Chapitre dix neuf: ...Comme de l'Autre
Pendant les derniers mois et comme ils s'y étaient engagés, Malo et Serena étaient revenus régulièrement dans le campement principal de la diaspora Ishbal pour discuter théologie avec le Grand Prêtre et ses moines. Sayuri avait également eu l'occasion de leur faire quelques visites et de leur apporter une vision sur sa propre culture et sa religion. Pour la première fois depuis des années, les relations entre la communauté ishbale et quelques membres de l'armée étaient empruntes d'une certaine chaleur. Les trois expatriés avaient même eu l'occasion de rencontrer Scar, qui était toujours le principal ambassadeur et interlocuteur entre sa communauté et le gouvernement d'Amestris.
Et en ce début d'été si chaud, une crise avait secoué la Terre Sacrée d'Ishbal. Certains membres de la diaspora, suite aux procès d'Ishbal menés il y a quelques années, avaient choisi de se réinstaller sur leur terre promise. D'autres la rejoignaient ponctuellement, pour visiter de la famille, accomplir des rites religieux ou protester plus ou moins pacifiquement. Le problème est que la Terre était occupée depuis maintenant des générations par des natifs d'Amestris. Et eux n'entendaient pas du tout la possibilité d'être expulsé d'une terre qu'ils avaient fait sienne à leur tour. Aussi, la tension montait régulièrement entre deux communautés, chacune persuadée d'être dans son bon droit le plus total. Une crise particulièrement grave avait secoué la région ces derniers jours et le gouvernement avait décidé qu'il fallait intervenir en urgence. Pour se faire, ils avaient pensé logique : Malo, Sayuri et Serena avaient de bons rapports avec les Ishbals et leur porte parole Scar. On les enverrait donc. Alphonse et Edward avaient également une relation avec Scar. Après tout, le Fullmetal l'avait bien invité à son intronisation. Ils avaient été de grands ennemis puis des alliés contraints mais efficaces. Une forme de respect semblait avoir grandi dans l'intervalle. On enverrait donc aussi les frères Elric. L'intitulé de la mission, selon la Générale Armstrong : arrangez vous pour que ça ne pète pas.
Les alchimistes avaient donc réunis Scar et quelques moines qui l'accompagnaient face à des représentants élus des natifs vivants sur la Terre Sacrée. Ils avaient jugé prudent de commencer par discuter de sujets un peu périphériques pour ouvrir la conversation. Mais les conflits verbaux avaient repris tout de suite. Personne ne semblait vouloir transiger ou faire des compromis. Même sur la question de la saveur du thé qu'on allait servir avant de commencer à parler. Au bout d'une heure, les alchimistes avaient ordonné une pause. C'est surtout eux, qui en avait besoin.
*o*
Serena marchait dehors et faisait courir son regard sur l'horizon. Elle grogna de frustration et dit :
- Je comprends pas
- Tu comprends pas quoi ? Soupira Malo, qui souffrait de la chaleur avec son bras métallique
- Regarde. C'est aride. C'est sec. Je comprends pas qu'on puisse à ce point vouloir revenir ou rester vivre ici ! En tout cas, pas à ce point !
- C'est plus compliqué que ça. Nuança Alphonse
Serena soupira et regarda son meilleur ami. Elle soupira et dit :
- Je crois pas qu'on soit les meilleurs personnes pour pouvoir juger d'un truc pareil. Nous, on est ceux qui avons fuit notre Terre Natale, notre culture, nos religions volontairement. Comment on peut comprendre un truc pareil ?
Malo soupira à son tour et hocha la tête. Sayuri ne dit rien et suivit le mouvement pour retourner se mettre à l'ombre. Ils ne retrouvèrent que les ishbals qui discutaient dans leur coin. Au moins, les regards qu'ils leur lancèrent n'étaient pas hostiles. Ils comprenaient qu'eux essayaient de faire de leur mieux et que leurs coeurs étaient au bon endroit. En s'asseyant par terre, Sayuri prit la parole pour s'adresser à ses amis :
- Moi je comprends
Les regards se tournèrent vers elle. Elle rosit et traça des lignes dans la poussière au sol du bout de son doigt :
- Plus la terre est aride et plus notre amour est grand. Comme un mineur à sa mine ou un marin à son océan. C'est un poème à la base
- Qu'est ce que tu veux dire par là ?
- Peu importe que la Terre sur laquelle on vit soit ingrate. Peu importe qu'elle soit pleins de volcans, que la Terre puisse trembler pour tout avaler à tout moment. Peu importe qu'elle soit si inhospitalière. Plus elle est avide de sueur, de sang et de larmes, plus elle finit par en porter les traces. Elle finit par porter les stigmates des efforts et des douleurs de ceux qui l'habitent. Et c'est pour ça qu'on l'aime. Quitter le Japon a été un déchirement. Mon pays me manque encore. J'espère très sincèrement le revoir un jour.
Serena et Malo hochèrent la tête discrètement. Alphonse regarda son maitre avec un oeil curieux, comme si il ne revenait pas qu'elle puisse envisager de quitter ce monde pour rentrer chez elle. Malo regarda son amie et dit :
- En fait, je crois que je vois ce que tu veux dire. Je viens d'une ville ouvrière à la base. C'était pas très joli, c'était pas le genre de ville qu'on tient absolument à venir visiter. Mais elle était belle. C'était chez moi. Elle portait les marques de ceux qui avaient travailler en son sein. Et moi, j'aimais ces gens là.
Les ishbals qui écoutaient la conversation hochèrent la tête et Scar intervint :
- Cette Terre est gorgée du sang de ceux qui sont morts pour la défendre. Nous marchons sur un cimetière. Mais c'est notre cimetière. Ce sont nos morts. Nos terres. Je suis heureux de voir que vous comprenez. Je crois que les frères Elric ont également un sentiment semblable…
Alphonse regarda son frère, qui gardait les yeux dans le vide. Il finit par dire :
- Il faut avoir été loin de chez soi pour comprendre. Mais effectivement. C'est de petites choses qui font qu'on se sent chez soi. Une rivière qui prend un chemin particulier. Une petite école avec des encriers. Une petite gare. Des champs à perte de vue. C'est pas grand chose mais… c'est chez nous.
- Chez nous, c'est là où vivent les gens qu'on aime. C'est ça qui compte. Dit Edward en regardant Serena.
Il l'entendait encore solennellement déclaré à sa petite soeur Alicia que, peu importe où elle irait, tant qu'elles seraient ensemble, elles seraient chez elle. Serena ne le regardait pas. Elle ne regardait personne. Elle avait ses yeux merveilleux fixés sur le bleu du ciel.
- J'ai jamais été attachée à mon pays.
Un court silence régna dans la pièce. Les moines murmurèrent et Scar se pencha vers elle.
- Jamais ?
- Non. J'y suis née. C'est un hasard. Pourquoi je serai attachée à ce qui est le fruit du hasard ? Non. J'aimais ma ville. Mon quartier en fait. C'était un poumon. C'était les gens que j'aimais. Le Gouvernement Unique les a tué. Ils ont tué leur esprit pour la plupart et leurs corps pour d'autres. Ça a tué mon amour pour mon quartier et pour ma ville. Je détesterai l'idée d'y retourner.
Elle soupira et regarda brièvement vers Scar pour lui dire :
- Je ne souhaite pas vous manquer de respect. Mais pour moi, l'idée de devoir marcher chaque jour sur le cimetière où reposent les gens que j'aime me donne envie de hurler, de pleurer voire d'y mettre le feu. Je fuirai cet endroit pour ne plus jamais y mettre les pieds. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait et jamais, jamais une seconde, je ne l'ai regretté. J'ai trouvé mieux.
- À Amestris ? Qu'avez vous trouvé ici ? Demanda un moine, curieux
Serena tourna à nouveau le regard vers le ciel et elle répondit après quelques secondes :
- Le bleu de l'infini. La joie d'être libre. Pour moi et pour celles que j'aime. Elles sont tout ce qu'ils me restent. Je suis chez moi là où elles sont chez elles. Ed a raison. C'est ça qui compte. Peu importe la Terre.
- Et si cette Terre est sacrée ? Objecta Scar avec un sourire
Serena le regarda à nouveau et sourit enfin en disant :
- Je croyais que Dieu était partout ?
Scar éclata de rire, suivi de ses amis moine.
- Il ne faut pas que j'oublie que vous avez suffisamment d'esprit pour pouvoir discuter des jours entiers avec notre Grand Prêtre, jeune fille.
La discussion s'interrompit alors que les représentants des natifs étaient de retour. Les débats reprirent et avancèrent enfin un peu. On tomba d'accord sur quelques places dites « de sûreté » pour que les Ishbals puissent se recueillir à des jours précis. Les natifs ne devaient pas y mettre les pieds pendant les jours en question et permettent le passage des Ishbals sans violence les autres jours. En échange, les ishbals s'engageaient à ne pas s'en prendre aux natifs et à respecter les biens et les personnes sur leurs passages. La mission était accomplie, au moins à court terme. Ça ne risquait plus de péter tout de suite. La Générale serait contente. Les politiques beaucoup moins. Rien n'était réglé sur le long terme. Mais ça aurait été beaucoup demandé à une bande de scientifiques, dont la plupart n'avait pas plus de 25 ans.
*o*
Edward, en sortant de la petite maison qui avait servi de lieu de rencontre, repéra Scar, seul qui se désaltérait à une fontaine. Il s'approcha et lui dit :
- Je t'ai connu plus radical. Auparavant, tu n'aurais jamais fait de concession. Tu n'aurais jamais permis que les alchimistes viennent créer des cours d'eau pour ton peuple. Tu n'aurais jamais permis que les natifs d'Amestris occupent ses terres.
- J'ai changé, Fullmetal. Toi également. Je te l'ai dit, tu as trouvé le chemin de ton Dieu. Dit le moine ambassadeur en se relevant doucement.
Edward haussa les épaules.
- Sachant qui j'appelle Dieu, je ne suis pas sûr de l'avoir jamais perdu de vue. En tout cas, lui ne m'a jamais lâché.
- Non. Tu n'as pas compris mon message.
Scar soupira, semblant vaguement déçu. Il croisa les bras et darda son regard écarlate vers l'éclat doré des yeux d'Edward, dans une posture de moralisateur
- Ton Dieu, c'était l'alchimie, pendant des années. Tu avais tout perdu à cause d'elle et pourtant, tu continuais à placer en elle tous tes espoirs. Tu te fourvoyais.
- Tu remarqueras que je suis toujours alchimiste… Souligna Edward, qui n'appréciait pas qu'on lui fasse la morale
- Certes. Mais je me suis renseigné sur ton parcours lors des 6 dernières années, Fullmetal. Tu as parcouru le monde et même LES mondes. Tu as vu du pays, tu as découvert d'autres manières de voir les choses. L'alchimie n'est plus ton Dieu. Tu as compris que tu n'étais qu'un humain et qu'elle n'était qu'un outil parmi tant d'autres. Et que chacun d'entre eux pouvaient te permettre de rendre le monde plus beau pour ceux qui l'habitent.
Edward hocha la tête et ajouta :
- Je l'avais compris dès la fin du combat contre l'homonculus qu'ils appelaient Père. L'idée d'avoir perdu Alphonse m'était intolérable. Je savais que je pouvais échanger son âme contre une autre. Mon père me l'avait d'ailleurs proposé. Mais c'était hors de question. Je ne pouvais pas faire un truc pareil, je ne pouvais pas sacrifier une âme à l'alchimie. Alors je me suis dit que je pouvais sacrifier mon alchimie. Parce que ça n'était pas ça le plus important. Ce qui l'était, c'était les gens que j'aimais.
Scar hocha la tête d'un air satisfait et écouta Edward continuer :
- Et puis, Alphonse et moi avons atterri de l'Autre Côté. J'ai découvert autre chose là bas. J'ai découvert ce que c'était la beauté.
L'image de celle de Serena lui passa devant les yeux puis il se souvint de toutes les autres.
- Je n'avais jamais fait attention à ce qui était beau. J'étais dans l'utile, dans la recherche du pratique. Ce monde, il y a quelques années, n'avait que faire de ce qui était beau. De l'Autre Côté, ils avaient ça en plus. Il y a des choses à voir, à lire, à regarder, qui ne servent à rien mais qui sont juste belles. Ça, ça apporte autant au monde que l'utile. Ça a finit de me faire grandir je crois. Maintenant, j'essaie juste de rendre le monde plus beau pour les gens que j'aime. C'est ça qui compte.
- Les gens ? Demanda Scar
- Non. L'amour.
Le moine eut un sourire presque attendrit et dit ;
- Je vois. Je me disais aussi.
- Tu te disais quoi ?
- C'est elle qui te l'a montré, n'est ce pas ? Quand tu étais de l'Autre Côté, tu étais avec cette jeune fille. Serena. C'est elle qui t'a montré ce qui était beau.
Edward cligna des yeux et hocha la tête.
- Comment tu..
- C'est évident Fullmetal. Tu l'aimes, cette fille.
Edward rougit sans que la chaleur n'y soit pour rien et il balbutia :
- Non. Non, pas du tout ! Enfin… Ouais, je vais pas te mentir, je l'ai aimée. Je l'ai aimée vraiment… vraiment très fort. Mais on a été… Enfin, c'est du passé. Vraiment.
- Vraiment ? Tu es sûr de ça ? Demanda Scar d'un air vaguement perplexe, presque moqueur
- Je te ferai dire que je sais mieux que toi… Se défendit Edward
Scar eut un sourire, sembla réfléchir quelques secondes et demanda :
- Dis moi Fullmetal, connais tu les mythes d'Ishbal ?
- Euh…
- Laisse moi t'en raconter un… Il fut un temps sur cette Terre où les humains étaient jeunes, à peine encore différents des animaux, sous le regard bienveillant de Dieu. Il y avait, parmi eux, un homme et une femme que Dieu aimait. Il les avait modelés depuis la même Terre, la Terre Sacrée d'Ishbal. Cet homme et cette femme ne pouvaient s'éloigner l'un de l'autre, ils ne pouvaient rien faire sans en requérir à l'autre, ils ne pouvaient pas se mouvoir sans que l'autre ne bouge en retour. Leur amour était fort, si puissant que quand vint l'heure de leur mort, ils quittèrent ce monde ensemble. Dans son immense sagesse et pour honorer cet amour, Dieu prit la matrice de la femme et forma la Lune puis il prit la matrice de l'homme et en fit les étoiles. Il rendait hommage à cet amour en les unissant pour l'éternité dans le ciel et leurs lumières pouvait éclairer et rassurer pour toujours le coeur des humains. Dieu n'a pas jugé bon de les séparer, advienne que pourra…
- Advienne que pourra… Répéta Edward, qui sentait son coeur battre contre sa poitrine
- Sais-tu pourquoi je te raconte cette histoire ?
- Je…
- Parce que quand on t'observe bouger et parler dans cette pièce, il se passe quelque chose de similaire. Quand elle bouge, tu bouges avec elle. Quand elle parle, tu bois ses paroles. Son esprit habite le tien et jamais tu ne peux t'empêcher de la regarder. Quand on observe cette jeune fille, on constate quelque chose de similaire, à une exception notable. Si tu ne peux pas t'empêcher de la regarder, elle semble vouloir éviter autant que possible de te regarder, toi. On dirait qu'elle a peur de se brûler si elle le fait.
Scar eut un regard de compassion, presque de tendresse pour ce jeune homme, qui avait l'air si perdu avec ses grands yeux dorés. Scar posa une main rassurante, presque paternelle, sur l'épaule de son ancien ennemi.
- Excuse moi de te perturber avec mes impressions, Edward.
- Je l'ai aimée tellement fort que ça ne peut pas totalement partir. C'est juste ça. C'est terminé. C'était de ma faute. J'ai…
- Ça va aller, Ed.
Ce dernier hocha la tête et l'écouta lui faire ses salutations avant de le regarder partir, disparaitre dans l'horizon brûlant. Il resta un certain temps, à l'orée du désert, à penser à ce qu'il lui avait dit. Quand sa voix s'éleva derrière lui, il ne sursauta pas. Il l'avait respirée avant de l'entendre.
- Ça va Ed ? Demanda Serena
- Ouais. Ça va.
Les mots de Scar tournait comme sur un manège dans sa tête. Il osa tourner son regard vers Serena, qui, comme le moine ambassadeur l'avait si justement remarqué, détourna le sien. Elle marmonna :
- Me regarde pas comme ça
- Je te regarde comment ?
- Qu'est ce qu'il t'a dit ? Éluda Serena
Sans répondre, il continua à la regarder. Une série de scénario défilait dans sa tête. Il pensait à disparaitre dans le désert, repartir sur les routes dans une fuite en avant permanente. Il pensait à prendre le premier train pour Central, récupérer Winry et s'enterrer avec elle dans sa maison de Resembool et refuser d'en sortir pour toujours. Il pensait prendre Serena par la main et s'enfuir avec elle là où personne ne les retrouverait jamais pour vivre comme le couple du mythe. Puis il pensa à la prendre dans ses bras, là maintenant tout de suite. Retrouver un peu sa légèreté, le goût de ses lèvres et le regard plein d'espoir qu'elle tournait vers lui quand elle osait encore le regarder. Il pensa à la force et à l'intensité des sentiments qu'il avait eu pour elle, d'à quel point il l'avait aimée, adorée, désirée, comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Il avait découvert ce que c'était que l'amour avec elle, ça ne pouvait pas disparaitre complètement et ça ne pourrait jamais disparaitre. C'est ce qu'il avait dit à Scar, c'est ce qu'il se disait depuis des semaines. Voilà ce que Scar avait vu.
Vraiment ? Murmura une petite voix dans sa tête. Cette petite voix, qui avait les accents de la Vérité, venait du coffre de son esprit, celui qu'il avait bâtit pour enfermer les souvenirs de Serena afin de pouvoir continuer à survivre sans elle. Il détourna son regard pour le perdre dans l'horizon brûlant tandis que la petite voix ironisait à son oreille. C'est vraiment juste des souvenirs ? Des impressions ? Des gestes ? Regarde la vérité en face, Ed. Souviens toi, souviens toi de comment tu brûlais. Souviens de toi de cette brûlure qui courrait sous ta peau quand tu la touchais. Souviens toi de la texture de sa peau sous tes mains. Souviens toi de sa perfection. Regarde là, elle est juste là. Elle l'est toujours autant, toujours aussi parfaite. Tu te souviens d'à quel point son corps tenait parfaitement dans tes bras, comme si ils avaient été fait pour l'y accueillir. Souviens toi et tends le bras. Elle est juste là.
- Non. Je peux pas. Murmura Edward, sous le regard surpris de Serena
Il ne pouvait pas. Ça avait fait trop mal. Et il avait vécu, il s'était engagé et avait fait d'autres promesses. Alors bien sûr, Serena était toujours là, elle était toujours aussi parfaite. Mais elle ne pouvait plus l'être pour lui. C'était terminé. Et alors, la petite voix murmura d'un ton ironique, presque cruel : Alors prépare toi à la voir être parfaite pour un autre… A cette idée, un frisson d'horreur parcouru sa colonne vertébrale et une sorte de nausée lui monta à la gorge, l'étouffant de colère. Que quelqu'un d'autre puisse être avec elle ? Non. Ça, c'était hors de question. L'idée même lui semblait violente et c'est ça qui le fit presque craquer. Il suffisait de tendre le bras, de lui prendre la main, de l'attirer contre lui, encore une fois. Encore une fois, sentir la légèreté de son corps contre le sien et en reprendre possession. Il était question de ça, d'une possession, d'un besoin impérieux. Ça lui sembla profondément naturel et profondément nécessaire, comme une folie. Il tendit le bras et fit un pas vers elle. Et pile à ce moment là, alors qu'elle avait aussi le regard perdu dans l'horizon, elle bougea. Et la main d'Edward se referma sur du vide.
- Qu'est ce que vous faites en plein cagnard comme ça ! Vous savez ce que c'est qu'une insolation ? S'exclama la voix outrée de Malo
- On arrive. Ed ?
Serena fronça les sourcils devant l'expression d'Edward. Il avait l'air d'avoir vu un fantôme du genre particulièrement effrayant.
- Ça va, Ed ? S'inquiéta Serena
- Ouais. Ça va. Souffla l'alchimiste
- On dirait pas. T'as du prendre un coup de chaud.
- C'est ça. Un coup de chaud
- Allez, viens te mettre à l'ombre, reste pas là.
C'était exactement ça. Un coup de chaud. Un souvenir de la douce brûlure qu'il l'avait habité pendant des mois et qui lui remettait les nerfs à vif. Il fallait rentrer. Retrouver un peu de fraicheur. Voire un peu de tiédeur. C'était ça qui habitait sa vie à présent. La tiédeur, la tranquillité de sa vie avec Winry. C'était elle qui devait compter maintenant. Il ne fallait plus penser au reste. Peu importe ce que Scar avait vu, c'était terminé.
*o*
A leur retour à Central, les alchimistes reçurent des félicitations en demi teinte qui ne leur apportèrent aucune satisfaction. Ils se remirent au travail dans la douceur de la Maison des Alchimistes. Edward avait fini par recevoir l'ouvrage qu'il attendait avec impatience et se jeta dans son étude avec une énergie peu commune. Un matin qu'il débutait l'analyse d'un chapitre, il fut distrait par une certaine agitation dans la salle commune. Il se leva pour jeter un oeil. Quelques chercheurs étaient montés saluer avec enthousiasme un jeune homme qui lui était inconnu. Il était assez grand et très maigre, avec un large front et des cheveux qui tiraient sur le roux. ìl souriait à tout le monde et particulièrement à Mustang, qui était sorti de son bureau pour le saluer formellement. Edward ne capta qu'une partie de la conversation
- Toujours pas intéressé par une carrière dans la Capitale ?
- Le climat du Sud me convient.
La voix douce et posée, le regard intelligent, l'homme semblait vaguement gêné par toute l'attention qu'il recevait. Edward arrêta au vol une Sayuri qui passait devant lui et lui demanda qui diable pouvait être ce type. La japonaise ironisa :
- Bonjour Edward. Je vais bien, je te remercie.
- Salut Sayu, ravi de savoir que tu vas bien, moi ça va pas mal en dehors du fait que je me demande qui est ce type dans la salle commune… Répondit Edward avec tout autant d'ironie
Sayuri jeta un regard vers l'homme, fronça les sourcils et sembla hésiter à répondre. Puis elle lâcha :
- C'est un ancien camarade de notre promo. Un chercheur de South City spécialisé dans la sublimation. Il s'appelle Marcel Eiselstein.
- Eiselstein ? Répéta Edward en fronçant les sourcils.
L'image d'un vieil alchimiste aux cheveux blancs s'imposa à son souvenir. Wilhelm Eiselstein. De triste mémoire. Le vieux professeur avait été une sommité, un des dix grands alchimistes du continent, spécialiste de la catalyse et de la sublimation. Edward et Alphonse l'avaient rencontré une première fois lors de leur apprentissage, en compagnie de leur maitre. Puis ils l'avaient rencontré à nouveau lors de leur quête pour retrouver leurs corps. Le professeur cherchait la catalyse du philosophe, qui n'était qu'un autre nom pour la Pierre Philosophale. Cette quête, une vieille obsession familiale, l'avait mené à presque perdre sa fille Sélène au cours d'une expérience, qui avait donné naissance, par hybridation entre la jeune fille et la catalyse, à Armony. Le souvenir de la jeune fille pinça l'estomac d'Edward. Cette gamine était si déterminée à aider son père qu'elle avait été prête à tout. Ignorant ce qu'il se trouvait à l'intérieur d'elle, elle ne souhaitait rien d'autres que d'apprendre l'alchimie et Edward l'avait prise sous son aile pour la lui enseigner. Malheureusement, ils avaient été tous pris dans une succession de malheurs, d'ambitions et de malversations. La jeune fille avait finit par utiliser la catalyse qui dormait en elle, la tuant sur le coup avec son père et l'assistante maléfique de ce dernier. Cette expérience faisait partie de la longue liste des culpabilités qui pesaient encore sur l'âme du Fullmetal. Il n'avait pas pu sauver son apprentie.
Perdu dans ses souvenirs, il observa avec attention le garçon qui portait un nom si prestigieux. Était-il de la même famille que le vieux fou ? Ed était sûr que Wilhelm n'avait pas eu de fils. Alors qui était-il ? Edward soupira et s'avança vers ce fameux Marcel, toujours en discussion avec Mustang, qui entreprit de faire les présentations.
- Ah ! J'imagine que vous connaissez Edward Elric ?
- De réputation. Uniquement. Répondit Marcel en tournant son regard vers lui.
Si Edward avait de quoi être curieux, l'expression qu'adopta Marcel quand il le vit ne fit que le troubler davantage. Il le regardait comme si il venait de proférer une insulte particulièrement vulgaire et qu'il lui en voulait particulièrement.
- Enchanté ! Se contenta de dire Edward en lui tendant la main
Marcel sembla hésiter, comme si il avait peur de s'empoisonner en le touchant. Puis il lui serra la main avec l'intention manifeste de la lui broyer. Seulement, au vu de sa maigreur, il ne tira qu'un vague froncement de sourcil à Edward, qui se posait de plus en plus de question.
- Vous êtes de la famille de Wilhelm ?
- C'était mon oncle. Se contenta de dire Marcel
Voilà peut être pourquoi il le regardait si mal. Peut être tenait-il Edward en partie responsable de ce qui était arrivé à sa famille, et particulièrement à sa cousine. Visiblement, la simple présence d'Edward sous ses yeux semblait représenter pour lui une source infinie d'agacement.
- Est ce que je peux vous demander pour…
- Désolé. Mais je suis attendu. Interrompit Marcel en lui lâchant la main.
Avec un drôle de sourire, le chercheur fit un petit hochement de tête et le contourna pour se diriger vers… le bureau de Serena. Cette dernière, adossée au chambranle de la porte, observait la scène. Marcel lui fit un grand sourire, auquel elle répondit avec douceur.
- Salut Réna.
- Merci d'être venu si vite. Fallait pas te presser autant, je pouvais attendre.
- Tu sais bien que c'est un plaisir.
Avec courtoisie, il la laissa pénétrer en premier dans le bureau et s'y dirigea à son tour. En fermant la porte derrière lui, il croisa à nouveau le regard d'Edward et lui fit soudain un large sourire mauvais, qui mit le feu aux entrailles du Fullmetal.
*o*
Un dragon. Une salamandre. Un phoenix. En bref, une créature chaude et immortelle avait remplacé les entrailles d'Edward et déversait un feu dévorant à l'intérieur de son corps. Tout lui était insupportable. Le fait que ce type soit si dérangé par son existence. Qu'il puisse s'adresser à Serena en l'appelant par son surnom. Le sourire qu'elle lui avait adressé. Le ton mielleux de sa voix quand il s'adressait à elle. Le sourire de victoire qu'il lui avait adressé. Le fait que cette porte soit fermée. Bordel, il détestait que cette porte soit fermée. Que ce type puisse être seul dans une pièce fermée avec elle lui était d'une violence sans nom. Il entendit vaguement Mustang lui demander si tout allait bien. Il marmonna une réponse indistincte et alla s'enfermer dans son propre bureau. Ses mains tremblaient, de colère. De jalousie. C'était ça. Une jalousie dévorante, brûlante, insupportable occupait son corps, son esprit voire son âme. Il savait qu'il ne devait pas être jaloux. Qu'il n'en avait pas le droit. Après tout, si Serena voulait s'envoyer en l'air avec ce type, elle faisait bien ce qu'elle voulait. Mais le simple fait d'exprimer cette pensée le plongea dans une rage plus sombre encore. Il se sentait bouillir, littéralement. Des images s'imposaient dans sa tête. Celles de ce Marcel qui fourrait sa langue dans la gorge de Serena. Celles de ses bras informes et mous qui emprisonnaient la perfection du corps de Serena contre le sien. La légèreté, la volupté, la beauté de Serena offertes à ce type, comme du caviar servi aux cochons. C'était insupportable. Cet espèce de connard n'avait pas le droit. Pas le droit de la regarder comme si elle était la huitième merveille du monde. Pas le droit de prononcer son prénom avec douceur. Pas le droit, pas le droit, pas le droit. Personne n'avait le droit. Personne à part lui. Je t'avais dit, Ed… Susurra la petite voix dans le coffre de son esprit. Il mit sa tête dans ses mains tremblantes et ferma les yeux. Essaya de respirer lentement. De ne plus penser aux images qui continuaient de l'assaillir. Il ne sut pas trop combien de temps dura cet enfer interne mais ce fut l'intervention de son petit frère qui l'en sortit.
- Ed ? Ça va ?
Alphonse vacilla quand il croisa le regard à moitié fou de son grand frère. Il avait suivi de loin ce qu'il s'était passé et avait fini par s'inquiéter de la disparition de son frère. Il faisait bien. Edward lui demanda, d'une voix cassée :
- Dis moi Al… Tu as déjà entendu des rumeurs à propos de Serena et d'un autre mec ?
Alphonse fronça les sourcils. Il avait eu raison de s'inquiéter. Il vint s'assoir à côté de son frère et observa ses mains tremblantes. D'une voix prudente, il révéla :
- D'après ce que j'ai entendu, il y a un type qui était connu pour être amoureux d'elle. Mais personne n'a jamais vraiment su si il s'était passé quoi que ce soit. Je ne sais pas si c'est le type qui est venu aujourd'hui ou si c'est un autre gars. Et je sais aussi qu'il y a bien eu une espèce de pari pendant son apprentissage pour être le premier à réussir à coucher avec elle mais là encore, personne ne semble y être parvenu.
- OK… Souffla Edward, qui ne parvenait pas à se sentir soulagé
Il avait la terrible intuition que ce Marcel, vu ses regards et son sourire, avait prévu de faire bien plus que de travailler avec l'Alchimiste de Lumière. Et qu'il ne s'agissait sans doute pas de la première fois.
- C'est des rumeurs, je ne sais pas ce que ça vaut. Mais si on doit être un peu terre à terre, tu as bien vu comment elle a réagit quand ce Damian l'a abordée la dernière fois.
Alphonse sentait bien que des paroles de bon sens n'aiderait pas son grand frère et il soupira.
- Écoute, Ed… J'ai pu parler de ça avec elle, rapidement, un jour. Tu veux savoir ce qu'elle m'a dit ?
- Je t'écoute… Murmura Edward, le regard fixé sur ses mains toujours tremblantes
- Je lui ai demandé si elle avait pu tourner la page. Elle m'a répondue qu'elle en était toujours au même point.
Alphonse s'abstint de révéler que Serena était toujours amoureuse de lui et qu'elle avait renoncé à aimer après lui. Il se contenta de cette révélation parcellaire, jugeant que le reste de cette conversation n'était pas à l'ordre du jour. En attendant, les mains d'Edward cessèrent un peu de trembler, il respira profondément à de multiples reprises et finit par demander à son frère :
- Ça te dit pas qu'on aille se battre un peu ?
Il devait lutter contre la tentation de pénétrer par effraction dans le bureau de Serena. Ce désir était contrebalancé par la crainte intense de ce qu'il risquait de voir si il le faisait. En réalité, il ne serait tombé que sur deux alchimistes au travail. Du moins, sur l'essentiel de la journée.
