Bonjour! Je suis toujours là!
J'avance lentement, mais je ne m'arrête pas!
Sur un autre sujet, j'ai dû relire des sections de mes chapitres précédents pour vérifier quelques petits détails et j'ai pris conscience qu'il restait des tonnes de fautes que je n'avais jamais vues. J'ai été choquée, surtout par les trucs magistraux de mon auto-correcteur en délire dont je ne peux pas croire que je n'ai pas remarqué avant!
D'un autre côté, il est difficile de voir les fautes dans un texte qu'on a écrit (et réécrit lol) soi-même... Et puisque je manque de temps pour corriger les chapitres passés (et je n'en ai pas l'énergie, très franchement), je vais les assumer et regarder vers l'avant. De la même veine, je m'excuse pour celles qui vont apparaître dans l'avenir (car il y en aura) lol
Bonne lecture!
Charlie :)
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CHAPITRE 12 - FIGHT-OR-FLIGHT (RÉPONSE COMBAT-FUITE)
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L'air avait été complètement retiré de la pièce. Ses poumons protestaient, tentaient d'absorber de l'oxygène qui n'existait plus, et Prompto fut convaincu qu'il allait se noyer debout. À ses côtés, Ryan tentait d'attirer son attention en poussant sa tête contre sa cuisse, mais il ne la remarquait pas, le regard rivé sur son téléphone et sur l'horrible vérité de ce qu'il était.
Un Niflhe.
Un immigrant illégal.
Un ennemi de la nation… Et un ennemi du prince.
Le message était court, mais clair. Son père avait l'intention de le dénoncer. Il n'avait même pas besoin de détailler ses menaces, car Prompto les connaissait déjà. Il les avait entendues toute sa vie.
Il déglutit difficilement, tremblant sous la peur qui creusait à coups de griffes un chemin sinueux dans son torse.
Il avait toujours craint que la vérité allait le rattraper un jour; le scénario avait joué si souvent durant ses cauchemars qu'il avait l'impression de l'avoir déjà vécu au moins un million de fois. Il se voyait être arrêté, jugé, puis emprisonné dans une cellule. Expulsé du pays, envoyé au Niflheim où il ne connaissait rien ni personne.
Mais pour la première fois, le risque était réel.
Plus que réel, prit-il conscience. Jusque-là, il n'avait été qu'un simple immigrant illégal, mais maintenant, il était devenu un Niflhe qui s'était infiltré dans l'entourage du prince. Un crime bien plus grave.
Et Noctis avait mentionné qu'il ne fallait que d'un espion niflhe pour s'en prendre à lui.
Putain.
Quel serait son sort?
La nausée contracta violemment son estomac et il eut l'impression qu'il allait vomir.
– Je n'ai pas trouvé la serpillère, mais j'ai un linge.
Prompto sursauta en entendant le prince derrière lui et il plaqua précipitamment le téléphone contre son ventre pour en cacher l'écran. Son camarade souleva un sourcil.
– Ça va?
– Oui, je, heu, bégaya Prompto. Je dois… Heu, je peux emprunter ta douche? Le lait…
Il fit un signe vague en direction de ses pieds. Il avait l'impression que la température avait grimpé de cent degrés et il suait de la nuque.
– Ah. Heu, oui, bien sûr…, répondit le prince. As-tu besoin de vêtements?
Prompto s'était déjà précipité vers la salle de bain avant même que Noctis ne termine sa phrase, refermant la porte d'un coup sec.
Puis, il s'accroupit sur la céramique froide, ses jambes incapables de le soutenir plus longtemps, et il enfonça son visage dans ses deux mains.
Une partie de lui voulait pleurer, une autre avait envie de crier.
Une troisième voulait mourir parce qu'il n'arrivait plus à supporter ces contrastes d'émotions trop brutales.
Pourquoi, bordel, la vie était aussi cruelle avec lui? Pourquoi s'acharnait-elle obsessivement à le détruire, à rendre son existence insoutenable, à lui lancer toutes ces briques qu'il n'arrivait jamais à éviter?
Il était un Niflhe, putain. À quoi avait-il pensé?!
Le plus douloureux était d'avoir envisagé un avenir différent. D'avoir cru, pendant quelques minutes, qu'il pourrait s'en sortir. Qu'il pouvait vivre sans les coups, sans la peur. D'avoir réellement pensé, naïvement, qu'il pourrait séjourner chez Noctis, où il serait protégé de tout.
Qu'il aurait eu droit de vivre un amour réel, avec le mec dont il était tombé amoureux et qui l'aimait en retour.
Il avait été con. Tellement, tellement con.
Et puis, au-delà de son sang d'étranger, Noctis ne pouvait, de toute façon, pas l'aimer. Ignis l'avait bien averti que le prince était destiné à une future reine, à une femme qui porterait son héritier, le porteur de la lignée des Caelum et de la magie du Lucii.
Et Prompto n'était rien. Pire que rien, il était nif.
Il se leva de jambes tremblantes et regarda son reflet dans le miroir. Il était laid. Son œil droit était boursouflé, teinté d'un violet criard qui était horriblement foncé, et le bandage au-dessus de celui-ci cachait à peine la peau bleuie de son front.
Il échappa un souffle tremblant.
Il avait été si stupide. Le bonheur n'existait pas pour des gens comme lui. Il le savait depuis longtemps et avait été con d'oublier, comme il avait oublié l'épée de Damoclès sous laquelle il avait pourtant toujours vécu, prête à lui trancher la tête.
Des larmes commencèrent à tracer ses joues, roulant sur la peau bleue jusqu'à son menton. Il les laissa couler, incapable de les empêcher de faire leur chemin sur son visage tuméfié.
Il avait été con.
Le bonheur n'existait pas pour les Niflhes.
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Il passa trop de temps caché dans la salle de bain. Au bout d'un moment, Noctis vint frapper à la porte pour lui demander à travers celle-ci s'il allait bien, et Prompto avait eu envie d'exploser en sanglots à nouveau, à la simple idée que le prince s'inquiétait pour lui.
Il s'était lavé longtemps, le jet de la douche brûlant sur sa peau, comme s'il pouvait retirer, en se savonnant assez fort, tout ce qui était niflhe en lui.
Puis, il s'était séché avec l'une des serviettes douillettes juchées sur une série de tablettes élégantes, qui lui donnaient envie de pleurer à nouveau parce qu'elles étaient trop parfaites pour son existence pourrie.
Puis, il s'était glissé dans les vêtements qu'il avait portés à son arrivée à l'hôpital, ceux qu'il avait abandonnés dans la salle de bain la veille en se préparant pour aller au lit, ignorant la tache de sang séché qui ornait le collet.
Puis, il avait retiré son pansement parce qu'il l'avait trempé par accident sous la douche, exposant les points de suture dans le miroir embrumé.
Puis, il n'avait rien trouvé de plus à faire et il était resté immobile au centre de la pièce pour entendre Noctis ramasser le bol cassé et déplacer les chaises afin de nettoyer le lait. Il avait écouté sa voix douce réconforter Ryan, lui demander gentiment de s'éloigner du dégât.
Puis, il avait pleuré à nouveau.
Il voulait tellement cette vie. Celle où il vivait sous le même toit que Noctis, celle où il avait le droit d'exister sans compter les jours qui le séparaient de coups de poings éventuels, celle où il pouvait observer son amoureux s'occuper tendrement de ses chiens.
Mais il ne pouvait pas rester.
Son père pouvait le dénoncer à tout moment et il était dangereux d'être dans l'appartement du prince lorsque les autorités seraient averties de son illégalité.
Il imaginait déjà les Glaives défoncer la porte, le plaquer au sol, le menotter puis le traîner hors de l'appartement, sous les yeux de Noctis.
Putain.
La panique amplifia soudainement. Il avait déjà perdu trop de temps.
Alors, il prit une grande inspiration, puis tourna lentement la poignée de la porte. Dès qu'il l'entrouvrit, Noctis tourna précipitamment la tête vers lui.
Ses yeux étaient inquiets, mais brillants d'espoir, et Prompto détourna le regard.
– Est-ce que ça va?, demanda Noctis.
– Je dois y aller, déclara le blond sans répondre à sa question.
– Quoi?
Il se précipita vers la porte de l'entrée sans attendre, effrayé que la moindre hésitation le fasse reculer.
– Mais qu'est-ce que tu fous?!, s'exclama Noctis.
Prompto ne le regarda pas. Il se pencha pour attraper ses chaussures, ignorant la douleur dans ses côtes qui s'activa aussitôt, et se chaussa avec difficulté. Son empressement le rendit maladroit et il manqua de tomber.
Noctis le rattrapa par l'épaule.
– Prom! Putain, attends!
– Je suis désolé, je… je dois partir.
– S'il te plaît. Regarde-moi.
Le ton était suppliant et Prompto s'arrêta, le regard rivé sur le tapis. Un silence se posa entre eux.
– Prom…
Il soupira et leva les yeux vers le prince. Son expression était dévastée et la gorge de Prompto se serra étroitement.
– S'il te plaît, ne pars pas, murmura Noctis. Ce que je t'ai dit… Je le pensais réellement, mais… mais je ne demande pas que mes sentiments soient réciproques. Pour moi, ça ne change rien. Je veux t'aider, peu importe.
– Je… Ce… Ce n'est pas…
Prompto voulait lui dire qu'il l'aimait aussi, même qu'il en était éperdument amoureux, que, malgré tous ses efforts pour empêcher ses sentiments de se développer, il n'avait pas pu les retenir, parce que Noctis était tout simplement parfait, extraordinaire, magnifique. Il voulait dire tant de choses mais il ne pouvait pas, et puis il n'arrivait plus à parler de toute façon, sa poitrine si compressée qu'elle était douloureuse, et putain, il devait partir, c'était trop dur.
– Je suis désolé, répéta-t-il d'une faible voix. C'est… compliqué.
– Mais pourquoi?
– Parce que...
Il vit un geste vague qui ne voulait rien dire, parce qu'il ne pouvait l'expliquer de toute manière. Puis, alors qu'il s'apprêtait à tourner la poignée, il prit conscience qu'il avait laissé son téléphone à la salle de bain; il fit demi-tour pour aller le chercher et le prince le suivit sur les talons.
– Explique-moi, alors!, supplia ce dernier.
– Je ne peux pas!
Il entra dans la pièce et attrapa son téléphone laissé sur le comptoir. Lorsqu'il voulut sortir, Noctis lui bloqua le chemin en appuyant sa main contre le cadre de la porte. Son regard était perçant.
– Promets-moi, au moins, que tu ne retournes pas chez ton père, dit-il d'un ton grave.
Prompto ne répondit pas et le visage du prince tomba.
– Putain! Tu déconnes, j'espère?!
– Laisse-moi passer, Noct…
– Non! Bordel, je n'y crois pas! Tu vas retourner chez le mec qui t'a littéralement fendu le crâne avec une bouteille?!
– Je n'y retournerai pas pendant qu'il y est!, argumenta Prompto. Tu sais qu'il travaille à l'étranger!
Il tenta de retirer le bras qui bloquait le passage, mais Noctis le replaça aussitôt.
– Ouais, de la même façon qu'il était supposément à l'étranger samedi?!
– C'était… Ce n'était pas… Putain, laisse-moi passer!
Il poussa sur le torse de Noctis plus fortement et celui-ci se déplaça enfin, lui permettant de sortir de la pièce. Il marcha droit vers la porte de l'appartement et le prince le suivit aussitôt
– T'es un imbécile d'y retourner!, lâcha celui-ci. Tu vas te faire tabasser à nouveau!
Prompto l'ignora. Il ne pensait qu'à fuir au plus vite, sa volonté plus fragile que jamais, mais sa peur plus forte que tout le reste. Il tourna la poignée et ouvrit la porte précipitamment.
– T'es vraiment un con!, hurla Noctis derrière lui. À ce point, tu mérites de te faire taper sur la gueule!
Prompto figea. Pendant quelques secondes, il resta immobile dans l'encadrement de la porte, la main toujours sur la poignée. La peur, la tristesse, la panique, tout disparut instantanément pour ne laisser qu'une fureur glacée qui se figeait déjà dans ses veines.
Il se retourna lentement vers Noctis.
– Répète ça, dit-il d'une voix froide.
Le prince ne répondit pas immédiatement, les lèvres pincées et les narines dilatées. Puis :
– J'ai dit ce que j'ai dit. Tu fais exprès pour te foutre dans la merde. Ce qui t'arrive, tu le mérites.
Le sang de Prompto bouilli instantanément de colère et il vit noir.
– VA CHIER PUTAIN!, s'écria-t-il en se précipitant sur Noctis.
Il le poussa de toutes ses forces de ses deux mains contre sa poitrine et celui-ci recula brusquement, manquant de tomber au sol.
– C'EST QUOI TON PUTAIN DE PROBLÈME?!, hurla Prompto.
– MON PROBLÈME?!, répondit le prince sur le même ton. Je te donne la chance d'une vie sur un foutu plateau d'argent et tu préfères les coups!
– Et tu crois que tu as le droit de contrôler ma vie parce que tu m'as fait une déclaration d'amour?! Que tu peux m'obtenir, comme un prince qui a tout ce qu'il veut?! Tu te prends pour qui, putain?!
– Si tu étais le moindrement intelligent, tu ne retournerais pas chez ton père!
– Je t'ai dit que c'était compliqué, est-ce que tu écoutes, merde?! Tu ne peux pas comprendre!
– Ce que je comprends, c'est que les gens comme toi, ils aiment la misère, voilà tout!
Une seconde de silence s'écrasa entre eux, tranchée uniquement par leurs respirations bruyantes de rage. Prompto serrait tant les poings qu'il sentait ses ongles s'enfoncer dans ses paumes.
– Les gens comme moi, répéta-t-il d'une voix qui tremblait de colère.
– Les gens du quartier Nord, spécifia Noctis d'une voix grave. Ils ne foutent rien pour se sortir de leur vie pourrie. Et toi non plus.
Prompto bouillait. Il avait envie de le frapper, de lui faire ravaler ses paroles.
– QU'EST-CE QUE T'EN SAIS BORDEL?!, hurla-t-il. Tu ne connais rien à la vie du quartier Nord! Ni même à la vie tout court, putain! T'es tellement habitué d'avoir tout ce que tu veux que tu croyais que j'allais me plier à tes quatre volontés, comme tout ton putain de personnel à la con! VA TE FAIRE FOUTRE!
Il se retourna, et fonça vers la porte laissée ouverte, incapable de respirer le même air que le prince une seconde de plus. En sortant, il croisa Ignis dans le couloir, dont le visage trahissait qu'il avait tout entendu, mais il passa à côté de lui sans lui lancer le moindre regard. Il mitrailla le bouton pour appeler l'ascenseur dont la porte s'ouvrit aussitôt et il s'y précipita sans attendre.
Et lorsque les portes se refermèrent, enfin seul dans la pièce cubique, il éclata en sanglots.
À nouveau.
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L'avantage d'avoir la gueule complètement explosée et les yeux bouffis par les larmes, c'était que Prompto put attirer la sympathie d'un chauffeur d'autobus du quartier Centre qui lui permit de prendre place dans son véhicule sans payer le passage et qui lui céda même un billet de correspondance en prévision du second bus qu'il allait devoir emprunter en direction du Nord.
Ce fut le seul point positif.
Car le regard des autres passagers, qui le dévisageaient d'yeux exorbités, lui donnait envie de disparaître sous la banquette.
Il aurait tout donné pour être seul; pour pouvoir se rouler en boule et pleurer toute son âme, sans que personne puisse le juger.
Son corps en entier était douloureux. Son visage, entre ses muscles crispés par son envie de chialer et les ecchymoses qui ornaient sa peau, était pénible à supporter, et son estomac vide ne tolérait pas les accélérations de l'autobus qui lui donnaient la nausée.
Mais la douleur dans son torse était la pire de toutes. Et ce n'étaient pas ses côtes couvertes d'hématomes qui le faisaient souffrir – même si elles ne se faisaient pas oublier – mais son cœur au centre d'entre elles, qui était si serré que Prompto se demandait comment pouvait-il continuer à battre.
Il était complètement démoli.
Il avait l'impression horrible d'avoir été trahi. Que les beaux mots de Noctis, que Prompto avait stupidement bus comme de l'eau,
Tu étais aussi extraordinaire que ce que j'avais imaginé.
Je veux être là pour toi.
Je t'aime Prom.
n'avaient été qu'une mise en scène, et que la vérité avait été brutalement exposée sous la colère, à peine quelques minutes plus tard.
Et peut-être bien, en étirant la théorie de façon tordue, qu'il méritait de se faire casser la gueule. Il était Niflhe, après tout. Il n'avait pas demandé que ce soit ainsi, mais il s'agissait de la cruelle vérité avec laquelle il n'avait pas eu le choix de composer toute sa vie.
Sauf que Noctis l'ignorait. Ses accusations ne concernaient pas son sang étranger. Juste Prompto.
Ce qui t'arrive, tu le mérites.
Et c'était ce qui était le plus douloureux. Aucun des coups qu'il avait reçus dans sa vie, les poings, les bottes – même la bouteille – ne lui avait fait aussi mal que ces mots horribles, qui lui avaient poignardé la poitrine plus violemment que tout ce qu'il n'avait jamais subi.
Comment Noctis avait-il osé dire ces horreurs ? Prompto se battait tellement, putain, pour tenter de survivre à sa situation de merde. Tous les jours était une saloperie de combat. Il n'avait jamais de temps mort, jamais de pause entre les rounds, toujours en train de se faire pousser à nouveau au centre du ring sans qu'il puisse reprendre son souffle, avec des jambes tremblantes et un visage tuméfié.
Et pourtant, sa vie ne s'améliorait jamais.
Il avait envie de lancer la serviette. D'abandonner. De remplir sa baignoire et d'y plonger la tête jusqu'à ce que son existence disparaisse, jusqu'à ce que la douleur et lui-même ne soient plus rien.
Il était au bout du rouleau.
Il renifla bruyamment pour la millième fois, son nez gorgé de larmes qui ne voulaient pas le laisser respirer en paix, et un mec assis devant lui se retourna pour le dévisager comme s'il venait de le déranger. Par réflexe, Prompto détourna le regard, observant les habitations luxueuses qui s'alignaient le long de la route, mais lorsqu'il renifla à nouveau que le type se retourna une deuxième fois, Prompto en fut irrité.
– Qu'est-ce que tu veux, putain?!
L'homme, certainement un citadin du quartier Centre à en voir son manteau de designer, souleva un sourcil.
– Votre mère ne vous a jamais enseigné la politesse, jeune homme?
La réponse fut directe et sans hésitation, tout comme la colère qui avait brusquement grimpé dans la poitrine de Prompto :
– Va chier!
En une seconde, son envie de pleurer s'était envolée, remplacée par une furie monstre. Il se sentait soudainement prêt à enfoncer son poing dans la gueule du type juste pour lui faire fermer la bouche et qu'il ne puisse plus faire fonctionner sa mâchoire pendant des semaines.
L'homme sentit visiblement qu'il était mieux de ne pas insister. Il se retourna dans la direction opposée.
Prompto serra les dents.
Les gens du quartier Nord. Ils ne foutent rien pour se sortir de leur vie pourrie. Et toi non plus.
Quelles conneries.
Qu'est-ce qu'un type né au Centre, prince de surcroît, en savait? Noctis n'avait jamais mis les pieds dans le Nord avant de rencontrer Prompto, vivant dans sa tour dorée, son loft luxueux entièrement payé par la couronne. Il n'avait pas la moindre idée de la quantité d'effort nécessaire pour simplement survivre, pour obtenir la moindre miette de pain de cet environnement hostile.
Dire que ce type était le futur roi du Lucis. L'homme dont la mission était de s'assurer que ses citoyens ne manquent de rien.
Quel trou de cul.
Son arrêt approcha et il se leva pour se préparer à sortir. Il dépassa le type qui l'avait dévisagé et lui lança un regard noir.
Il en avait assez de ces riches du quartier Centre, persuadés que les gens comme lui ne faisaient pas d'efforts ou qu'ils n'étaient qu'une nuisance à leur confort.
Et tout à coup, même s'il avait envie de crever, il avait encore plus envie de se battre.
Il ne donnerait pas raison à ces foutus connards.
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Le camion était devant la maison. Prompto s'y attendait, mais sa présence lui tordit tout de même les tripes, comme si son instinct de survie s'était activé instantanément.
Il s'approcha de l'escalier d'un pas lent, ignorant le signal strident qui résonnait dans son crâne comme une alarme lui criant de fuir au plus vite, et, le cœur battant, monta les marches une à une.
Il avait l'impression d'avancer vers l'abattoir.
Il enroula sa main sur la poignée et, après une grande inspiration, il la tourna précipitamment.
Il trouva son père assis à la table de la cuisine, une panoplie de billets de loterie à gratter étendus devant lui. Le sol était recouvert d'objets de toutes sortes qui n'avaient pas été ramassés, et Prompto se rappela vaguement d'avoir entendu son père renverser la table dans son excès de colère précédent. Les pots d'épices étaient restés ouverts et leur contenu était répandu sur la céramique, accompagnés de fragments de vaisselle et de livres scolaires aux pages froissées.
L'homme, occupé à frotter agressivement l'un des billets avec une pièce, s'arrêta en entendant l'arrivée de son fils.
– T'aurais pu ramasser toute cette merde, commenta Prompto.
Il espéra à tout prix que sa façade soit assez solide pour que son paternel ne remarque pas ses mains qui tremblaient de peur et sa gorge serrée par le nœud insupportable qui s'y trouvait.
L'homme répondit d'un grognement.
– Qu'est-ce que tu fous ici?
Puis, un sourire un coin se dessinant sur ses lèvres violacées, il ajouta :
– Ta tapette de prince ne veut pas d'un nif?
L'état du visage de son fils ne sembla pas lui donner le moindre remords, mais Prompto n'avait pas imaginé autrement.
Et puis, il n'était pas là pour ce détail.
– Si je suis toujours là, répondit Prompto d'une voix posée, c'est qu'il n'est pas au courant. Et ça va rester ainsi si tu ne veux pas de problèmes.
Le sourire de son paternel s'effaça subitement.
– Si je ne veux pas de problèmes?, répéta son père d'un ton menaçant.
– Sais-tu combien de temps de taule tu vas te bouffer pour voie de fait? Et je ne parle pas seulement de moi. Tu as été foutrement stupide de t'en prendre à un membre de la famille royale.
Prompto sut aussitôt qu'il avait frappé dans le mile en voyant les yeux de son père s'écarquiller.
– Je ne l'ai même pas touché, cette petite merde!
– Tu l'as poussé. Il était prêt à porter plainte, et moi aussi d'ailleurs. La seule raison pour laquelle les Glaives ne sont pas ici en ce moment même pour t'arrêter, c'est parce que je lui ai dit d'attendre.
Il eut un silence pendant lequel le père scrutait le fils d'yeux noirs, comme si celui-ci tentait de déceler la frime dans son visage. Prompto ne détourna pas le regard.
– Vas droit au bout, petit con, grommela finalement le paternel.
– Ce n'est pas compliqué. Tu fermes ta gueule et je ferme la mienne.
L'homme ne répondit pas tout de suite, enfonçant sa langue dans sa joue dans un tic qui trahissait sa colère. Puis, au bout d'un moment, il commenta :
– Putain de lopette.
Prompto comprit qu'il venait de gagner.
Il passa devant la table et se rendit à l'escalier sous le regard perçant de son père, le grimpa sans dire un mot, entra dans sa chambre, referma derrière lui, puis s'assit au sol en s'appuyant contre la porte.
Il échappa un long souffle tremblant.
Putain.
Il venait de jouer la plus dangereuse partie de poker de sa vie.
Et il avait gagné.
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Ce soir-là, son père reprit la route. Son départ rassura Prompto, mais la vue de la porte de sa penderie fracassée et de la bouteille de verre en morceaux sur le sol toujours humide par la vodka l'avait perturbé immensément. Il avait mal dormi, entre des rêves perturbants dont il ne gardait pas de souvenir précis et des réveils brutaux qui faisaient vibrer ses côtes douloureusement.
Lorsque l'alarme de son téléphone avait sonné le lendemain matin, ses yeux étaient déjà ouverts depuis longtemps. Il s'était traîné difficilement jusqu'à l'école, combattant l'envie irrésistible de sécher ses cours pour une deuxième journée consécutive et de retourner dormir.
Sa matinée fut une torture. Ses professeurs étaient incompréhensibles et il n'arrivait pas à se concentrer.
Il pensait à Noctis sans arrêt.
Il n'avait aucune nouvelle de lui.
Il ne lui écrivit pas.
Il avait envie de pleurer constamment. Le sentiment s'accumulait péniblement entre ses poumons, grimpant dans sa gorge où il sentait un trop-plein continuel, sans qu'il puisse être soulagé par un débordement. Et puis parfois, l'émotion pourrissait brutalement pour se transformer en colère noire et Prompto n'avait alors subitement plus envie de pleurer du tout, mais plutôt de hurler, de frapper, de briser.
Il ne fit rien du tout et resta dans cet entre-deux insupportable qui figeait tous les muscles de sa poitrine.
Il survécut par un miracle quelconque à son cours de chimie, puis à celui de biologie. Il se dirigeait d'un pas lent vers son troisième cours de la journée, la démarche s'apparentant en tout point à celui d'un zombie, lorsqu'il entendit Cindy crier son nom.
Il s'arrêta pour la regarder courir vers lui. Le sourire béant de son amie tomba brutalement lorsqu'elle arriva devant lui.
– Oh putain! Prom!
Elle lui prit le visage entre ses mains, le regard défait par l'inquiétude.
– Qu'est-ce qui s'est passé?! Qui t'a fait ça?!
Prompto baissa les yeux. Il avait un peu honte de son apparence, s'il était vraiment honnête, mais il était impossible de cacher l'arc-en-ciel multicolore qui violaçait sa peau et la lignée de pansements adhésifs en plastique qu'il avait dû replacer sur sa coupure, faute de posséder du matériel de premiers soins digne de ce nom.
Il soupira.
– C'est une longue histoi…
La fin de sa phrase se coinça dans sa gorge lorsqu'il releva la tête et croisa soudainement le regard de Noctis au-dessus de l'épaule de Cindy.
Putain.
Le prince avait l'air aussi surpris que lui, figé dans son mouvement en plein centre du couloir, et fuck, merde, Prompto n'était pas prêt, il ne voulait pas le voir, voir sa sale gueule magnifique et ses saloperies d'yeux cobalts qui l'avaient regardé la veille comme si Prompto était l'homme le plus important de l'univers, ces mêmes yeux qui avaient projeté des éclairs colériques à peine quelques minutes plus tard, et qui le regardaient actuellement de façon si intense que tout le système nerveux de Prompto court-circuita et, putain, fuck, fuck, il devait foutre le camp, là, maintenant, sinon il allait exploser en sanglots.
Cindy détecta immédiatement le changement d'humeur et elle tourna la tête pour suivre son regard.
– Qu'est-ce que… Attends, c'est lui?! Le salaud, je vais le tuer!
Elle se retourna brusquement, se dirigeant droit sur le prince avec l'intention évidente de lui régler son compte, mais Prompto la rattrapa par le poignet.
– Quoi?! Non, ce n'est pas lui!
Il eut un moment d'hésitation.
– Enfin… Pas…
Il pointa son visage de son index. Cindy le dévisagea d'un regard confus et Prompto soupira.
– On peut partir?, demanda-t-il d'une petite voix.
– Tu veux sécher le cours de français?
– Ouais…
Le regard que lui lança la jeune femme fut alarmé, certainement inquiète que Prompto, qui refusait catégoriquement de prendre le moindre congé de l'école, propose soudainement de sécher, mais il fut remplacé aussitôt par un air déterminé.
– Ok, ouais, fit la jeune fille en l'attrapant par le bras. Viens.
Elle le tira vers la sortie et Prompto ne put s'empêcher de jeter à nouveau un coup d'œil vers Noctis.
Le prince n'avait pas bougé, le regardant toujours d'un air indéchiffrable.
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Il déballa absolument tout.
Il n'avait pas eu l'intention d'entrer dans les détails, ou même de parler du tout, mais sa bouche avait commencé à déblatérer sans son consentement dès que Cindy et lui s'étaient retrouvés seuls, assis sur l'herbe derrière l'école.
Il n'arrivait plus à mentir ou à inventer des histoires. À retenir ses larmes, à contrôler sa voix.
À se sentir seul.
Alors, il raconta la visite de l'huissier, la saisie de la maison, le pognon qui l'avait sauvée.
Il raconta la réaction de son père lorsqu'il avait découvert que son fric avait disparu, la colère, les coups, la bouteille, l'hôpital.
Noctis à son chevet. Noctis dans son lit. Noctis qui l'avait ramené chez lui malgré le désaccord de son conseiller.
Noctis, Noctis, Noctis.
Lorsqu'il cita la déclaration d'amour du prince mot à mot, gravée profondément dans sa mémoire comme un enregistrement, il le fit d'une voix déformée par les sanglots.
Et lorsqu'il raconta ensuite la dispute qui avait suivi, lorsqu'il détailla les paroles que Noctis avait utilisées contre lui, et pire, contre ses confrères du quartier Nord, les larmes devinrent amères comme de l'acide.
Il raconta absolument tout sous l'oreille attentive de Cindy, excepté le fait qu'il était Niflhe. Il contourna la vérité en prétendant que ce qu'il l'avait fait fuir de l'appartement en premier lieu était le fait qu'une relation entre lui et le prince était impossible, que ce dernier était destiné à marier une femme pour continuer la lignée des Caelum et que Prompto n'avait pas sa place dans ce portrait.
Il raconta tout jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien à raconter, jusqu'à ce que son esprit soit enfin vidé de mots, et la masse qu'il ressentait à la gorge fut soudainement dissoute. Ses joues devinrent sèches et, même si ses yeux le démangeaient toujours et son nez était complètement bloqué, il se sentit soulagé de pouvoir respirer à nouveau.
Cindy lui tendit un mouchoir de papier.
– Eh bien, quelle merde…, commenta-t-elle.
Prompto se moucha bruyamment. Il apprécia qu'elle n'exagéra pas sur la pitié et il se rappela que ce n'était pas le style de Cindy de dramatiser. Elle était née dans le même monde que lui, après tout, et la réalité parfois cruelle de la vie ne la perturbait que rarement.
Quoi que ça ne l'empêchait pas de développer des envies de violence, visiblement.
– Alors, pour ton info, je vais défoncer la gueule à ton trou de cul de père, déclara-t-elle d'un ton anodin en inspectant ses ongles.
– Il est parti ce matin.
– M'en fous. Je vais le poursuivre jusqu'à l'autre bout de l'univers pour lui enfoncer mon pied dans les testicules.
Prompto eut un sourire en coin.
– Ok, bon plan, confirma-t-il en s'essuyant le nez une dernière fois.
– Et sache aussi que je vais foutre le feu à la perruque du prince, ce gros connard.
– Bonne idée. Je fournis l'essence.
– Pas besoin. Il y a tellement de produit fixant dans ce truc, il va flamber comme le bûcher d'Ifrit.
Prompto eut à nouveau un bref sourire, mais il ne répondit pas. Il s'étendit plutôt sur le dos, l'herbe séchée glissant sur sa nuque. Au-dessus de lui, l'énorme érable commençait à bourgeonner timidement, les branches vides de feuilles dansant lentement au gré du vent.
Il se sentit soudainement épuisé.
– Tu sais, dit Cindy au bout de quelques minutes de silence durant lesquelles Prompto avait failli s'endormir, Noctis a vraiment agi comme une merde, mais… peut-être qu'il n'a pas tort sur un point. Tu devrais dénoncer ton père.
Prompto leva un œil vers elle.
– Ça, c'est hors de question. J'habite dans sa maison; si je le dénonce, je ne pourrai plus m'en approcher.
Sans parler que son père avertirait aussitôt les autorités de la présence illégale de son fils niflhe sur le territoire lucisien et Prompto serait dans une merde épouvantable – une réflexion qu'il garda pour lui.
Cindy resta silencieuse quelques secondes. Elle se mordit la lèvre, comme si elle voulait insister, mais après un moment, elle se contenta de soupirer.
– Ok, concéda-t-elle. C'est toi qui sais.
Prompto fut soulagé. Il était rafraîchissant de parler à quelqu'un de son statut, quelqu'un qui savait que les solutions n'étaient jamais simples et qui comprenait sa vie. Quelqu'un qui était son égal et qui respectait son jugement. Une véritable amie…
– En passant, commenta Cindy, ne crois pas que ta gueule misérable me fera oublier les dix gils que tu me dois.
…qui s'adonnait être une putain de petite peste entêtée.
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La vie suivit son rythme au gré des ecchymoses qui changeaient de couleur. D'un violet, elles devinrent graduellement brunes, puis jaune. Parallèlement, Prompto reprit sa routine – l'école, le boulot, l'école et le boulot, et, entre les deux, des heures et des heures de révision. Et des migraines. Des centaines de migraines à répétition, qui lui perçaient le crâne sans préavis et qui rendaient sa vision subitement floue.
Les Glaives ne débarquèrent pas chez lui pour l'arrêter et, après quelque temps où le stress l'avait rongé nuit et jour, il conclut que la menace de dénoncer son père pour voie de fait contre un membre de la famille royale avait eu l'effet escompté.
Il se rendit une seule fois à l'hôpital pour faire retirer ses points de suture, puis ignora tous les appels de suivis, parce qu'il ne voulait pas que Ignis ne reçoive la moindre facture de plus.
Il ne croisa plus Noctis à l'école, excepté lors de son cours de physique où Prompto s'assoyait dorénavant au fond de la classe pour fixer le derrière de la tête du prince qui avait repris son habitude de dormir sous la voix ennuyante de Barbarossé.
Ils ne se parlaient pas. Ils ne se regardaient même plus.
Prompto était mitigé entre une peine d'amour digne des grands romans et une colère perpétuelle. Une colère dirigée en partie contre le prince, puisqu'il ne digérait toujours pas les paroles de celui-ci, mais aussi contre lui-même. Il sentait stupide d'avoir développé des sentiments pour un mec comme Noctis malgré le fait qu'il savait depuis le tout début que ça ne pouvait que mal finir. Mais, surtout, il était frustré parce qu'il était incapable d'étouffer ces mêmes foutus sentiments qui continuaient à le ronger.
Il voulait détester Noctis. Il le détestait, d'une certaine façon, mais pas assez pour l'oublier.
Il pensait à lui sans arrêt. Il ne pouvait pas s'empêcher de se remémorer les moments qu'ils avaient vécus ensemble, les conneries qu'ils s'étaient racontées, les fous rires. Son visage, son regard, son sourire.
Prompto l'aimait toujours.
Ce connard qui croyait que Prompto méritait de se faire casser la gueule. Qui l'avait accusé de ne rien foutre pour se sortir de sa misère – Prompto l'aimait toujours.
Quel gros con. Deux gros cons, en fait.
Toute cette histoire eu tout de même un effet positif, car Prompto fut remémoré que Cindy était une amie formidable.
Elle possédait une oreille en or et écoutait sans jugement, même si Prompto se répétait sans arrêt et ne cessait de se contredire. Elle allégeait la situation avec son humour pince-sans-rire et lui changeait facilement les idées lorsqu'il s'enfonçait trop profondément dans ses pensées.
Elle commença aussi à se pointer à l'école avec des portions de repas de plus en plus larges, qu'elle était incapable de manger en entier et qu'elle donnait ensuite à Prompto en prétendant que sinon elle devait tout jeter.
C'était de la frime, évidemment. Prompto savait très bien que Cindy, tout comme lui, ne jetterait jamais la moindre miette de précieuse nourriture, mais le jeune homme joua le jeu. Il était trop fatigué et trop affamé pour entretenir sa fierté, et les calories en surplus aidaient ses maux de tête chroniques.
Il s'inquiéta cependant lorsqu'un jour, elle déballa une gigantesque tarte à la rhubarbe dans son entièreté.
– Putain Cindy! La subtilité, tu connais?! Tes parents vont être furieux lorsqu'ils vont se rendre compte que tu leur piques de la bouffe pour me nourrir!
– Qu'est-ce que tu racontes? J'ai bien le droit à une petite collation, non? Qu'est-ce qui te fait croire que je compte partager?
Il lui fit un regard peu impressionné, mais Cindy l'ignora pour planter sa fourchette en plein centre du plat. Elle fit un regard de dégoût dès qu'elle goûta à la chose.
– Ah merde, c'est dégueulasse ce truc. Tiens, mange-la, je ne l'aime pas.
Elle poussa la tarte vers Prompto qui la fixa du regard.
– Quoi?, demanda-t-elle.
– T'es conne.
– Répète ça et je reprends ma tarte.
Il roula les yeux, mais il décida de ne pas insister. C'était typique de Cindy d'aider Prompto en faisant semblant qu'elle ne l'aidait pas du tout, et il devait avouer que c'était ce dont il avait besoin actuellement.
Alors, il prit la fourchette et mangea.
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Le printemps s'entêtait à ne pas s'établir sérieusement. L'air restait trop frais et les nuages gorgés de pluie refusaient de laisser leur place, interdisant au soleil de faire son boulot et de réchauffer le temps.
L'humeur de Prompto en était affectée. Il avait l'impression qu'il était resté coincé dans cet hiver pourri qui avait été le pire de sa vie, et qu'il n'arrivait pas à avancer. Que le temps s'était arrêté ce fameux jour où Noctis lui avait démoli le cœur, et que depuis, il n'était qu'une loque qui survivait à ses journées sans exister réellement.
Il y eut cependant une exception le jour où il visita le site web de l'université d'Altissia pour y déposer sa candidature et qu'il ressentit enfin une certaine excitation. Le formulaire était détaillé et Prompto l'avait complétée avec une concentration qu'il n'avait pas expérimentée depuis longtemps, signe que sa commotion se rétablissait graduellement. Il avait ajouté un long texte explicatif qui racontait son histoire et les raisons pour lesquelles il espérait gagner une bourse; un texte qu'il avait passé un temps inouï à rédiger, effacer, réécrire, peaufiner, corriger, relire et recommencer.
Puis, l'excitation s'était évaporée rapidement.
Il s'était senti naïf d'espérer se démarquer parmi des centaines de demandes alors que Prompto n'avait rien de spécial. Alors que la vie n'avait jamais voulu être coopérative avec lui.
– Tu déconnes, j'espère?!, s'était exclamée Cindy alors qu'il lui partageait ses inquiétudes. Tu es le mec le plus intelligent que je connaisse!
Il en doutait sérieusement. S'il était réellement intelligent, il se serait éloigné du prince dès que ses sentiments auraient commencé à se développer. Il aurait deviné ce que Noctis pensait de lui avant que celui-ci ne lui crie le fond de sa pensée à tue-tête. Et, surtout, il aurait tourné la page depuis longtemps.
Il aurait arrêté de penser à lui, de relire leurs anciens textos comme un désespéré, de regarder cette photo magnifique de Noctis souriant dans l'autobus, cette foutue photo qu'il n'arrivait pas à supprimer.
Cindy avait tort.
Prompto était stupide.
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Les arbres sur le campus de l'école commençaient enfin à voir leurs feuilles pousser, montrant de petites taches vertes qui s'ouvraient timidement ici et là. L'air de la ville se transformait aussi; au lieu de l'odeur fétide de la boue moisie qui prédominait la saison des pluies, il s'y installait progressivement une odeur de fleurs qui écloraient lentement.
Lorsque Prompto sortit de l'école ce jour-là, il regarda le ciel d'un air déçu. Il aurait voulu profiter du soleil pour une fois qu'il le voyait se pointer dans le ciel, mais il savait que la seule lumière qu'il verrait ce soir-là serait la lueur verdâtre des néons de l'épicerie où il travaillait.
Il soupira, se dirigeant sans attendre vers l'arrêt de son autobus. Il y avait un bon moment qu'il n'avait pas eu de congé; il avait travaillé tous les soirs après l'école, en plus des nuits du vendredi au dimanche matin, et la fatigue se faisait sentir dans tous ses os.
– Prompto!, lança une voix inconnue.
Surpris, il se tourna vers l'appel, s'arrêtant brusquement lorsqu'il vit Ignis marcher d'un pas rapide vers lui.
Putain. C'était le comble.
Noctis avait été absent ce jour-là (pas que Prompto avait vérifié, il n'en avait rien à foutre, bien sûr) et il n'y avait aucune raison pour justifier la présence du conseiller.
Autre que celle de faire chier Prompto avec une discussion désagréable.
Un sentiment de déjà-vu grimpa dans la nuque du jeune homme et il crispa la mâchoire. Il n'avait absolument pas envie de voir la sale gueule de monsieur-le-lèche-cul-du-prince et encore moins d'entendre ses conneries, et il envisagea sérieusement tourner le dos pour continuer son chemin.
Mais quelque chose dans le visage du conseiller, une espèce d'urgence dans son regard qui étirait ses traits, le força à rester sur place.
Donc, il planta les pieds dans la pelouse humide du campus et croisa les bras, lançant un regard irrité vers le conseiller. Lorsque celui-ci arriva devant lui, Prompto ne lui donna même pas le temps d'ouvrir la bouche et il lui lança sèchement :
– Qu'est-ce que tu me veux?!
Ignis sembla l'air mal à l'aise de le déranger, ce qui fut une petite consolation.
– J'espère que je ne vous attrape pas à un mauvais moment…
– Ouais, c'est un mauvais moment, je dois aller au boulot.
– Alors, permettez-moi de vous y raccompagner en voiture…
– Non.
Il eut une seconde de silence durant laquelle Ignis paraissait incertain sur son droit d'insister ou non, et Prompto soupira en levant les yeux.
– Ok, tu as trois secondes pour me passer ton message, et puis je fous le camp.
– Je… Je crains que mon message ne prenne un peu plus de temps que…
Prompto claqua de la langue et puis, sans attendre, il se retourna pour continuer sa marche vers son autobus.
Il n'avait absolument pas de patience pour ces conneries. Il était fatigué de la couronne qui se croyait tout permis et qui exigeait son temps comme s'il leur appartenait.
– Attendez!, lança Ignis, le suivant aussitôt.
– Dégage, putain!, répondit Prompto sans se retourner. Si Noctis a quelque chose à me dire, qu'il vienne me voir! Plutôt que de faire faire le sale boulot par son putain de conseiller!
– S'il vous plaît! Ce n'est pas lui qui m'envoie, je… Écoutez, j'ai merdé!
Prompto s'arrêta. C'était la première fois qu'il entendait Ignis jurer et il se retourna, surpris. Le conseiller se balançait d'un pied à l'autre dans un geste nerveux, une lèvre coincée entre ses dents.
Il ne ressemblait plus au mec en hyper contrôle que Prompto connaissait.
– Par pitié…, supplia à nouveau Ignis. Laissez-moi vous raccompagner à votre travail et je vous expliquerai tout dans la voiture.
Prompto échappa un soupir irrité. La dernière chose dont il avait envie, c'était d'être coincé dans un véhicule avec ce type dont il ne supportait pas la présence. Mais Ignis avait l'air en détresse, et Prompto avait le cœur trop souple pour l'envoyer se faire promener.
– D'accord, merde!, concéda-t-il finalement.
Il suivit le conseiller jusqu'à la voiture de celui-ci – le même modèle luxueux que la dernière fois – et il s'assit au côté passager. Le siège était trop bas et il se sentit aussitôt inconfortable dans l'étroit habitacle, l'odeur qui cuir neuf agressant ses narines.
Putain, pourquoi s'imposait-il cette torture? Quel crétin.
Ignis contourna la voiture pour se placer derrière le volant. Le véhicule gronda bruyamment lorsqu'il tourna la clé, puis démarra lentement.
Il ne parla pas pendant une longue minute et la patience de Prompto s'amenuisa rapidement. Il allait ouvrir la bouche pour presser le conseiller lorsque celui-ci parla soudainement.
– Je dois m'excuser, dit-il.
Prompto souleva un sourcil, mais ne répondit pas.
– Je prends conscience que mes actions ont engendré des problèmes… Je voulais protéger Noct, mais j'ai fait tout le contraire.
Ignis glissa une main nerveuse dans ses cheveux.
– Vous savez, le prince a eu une vie difficile. Des difficultés différentes des vôtres, mais des difficultés quand même lourdes à porter. Il a vu sa mère mourir devant ses yeux, dans un acte de violence dont un enfant de douze ans ne devrait pas être témoin. Il a dû porter de lourdes responsabilités très jeune. Il a vécu une vie isolée et les quelques amis qu'il s'est fait à l'école l'ont trahi. Ils ont vendu des informations aux médias, l'ont utilisé pour son argent et sa gloire. Résultat, Noctis est devenu un jeune adulte solitaire et… désabusé.
Prompto garda le silence, les yeux rivés sur la route devant lui. Ce que racontait le conseiller n'était rien de nouveau; mais l'entendre lui pinça le cœur malgré lui.
– Lorsqu'il vous a rencontré, continua Ignis d'une voix sobre, il… il s'est transformé. Il parlait de vous sans arrêt, il souriait… Il a même commencé à étudier, simplement pour avoir l'occasion de passer du temps avec vous, et ses notes ont augmenté. Ensuite, il a trouvé une motivation renouvelée pour la politique, alors qu'il ne s'y était jamais intéressé. Il voulait changer les choses pour le Nord, il avait commencé à étudier avec plus de sérieux les rapports socio-démographiques du quartier…
Prompto se mordit la langue pour se retenir de commenter. Il avait bien du mal à croire à cette dernière affirmation.
– Mais…, continua Ignis. Votre relation était si soudaine et si inattendue que je me suis méfié. J'ai cru qu'il y avait anguille sous roche, que vous vous intéressiez au prince pour des raisons autres qu'une simple amitié. Quand j'ai découvert que vous étiez gay, j'y ai vu la raison que je cherchais.
– Tu croyais que je voulais me taper le prince, termina Prompto.
Ignis soupira.
– Je… Je me disais que Noctis serait blessé s'il découvrait que votre amitié n'était qu'une mise en scène pour l'attirer dans vos draps. Alors, j'ai tenté d'intervenir. J'ai voulu faire une mise au point avec vous, afin d'empêcher vos projets avant qu'il y ait des dommages. Et c'est là… que j'ai… merdé.
Ignis hésita et Prompto le regarda du coin de l'œil. Il n'avait pas l'impression d'apprendre quoi que ce soit de nouveau dans cette conversation et il commença à regretter d'avoir accepté de s'asseoir dans la voiture.
– Pourquoi tu me racontes tout ça?, demanda-t-il. Je ne suis plus dans la vie de Noctis de toute façon. Tu es déjà débarrassé de ton problème.
– J'ai fait erreur, répondit Ignis. Noctis ne mariera pas une reine.
– Pourquoi?
– Parce qu'il est gay.
Le silence tomba dans l'habitacle. Prompto s'en était évidemment douté le jour où Noctis lui avait avoué son amour, mais aimer un mec ne se limitait pas à être gay, et Prompto avait secrètement espéré que le prince puisse un jour tomber amoureux à nouveau, d'une femme cette fois-ci, pour que sa vie de futur roi soit plus simple.
Puis, il se demanda si c'était plutôt Ignis qui lançait des théories au hasard. Qu'est-ce qu'il en savait, au juste?
Alors, d'une voix prudente, il demanda :
– Qu'est-ce… Qu'est-ce qui te fait croire ça ?
– C'est Noctis lui-même qui me l'a annoncé. Après que vous avez quitté son appartement.
Il eut un moment de silence à nouveau. Prompto n'était pas certain de savoir comment assimiler cette information; il s'agissait très certainement d'une mauvaise nouvelle pour un prince dont le mandat premier était de fabriquer des héritiers, et il se demanda comment la couronne réagirait à son annonce.
Il n'osa pas poser la question.
– Noct m'a raconté notre dispute, reprit Ignis. Très honnêtement, j'en avais déjà entendu une bonne partie malgré moi, car vos cris se rendaient jusqu'à l'autre extrémité du couloir. Mais il était démoli, il pleurait sans pouvoir s'arrêter, et… et je m'en suis voulu terriblement. Je sais que c'est par ma faute si vous avez quitté Noctis ce jour-là. Je vous ai fait croire, à tort, que le prince ne pouvait pas vivre de relation amoureuse. Je vous ai convaincu qu'un avenir avec lui était impossible, mais ce n'était pas complètement vrai.
Prompto se mordit l'intérieur de la joue. Ce n'était pas la raison exacte pour laquelle il avait voulu fuir l'appartement de Noctis au départ, mais la vérité était que ce détail importait peu.
Ce qui était important, c'est que Noctis était un vrai trou de cul. Ce qu'il avait dit ce fameux jour était impardonnable, et Prompto débordait toujours autant de rancœur quand il y repensait.
– Tu dis que ton prince s'intéresse à la politique du Nord, dit-il d'une voix basse, mais la vérité, c'est qu'il s'en fout royalement.
– Ce n'est pas vrai…
– Tu n'as pas entendu ce qu'il m'a dit!, s'exclama Prompto. Il croit que les gens du Nord méritent de vivre dans leur misère! Il m'a dit que je méritais de me faire péter la gueule!
Ignis se pinça les lèvres.
– Il ne le pensait pas réellement…
– Ah ouais?! Eh bien moi, je crois plutôt qu'il le pensait si fort qu'il a oublié de le garder pour lui!
– Il a parlé sous le coup de l'émotion, répliqua le conseiller. Il était blessé par votre réaction et je crois qu'il a tenté de se défendre en attaquant. C'était complètement stupide de sa part, mais il a toujours été impulsif ainsi.
– Je m'en fous. Il n'a pas d'excuse valable. Tu ne devrais pas le défendre.
Ignis garda le silence quelques secondes et Prompto se tourna vers la fenêtre. À l'extérieur, les bâtiments devenaient de plus en plus délabrés, signe qu'ils arrivaient bientôt à destination.
Il avait hâte d'y être. Cette conversation était insupportable.
– Noct est sous ma responsabilité depuis que j'ai onze ans, murmura Ignis prudemment. Je l'ai vu grandir, de ses neuf ans à aujourd'hui, et je peux vous jurer que ce que vous avez vu de Noctis ce jour-là ne représente pas ce qu'il est réellement… Et je crois qu'au fond de vous, vous le savez aussi. Il était difficile pour lui d'avouer ses sentiments – des sentiments envers un homme de surcroît – et votre réaction, bien que je puisse la comprendre, fut très différente de ce qu'il avait espéré…
Il prit un temps de pause, puis il ajouta, d'une voix basse :
– Je ne l'ai jamais expérimenté par moi-même, mais j'imagine qu'un coming-out n'est jamais facile... Le sien a été désastreux.
Les épaules de Prompto tombèrent.
Putain.
Il se sentit soudainement coupable. La colère qu'il ressentait était toujours présente, mais la culpabilité s'y mêla sournoisement, comme de l'encre noire dans un liquide clair.
Le souvenir de sa propre sortie du placard lui revint en tête – si découvrir son homosexualité au même moment que son père homophobe pouvait être considéré comme une sortie en soi – et son cœur se serra en pensant aux journées qui avaient suivi. Ses émotions avaient été incontrôlables, la culpabilité l'avait rongé sans arrêt et les questions dans son esprit avaient été obsessives, tournant en rond sans la moindre réponse pour les ralentir, sans la moindre pause pour souffler un peu.
Il se demandait si Noctis vivait la même chose. Et s'il le vivait seul.
Et putain, peut-être bien que Prompto aurait dû agir moins impulsivement ce jour-là. Qu'il aurait dû inventer une raison pour laquelle il devait partir afin de limiter les dégâts. Ne pas laisser croire à Noctis que ce dernier était la raison de sa fuite.
Mais peut-être bien que Noctis aurait pu, aussi, ne pas réagir comme il l'avait fait et fermer sa grande gueule à propos de la vie de Prompto.
Il ne savait plus que penser.
La voiture s'arrêta enfin et il leva les yeux vers l'enseigne lumineuse qui surplombait les pompes à essences. Il ouvrit la portière d'un geste las.
Toute combativité l'avait quittée. Il se sentait soudainement épuisé.
– Merci de m'avoir déposé, dit-il d'une voix basse.
– Merci de m'avoir écouté, répondit Ignis.
Avant que Prompto ne puisse sortir de sa voiture, il ajouta :
– Vous êtes la meilleure chose qui soit arrivée à Noctis de toute sa vie. Même si ça ne s'est pas bien terminé entre vous, votre rencontre l'a transformé à tout jamais.
Prompto se pinça les lèvres. Il doutait qu'il y ait eu quoi que ce soit de positif à leur rencontre, ni pour lui ni pour Noctis, mais il était soudainement trop fatigué pour répliquer.
Alors, il garda le silence. Il sortit de la voiture et referma la porte sans regarder en arrière.
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J'ai cru comprendre, en lisant vos messages, que la plupart d'entre vous ne s'attendaient pas à cette suite... Oupsi
Je suis désolée?
Mais, courage, il y aura une suite!
Merci un million de fois de me lire même si mes fics sont déprimantes par moments et les délais entre les chapitres sont interminables. Votre compréhension me touche énormément et vos messages de soutien m'ont donné envie de pleurer merci merci merci
Charlie xxx
