Explications
La nuit était tombée depuis un moment lorsque Eddie quitta le parking de la pizzeria.
Il avait découvert un bar gay juste derrière, quelques mois après son arrivée à Los Angeles. Il avait été très prudent les premiers temps pour être sûr de ne croiser personne qu'il connaissait mais l'endroit était tellement glauque qu'il savait qu'il ne croiserait jamais personne de sa connaissance.
C'était pour cette unique raison qu'il y venait.
Il était dans une mauvaise passe. Il savait qu'il avait besoin d'aide mais Eddie n'avait jamais été fort pour ça.
L'activité dans laquelle il excellait, en revanche, c'était s'auto-détruire.
Le silence de la voiture résonnait dans ses oreilles alors qu'il se frayait un chemin à travers les rues sombres de la ville. Sa respiration était saccadée, son cœur battant la chamade dans sa poitrine.
Comment avait-il pu foirer à ce point ?
Il jeta un œil dans le rétroviseur. Buck le suivait dans sa propre voiture, une présence rassurante dans l'obscurité de la nuit. Eddie ne pouvait s'empêcher de se demander ce que son meilleur ami pensait de lui à cet instant précis. L'image de lui, le pantalon défait dans ce parking, était brûlée dans son esprit, une source de honte et de terreur.
Il avait été pris en flagrant délit d'une énorme connerie, et l'idée que Buck l'ait vu dans un tel état le rendait malade de honte. Il avait toujours essayé de paraître fort, de cacher ses faiblesses derrière un masque d'assurance et de bravade. Mais maintenant, ce masque était tombé, et il se sentait nu et vulnérable devant Buck.
La peur le tenaillait.
La peur de ne pas être accepté pour qui il était vraiment, d'avoir à admettre qu'il n'était pas celui qu'ils pensaient tous. La peur de perdre l'amitié de Buck, la seule chose qui semblait encore avoir un sens dans sa vie chaotique, de perdre la famille qu'il s'était construit.
La peur de tout perdre.
Lorsqu'ils arrivèrent enfin chez lui, Eddie s'immobilisa devant sa porte, le souffle court, les mains moites. Il entendit la porte de la voiture de Buck s'ouvrir et se refermer, puis le bruit de pas sur le gravier alors que son ami s'approchait de lui.
Il se dépêcha d'ouvrir la porte et d'entrer à l'intérieur se dirigeant instinctivement vers le frigo pour sortir deux bières alors qu'il entendait Buck fermer la porte derrière lui. Il posa les bières sur le comptoir alors que Buck entrait dans la cuisine.
Il s'occupa de les ouvrir afin de ne pas penser à la conversation qui devait irrémédiablement avoir lieu et qui signerait à coup sûr la fin de leur amitié.
– Eddie..., commença Buck d'une voix douce, mais Eddie leva une main pour l'arrêter.
– Ne dis rien, Buck, s'il te plaît, murmura-t-il, se sentant incapable d'affronter le regard de son ami. Laisse-moi juste… une minute. Peut-on aller dans le salon ?
Buck hésita un instant, puis acquiesça silencieusement. Ils se dirigèrent tous les deux vers le canapé, le silence pesant entre eux.
Une fois installé, Eddie se tourna vers Buck, les mots coincés dans sa gorge. Il savait qu'il devait parler, qu'il devait s'expliquer, mais la peur l'empêchait de trouver les mots justes.
– Buck..., commença-t-il, mais sa voix se brisa.
Buck posa une main réconfortante sur son épaule, lui offrant un soutien silencieux. Il y avait quelque chose dans le regard de son ami, quelque chose de profondément rassurant, qui lui donnait le courage de continuer.
– Je... je suis désolé, Buck, balbutia-t-il enfin. Désolé que tu m'aies vu… comme ça.
– Ça va Eddie, ce n'est rien mais je m'inquiète pour toi.
– Parce que je me fais sucer par des gars ?
– Parce que tu fais ça sur un parking à peine éclairé en pleine nuit avec un type que tu ne sembles même pas connaitre. C'est dangereux. Il y a des fous dans les rues et ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre avec ce qu'on voit tous les jours.
– Je ne sais plus où j'en suis Buck, je… J'ai tellement honte.
Il s'interrompit, incapable de continuer, la gorge serrée par l'émotion.
Buck le prit dans ses bras, le serrant contre lui avec force et Eddie s'abandonna à l'étreinte. Ça lui faisait tellement de bien d'être tenu, d'être simplement vu par quelqu'un qui comptait vraiment pour lui.
– Tu n'as pas à avoir honte, murmura-t-il doucement. Tu es toujours le même ami que j'ai toujours connu et aimé.
Les larmes montèrent aux yeux d'Eddie alors qu'il se laissait aller au réconfort de l'étreinte de Buck. Il se sentait enfin libre, libéré du poids de ses secrets et de ses mensonges.
– Je suis gay, murmura-t-il, sa voix étouffée par les larmes.
Il sentit Buck se raidir légèrement contre lui, mais il ne se retira pas. Il avait besoin de dire ces mots, de les laisser sortir enfin après toutes ces années de silence.
– Tu le sais depuis quand ? demanda Buck sans relâcher son étreinte.
– Depuis toujours, admit-il. Je suis désolé de t'avoir caché ça.
Buck se dégagea et le regarda avec douceur. Puis, il essuya tendrement ses larmes avant de prendre son visage en coupe pour le forcer à le regarder dans les yeux.
– Tu n'as pas à t'excuser, Eddie, souffla-t-il.
Pourquoi ne pouvait-il pas trouver quelqu'un comme lui ?
Quelqu'un d'aussi doux et tolérant, d'aussi patient et attentionné. Eddie voulait ça lui aussi, il voulait un Buck pour partager sa vie.
Il se dégagea et secoua la tête avec force.
– Si, je le fais. Je t'ai menti, je t'ai caché une partie de moi-même pendant si longtemps.
Buck le laissa s'éloigner un peu de lui mais ne bougea pas.
Ils étaient encore assez proche pour qu'il puisse sentir sa chaleur corporelle se diffuser jusqu'à lui et c'était assez perturbant parce qu'il voulait plus que tout qu'il le tienne encore mais il savait qu'il ne le méritait pas.
– On a tous notre jardin secret Eddie, se contenta de dire Buck. Cette partie de nous, privée, qu'on veut garder juste pour nous. Tu as le droit de le garder pour toi mais je m'inquiète pour toi.
– Je sais, déglutit-il.
– Tu as le droit de demander de l'aide, tu sais ?
– Je… Je ne sais pas comment faire ça. Comment… guérir.
– Tu n'es pas malade Eddie, le gronda-t-il gentiment. Tu es simplement toi. Je sais que ce n'est pas toujours simple d'admettre qui on est, surtout quand on a l'impression d'être en marge mais tu n'as rien fait de mal.
– Dis ça à mon père, railla-t-il. Depuis que je suis petit j'entends des conneries comme quoi une famille c'est un homme, une femme et des enfants. Je me voyais mal lui répondre que je préférais les hommes.
– Tu ne lui as jamais dit, n'est-ce pas ?
– Je ne pouvais pas. Je n'ai pas épousé Shannon parce que je l'aimais mais pour cacher qui j'étais vraiment. Elle était ma meilleure amie, et on avait passé un marché tous les deux, continua-t-il d'une voix tremblante. Tu vois, son père… c'était un enfoiré mais il était riche. Elle devait épouser un homme qu'elle n'aimait pas pour arranger ses affaires. Le seul moyen pour elle d'y échapper, c'était de tomber enceinte avant le mariage. La situation n'était pas idéale mais on ne voyait pas d'autres moyens à l'époque. Je suis désolé de te décevoir mais je ne peux plus continuer à vivre dans le mensonge. Je ne veux plus le faire.
– Je suis peut-être un peu choqué, Eddie, mais pas déçu, lâcha-t-il en le regardant avec une tendresse infinie. Tu es toujours mon ami, peu importe qui tu aimes.
Eddie se sentit soulagé d'entendre ces mots, mais une part de lui restait terrifiée à l'idée de ce que cela signifiait pour son avenir.
– Mais je ne sais pas comment faire face à tout ça, avoua-t-il, sa voix empreinte de détresse. Je me sens perdu, seul...
– Tu n'es pas seul, Eddie, lâcha Buck en lui serrant la main avec force. Je serai toujours là pour toi, peu importe ce que tu traverses. Mais tu dois aussi parler à un professionnel, quelqu'un qui peut t'aider à faire face à tout ça. Tu ne peux pas laisser cette situation te ronger de l'intérieur.
Eddie acquiesça lentement, sentant un poids immense se lever de ses épaules. Il savait qu'il avait encore un long chemin à parcourir, mais avec Buck à ses côtés, il se sentait prêt à affronter l'avenir.
Ils restèrent là, dans les bras l'un de l'autre, se soutenant mutuellement dans leur douleur et leurs peurs. Et pour la première fois depuis des années, Eddie se sentit en paix avec lui-même, prêt à embrasser enfin la vérité de qui il était vraiment.
