Chapitre 38 - L'antidote de Rogue


Sur le bureau du professeur Rogue deux fioles contenant un liquide d'un bleu presque blanc à l'éclat glacial les attendaient, Draco et elle. Le professeur Rogue se tenait derrière. Il les poussa vers eux.

— Autant vous prévenir, le lien que vous avez créé n'est pas quelque chose de réversible. En revanche, j'ai pu confectionner une potion pour le stabiliser et le mettre entièrement en sommeil. Cela devrait suffire pour en annuler les effets et rompre la connexion entre vous.

Avec appréhension, Hermione ramassa sa fiole. Cette fois, il ne s'agissait pas d'un de leurs essais bancals, mais d'une potion réalisée par un maître. Une fois bue, les effets du lien cesseraient pour de bon. Elle croisa le regard de Draco qui se détourna. Après avoir fait tourner le liquide, il l'avala d'une traite.

Avec un drôle de pincement au cœur, Hermione l'imita. Puis le professeur Rogue leur demanda de retirer les bijoux. Ils déposèrent le bracelet et la chevalière sur le bureau et la connexion se rétablit aussitôt.

« Ça n'a pas fonctionné. » dit Draco.

Hermione se tourna vers le professeur Rogue. Après quelques minutes d'observation, il déclara :

— Continuez de surveiller, la potion devrait prendre effet dans les prochaines heures. En revanche vous ne quitterez le château que quand je l'aurai décidé.

Il leur rendit les bijoux en leur ordonnant de ne pas les remettre et désigna la porte avant qu'elle n'ait pu le remercier. En attendant que la potion agisse, ils remontèrent dans la Salle sur Demande. Le Vivet s'était déjà endormi.

— Le vol a dû le fatiguer, fit Hermione.

— Sans doute oui, répondit Draco en se laissant tomber dans un fauteuil.

Elle s'assit dans celui en face et déposa le bracelet sur le bras de velours. Draco faisait tourner la chevalière entre son pouce et son index. Hermione se força à sourire.

— C'est le grand jour.

— Oui. Enfin.

Il déposa la chevalière à son tour. La connexion se rétablit. Peut-être pour la dernière fois. Hermione défroissa sa jupe puis se racla la gorge pour chasser le nœud qui commençait à s'y former.

— Dans les prochaines heures, c'est assez vaste, dit-elle.

— Assez, oui.

Sa troisième tentative de discussion mourut là et elle se résigna à attendre. Pour une fois, elle ne ressentait pas le besoin d'attraper un livre ni de faire quelque chose de constructif de ce temps. Le nœud dans sa gorge ne cessait de se serrer et rien ne l'attirait, alors elle posa la tête contre son dossier pour observer la boule de plumes jaune qui somnolait sur une branche. Le professeur Rogue avait parlé de mettre le lien en sommeil.

Après une attente sans fin, Draco se redressa légèrement. Elle l'avait ressenti aussi, cette impression que l'autre s'endormait. La présence de Draco qui lui paraissait si nette près d'elle commença à se brouiller, comme un coup de brosse efface de la craie.

« Je ne… plus… ien. »

Hermione referma le poing sur sa jupe. Elle le voyait, il était là, à quelques pas seulement, pourtant elle ne le sentait plus . L'impression de perdre un sens la fit se lever et la pièce tourna. La voix de Draco, ce qu'il ressentait, tout se faisait de plus en plus distant. Elle se raccrocha au fil mince qu'elle distinguait encore avec espoir qu'il ne se rompe pas entièrement, que quelque chose subsiste, mais il lui glissa entre les doigts comme de l'eau, impossible à retenir.

Puis il ne resta rien.

Elle se redressa, un vide immense dans la poitrine. Draco était face à elle et elle ne le sentait plus, elle ne l'entendait plus. Il était redevenu un parfait étranger.

— Ça a fonctionné, dit-il.

Sa voix ne manifestait aucune émotion. Hermione acquiesça avec sérieux.

— Je vais… vérifier la distance, dit-elle.

En franchissant la porte de la Salle sur Demande, ses dents étaient serrées avec force. Elle avait l'impression qu'on lui avait arraché une part d'elle et sa détresse se renforçait à chacun des pas qui l'éloignaient de lui. L'absence du bracelet sur son poignet, ne plus l'entendre, ne plus sentir sa présence, tout était étrange. Dehors le jour tombait. Elle se réfugia près de la cabane de Hagrid dont les fenêtres brillaient. À l'abri à l'orée de la forêt, elle resserra ses bras autour d'elle. En sommeil ou brisé, cela revenait finalement au même ; le lien n'existait plus.

Ce vide qu'elle ressentait disparaîtrait, lui aussi. Tout comme leurs disputes, ses encouragements dissimulés, ses moqueries, ces moments où il prenait sa défense, même si c'était souvent un prétexte pour agacer Ron.

Un rire lui échappa, entrainant des larmes avec lui.

Les journées à s'arracher les cheveux sur un antidote, celles chez ses parents, le parc d'attractions, leur balade à Pré-au-Lard pour préparer le bal. Et dans les miroirs de la Salle sur Demande, Draco qui lui tenait la main, lui dans sa robe de soirée noire liserée d'or et elle dans sa robe assortie.

Depuis le début, elle savait que ce qu'ils partageraient ne mènerait à rien, mais ces souvenirs au moins, resteraient avec elle.

Hermione releva la tête vers le toit que formaient les branches. Le ciel derrière virait dans les violets. Elle renifla, écoutant les oiseaux qui chantaient encore en attendant que ses yeux et son nez redeviennent moins rouges. Enfin elle reprit le chemin du château. Lorsqu'elle poussa la porte de la Salle sur Demande, Draco était debout, penché sur la table, le regard brillant. Il posa sa plume et se redressa.

— Je ne t'ai jamais dit ce que j'essayais de faire à la base.

— C'est vrai que le lien n'était qu'une conséquence de ton échec.

Draco lui mit un morceau de parchemin dans les mains.

— Moi je n'ai fait qu'appliquer ta théorie. Techniquement, c'est ton travail qui nous a explosé à la figure.

— Peut-être que tu l'as mal appliqué, répondit Hermione en retournant le parchemin.

Il était vierge des deux côtés.

— Que veux-tu que j'en fasse ?

— J'ai trouvé un cahier au manoir il y a des années. Il était vide, mais quand j'ai commencé à écrire dedans quelqu'un m'a répondu.

Hermione entrouvrit la bouche. Un cahier qui répondait, ce ne pouvait être que le journal de Jedusor.

— Tu sais au moins à qui tu parlais ?

— Je m'apprêtais à poser la question, mais mon père m'a surpris. Il est entré dans une colère noire et je n'ai jamais revu le cahier depuis. Ce devait être un artefact puissant, c'est pour ça que j'ai voulu…

— Tu parlais à Tu-Sais-Qui.

— … récréer… Quoi ?

— C'était son journal. Il y avait une part de lui enfermée dedans et Harry l'a détruit en tuant le basilic.

— Attends, ralentis un peu Granger, quoi ? Le Seigneur des Ténèbres ? Et pourquoi tu me parles de basilic ?

— En deuxième année, Tu-Sais-Qui a utilisé le journal pour manipuler Ginny et l'a poussée à ouvrir la Chambre des Secrets. Le monstre de Salazar, c'était un basilic. C'est lui qui pétrifiait les élèves. C'est lui que Harry a tué avant de détruire le journal.

Draco cligna des yeux.

— Tu es en train de me dire que Potty a battu un basilic et le Seigneur des Ténèbres en deuxième année ? Et tu t'inquiétais pour le Tournoi des Trois Sorciers ? J'ai parlé au Seigneur des Ténèbres ?

Il frissonna.

— Bon, peu importe, le passé c'est le passé et on savait déjà que le balafré était un être supérieur, supérieurement chanceux surtout. Ce doit être un paradis que tout lui tombe dans la main sans qu'il n'ait rien à faire. De toute façon l'important, c'est ça.

Hermione réexamina le parchemin et un éclair de compréhension la traversa. Avec la plume de Draco, elle traça le mot « bonjour ». L'encre s'attarda un instant puis disparut, comme absorbée par le papier.

— Et voilà le travail, dit Draco.

Sur le parchemin qu'il tenait entre deux doigts, une main invisible venait de tracer « bonjour » de son écriture.

— Oh. Eh bien, félicitations.

Draco lui adressa un petit sourire satisfait.

— Tu comptes en donner à Crabbe et Goyle ?

— Non garde-le. Ils doivent être capables d'écrire maintenant, mais je doute pouvoir tirer quoi que ce soit d'intéressant d'eux de toute façon. Et comme ça si un effet indésirable se manifeste pendant les vacances, on aura un moyen immédiat de se contacter. Le professeur Rogue voulait qu'on garde le Vivet jusqu'à la rentrée, au cas où. Je te le laisse.

Hermione resserra les doigts autour du papier, le cœur battant.

— Oui. Oui, bien sûr.


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Karine, oh non t'en fait pas, c'est plutôt loin d'être fini même !