Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye pour son commentaire ! Et merci aux lecteurs anonymes.
J'ai eu une semaine compliqué, et devais initialement poster ce chapitre lundi. Toutefois, comme il marque la fin de l'Acte I selon mon remaniement, j'ai décidé au contraire de le poster plus tôt ! Je suis très heureuse d'arriver au bout du premier tiers de cette histoire à vos côtés :) Pour fêter ça, deux petits partages :
- Tout d'abord, une illustration de Nymuë faite par la talentueuse kamillyanna sur Instagram ! C'est maintenant la nouvelle couverture de cette fiction.
- Ensuite, un petit aperçu de Nymuë in game !
Ces deux liens sont disponibles directement depuis mon profile, la plateforme n'autorisant pas les hyperliens dans les fictions. Ce n'est pas grand-chose, mais je suis contente de pouvoir vous transmettre ces petits bonus.
Réponses aux reviews :
Cassye : En plus d'imaginer la Mère Gothel pour Séri, j'ai vraiment voulu représenter avec elle l'image de l'adulte/parent toxique. Cette femme est un red flag ambulant. En ce qui concerne Revan, le retrouver mettra un peu de temps mais j'ose espérer que cela en vaudra le coup :) Merci pour ton retour !
Je vous souhaite à tous une excellente lecture !
Chapitre 15 :
Le diable qui régale
"T'es une sacrée trouvaille, mésange".
La voix de Revan la tira du sommeil. L'humidité fit frissonner sa peau nue ; le Soleil était à peine levé.
Nymuë chassa les derniers échos de son rêve. Aujourd'hui encore, elle ignorait si sa rencontre avec un membre de la Guilde était le fruit du hasard, ou celui du destin. Si Revan ne l'avait pas trouvée, ce jour-là, elle ne serait probablement plus de ce monde pour en conjecturer. Elle se rappelait ses mains calleuses brisant les chaînes la retenant à l'intérieur de la caravane. Ces mêmes chaînes qu'elle utilisait aujourd'hui pour combattre.
La jeune femme observa les alentours, et se remémora lentement les évènements l'ayant conduite ici. Elle avait rejoint Astarion dans la forêt ; ils avaient passé la nuit ensemble. Elle se redressa, ses genoux dissimulant partiellement sa nudité. Du bout des doigts, elle sentit un peu de sang séché au creux de sa nuque ; au moins, le vampire avait connu une nuit stimulante. Elle fut surprise de l'apercevoir à quelques pas d'elle ; à moitié rhabillé, Astarion faisait face aux premiers rayons du Soleil. L'elfe noire étudia son visage serein ; ses mains légèrement écartées, offrant une étreinte à la douceur de l'aube ; son corps à demi-exposé. Elle était étonnée qu'il soit resté à ses côtés après leurs ébats. Étaient-ils amants désormais, amis, camarades ? Ses anciennes relations avaient toujours été éphémères, momentanées…
Ses yeux glissèrent sur le dos de son compagnon. La veille, ses caresses avaient effleuré le tracé de cicatrices entre ses deux omoplates. A la lumière du jour, elle réalisa qu'elle avait sous-estimé l'importance des stigmates ; trois cercles concentriques étaient gravés dans sa chair, entrecoupés de runes discontinues. Les traits étaient nets, raides : Nymuë sentit son corps se figer quand elle comprit qu'ils avaient été ciselés à l'aide d'une lame. Les mots franchirent ses lèvres avant qu'elle ne puisse les arrêter :
"D'où viennent-elles ? demanda-t-elle. Vos marques."
Pendant une brève seconde, les épaules d'Astarion se tendirent. Il ne se retourna pas, et lui répondit à contrecoeur :
"C'est un poème. Un "cadeau" que je tiens de Cazador. Il se considérait comme un grand artiste et réalisait ses œuvres à même la peau de ses esclaves. Il a composé et gravé celui-ci au cours d'une seule et même nuit…"
Sa voix se réduisit à un murmure :
"... Il y a apporté de nombreuses modifications, au fur et à mesure."
L'elfe noire retint l'élan de compassion qui la saisit ; elle doutait que son compagnon apprécie ce genre de sentiment. A la place, elle se leva et étudia de plus près les lignes austères sculptées dans son épiderme. Un bref souvenir se rappela à elle, celui d'une cargaison que Revan l'avait envoyée récupérer. Les deux mercenaires avaient pénétré à l'intérieur d'un entrepôt pour se rendre compte, une fois sur place, que toutes les caisses disposaient d'annotations rédigées dans un langage incompréhensible, aux caractères anguleux. "La langue des Enfers, avait grogné Revan. Va savoir quel matos nous intéresse avec un dialecte aussi embrouillé !".
"Pourquoi a-t-il été composé en infernal ?" demanda-t-elle.
Astarion lui accorda toute son attention ; il la dévisageait, sans se préoccuper de sa déambulation dans le plus simple appareil.
"En infernal ? répéta-t-il, anxieux. Je… Comment voulez-vous que je le sache ? Ce pourri était totalement dément."
Avec nervosité, il récupéra sa chemise déposée un peu plus loin :
"Allons-nous-en. Nous avons perdu assez de temps à discuter."
Nymuë n'insista pas et revêtit à son tour ses effets personnels. Quel genre d'homme - seigneur vampire ou non - infligeait un tel traitement à autrui ? Pour son amusement personnel, qui plus est ? La jeune femme eut un haut le coeur ; si ces cicatrices, affichées à la vue de tous, étaient déjà une preuve de grande cruauté… Qu'en déduire des balafres qu'Astarion ne portait pas sur son dos ? Des angoisses, des rancœurs accumulées au fil des ans ?
Le trajet de retour se fit en silence, loin toutefois d'être inconfortable. L'elfe noire préférait mille fois cette distance - familière et honnête - à une intimité trop prononcée. Pour ce qu'elle en savait, cette nuit commune ne signifiait rien pour Astarion, et il serait sûrement plus avisé d'agir selon ce postulat. Quant à ce qu'elle ressentait, elle-même l'ignorait. Elle savait juste que la veille, lorsqu'elle s'était sentie seule au milieu de la foule, ses pas avaient croisé les siens.
Lae'zel et Ombrecoeur étaient déjà réveillées ; la première s'exerçait, claquant la langue avec désapprobation en les voyant négliger leur entraînement. La seconde leur adressa une oeillade torve, mais Nymuë aurait été bien en peine de deviner s'il s'agissait d'une moue grivoise, ou d'un effet secondaire dû au vin.
Halsin était présent également ; les festivités ne semblaient nullement l'avoir fatigué.
"J'espère que la soirée vous a plu, les accueillit-il. Après tout ce que vous avez fait, vous méritiez bien un peu de bon temps. Il risque de se passer un moment avant que vous ayez droit à un autre instant d'insouciance…"
Les compagnons se réunirent autour de lui, parfaitement alertes désormais. L'expression sérieuse de l'archidruide, couplée à la lumière matinale, firent passer les célébrations récentes comme étant étrangement lointaines.
"Chez les gobelins, je vous ai révélé que le remède à votre mal se trouvait aux Tours de Hautelune, continua Halsin. Sachez que c'est… compliqué.
- Bien évidemment, grommela Astarion.
- Le voyage s'annonce extrêmement périlleux, quand bien même vous avez déjà vaincu votre lot de dangers. Pour atteindre les tours, vous allez devoir traverser une région terrible… une région maudite. Tout, là-bas, est enveloppé d'un linceul d'ombre. Vous ne trouverez ni lumière, ni vie, ni quoi que ce soit de naturel. Ceux qui y restent trop longtemps sont transformés ; changés en êtres d'ombre, des âmes tourmentées et extrêmement dangereuses.
- Il doit forcément y avoir un moyen, contra Nymuë. Sinon, comment les forces de l'Absolue parviennent à s'y rendre ?
- Vous avez la possibilité de passer par la surface en suivant la Route du Renouveau. De prime abord, ce sera plus simple, mais vous finirez fatalement par vous heurter à la malédiction des ombres.
- La Route du Renouveau ? répéta lentement Lae'zel. C'est là où la crèche githyanki a été repérée !"
Nymuë pinça les lèvres ; "par la surface", Halsin avait dit ? Cela laissait supposer une autre option totalement opposée. Elle avait un mauvais pressentiment…
"Ou sinon, poursuivit le premier druide, vous pouvez passer par en-dessous. Au niveau du temple en ruine de Séluné, celui-là même où s'étaient installé les gobelins, il y a un tunnel qui mène aux Tréfonds Obscurs. Les disciples de l'Absolue l'empruntaient pour se rendre aux Tours de Hautelune."
La musicienne ferma les yeux, imperturbable, tandis que ses camarades poussaient une exclamation de surprise. L'Outreterre recelait de nombreux risques, tout aussi mortels qu'une malédiction…
"Il y a bien longtemps, leur conta l'archidruide, un homme du nom de Ketheric Thorm a fait bâtir une forteresse secrète dans les profondeurs. Il a ensuite rallié à sa cause une véritable armée de Tribuns de la Nuit… des disciples de Shar."
Les murmures soucieux d'Ombrecoeur disparurent, aussitôt remplacés par la curiosité :
"Des Tribuns de la Nuit ? souffla-t-elle. Il nous faut voir ça. Ce n'est pas un hasard !
- Cette entrée, dans le temple de Séluné… réfléchit Nymuë. Était-ce ce que cherchaient Aradin et sa bande ?
- Exactement, acquiesça Halsin. On leur avait promis une fabuleuse récompense s'ils rapportaient du bastion de Shar une relique appelée Chantenuit… Mais il leur fallait pénétrer dans les Tréfonds Obscurs et y survivre, en premier.
- Au final, la simple étape des gobelins les a arrêtés.", se moqua Astarion.
L'elfe noire haussa un sourcil ; elle ne qualifierait définitivement pas leurs aventures parmi les gobelins comme ayant été simples. Et dire que pire les attendait encore…
"Hautelune… murmura Ombrecoeur, pensive. Sûrement un lieu ayant une fois encore un rapport avec Séluné. Du moins, avant qu'une secte s'y installe. Ce Ketheric Thorm devait être un important adepte de Shar pour construire une place-forte située entre deux points stratégiques de la catin lunaire. Il avait sûrement prévu de les attaquer simultanément.
- La malédiction l'aurait arrêté ? théorisa Nymuë.
- C'est ce que je pense, intervint Halsin. Si vous parvenez à découvrir ladite place-forte, vous devriez du même coup pouvoir trouver un moyen plus direct d'atteindre les Tours de Hautelune. Et peut-être même cela vous évitera-t-il le plus gros de la malédiction des ombres.
- C'est hors de question, tempêta Lae'zel. Nous avons suffisamment perdu de temps comme ça, nous devons en priorité retrouver les miens !
- N'avez-vous toujours pas compris que notre situation dépasse les procédures habituelles ? rétorqua la prêtresse. Nos larves sont magiquement protégées. Si nous ne découvrons pas la source de leur modification, les retirer ne nous sortirait pas d'affaire.
- En réalité, leur apprit l'archidruide, cela vous tuerait."
Un silence suivit cette révélation. L'esprit de Nymuë tournait à vive allure : qui avait modifié leurs parasites, et pourquoi ? Cela dépassait la cause illithid ; il y avait quelque chose d'autre. La visiteuse nocturne avait mentionné "un combat concernant la totalité de Faerun". Un combat… qu'ils étaient en train de perdre.
"La purification ne nous sauvera pas, Lae'zel, chuchota-t-elle à l'intention de sa camarade gith. Et je pense qu'au fond de vous, vous le savez."
La guerrière serra les poings, en proie à un conflit intérieur. Éliminer les larves ghaiks était soumis à un rigide protocole au sein de son peuple ; se laisser corrompre par un parasite était une souillure, une honte. Plus elle conservait cette créature dans un coin de sa tête, plus elle s'éloignait de l'idéal immaculé qu'elle devait devenir afin d'être acceptée par Vlaakith. Mais si l'archidruide disait vrai, et si cette opération menaçait l'ensemble des royaumes… alors ce serait faire passer sa propre personne avant la sauvegarde des siens, prendre le risque de laisser les flagelleurs mentaux accomplir leur Grand Dessein. Et jamais, jamais Lae'zel de K'liir agirait en lâche.
"Tsk'va ! rugit-elle. Très bien, menez-nous donc aux Tours si vous le souhaitez ; je ne tolérai pas servir les intérêts ghaiks !"
Nymuë observa longuement ses trois compagnons, analysant les sentiments contradictoires qui s'affrontaient en elle. Était-ce de l'anticipation, de la peur ? Ses parents étaient des figures fantomatiques dans son esprit, sans nom et sans visage. La seule information qu'elle n'ait jamais apprise au sujet de sa mère était qu'elle avait fui l'Outreterre ; s'en était échappée, quitte à trouver la mort au bout du périple. Si elle avait survécu, probablement qu'elle s'opposerait farouchement à leur décision actuelle. Mais disposaient-ils d'autres options ?
"En route pour les Tréfonds Obscurs.", déclara-t-elle.
Le retour au temple de Séluné leur prit un peu moins de deux jours. Grâce à Halsin et aux autres druides du Bosquet, ils détenaient assez de vivres pour toute une semaine. Le repaire des gobelins paraissait vide de ses anciens occupants ; il fallait croire que leur dernière visite avait porté ses fruits.
"Sommes-nous sûrs que le poison et les araignées nous ont vraiment débarrassés d'eux ? demanda Ombrecoeur.
- Si certains ont survécu, rétorqua Nymuë, ils ont dû fuir. La nouvelle de la mort de Minthara a déjà dû se répandre.
- Dans le pire des cas, contra la guerrière gith, ils ne sont pas de taille."
Restait l'énigme de l'entrée secrète ; avant leur départ, Halsin leur avait déclaré que le passage se trouvait sans doute au niveau des fondations du bâtiment. Comme les cultistes l'empruntaient régulièrement, ils avaient l'espoir que sa recherche ne se révèle pas si complexe.
Alors qu'ils traversaient le pont à l'approche de la cour intérieure du temple, un bruit sourd se fit entendre derrière eux. Aussitôt, ils dégainèrent leurs armes, mais seul un homme leur faisait face. Il était habillé élégamment, un plastron bleu mariné rehaussé de fils d'or. Ses cheveux bruns étaient coiffés en arrière, et il observait les compagnons avec… complaisance. D'où avait-il surgi, et comment ? Il ne semblait guère enclin à le leur apprendre. En réalité, il les aborda avec théâtralité, comme un personnage de spectacle venant enfin de faire son entrée grandiose :
"Et bien, et bien, qu'est-ce donc que cet endroit ? s'ébahit-il. Le chemin de la rédemption, ou alors celui de la damnation ? Difficile à dire, car votre périple ne fait que commencer."
"Quel genre de lunatique est-ce là ? " songea Nymuë. Quel autre énergumène invraisemblable allait encore croiser leur route ?
L'inconnu ne prêtait aucune attention aux lames pointées vers sa gorge, semblant réfléchir à sa réplique suivante :
"Qu'est-ce qui conviendrait pour cette grande occasion ? Une petite berceuse, peut-être ?
La souris, rusée comme un renard,
Se joua du chat sans retard !
Alors, la griffe s'abattit.
Et le récit fut fini."
Il soupira, admirant la beauté simple des rimes :
"Qu'est-ce qu'on écrit avec panache au Cormyr, n'est-ce pas ? Bien le bonjour, je me nomme Raphaël. Entièrement à votre service."
"Une menace, réfléchit l'elfe noire. Au moins, ne s'embarrasse-t-il pas de préliminaires."
"A qui nous adressons-nous ? demanda-t-elle. Au chat, ou à la souris ?
- Ni l'un ni l'autre, répondit l'inconnu. Plutôt au renard, en fait. Caché au détour d'une rime, il observe discrètement ; prêt à rompre le silence."
L'étranger - Raphaël - observa les alentours d'un oeil ennuyé, fronçant le nez à la vue du temple en ruines :
"Mais il est vrai que ce que j'ai à dire mérite un peu d'intimité, ainsi que plus de… raffinement, disons. Ce petit coin bucolique est vraiment au milieu de nulle part. Venez."
Le paysage s'effondra sous leurs yeux, et les compagnons se sentirent soudainement tirés en arrière. Les décombres devinrent murs ; la boue et les gravats furent remplacés par un sol en marbre. Un intérieur sombre - mais fastueux - les entourait. Ils se trouvaient dans une pièce ronde, majoritairement occupée par une table en bois massif et plusieurs chaises, dans ce qui semblait être une gigantesque demeure. Un festin les attendait, les plateaux de nourriture et les verres de vin se tenant prêts à être entamés. Raphaël se posta avec flegme à proximité d'une cheminée et leva la main, manifestement satisfait :
"Voilà. Le milieu de quelque part."
Nymuë se tourna vers ses camarades : la même angoisse, empreinte de colère, traversait leur regard. Lae'zel serrait toujours fermement son épée ; Ombrecoeur et Astarion pivotaient sur eux-mêmes, constatant que la salle à manger ne disposait ni de portes, ni de fenêtres. Aucune sortie, aucune issue… si ce n'était cet homme, jouant avec eux.
"Où sommes-nous ? siffla le roublard.
- La Demeure de l'Espoir, les accueillit le maître de maison, où les épuisés viennent se reposer, et les affamés se nourrir… dans le luxe. Je vous en prie, allez-y. Profitez bien de votre dîner. Après tout…"
Son sourire s'étira :
"... Cela pourrait très bien être le dernier."
L'elfe noire le sentit récolter leur réaction, étudiant avec délectation l'effet de ses paroles. Il les avait approchés en grande pompe, pour ensuite les transporter dans un lieu clos, inconnu. Il était leur hôte et leur geôlier ; à nouveau, l'acteur principal face aux figurants. Et maintenant que chacun était bien conscient de son rôle dans son grand-oeuvre, il allait pouvoir déclamer son texte.
"Je commence à me lasser de vos petits jeux ! cracha Lae'zel.
- Vous ne vous amusez pas ? rit-il. Très bien. Je ne voudrais surtout pas vous décevoir."
Un tourbillon de flammes l'enveloppa, rougissant sa peau et assombrissant ses pupilles… Nymuë et ses compagnons reculèrent instinctivement, mais Raphaël ne paraissait nullement disposé à les attaquer. Quand la bourrasque se calma, il leur sourit : deux cornes noires coiffaient sa tête, et il étira longuement ses ailes. Ses dents pointues étincelaient au milieu de sa figure carmine ; oh, le héros de l'histoire venait enfin de retirer son costume d'apparat.
"Nul besoin, ici, de tirer le diable par la queue… susurra-t-il. Vu que c'est lui qui régale."
C'était un cambion, réalisa l'elfe noire, la dangereuse engeance d'un démon et d'un mortel. Des créatures ambitieuses, avides d'âmes, de pactes… et plus que talentueuses pour subvenir à leurs besoins. Leur gloutonnerie sans limite n'était surpassée que par celle des hommes, dont les appétits et la cupidité servaient toujours leur cause. Gloire, puissance, richesse ? Oh, les diables étaient sans aucun doute enclins à vous les offrir, et au meilleur prix.
Du moins, pour eux.
"Suis-je un ami ? poursuivit Raphaël. Potentiellement. Un adversaire ? Éventuellement. Mais un sauveur ? Cela, en revanche, est une certitude."
Il étendit les bras, comme prêt à les accepter dans son étreinte. Lui, leur libérateur, la réponse à tous leurs maux. Entre ça, et l'étrange visiteur nocturne, les bienfaiteurs se multipliaient autour de leur petit groupe…Mais dans quel but ? Qu'avaient-ils de si précieux pour qu'un culte, une vision onirique et désormais un démon s'intéressent à eux ? Était-ce leur prisme, leur larve ? Quand les gros acheteurs se rassemblaient pour une mise aux enchères, c'est que le bien qu'ils visaient était d'une valeur inestimable.
"Pourquoi nous aider ? demanda Ombrecoeur avec méfiance.
- Parce que ma compassion ne connaît pas de limite ! s'écria Raphaël, comme si c'était une évidence. Je vais à la rencontre des nécessiteux et leur apporte mon aide quand je le peux. Et vous, vous en avez grandement besoin."
Son doigt griffu pointa Nymuë, elle qui jusqu'à présent était restée silencieuse.
"Il est doué, réalisa la jeune femme. Il sait que - de manière indirecte - notre groupe s'est choisi un meneur. Et que par conséquent, ma décision impactera celle des autres."
"Un seul crâne, murmura le cambion. Deux habitants. Et aucune solution en vue. Je pourrais régler le problème… en un rien de temps."
Ses prunelles orange l'observaient, à la recherche d'un souffle paniqué, d'un froncement de sourcil, d'une goutte de sueur : le moindre indice l'informant qu'il avait ferré sa proie. Malheureusement pour lui, la manière dont Nymuë dissimulait ses émotions au quotidien pouvait être élevée au rang d'art :
"Vous avez perdu la tête si vous pensez que je vais passer un marché avec un diable", répliqua-t-elle froidement.
Dans son dos, elle entendit le grognement approbateur de Lae'zel, ainsi que les soupirs de soulagement d'Ombrecoeur et Astarion. Avec le parasite, leur esprit et même leur corps ne leur appartenaient plus que de manière temporaire. Hors de question de risquer également leur âme.
"Et qu'est-ce que la folie, reprit lentement Raphaël, sinon le déni de la réalité ? J'ai tout de même le sentiment que vous allez changer d'avis. Tant que vous êtes encore aux commandes, bien sûr."
Il fit un geste négligent du bras, balayant leur volonté manifeste de survivre sans son aide :
"Essayez donc de vous soigner, renseignez-vous. Suppliez, empruntez, et volez ; explorez la moindre possibilité, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucune. Et quand l'espoir se sera réduit comme peau de chagrin, là, vous viendrez frapper à ma porte."
Il s'interrompit un instant, savourant son propre jeu de mot :
"L'espoir. Ha ! C'est si drôle.
- Vos plaisanteries ont assez duré, siffla l'elfe noire. Ramenez-nous d'où nous venons, et ne vous avisez plus de croiser notre chemin.
- Je vous en prie, mordez donc la main qui vous nourrit… tant que vous avez encore des dents."
Raphaël se pencha ensuite vers eux, comme pour partager une confidence :
"Tous ces symptômes si charmants, la peau qui s'ouvre, les entrailles qui se liquéfient… Ils ne se sont pas encore manifestés, n'est-ce pas ?"
Malgré elle, les yeux de Nymuë dérivèrent vers Ombrecoeur, et notamment vers son sac à dos transportant l'artefact. Le cambion suivit son regard et son sourire s'accentua :
"D'aucuns diraient que la chance vous accompagne. Je serai là, quand elle vous abandonnera."
Un vent violent emporta les aventuriers, les congédiant d'un claquement de doigt. Quand ils se relevèrent, le temple de Séluné les environnait à nouveau :
"Par les Enfers, s'écria Ombrecoeur. Au sens propre ! Et dire que je commençais tout juste à comprendre notre situation…
- Donc maintenant, nous avons un fichu diable après nous ? s'époumona Astarion. De mieux en mieux…
"Explorer toutes les possibilités", qu'il a dit ? Il avait l'air sûr que nous ne trouverions rien du tout. Et il a peut-être raison. On ne peut pas dire que la chance ait été de notre côté, jusque-là.
- Non, il se trompe, affirma sèchement Nymuë. Il n'est pas notre unique option.
- Tout ce qu'il a fait, rugit Lae'zel, c'est ébrouer ses belles ailes, comme s'il voulait nous impressionner. Ce genre de créatures parle beaucoup, mais n'a aucun pouvoir, hormis celui que nous lui donnons.
- Peut-être, persifla le roublard, mais quand je l'entends dire : "prenez votre temps, je ne suis pas pressé", je me dis qu'il s'amuse avec nous. Caza…"
Il se tut soudainement, jetant une oeillade méfiante à la guerrière gith et à la prêtresse :
"Quelqu'un que je connaissais aimait faire de même avec ses victimes. Leur laisser croire qu'il leur restait un espoir… jusqu'au moment où il décidait que le jeu était terminé. Ce genre d'individus ne jouent jamais tant qu'ils ne sont pas sûrs de gagner.
- Il est rusé, intervint Ombrecoeur. Mon ordre utilise la même tactique face aux ennemis de Shar. Pas besoin d'un chevalet ou d'un chat à neuf queues pour briser les gens. La peur et le doute sont généralement suffisants. Quand la souffrance arrive, le cerveau de la victime a déjà fait la majorité du travail à la place du bourreau. Il n'y avait pas de bonne réponse avec ce diable, Astarion, et vous feriez bien de vous en souvenir."
L'elfe se tourna vers elle, prêt à répliquer vertement, mais ses yeux croisèrent alors ceux de Nymuë. Elle le regardait calmement, avec confiance :
"Nous ne sommes pas ses marionnettes. Nous allons le lui montrer."
Lentement, le roublard hocha la tête. Son expression, toutefois, demeurait dubitative.
"Ce diable n'est pas le seul à vouloir nous attirer dans sa toile, poursuivit la prêtresse. Qui a altéré nos parasites, et qu'est-ce que le responsable peut bien nous vouloir ? Si nous parvenons à répondre à ces interrogations, nous aurons peut-être une chance de nous en tirer.
- Alors, cessons de bavarder.", trancha la githyanki.
Les compagnons pénétrèrent à l'intérieur du temple ; hormis les cadavres de gobelins jonchant le sol - victimes du poison, pour la plupart, ou des arachnides - les lieux paraissaient presque… immobiles. Aucun son, aucun mouvement ; qui pourrait deviner que les créatures fêtaient ici-même leur grand triomphe, il y a de ça seulement deux jours ?
Sur une estrade, près des escaliers qu'ils avaient empruntés pour rencontrer Minthara, gisait une gobeline en tenue de cérémonie. Ses adeptes l'entouraient, comme s'ils avaient voulu la protéger jusqu'à leur dernier souffle. Probablement la prêtresse Haruspia, la dernière cheffe de cette horde disparate. En fouillant son corps, Astarion trouva une clé qui leur ouvrit une section du bâtiment qu'ils n'avaient pas encore explorée.
Le lieu en question ressemblait à une ancienne église ; des bancs et des gravures remplissaient la pièce, bien que les gobelins aient réussi à gâcher une bonne partie du mobilier. Les aventuriers suivirent l'allée de pierre entre les sièges, s'enfonçant de plus en plus dans les profondeurs. Des symboles de Lune et de demi-Lune étaient peints sur les murs, et un courant d'air froid leur parvint subitement après une énième marche.
"Ce n'est plus très loin, songea Nymuë. Nous devons être tout proches."
Après une dernière descente, ils se trouvèrent dans une vaste salle éclairée uniquement par une minuscule ouverture au plafond. Un rayon filtrait à travers la pierre, éclairant une porte gigantesque sur laquelle étaient représentés les différents cycles de la Lune. Et derrière…
"A votre avis, murmura Ombrecoeur, cela descend jusqu'où ?"
Une énorme échelle de corde dégringolait dans les abysses, sans qu'un sol soit distinguable. Avec hésitation, l'elfe noire s'empara d'un caillou et le jeta : ils n'entendirent aucun bruit de choc.
"Jusqu'en Outreterre.", répondit-elle laconiquement.
Elle sentit sur elle le regard de sa camarade, soucieux :
"Est-ce que ça va aller, Nymuë ? Je veux dire… vous n'avez aucune idée de ce que vous allez y trouver.
- Vous non plus, rétorqua-t-elle. Et je crains qu'il n'y ait qu'une seule façon de le savoir."
Saisissant l'échelle, elle se suspendit prudemment dans le vide, faisant taire l'angoisse au creux de son ventre.
Il était temps d'entamer sa longue descente vers les Tréfonds Obscurs.
Notes de fin :
Et voici ! Semaine prochaine, nous entrons donc directement dans l'Acte II, avec pour commencer, la traversée de l'Outreterre... Bien évidemment, il s'agit d'un passage important pour notre Nymuë, qui retourne à ses racines !
Je vous remercie pour votre lecture et vous souhaite une excellente semaine !
