Fin de l'entraînement de basket.
Je suis présentement dans les vestiaires en train de me changer, crevé. J'ai des crampes à des endroits où je n'imaginais pas en avoir un jour dans ma vie.
Malheureusement, j'ai dû me donner un peu plus que d'habitude. On a une compétition le mois prochain et comme toujours notre jeu d'équipe tourne autour de moi et de mon aptitude à marquer plusieurs paniers à la suite.
Ça me gonfle tout ça.
À la base, si ce n'était pas pour ma famille, je ne me serai jamais inscrit dans ce club à la con. Mais, bon scénariste ce n'est pas « un choix de carrière approprié pour toi », avait dit ma chère mère. Elle me gonfle elle aussi, plus que tout le reste.
Bref, je retire mon maillot et mon short pour les troquer contre mon pull et mon jean, noirs évidemment. Je mets toujours une chemise blanche en dessous du pull et des baskets blanches elles aussi, pour éviter de faire trop gothique.
Je fonce ensuite vers la salle du club d'audiovisuel. On a pas grand chose à faire aujourd'hui. À part les annonces quotidiennes que l'on doit rédiger et enregistrer avant de les diffuser chaque matin via les hauts parleurs du lycée, on s'ennuie un peu en ce moment.
J'arrive enfin devant la porte de mon club et l'ouvre avec impatience. Une plénitude sans nom m'envahit dès que mon pied foule le sol de la salle.
Quand on franchit la porte, on tombe sur une pièce assez banale aux murs noirs drapés de rideaux sombres. Une table en bois rectangulaire occupe le centre de la scène. De part et d'autre de la table, cinq chaises de bureau sont placées, prêtes à accueillir leurs occupants. Derrière la table se trouve un écran plat éteint et de chaque côté de l'écran, des étagères illuminées exhibent divers objets et trophées, reflétant l'éclat des spots lumineux fixés au plafond. La pièce est méticuleusement organisée, merci Ponzu, avec des caméras posées un peu partout pour filmer les différents événements organisés par le lycée.
Mais une fois que l'on lève l'un de ces fameux rideaux noirs, on tombe sur un univers bien différent. Cette fois assemblé selon ma vision uniquement. Une trace de mon passage dans ce lycée, on va dire.
C'est une mini salle de cinéma privée plongée dans une demi-obscurité, éclairée uniquement par l'écran géant où le logo de l'école brille dans un cadre monochrome. De confortables canapés gris foncé, garnis de coussins moelleux et de couvertures douillettes, forment un espace confortable. Au centre, une table basse noire avec des tas de sucreries. Les murs noirs et l'éclairage tamisé créent une atmosphère immersive, parfaite pour une expérience cinématographique intime et captivante comme je les aime. Chaque détail est pensé pour le confort et le plaisir des membres de mon club, mais avant tout le mien.
Je vois qu'ils sont déjà tous là.
Pokkuru notre cameraman est installé dans l'un des canapés, en train de taper le contenu de l'annonce de demain sur son ordinateur. Ses cheveux châtains mi-longs lui tombent parfois dans les yeux alors il les attache en chignon. Il est en seconde B, si je me souviens bien.
Pas loin de lui, en train de se goinfrer de Doritos, se trouve Miruki, mon grand frère et accessoirement notre monteur vidéo. On s'entend plutôt bien même si on se prend la tête de temps en temps à cause de son tempérament de merde.
Il a décidé de nous rejoindre parce qu'étant en situation d'obésité probablement morbide et de surcroît un gros branleur, il ne peut et ne veut participer à aucune activité sportive. Cependant, les activités de club étant obligatoires, c'est naturellement qu'il nous a rejoint. Il est en terminale, tout comme l'aîné de notre famille.
Il est assez intelligent pour se permettre de sauter quelques classes.
Ensuite, il y a Tompa en train de garnir la table de plus de sucreries. Il est en première et aurait essuyé plusieurs redoublements. Je ne n'interagis pas spécialement avec lui. Il aide surtout à l'entretien de la salle et du matériel et au transport de certains documents nécessaires à la vie du club. Encore un qui s'est planqué ici pour éviter les clubs sportifs.
Enfin, je vois Ponzu dans un coin de la pièce qui discute avec quelqu'un.
Mon cœur rate quelques battements quand je réalise qui.
« -Oh et tiens le voilà. Kirua, on a un nouveau membre ! » S'exclame-t-elle en remarquant ma présence.
J'ai envie de me barrer loin d'ici, là tout de suite. J'ai le cœur qui s'emballe et la gorge sèche. Je m'approche tout de même d'eux et suis malgré moi obligé de dire quelque chose.
« -Ah oui ? Tu es donc intéressé par le domaine de l'audiovisuel ? »J'essaie de paraître nonchalant.
« -J'essaie de découvrir de nouvelles choses. Je suis inscrit au club de football américain mais on m'a rapporté qu'un bel âtre aux cheveux blancs du club de basket volaient nos supporters. Ça me laisse pas mal de temps libre. » Me répond Gon avec son grand sourire habituel.
Il vient de parler de moi, n'est ce pas ?
Je dois me mordre la joue pour ne pas rougir. Pourtant, ça n'avait rien d'un compliment c'était plutôt une forme de moquerie ou un reproche déguisé, va savoir. Mais c'est comme si tout ces maudits insectes qui grouillaient dans mes entrailles s'étaient multipliés par mille depuis que j'ai pleinement réaliser mes sentiments quelques heures plus tôt.
« -Ça me dit vaguement quelque chose... » Je feins l'ignorance ce qui fait rigoler Ponzu dont j'avais un peu oublié la présence.
« -Tu es libre de nous rejoindre Gon. Et j'en profite aussi pour te remercier, tu sais pour l'autre fois. Je suis vraiment désolée pour ce qui s'est passé et pour les heures de colle dont vous avez écopé à cause de moi... » Dit-elle en jouant avec les manches de son sweet rose, un vieux tic qu'elle a quand elle est nerveuse.
« - C'est rien, oublie ça. » Rétorque Gon.
« -Ouais c'est rien du tout. Et elle a raison, on est pas exigeants ici. Tu peux faire partie des nôtres mais à une seule condition. Tu dois répondre à deux questions. » Je déclare en le pointant du doigt par la suite, comme dans un manga.
Pokkuru et Miruki en entendant ça depuis les canapés de la pièce se tournent vers nous, soudainement intéressés par ce qui va suivre. Gon, lui, semble curieux, il refait sa tête de chiot perdu.
Adorable...
« -Alors, c'est quoi ton genre de films ? Et quel est ton film favori ?»
Il réfléchit quelques secondes puis croise les bras avant de me répondre avec fierté:
« -J'aime un peu de tout mais on va dire que j'ai un faible pour les romances. En ce moment mon film préféré c'est "Le talentueux Mr Ripley" d'Anthony Minghella. »
Cette fois, je ne peux empêcher le rouge de me monter aux joues en réalisant que le film qu'il vient de mentionner fait état d'une romance entre deux gars. Heureusement, il fait assez sombre pour que personne ne remarque rien.
C'est Miruki qui s'exprime le premier en ronchonnant depuis le canapé que, je cite : « Tu vas bien t'entendre avec Kirua, il nous les brises avec ses films à l'eau de rose ».
Pour toute réponse, le sourire de Gon s'accentue. Sentir son regard sur moi à l'instant excitent beaucoup les insectes qui se multiplient décidément de plus en plus vite dans mon ventre.
Bref, je lui présente les membres du club et lui explique leurs différents rôles ainsi que les missions que l'on doit accomplir. Il nous aide à rédiger et enregistrer les annonces du matin mais ni lui ni moi n'avons pu assister à la projection du jour à cause de nos heures de colle.
Nous sommes d'ailleurs en train de nous y rendre. La bibliothèque se trouve dans le même couloir que la salle du club.
Avant qu'on entre dans celle-ci, le grand brun qui jusque là marchait à mes côtés m'attrape soudainement par le bras. Ce simple contact suffit à envoyer une décharge électrique dans tout mon corps.
« -J'ai passé un super moment tout à l'heure, merci. » Me dit-il, en ne lâchant pas mon bras.
« -Tu devrais surtout remercier les autres, ils ont le don de mettre les gens à l'aise. »
« -Peut-être mais celui avec qui je me sens le plus à l'aise, c'est toi. Je veux sincèrement que l'on devienne amis. »
« -On l'est déjà. Enfin, je crois. » J'hésite.
J'ai pas fait d'efforts pour lui montrer que je tenais à lui plus que ça. Je ne sais pas comment on fait, en réalité.
J'ai toujours connu Amane et Kanaria, à tel point que notre lien me semble avoir toujours existé sans quelconques actes spécifiques de ma part. Je ne sais pas comment aller vers les autres. Je vois toujours cet espèce de voile qui me garde à distance du monde autour de moi.
« -J'aimerais apprendre à mieux te connaître, passer plus de temps avec toi. Je me suis fait des potes depuis que j'ai emménagé ici, c'est vrai. Mais c'est toi qui retiens le plus mon attention. On se ressemble beaucoup je trouve... » Il déclare toujours paré de son grand sourire, son regard ambré brillant de détermination.
Je souffle pour essayer de calmer les palpitations de mon pauvre cœur et je lui souris moi aussi avant de lui dire :
« -File moi ton téléphone. »
Il s'exécute, j'y entre mon numéro et il l'enregistre.
On finit par entrer dans la bibliothèque. On est évidemment accueillit par madame Krueger dont le visage enfantin se plie de dégoût quand son regard croise le mien.
Elle est toujours aussi petite. Ses cheveux blonds sont attachés en une longue queue de cheval qui lui tombent dans le dos. Ses grands yeux roses, sûrement des lentilles, me toisent avec mépris. Elle ressemble à une gamine de treize ans mais elle est en réalité dans la cinquantaine bien entamée.
Elle n'adresse la parole qu'à Gon en lui indiquant où déposer nos affaires et combien de temps durerait notre détention ainsi que les tâches qu'on avait à accomplir pendant celle-ci. Notamment nos devoirs et un classement par ordre alphabétique des bouquins que l'école venait de recevoir.
Elle retourne ensuite à son bureau et nous passons les prochaines heures à ranger ses livres et à bosser nos devoirs de maths.
D'ailleurs Gon a beaucoup de difficulté dans cette matière, il manque de s'évanouir à la moindre équation compliquée alors j'ai pratiquement tout fait à sa place.
Notre premier jour de retenu prend ainsi fin et on est enfin libre de rentrer chez nous.
Avant de quitter la bibliothèque, je demande à Gon de m'attendre devant la porte et me dirige vers le bureau de madame Krueger.
Je la trouve en train de travailler. Je tapote de l'index la table devant elle pour attirer son attention.
« -Tu veux quoi morveux ? » Son ton sec et elle ne prend même pas le temps de lever les yeux de son ordinateur pour me regarder.
« -Vous cherchez encore des volontaires pour vous aider ? »
« -C'est probable. »
« -Je voudrais bah... »
« -Hors de question. Je prendrais n'importe qui sauf toi. Je te déteste. » Au moins elle l'a dit.
Je soupire d'agacement. Cette vieille peau ne me laisse pas le choix.
« -Écoute mamie, honnêtement moi non plus je peux pas te blairer mais j'ai vraiment besoin que tu me rendes ce service, c'est assez important pour moi. » Je prends mon ton le plus sombre même si je sais que ça n'aurait aucun effet sur elle. Elle est loin d'être intimidable.
Elle daigne cette fois me regarder dans les yeux puis ricane en se tenant le menton.
« -Vu que t'insiste j'accepte mais en retour tu vas devoir me rendre un service également, sale gosse. »
« -Ce que tu veux vieille sorcière. »
« -Je te le dirai au moment venu. Pour l'instant, hors de ma vue. »
Au moins ça, c'est fait.
