Chapitre dix huit : D'un côté...

La chaleur de l'été enveloppa Central et tout le reste d'Amestris comme une chape de plomb. On disait que Briggs voyait même quelques fleurs pousser dans les neiges éternelles. Le gouvernement s'empressa d'envoyer des alchimistes dans tous les coins du pays pour remettre à neuf les circuits d'eau courante et même les ishbals ne protestèrent pas de recevoir cette aide impie. Au sein de la Maison des Alchimistes, Sayuri et Alphonse devinrent immensément populaires grâce à leur invention d'un système de rafraichissement de l'air par brume d'eau alchimique qui ne mouillaient pas les livres ni les papiers.

Un jour, en début de soirée, Serena était occupée à bénir pour la millième fois le génie de sa meilleure amie quand Edward s'invita dans son bureau sans frapper. Elle tiqua à peine. Ces derniers temps, il se le permettait de plus en plus souvent. Visiblement, son projet d'alchimie sans alchimiste occupait une partie de son esprit à lui aussi. Ça donnait souvent des discussions intéressantes mais épiques. Et alors qu'il s'approchait tranquillement de son bureau, elle laissa son regard divaguer un peu. Si elle prenait un certain plaisir à ressortir ses robes et ses jupes légères dès que le mercure dépassait un certain degré, l'été déshabillait tout le monde. En près de 4 ans, force était de constater qu'il n'avait rien perdu de sa superbe. Elle aurait pu passer la soirée à faire semblant de travailler pour mieux faire courir son regard sur chaque couture de son torse et de ses bras. Perdue dans ses considérations anatomiques, elle jeta un regard flou à la liasse de papiers qu'il jeta sur son bureau et marmonna :

- C'est quoi ?

- Le travail sur les élaborations catalytiques que t'as demandé, Commandant. Ironisa-t-il en insistant bien sur son titre militaire.

Elle cligna des yeux et mit un certain temps avant de connecter ses neurones.

- Mais... J'avais demandé à Sayuri si elle pouvait pas me le faire...

- Tu lui as ordonné de le faire, Commandant ! Ironisa à nouveau Edward, le regard brillant

- Oh mais c'était pour rire !

- Elle pas saisit la blague, elle était très énervée. Du coup, elle a refilé le boulot à Alphonse, qui aime pas spécialement la catalyse. Et comme il sait que moi, j'aime bien et je suis loin d'être mauvais en la matière... Expliqua-t-il

- Je déteste la catalyse... Marmonna Serena en feuilletant la liasse

- C'est spécial, je comprends que tu détestes. Après tout, t'es pas alchimiste depuis pas si longtemps alors que moi... Se vanta Edward, à moitié sérieux

Elle leva un sourcil amusé et demanda :

- T'avais rien de mieux à faire ?

- Figure toi que non parce qu'une connaissance met 1000 ans à m'envoyer un livre très spécifique depuis Creta et je suis un peu bloqué sans ça. Autant employer mon temps à faire quelque chose d'utile. Je suis payé avec de l'argent public après tout, je vais pas me tourner les pouces...

- Ton sens du service public fait plaisir à voir, Fullmetal !

- Blague à part, je suis pas un spécialiste de la catalyse mais je suis pas mauvais. Ça devrait faire le job. T'en avais besoin pour quoi ?

- C'est une de mes hypothèses de travail pour rendre les cercles des boucliers suffisamment sensibles pour être déclenché sans alchimiste. Justifia Serena

- Je maintiens que l'activation automatique est beaucoup plus prometteuse qu'une activation par un humain... Répéta Edward pour la quinzième fois en une semaine

Serena lui ayant déjà expliqué quatorze fois qu'elle avait été du même avis pendant presque un an et qu'il fallait se rendre à l'évidence que c'était trop compliqué pour être faisable. Elle commença donc sa lecture du travail d'Edward, mais ce dernier l'interrompit une nouvelle fois.

- Je voulais te dire un truc.

- Je t'écoute...

Edward ouvrit la bouche et la longue tirade explicative sur son départ depuis l'Autre Côté i ans resta bloquée dans sa gorge. Maintenant que leurs rapports s'étaient normalisés, il se disait que ça valait peut être le coup de remettre cette question sur le tapis. Mais à chaque fois qu'il avait essayé d'emmener le sujet dans la conversation, c'était toute autre chose qui était sortie de sa bouche. Cette fois là ne fit pas exception :

- J'ai jamais vraiment saisi les mécanismes qui ont menés à tes différentes promotions. Commandant.

Serena eut un sourire amusé, qui compensa un peu la déception envers lui même que ressentait Edward.

- C'est évident pourtant, Ed. Je suis hyper bonne. Vraiment très bonne.

Edward cligna des yeux, sourit et commenta :

- Je serai très mal placé pour dire le contraire.

Elle n'était pas la seule à avoir laisser trainer son regard. Les tenues de Serena, qui refusait de suivre la mode très année 30 d'Amestris (selon ses propres références), faisaient régulièrement scandale dans la presse. Ce soir là, elle portait une robe très longue mais qui s'ouvrait largement sur son dos nu et Edward en avait été un peu trop distrait toute l'après midi.

- Ça répond pas à ma question... Ajouta Edward en s'asseyant en face d'elle.

- Je vois pas ce qu'il y aurait à ajouter. Je suis devenue Lieutenant puis Commandant parce que je suis bonne. Au début, c'est parce que je l'étais avec Mustang...

- Et ça pose pas de problème à ta petite sœur que tu sois bonne avec Mustang ? Interrompit Edward avec un sourire en coin

- Alphonse t'a tenu au courant du secret le mieux gardé de cet état ? Ironisa Serena

- Le soir même. Comment voulais-tu qu'il garde un truc pareil pour lui ? Ils ont 20 d'écart !

- 14 ans. Déjà que j'ai du mal à l'avaler, si tu pouvais éviter d'en rajouter.

- D'ailleurs, pourquoi ils tiennent tant que ça à ce que ça reste secret ?

- Soit disant qu'ils ont tout les deux des postes à hautes responsabilités et qu'ils ne peuvent pas se permettre de voir leurs travaux réduits aux commentaires inévitables que leur couple provoquera dans la presse. Railla Serena

- Et la vraie raison, c'est quoi ? Parce qu'ils vont avoir des postes à responsabilités toutes leurs vies si leurs carrières continuent comme ça... Souligna Edward

- La vraie raison, c'est qu'ils se complaisent dans le drama. Et m'accuse MOI d'être une drama queen... Soupira Serena

- Pourquoi tu serais une drama queen toi ? S'étonna Edward

- Pour rien. T'inquiète.

Elle n'allait quand même pas admettre tranquillement devant lui que sa petite sœur la traitait de drama queen depuis qu'elle avait décidé qu'elle serait amoureuse de lui toute sa vie et qu'il n'était pas utile de continuer à chercher un remplaçant. Elle sentait bien que ça aurait jeté un froid dans une conversation fort agréable pour le moment, qu'elle continua en ajoutant :

- Après, il y a encore une forme de tabou concernant les couples mixtes, entre expatriés et natifs. On en a pas encore vu tant que ça, alors que ça fait quand même trois ans et demi qu'on est arrivé...

- C'est vrai... Je me demande comment ça se fait... S'étonna Ed

- Oh, c'est une question complexe mais je pense que ça soulève quelques questions. Notamment sur la question du gain de la nationalité et des droits qui vont avec...

- Qu'est ce que tu veux dire par là ?

- Tu sais bien que les expatriés n'ont pas la nationalité d'Amestris... Soupira Serena

- PARDON ? S'étouffa Edward

- Ah ben non, tu savais pas...

Edward semblait écumer de colère et bafouilla un peu avant de s'exclamer :

- Tu veux dire que toi, on peut te demander d'aller mourir pour protéger ce pays mais que t'as même pas le droit de participer à élire les gens qui peuvent décider de t'y envoyer ?

- Il a été question pendant un temps de donner la citoyenneté aux expatriés engagés dans l'armée justement. Mais le Cabinet des Expatriés a refusé en objectant que l'immense majorité d'entre nous avait un emploi ou une occupation d'utilité publique. Pourquoi donner la citoyenneté aux soldats et pas aux membres du Conseil Scientifique, du Comité d'Éthique ou de la Bibliothèque Expatriées ? Ou encore aux médecins qui ouvrent des dispensaires dans tous le pays ? La liste de ceux qui mériteraient est sans fin. Donc, soit on est tous reconnu pour nos apports à ce pays, soit on nous ne la donne pas et c'est une honte pour les différents gouvernements qui évitent la question avec application. Pour le moment, la guerre avec l'Autre Côté donne une justification suffisante. Et on évite d'en parler au public, pour ne pas risquer de les voir se mettre de notre côté.

- C'est un scandale... Murmura Edward, toujours profondément outré

- Alicia en a fait sa priorité à long terme. Elle aborde toujours discrètement cette question à chaque fois qu'elle parle à un politique. Elle pense à long terme. Je lui fais confiance. Elle finira par y arriver. Sourit Serena avec confiance

- Je vois pas le lien avec les couples mixtes par contre... Souligna Edward

- La loi d'Amestris veut qu'en cas de mariage entre un citoyen du pays et un étranger, l'étranger puisse demander la nationalité du pays. Qu'est ce qu'il se passera quand ça sera le cas ? Comment on règle l'éventuelle question des enfants qui pourraient naitre ? Le seul mariage mixte, ça a été celui de Marcoh et Hortense.

- Hortense Levi ? La cheffe du Conseil Scientifique ? C'est avec elle qu'il s'est marié ? S'étonna Edward en souriant.

Il avait eu l'occasion de croiser cette femme et elle lui avait fait une impression remarquable. De penser qu'elle était parvenue à ouvrir la Porte en quelques semaines là où lui et Serena avaient mis des mois sans parvenir à rien de concret lui valait son respect éternel.

- Oui. J'y suis allée, à ce mariage. C'était très cool. Deux éternels célibataires mariés à leurs métiers qui tombent amoureux à leurs âges, c'est très joli. Hortense a choisit de la jouer discrète. Elle n'a pas changé son nom de famille et n'a pas réclamé ses droits. Ils n'auront pas d'enfant. Ça n'a pas fait grand bruit. Alors que pour Alicia et Roy, on est tout de suite sur un autre niveau de popularité.

- Je vois... Mais il faudra bien qu'ils sortent du placard un jour non ?

- Ouais. Surtout que je pense que la situation commence à leur peser, même si ils n'en disent rien. Mais oui, c'est sûr que si ils veulent que ça dure...

Edward réfléchit quelques secondes et souligna le truc qui l'agaçait depuis le début :

- En même temps, si les couples mixtes restent cachés, on peut pas s'attendre à ce que le tabou soit levé... Ils se vantent sans cesse de vouloir être exemplaire l'un comme l'autre mais sur ce sujet, ils sont pas à la hauteur du sujet...

- Je suis entièrement d'accord avec toi. Sourit Serena

- On a quand même pas mal dévié de ma question originelle. Ça m'explique pas pourquoi t'es si haut gradée, Commandant...

Serena soupira et expliqua :

- J'ai été nommée Lieutenant directement à cause des souffles. Et Mustang a prit aussi un grade à ce moment là, en même temps qu'il prenait le commandement de Central. Pouvoir gagner des batailles en faisant moins de 10 morts, souvent accidentelles en plus... Ça vaut une petite promotion.

- Vu comme ça...

- Officieusement, la promotion de Mustang était un coup contre l'ancien Généralissime. Mustang et Armstrong ont enfin arrêtés de se faire la guerre pour s'allier contre Grumman, qui commençait à avoir des velléités de toute puissance. Le plan à terme, c'est que l'un reste à la tête de l'armée et que l'autre finisse par prendre la tête politique. C'est moi qui ait fait l'intermédiaire entre les deux pour monter cette alliance. Sans compter que j'étais la première Premium de la nouvelle génération alors que j'étais expatriée. Me promouvoir directement, c'était une manière de montrer le soutien de l'armée envers ma communauté. Quand j'ai été nommée Commandant, c'était pile au moment où les Soldats de l'Aube montaient en puissance. Je venais accessoirement de sortir les boucliers alchimiques. Cette fois, ça a été ça l'excuse pour me promouvoir encore. D'ailleurs, ça me fait penser que t'as pas ton bracelet toi ?

Edward baissa les yeux sur ses poignets. Il portait pourtant un bracelet métallique que Winry lui avait bricolé et qu'il transmutait souvent en lame en situation de combat. Il s'était habitué à avoir une lame au bout de son bras droit. Il leva alors la main pour le montrer à Serena, dans une incompréhension manifeste. Elle leva les yeux au ciel :

- Non mais... Je te parle des bracelets boucliers. C'est pour ça que j'ai été promue. Chaque alchimiste doit avoir le sien, ça lui permet de se protéger. Je trouve ça ouf qu'ils t'en aient pas donné un, ils sont censés... Attends, je dois en avoir qui trainent...

Devant son regard circonspect, elle tendit à Edward deux petits cercles alchimiques en métal doré, rattachés à des lacets colorés.

- Tu donneras l'autre à ton frère... Soupira Serena

Edward essaya le cadeau dès qu'il l'eut à son poignet. Un bouclier lumineux clignota et se stabilisa devant lui, pour son plus grand plaisir.

- Pratique dis donc ! Par contre, je constate que le cercle est plus simpliste que celui que tu as tatoué au poignet... Nota Edward

- Je peux pas demander à chaque alchimiste d'avoir une connaissance poussée de l'alchimie énergétique. Le but c'est de protéger un minimum. Je sais pas si ça vaut une promotion de Commandant mais bon...

- Avoir offert un moyen de protection à l'intégralité des alchimistes d'Amestris, c'est vrai que c'est pas grand chose... Ironisa Edward

Il observa ses poignets à nouveau. Il avait un cadeau de Serena et un de Winry. Voilà qui illustrait bien sa vie, si on pouvait dire. Serena remarqua son léger froncement de sourcil et commenta :

- C'est censé être dans l'équipement réglementaire de tous les alchimistes. Tu pourras dire que c'est ta hiérarchie qui te l'a enfin fourni, t'es pas obligé de dire que ça vient de moi...

- Pourquoi je dirai pas que ça vient de toi ? Demanda Edward, d'un ton légèrement provocateur

- Je me souviens que t'as toujours été mal à l'aise concernant la quantité de cadeau que je pouvais te faire, Ed. Fut un temps, c'était des iPhones et des montres connectées. Maintenant, c'est un morceau de métal autour d'un lacet. On progresse.

La pirouette pour éviter de prononcer le nom de Winry amusa Edward et il demanda :

- D'ailleurs, ça te manque pas ? D'être riche comme Crésus ? C'était pratique, ça payait des vacances sympas.

Ils renvoyèrent en même temps le souvenir de leur dernière vacances ensemble dans un coin de leur tête et Serena répondit d'un ton qu'elle parvint à rendre normal :

- Non, ça me manque pas. Je peux pas me plaindre. La paie n'est pas mauvaise, on me paye un bel appartement, j'ai des moyens presque illimité pour travailler... Je peux pas me plaindre, c'est confortable...

- Et puis, c'est pas l'argent de ton père. C'est le tien...

- Exactement... Sourit Serena

Décidément, il la connaissait bien. Vraiment très bien.

- N'empêche, si ils t'ont nommé Commandant après que t'ai mis au point ces merveilles de bracelet, ils te proposeront quoi quand tu seras parvenue à mettre au point tes boucliers automatiques ? La tête de l'armée ? Ironisa Edward

- Encore faut-il que j'y arrive un jour...

- Oh j'ai pas le moindre doute te concernant... Commenta-t-il tranquillement

Elle eut une bouffée de reconnaissance et de tendresse envers la confiance absolue qu'il lui portait et répondit à sa question :

- En toute logique, le rang suivant, c'est Lieutenant Colonel. Et si on me le propose, j'ai la ferme intention de le refuser.

- Ah bon ?

- Lieutenant-Colonel, c'est un rang qui vient avec des obligations de gestion de troupe. Après tout, on est censé en avoir un dans toutes les Maisons. On en manque...

- Ah oui, Marcoh m'en avait parlé. C'est les Lieutenant Colonel qui doivent le seconder dans sa gestion des alchimistes dans chaque maison. J'ai entendu parler de Furiosa à l'Est et il me semble que Martello est à l'Ouest. C'est lui qui t'a entrainé sur le terrain non ?

- C'est ça. D'après ce que j'ai entendu, ils ont l'intention de lui proposer de passer Premium pour lui donner la responsabilité de Central. Mais c'est quand ils auront trouvé quelqu'un pour le remplacer à l'Ouest. C'est la plus grosse Maison après Central, ils peuvent pas la donner à n'importe qui. Je vois venir gros comme une maison qu'une promotion en tant que Lieutenant-Colonel s'accompagnerait d'un déploiement à West City et je veux pas m'éloigner de mes sœurs. Et puis, je suis pas devenue Alchimiste pour faire du management. Je veux faire de l'Alchimie.

- Je comprends...

- Et puis, tu l'as bien noté au début de cette conversation. Je suis pas alchimiste depuis bien longtemps. Face à des types comme toi qui ont une expérience plus large et profonde de l'alchimie, elle est où ma légitimité ? Soupira Serena

- Je suis ravi de voir que tu reconnais enfin ma supériorité naturelle. Sourit Edward

- Calme toi directement ou je te fais mettre aux arrêts.

- Décidément, t'as très envie de me mettre aux arrêts. C'est pas la première fois que tu m'en parles.

- Je trouve que c'est une possibilité très divertissante.

- Ça serait divertissant que tu essaies, effectivement. Ou alors que t'essaies de me donner un ordre direct, comme avec Sayuri. Vraiment, ça m'amuserait beaucoup. Railla Ed

Je pourrais t'ordonner de te foutre à poil et de… Serena secoua la tête, rejetant dans un coin de sa tête les pensées pas très honnête qui naissaient dans son esprit.

- J'ai pas entendu beaucoup de bien de Furiosa d'ailleurs. C'est une praticienne, c'est ça ? Demanda Edward en jouant avec son nouveau bracelet.

- J'ai eu souvent des soucis avec elle. Elle a un problème avec les Premiums et nos avantages. C'est la seule Maison où on constate des rivalités entre les ordres. Elle divise pour mieux régner. Mais au moins, elle est diablement efficace quand il s'agit de terrain. Riza Hawkeye s'en arrache les cheveux. Elle dirige East City et elles sont pas très copines. Je l'entends souvent s'en plaindre à Roy.

- C'est pourtant pas le genre à se plaindre... Furiosa doit vraiment être insupportable... Nota Edward en fronçant les sourcils

Une autre question avait surgit dans son esprit et il la posa sans réfléchir :

- Je crois que ce qui m'a le plus surpris quand j'ai appris pour Alicia et Mustang, c'est aussi le fait qu'il ne se soit pas mis avec Riza... Ça semblait pourtant...

- Oh, ils ont tenté. Pas longtemps. Ils se sont rendu compte qu'ils fonctionnaient bien mieux ensemble si il n'y avait pas d'enjeux romantiques entre eux. Mais je comprends la confusion. Ils se connaissent par cœur. Elle continue de le protéger à son échelle. Elle tient l'Est pour lui. Il en aura sans doute besoin un jour. C'est sans doute pour le mieux qu'ils se soient pas définitivement mis ensemble... Commenta Serena

- Pourquoi tu dis ça ? S'étonna Edward

- Déjà, ils auraient pas eu le droit...

- Soit disant.

- Ah non, c'est vraiment interdit de coucher avec la hiérarchie dans l'armée ! Confirma Serena en fronçant les sourcils alors qu'Edward levait les yeux

- Sur le principe, c'est interdit. Mais tu vas me faire croire que l'état major se serait passer de l'un ou l'autre pour une raison aussi débile ? Ils auraient pas pris le risque. C'est une règle à géométrie variable.

- Toujours est-il que ça a l'air de les rendre plus heureux comme ça. De toute façon, comme t'as dit, c'était plus ou moins ce que tout le monde attendait d'eux. C'était pas vraiment réfléchi. Je sais pas ce que ça peut donner ce genre de...

Elle laissa mourir sa phrase toute seule et un silence s'installa entre eux deux. Elle venait de se souvenir que c'était exactement comme ça qu'Alphonse avait décrit la relation entre Winry et Edward. Quelque chose de pas vraiment réfléchi, qui s'impose un peu aux principaux concernés qui n'osent pas tellement remettre en question ce qui semblent être un appel du destin. Edward avait un air pensif puis il changea radicalement d'expression, comme si l'idée d'y réfléchir davantage lui était désagréable.

- Si Mustang vient à te proposer une promotion, il risque de se vexer si tu refuses non ?

- Il attendra de trouver une autre bonne pomme que moi. Ça commence à me les briser d'être sans cesse promue... Grinça Serena

- Quelle dure vie que la tienne ! Sans cesse promue, sans cesse mise en valeur, avec un bureau et un appartement toujours plus grand ! Ironisa Edward

- C'est juste que... C'est pas évident non plus. Je me plains pas, je suis contente d'en être là ! Je pense le mériter un peu quand même. Mais j'aimerai bien qu'on arrête de se servir de moi comme d'une propagande ambulante en faveur d'une politique ou d'une autre...

- Première expatriée à rentrer à l'école des Alchimistes. Première Expatriée à rejoindre les rangs de l'armée. Première expatriée à être intronisée Premium. Récita Edward

- Tu te fous de ma gueule, Monsieur le plus jeune alchimiste d'état de l'histoire d'Amestris ? Ironisa Serena

- On ne choisit pas son destin. Se contenta de répondre Edward en souriant

- Je croyais que t'étais pas sûr de croire au destin… Souligna Serena en souriant

Ils se regardèrent en silence pendant quelques secondes. La dernière fois qu'ils en étaient venus à parler de destin, c'était le jour du solstice d'été, ils étaient seuls dans la Cabane d'Eden School et c'était la dernière conversation qu'ils avaient eu avant le départ d'Edward pour sa dimension natale. Ed allait en profiter pour enfin aborder la question de ce fameux départ quand on le héla depuis la salle commune :

- Ed ! T'es prêt ? S'exclama la voix de Winry

- Oh, merde, j'avais pas vu l'heure ! J'arrive ! S'écria le jeune homme en se levant précipitamment

- Ben dépêche toi... On a une réservation et on va encore être en retard ! Soupira la mécanicienne

- Je prends mes affaires et j'arrive !

Edward se tourna vers Serena, qui s'était légèrement figée derrière son bureau. Elle prit un ton léger pour lui demander :

- Un rencard ? C'est cool...

- Il faut bien de temps en temps... Se contenta de répondre Ed

- Je sais pas. À ce sujet aussi, ton expertise est plus large que la mienne.

Il cligna des yeux et enferma avec précipitation le sentiment insidieux de satisfaction à l'idée que Serena semblait vouloir rester sagement célibataire. C'était pas un sentiment très fair play et il embraya sur un sujet plus consensuel :

- Hésite pas à venir me demander si t'as des questions sur la catalyse. Je crois qu'il faudra que t'oublies Sayu à ce sujet. Elle est vraiment vexée.

- J'y manquerai pas… Merci pour ton aide.

- Passe une bonne soirée.

- Toi aussi.

*o*

Alors qu'il récupérait ses affaires comme promis, Serena croisa le regard de Winry qui attendait patiemment. Cette dernière lui adressa un sourire de sympathie. La mécanicienne faisait des efforts notables à l'encontre de Serena, qui tentait comme elle pouvait de les lui rendre. Essentiellement parce qu'elles se partageaient Malo et l'Alchimiste de Lumière avait prouvé jusqu'où elle pouvait aller pour le bien de son meilleur ami. Mais elle avait du mal à combattre la masse douloureuse qui poussait dans sa poitrine à cet instant. La scène qui suivit de l'aida pas à se sentir mieux.

- T'as passé une bonne journée ? Demanda Ed, qui se dirigeait vers elle

- Pas mal. Tu pourras prendre le temps de m'expliquer deux trois trucs avec des mots simples ? Demanda Winry

- Du genre ?

- Du genre les échanges d'énergie et le concept de flux. J'ai du mal à saisir

- Pourquoi Malo t'explique pas ? S'étonna Ed en s'arrêtant près d'elle

- Parce que j'ose pas lui demander… Répondit Winry avec un sourire contrit

- T'es bête parfois… Sourit Edward avec tendresse

Il lui posa un tout petit baiser sur les lèvres et ils quittèrent l'étage tranquillement. Dans son grand bureau, Serena sentait ses ongles qui s'enfonçaient dans la peau de son bras et elle les retira doucement, sentant à peine la douleur qui en résultait. C'était infime en comparaison avec celle qui occupait toute la place dans sa poitrine, entravant la course normale de son cœur. Ça arrivait de plus en plus souvent ces dernières semaines. Tout le monde semblait croire qu'Edward et elle étaient parvenus à un équilibre et, à bien des égards, c'était le cas. Mais elle, elle savait à quel point cet équilibre était fragile. De temps en temps, elle ne pouvait s'empêcher de prendre un plaisir incroyable à chacune de ses interactions avec lui et, régulièrement, une petite bulle d'espoir naissait dans son ventre. Elle grossissait un peu, faisait rêver Serena qui commençait à se dire que tout n'était pas perdu. Et puis, un commentaire, un souvenir ou comme ici, un baiser, perçait la bulle. La douleur et le vide revenaient un peu et ça faisait mal à chaque fois. Parfois, elle se demandait si la douleur ne valait pas les bons côtés. Parce que ça signifiait qu'il y en avait, justement. Elle soupira et s'étira. Habituellement, quand elle était reprise de ce qu'elle appelait « une crise de coeur », elle se retirait un peu dans le travail, sans retomber dans ses travers d'il y a quelques semaines. Mais cette crise tombait mal. Elle et Edward, accompagnés d'autres collègues, étaient censés accomplir une mission sensible d'ici quelques jours. Il faudrait qu'elle s'en soit remise d'ici là. Autant se mettre au travail. Il était tard. Mais tant pis.

Elle s'attaqua à la lecture du résumé remis par Edward concernant la fameuse catalyse. Sagement, elle soulignait et annotait chaque détail qui allait nécessité un approfondissement. Et elle annotait beaucoup. Trop. Elle allait devoir demander de l'aide. Sayuri serait trop butée pour l'aider. Et retourner voir Edward, c'était... Une idée se glissa dans sa tête. Elle connaissait quelqu'un d'autre qui maitrisait la question de la catalyse. Qui la maitrisait même très bien.

- Non. Non non. On avait dit qu'on arrêtait ce genre de connerie... Marmonna-t-elle pour elle même dans la solitude de son bureau.

Mais plus elle continuait sa lecture studieuse, plus l'idée grandissait, sans qu'elle puisse la contrôler. Au point qu'elle en vint à décrocher son téléphone, tout en répétant :

- C'est pour le travail. C'est pour le travail. C'est pour le travail.

La tonalité elle même lui semblait ironique et elle passa pas loin de raccrocher quand une voix féminine retentit d'un coup :

- Maison des Alchimistes de South City, bonsoir !

- Euh... Bonsoir. Je voudrais... Je pourrais parler à Marcel Eiselstein s'il vous plait ? Demanda Serena en fermant les yeux.

- De la part ?

- Serena Wolfe, Madame...

- Je vous passe l'étage des Chercheurs, mon Commandant. Dit la réceptionniste d'une voix patiente.

Alors que la tonalité reprenait, Serena hésita mille fois à raccrocher. Elle fixait les notes sur la catalyse et se répétait en boucle que c'était pour le travail.

- Allô ! S'exclama une voix au téléphone

- Euh… Salut. À qui j'ai l'honneur ? S'étonna Serena

- Thibault Martel. C'est qui ?

- Salut Thibault. C'est Serena. Dit la jeune femme en reconnaissant un de ses anciens camardes de classe

- Oh ! Salut ! Comment ça va ?

- Ça va pas mal. Je bosse.

- Comment vont les petites soeurs ?

- Alicia envisage de sauver le monde et Léna devient immense. Et toi ? Comment ça va, dans le sud ?

- Il fait trop chaud. Je pense demander une mutation au Nord. Tu veux parler à quelqu'un en particulier ou tu prends des nouvelles ?

- J'aimerai parler à Marcel, si il est encore là.

- Je me doutais bien. Je te le passe.

Elle perçut l'ironie dans la voix de son camarade et se répéta encore C'est pour le travail. C'est pour le travail.

- Allo ? Fit une voix douce et familière à l'autre bout du fil

- Salut Marcel... Dit Serena en souriant malgré elle

- Oh, salut Réna ! En voilà une bonne surprise. Comment tu vas ?

- Ça va pas mal. Je m'arrache les cheveux sur mon projet mais rien que de très habituel...

- Je t'ai toujours dit que ça me semblait vraiment trop ambitieux, même pour toi...

Serena perdit un peu son sourire. La comparaison était terrible. Malgré toute sa douceur, Marcel avait toujours douté du réalisme de ses ambitions. Edward, lui, ne semblait même pas envisager qu'elle puisse ne pas y arriver. Elle se secoua un peu et continua :

- En fait, j'ai besoin de précisions sur des détails qui touchent à la catalyse et la sublimation.

- Ça tombe bien, c'est ce que je fais très bien. Répondit Marcel

Elle lui fit la liste exhaustive des questions qu'elle se posait et des précisions dont elle avait besoin. Marcel l'écouta patiemment et répondit :

- Ça se réglera pas via une conversation téléphonique. Certainement pas à cette heure.

- Je me suis doutée. Il se trouve que je pars en mission dans l'est d'ici deux jours. Je peux faire un détour par South City en revenant et tu pourrais en profiter pour m'éduquer un peu

- Ça tombe mal Réna. Je suis envoyé dans l'Ouest demain pour accompagner un collègue praticien. Je serai sans doute pas revenu à temps quand tu auras fini ta mission.

- Mince... Souffla la jeune femme, qui en était à se demander si le destin ne lui murmurait pas lui aussi que tout ça était une très mauvaise idée.

- Mais si tu veux, je peux passer par Central dès que j'ai fini si ça te va... Ajouta Marcel

Serena prit une grande inspiration et se mordit les lèvres. Elle demanda, d'une voix légèrement tendue :

- Je voudrais pas te déranger, Marcel...

- Ça me dérange pas. Si je me propose, c'est que ça me va. Et puis, tu me déranges jamais. Tu le sais bien.

Ouais, elle le savait. C'était tout le problème. Elle savait et elle continuait quand même. Elle allait protester quand Marcel ajouta :

- Et puis, ça me permettra de discuter un peu avec deux trois chercheurs de Central. Et de prendre le frais. Il fait trop chaud ici...

- Je te préviens, il fait très chaud à Central aussi... Sourit Serena, malgré elle

- C'est pas une chaleur qui me dérangera, je pense.

- Si tu le dis... Je te crois...

- Alors on fait comme ça ?

Elle prit une pause, ferma encore les yeux et dit :

- On fait comme ça. Je t'envoie un message dès que je suis revenue de mission et je t'attendrais...

- Parfait ! Maintenant qu'on a réglé ça, t'es sûre que ça va toi ? Demanda Marcel, d'une voix toujours aussi douce.

- Bien sûr. Pourquoi tu demandes ça ?

- Un truc dans ta voix.

Serena sourit et dit, doucement :

- C'est que tu me connais bien, dis donc.

- Bien sûr que je te connais bien. On en parlera mieux quand on se verra.

- Je t'envoie un message dès que je suis de retour de mission.

- Et j'arriverai dès que je peux.

- Merci beaucoup Marcel.

- Me remercie pas. Tout le plaisir est pour moi

- Ça m'étonnerait...

Serena rigola et raccrocha le téléphone, avant de basculer la tête en arrière. Ça serait définitivement pas qu'une question de travail.