L'échappée désespérée

Eddie Diaz s'assit lourdement sur le canapé défraîchi de son minuscule salon, ses épaules affaissées sous le poids de l'épuisement. La pendule murale marquait minuit passé, mais ses yeux refusaient de se fermer, trop hantés par les inquiétudes et les angoisses qui le rongeaient.

Depuis des semaines, il jonglait avec trois emplois pour subvenir aux besoins spécifiques de son fils, Christopher. Il travaillait comme mécanicien le matin, serveur l'après-midi, et agent de sécurité la nuit.

Malgré tous ses efforts, cela ne semblait jamais suffire.

Son esprit tourmenté revenait sans cesse sur le même point : ses parents étaient sur le point de lui prendre son fils. Un juge avait donné à Eddie deux mois pour redresser sa situation financière et prouver qu'il pouvait offrir un environnement stable à son fils. Mais il savait que le temps était presque écoulé et qu'il n'avait pas réussi à convaincre les autorités.

– Papa ? murmura une petite voix derrière lui.

Eddie se retourna pour voir Christopher, son fils de six ans, debout dans l'ombre du couloir, les yeux à semi-ouverts.

– Qu'est-ce qu'il y a, mijo ? demanda-t-il doucement, essayant de masquer sa propre détresse.

– J'ai fait un cauchemar, répondit Christopher, s'avançant timidement. Abuelo et abuela m'emmenaient loin de toi et on ne se voyait plus jamais et…

Eddie se leva et s'accroupit pour être à la hauteur de son fils, posant une main rassurante sur son épaule.

– Viens ici, dit-il en l'attirant dans une étreinte réconfortante. Tout va bien maintenant. Je suis là, et personne ne nous séparera jamais.

Christopher s'accrocha à lui, son petit corps tremblant légèrement.

– Tu promets ? demanda-t-il d'une toute petite voix.

Eddie sentit son cœur se serrer. Perdre son fils serait pire que tout ce qu'il avait déjà enduré.

Il ne pouvait pas laisser cela arriver.

– Je te le promets.

Après avoir rassuré Christopher et l'avoir raccompagné dans son lit, Eddie retourna au salon, ses pensées, tourbillonnant encore plus vite.

Il ne voulait pas mentir à son fils mais que pouvait-il faire. Le système était en train de le broyer, il se noyait sous les factures et les obligations et depuis la mort de Shannon, il était complètement perdu. Il ne voulait pas perdre son fils, la prunelle de ses yeux, sans lui il ne survivrait pas. Et il n'osait même pas penser à l'enfance qu'il aurait avec ses parents comme tuteurs.

Ces deux-là avaient déjà échoué avec lui, et il refusait de leur laisser le loisir de détruire l'enfance de son propre fils. Lui vivant jamais il ne leur permettrait de mettre la main sur Christopher.

Il savait ce qu'il devait faire.

Il n'y avait qu'une seule option : fuir. Il devait tout quitter, tout abandonner et partir pour Los Angeles où sa grand-mère, son abuela, pourrait peut-être les héberger.

C'était leur seule chance.

Eddie jeta un coup d'œil rapide autour de lui, son cœur battant à tout rompre. Il n'avait que quelques jours avant que ses parents ne viennent le chercher et tentent de le convaincre, ou de le contraindre, de leur donner Christopher.

Il se mit à emballer rapidement quelques affaires essentielles, essayant de ne pas faire de bruit. Son cœur battait à tout rompre. Chaque bruit, chaque ombre semblait porter la menace d'être découvert.

Eddie savait qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible s'il franchissait cette ligne.

Il entra dans la chambre de son fils, une dernière fois. Christopher dormait paisiblement, ses traits doux et détendus. Eddie déposa un baiser sur son front, s'efforçant de ne pas verser de larmes.

Il devait être fort pour eux deux.

– On s'en va, mijo, murmura-t-il en réveillant doucement Christopher. On va faire un voyage.

Les yeux de Christopher s'ouvrirent lentement, encore embrouillés par le sommeil.

– Où on va, papa ?

– À Los Angeles, chez Abuela, répondit Eddie avec un sourire rassurant. Tout va bien se passer, je te le promets.

Christopher, encore trop jeune pour comprendre les implications de cette fuite, hocha la tête et laissa son père l'aider à s'habiller.

Bientôt, ils étaient tous les deux dans la vieille voiture d'Eddie, roulant dans la nuit sombre et silencieuse de El Paso.

Eddie gardait les mains crispées sur le volant, son regard fixé droit devant lui, son esprit concentré sur une seule chose : mettre le plus de distance possible entre eux et la menace qui pesait sur leur famille.

Le voyage serait long et éprouvant.

Eddie sentait ses paupières lourdes de fatigue, mais il refusait de s'arrêter. Chaque minute comptait. Christopher, épuisé, s'endormit rapidement sur le siège arrière, enveloppé dans une couverture.

Eddie jetait des coups d'œil réguliers dans le rétroviseur pour s'assurer que personne ne les suivait.

Ses pensées étaient une cacophonie de doutes et d'espoir. Il espérait que sa grand-mère les accueillerait, qu'elle pourrait les aider à reconstruire une vie stable à Los Angeles. Mais au fond de lui, une peur persistante continuait de le ronger. Et si elle ne pouvait pas les aider ? Et s'ils étaient arrêtés ? Et si tout s'écroulait malgré ses efforts ?

Les kilomètres défilaient, et la route semblait s'étirer à l'infini.

Eddie sentait ses forces faiblir, mais il ne pouvait pas se permettre de relâcher sa vigilance. Il se remémorait les moments heureux passés avec Christopher, ses rires, ses sourires, tout ce qui faisait de lui le père le plus fier du monde.

Ces souvenirs l'aidaient à tenir, à rester éveillé malgré la fatigue écrasante.

Le ciel commençait à s'éclaircir à l'approche de l'aube lorsqu'ils approchèrent de la frontière californienne. Eddie se permit de soupirer de soulagement. Los Angeles n'était plus qu'à quelques heures de route. Il jeta un coup d'œil à Christopher, toujours endormi, et sentit une vague d'affection et de détermination le traverser.

Il ferait tout pour protéger son fils.

Ils s'arrêtèrent dans une station-service pour faire le plein et Eddie offrit un sandwich à son fils en guise de petit-déjeuner. Il écouta Christopher lui raconter tous les projets qu'il avait avec son abuela dès qu'ils seraient arrivés.

Il espérait qu'elle ne les renverrait pas à El Paso mais Eddie savait au fond de lui qu'elle ne le ferait pas. Elle avait plus d'une fois proposé de les aider mais il avait toujours refusé, ne voulant pas être un poids supplémentaire pour la vieille dame.

Aujourd'hui, il n'avait plus le choix et il espérait que son offre était toujours d'actualité.

Ils reprirent la route, Eddie se concentrant à ne pas s'endormir alors que son fils babillait incessamment à l'arrière le forçant à garder toute son attention sur la route.

Mais alors qu'ils traversaient une intersection, un bruit assourdissant et un choc violent projetèrent la voiture sur le côté. Eddie sentit tout son corps se heurter au volant, sa tête frappant durement la portière.

La douleur explosa dans son crâne, des éclats de verre volant partout autour de lui.

La voiture s'immobilisa finalement, renversée sur le côté. Le silence qui suivit était presque assourdissant. Eddie, désorienté et douloureux, tenta de bouger, mais son corps refusa de répondre.

Ses pensées se tournèrent immédiatement vers Christopher.

– Christopher ? appela-t-il d'une voix rauque, tentant de discerner une réponse à travers le brouillard de la douleur.

Il entendit un faible gémissement, puis la voix tremblante de son fils.

– Papa… j'ai mal.

Eddie sentit une vague de soulagement en entendant la voix de Christopher, mais l'inquiétude persistait. Il devait s'assurer que son fils allait bien, mais ses forces le quittaient rapidement.

Sa vision commençait à se brouiller.

– Tiens bon, mijo, murmura-t-il faiblement. Les secours vont arriver…

Mais avant qu'il ne puisse finir sa phrase, l'obscurité l'envahit, et Eddie perdit connaissance, une seule pensée lui traversant l'esprit : que Christopher soit sain et sauf.