est à elle que tu le dois ?
- Même pas. Sa petite soeur. Répondit le jeune médecin avec un sourire
- Aaaah ! Alicia ! Sans aucun doute ma plus grande fierté. Il va falloir apprendre à bouger plus vite, Malo. On va travailler là dessus ce soir. Serena, on se concentrera sur tes failles plus tard.
La jeune femme acquiesça silencieusement pendant que Malo grimaçait par avance et commençait son échauffement. Bizarrement, Serena resta un peu figée, regardant Ed et Al quitter le tatami d'un air concerné.
- Un problème, Commandant ? Grinça Edward
- Ta jambe. Répondit la jeune femme en fronçant les sourcils
- Et ben quoi ma… ah ! Oui c'est vrai que t'avais jamais vraiment vu…
Il bougea la jambe métallique et demanda :
- T'étais pas au courant ? Que la Vérité me l'avait reprise ?
- Si, j'en avais entendu parler. Mais bon, ça reste pas pareil que…
Elle croisa les bras, toujours les sourcils froncés.
- J'ai récupéré mon bras. Et surtout le corps d'Alphonse. Ça a toujours été ça le plus important. Commenta Edward
- La punition s'applique là où elle doit s'appliquer. Répondit Serena, les yeux dans le vague et les sourcils froncés.
- C'est ça. C'est exactement ça. Dit Ed en fronçant les sourcils à son tour.
Il se demanda si elle avait eu à passer devant la Vérité elle aussi. Après tout, Alphonse et lui étaient passés par une brèche alors que les expatriés avaient emprunté la Porte. Et si c'était le cas, qu'avait-elle pu récupérer ou sacrifier ? Elle ne lui laissa pas le temps de poser la question et continua sur le sujet de sa jambe artificielle :
- Ça fait bizarre quand même. T'es différent.
- Toi aussi, non ?
- Sans doute.
- Serena ! Dépêche toi, mon temps est précieux ! S'écria Maël d'un air agacé
- J'arrive, Maître ! S'écria la jeune femme
- Ah, tiens, lui tu l'appelles maitre ? Remarqua Ed avec un sourire
- Lui, Lio et Izumi. Confirma Serena
- Izumi, c'est que t'as pas le choix. Devina Edward en souriant
- J'ose même pas imaginer ce qu'elle me ferait subir si je l'appelais autrement. Confirma Serena avec un frisson
- Je t'avais dit qu'elle était flippante ou pas ?
- Ça, on peut pas te reprocher que tu m'avais pas prévenu. Allez, je vais casser mon pote en deux. À plus !
- À plus…
Edward rejoignit son petit frère, qui avait observé la scène avec attention. Il commenta :
- Ça va mieux, j'ai l'impression…
- Ouais, ça va mieux. C'est cool.
- Ouais. C'est cool. Dit Alphonse.
Le cadet des deux frères se souvenait malgré tout de ce que Serena lui avait dit la dernière fois, à propos du fait qu'elle n'était jamais parvenue à tourner la page. Il se demandait combien de temps l'équilibre allait pouvoir tenir. Même si pour l'instant, il avait d'autres problèmes en tête. Sa relation avec Sayuri n'était pas des plus simples.
*o*
Quelques jours plus tard, Alphonse entrait avec précipitation dans la Bibliothèque de Central. Il devait chercher un ouvrage incroyablement spécifique et n'avait rien trouvé dans celle de la Maison. En dernier recours, la vénérable institution de la capitale pouvait l'aider. Alors qu'il cherchait, il tomba sur Serena dans la section cuisine.
- Hey... Murmura le jeune homme
- Salut, Al... Tu fais une drôle de tête...
- Je cherche un bouquin improbable pour Sayuri. Je sais même pas pourquoi. Elle m'a à peine adressée la parole de la journée et d'un coup, elle me confie une mission impossible sans que je sache pourquoi et...
Il soupira et Serena sourit en lui tapotant l'épaule. Alphonse la regarda d'un air perdu et murmura :
- Franchement, elle me fait un peu flippé
- Je me doute. C'est pas quelqu'un qui est à l'aise avec les gens. T'inquiète. Faut juste le temps que tu l'apprivoises. Elle va finir par comprendre que t'es un gentil.
Elle se retint de rire face à l'expression désespérée de son jeune ami et elle l'accompagna dans la recherche de son livre. Une fois à l'extérieur, elle ajouta quelques conseils supplémentaires pour apprivoiser sa terrible meilleure amie.
- Elle va finir aussi par comprendre que t'es talentueux et par devenir un peu plus normale. Autant qu'elle puisse l'être en tout cas. Contente toi d'être toi même et de lui poser deux trois questions de temps en temps. Sur son boulot. Demande lui si elle veut bien te montrer comme elle fait de la neige chaude ou comment elle fait pousser du lierre à partir de rien.
- De la neige chaude ? S'étonna Alphonse
- Elle transforme tous les Noël en truc complètement magique grâce à ça. C'est la seule neige que j'aime bien.
- Je vois...
- Tu sais, c'est pas de ta faute, Al. Au fond, elle se met juste beaucoup de pression. Elle a eu un très bon maître et elle prend ça très au sérieux. Elle voudrait être à la hauteur de ça. Je suis contente qu'elle soit tombée sur toi, t'es le meilleure premier apprenti dont on puisse rêver.
- Oh ça c'est gentil... Murmura le jeune homme en rougissant.
Serena sourit encore une fois alors qu'ils entraient dans le hall immense de la Maison et elle nota :
- À croire que tous ceux que tu appelles maître te feront flipper...
- C'est pas la même chose. Sayuri me fait flipper parce que je la comprends pas. Izumi me fait flipper parce qu'elle est terrifiante.
- Grave. T'as l'impression qu'elle pourrait te suspendre par les pieds parce que t'as baillé au mauvais moment pendant qu'elle parlait.
- J'imagine qu'elle te l'a déjà fait ?
- Deux fois.
Alphonse allait ironiser encore mais un jeune praticien surgit devant eux avec un air conquérant.
- Salut Wolfe !
Serena le contourna comme si ne rien n'était et le salua de mauvaise grâce
- Salut Damien, t'as fini par revenir de mission, incroyable...
- Une mission accomplie avec les honneurs !
- Après qu'on ait fini par t'envoyer Martello pour te sauver le cul, ouais.
Le sourire du dénommé Damien se figea mais il ne sembla pas d'humeur à lâcher l'affaire et poursuivit Serena tout en ignorant royalement la présence d'Alphonse.
- Ton respect pour le vieux Martello est admirable mais je commence à me dire que tu ferais bien de trainer plutôt avec des types de ton âge. Même Gardner est plus vieux que toi...
- Excellent conseil. Je l'applique en ce moment même, comme tu le constates. Dit-elle en signalant la présence d'Alphonse
Le praticien jeta un regard méfiant et leur passa devant, bloquant le passage vers l'ascenseur. Serena fronça les sourcils et mit les mains dans ses poches d'un air agacé. Damien regarda Al d'un air méfiant et demanda :
- Et t'es qui toi ?
- Alphonse. Répondit ce dernier d'un ton juste poli
- Elric ?
- Lui-même
- Alors ça compte pas ! S'exclama Damien d'un air bravache en jetant un regard gourmand vers Serena qui adoptait de plus en plus une expression dangereuse.
- Je commence à être de plus en plus agacée par ton insistance, Damien
- Je suis pas du genre à accepter non pour réponse
- Une belle mentalité de connard.
Damien ne sembla pas vexé et ne bougea pas d'un pouce. Il ne se décala même pas quand il entendit l'ascenseur s'ouvrir derrière lui. Alphonse et Serena virent en revanche qui venait de débarquer et le cadet des frères Elric fronça les sourcils avec inquiétude.
- J'ai une mentalité de vainqueur et il est hors de question que j'accepte de perdre sur ce terrain là... Alors, laisse toi tenter, Wolfe, tu sais pas à côté de quoi tu passes...
- Je suis très à l'aise avec mon ignorance. Fous moi la paix et laisse moi passer.
- Je te jure, si tu me laissais une chance de te prouver que je peux...
Une petite orbe explosa aux pieds du praticien indélicat, qui sursauta et recula de quelques pas, frôlant tout juste Edward sans s'en rendre compte. Le jeune homme avait saisit assez vite ce qu'il se passait et sentait doucement la colère lui grignoter les entrailles. Mais il se tenait silencieux et discret, jetant régulièrement des coups d'oeil à Serena. Il avait fini par apprendre à ne plus se mêler de ses bagarres sans qu'elle ne l'y appelle.
- Bordel de... Mais enfin, Wolfe, qu'est ce que tu... T'es à moitié folle en fait !
- J'ai essayé de t'expliquer avec des mots et tu veux pas comprendre. Je finis par passer à des méthodes plus radicales... Susurra Serena d'un ton menaçant
- Aaaaah, je te jure... Laisse toi tenter ! Y'a trop de colère en toi, je suis sûr que je pourrais t'aider à évacuer cette énergie en trop. Continua Damien, qui avait décidément le crâne épais
- Ça m'étonnerait que t'en ai la capacité...
- Oh, si j'en suis capable. Je suis largement capable de te faire oublier l'autre con ! Allez, laisse toi tenter !
- De qui tu parles quand tu dis « l'autre con » dis moi ? Demanda Serena en souriant pour la première fois.
Elle fit un discret clin d'oeil au dessus de l'épaule de Damien et Edward comprit qu'il était autorisé à enfin intervenir. Avant que le praticien ne puisse répondre, il se pencha en avant et souffla à son oreille :
- Tu parles quand même pas de moi, mon pote ?
Damien se figea et tourna la tête doucement. Il croisa alors le regard brûlant et mortel d'Edward Elric et avala difficilement sa salive. Constatant avec satisfaction que le type semblait se liquéfier d'appréhension, il menaça doucement :
- Un conseil. Tire toi vite…
Sans demander son reste, le praticien prit ses jambes à son cou. Serena soupira et entra enfin dans l'ascenseur en pestant :
- Voilà qui était pathétique. Et le pire, c'est que ça lui servira sans doute pas de leçon
- Ça arrive souvent ? S'étonna Alphonse
- Plus ou moins. Je pense qu'il y a eu une espèce de pari quand j'étais apprentie. Une sorte de concours entre alchimistes. Les chercheurs m'ont jamais trop emmerdée. Je crois que Malo leur fait peur. Mais ça commence à me courir. Je pense que je vais finir par en parler à Roy
- Ça me semble une bonne idée. Il peut faire flipper, quand on touche à quelqu'un qu'il aime. Soupira Alphonse, qui frissonnait encore de gêne en repensant à son entretien d'il y a quelques semaines.
- Ça reste la hiérarchie et je voulais pas en arriver là. Mais bon... Ça commence à devenir usant par moment.
Elle regarda d'un air agacé les chiffres des étages et commenta, l'air de rien.
- Si il y a bien un truc que je suis plus, c'est une fille de passage.
- Ah ouais ? Demanda Ed, la voix basse
L'ouverture des portes et le spectacle dans la salle commune des Premiums permit à Serena de ne pas répondre.
- Mais qui je vois là ? Dit elle d'une voix joyeuse
- Salut Réna ! S'exclama Léna en courant vers sa grande soeur.
Une drôle de scène se déroulait dans la salle commune. Sous le regard attentif d'une Alicia tranquillement installée dans un fauteuil, Sayuri se tenait en équilibre sur les épaules complaisantes du Général Mustang et elle traçait un cercle complexe sur le plafond de la salle commune. Léna sautillait partout dans la salle avec une bonne humeur contagieuse.
- T'as demandé à Sayuri de faire des miracles ? Comprit la jeune femme en souriant à ses sœurs.
- OUAIS ! TROP BIEN ! S'exclama l'enfant en bondissant sur un canapé
- Si tu pouvais te dépêcher d'ailleurs... Souffla Roy
- Je me dépêche, Mon Général, je me dépêche ! Répondit la jeune japonaise d'un air concentré
- Une récompense pour une petite fille qui a eut un très bon bulletin de moyenne section... Commenta Alicia en souriant
- Y'a des bulletins en Moyenne Section ? Ironisa Serena
- Visiblement.
- C'est trop facile, l'école ! S'exclama Léna avec un grand sourire.
- C'est que t'es trop intelligente, mon ange ! S'écria Serena en levant le pouce vers sa petite sœur bondissante.
- Ça doit être de famille... Souligna Alphonse en souriant
Les deux frères observaient le cercle qu'était en train de finir Sayuri. Edward marmonnait, ne comprenant pas tellement ce qu'il se passait. Discrètement, Serena s'approcha d'eux et murmura :
- C'est ce que je te disais tout à l'heure. De la neige chaude...
- Ah bon ?
- C'est l'occasion ou jamais de poser des questions en ayant l'air émerveillé mon pote. Quoique, ça devrait pas être trop difficile. C'est objectivement génial.
Avec un clin d'oeil, Serena s'éloigna pour empêcher sa sœur de tomber et Alphonse fixa son attention sur Sayuri. Edward, perdu, demanda :
- De quoi elle parle ?
- Apparemment, Sayuri va faire de la neige chaude. Serena m'a conseillé d'avoir l'air impressionné et de lui poser pleins de questions à ce sujet. Selon elle, ça devrait réchauffer nos relations.
- Je vois. Quand t'auras compris comment elle fait, je veux bien que tu m'expliques parce que ça ressemble à de la magie son truc, je comprends absolument ri...
Il y eut un éclair soudain, le cercle s'illumina doucement et des gros flocons brillants en tombèrent doucement, pour le plus grand plaisir de l'enfant dans la pièce. Dès que les premiers touchèrent les visages de deux frères, ils écarquillèrent les yeux. Edward murmura :
- Incroyable. C'est sublime.
Son cadet balbutia quelques mots indistincts et fondit immédiatement vers son maître en alchimie, qui était occupée à retrouver son équilibre après être descendue des épaules de Mustang. Elle fut un peu sidérée par le flot de questions enthousiastes qu'Alphonse déversait sur elle. Mais rapidement, elle se rendit compte de la vivacité d'esprit, de l'enthousiasme et de la sincère admiration dont Alphonse semblait capable quand il osait enfin lui parler. Quelque chose se débloqua, Sayuri sourit et entreprit de parler à toute vitesse.
- Comme quoi, c'était pas si difficile. Commenta Serena, qui rattrapait pour la troisième fois Léna au vol.
Alicia observait Alphonse et Sayuri d'un œil brillant et se contenta de dire :
- Mmh mmh...
L'ainée des sœurs Wolfe allait trouver étrange la réaction de sa cadette mais elle fut distraite par l'arrivée d'Edward sous le cercle. Le jeune homme avait la tête basculée vers le haut, les flocons chauds se fixaient dans ses cheveux longs et ses cils. Il répétait à voix basse :
- Non mais quand même, c'est incroyable comme c'est beau.
Serena observa son profil et dut retenir très fort la phrase qui lui était spontanément venue. C'était lui qui était vraiment très beau et c'était incroyable aussi.
