Vieux démons

Eddie se tenait devant le bureau de Franck, le psychologue du département des pompiers, se sentant nerveux et vulnérable. Il avait longtemps repoussé cette rencontre, craignant de s'ouvrir sur ses vieux démons, mais il savait au fond de lui qu'il avait besoin d'aide.

Franck le salua chaleureusement et l'invita à s'asseoir.

L'atmosphère de la pièce était calme et apaisante, ce qui permettait à Eddie de se sentir un peu plus à l'aise malgré sa nervosité palpable.

– Alors, Eddie, que puis-je faire pour vous aujourd'hui ? demanda Franck d'une voix douce et compréhensive.

Eddie hésita un instant, les mots coincés dans sa gorge. Il savait qu'il devait parler de ce qu'il traversait, mais l'idée de mettre en mots ses pensées les plus sombres lui était difficile à supporter.

– Je... je ne sais pas par où commencer, avoua-t-il finalement, sa voix, tremblant légèrement.

Comme toujours, Franck lui lança un regard encourageant.

Eddie savait que ça faisait partit de sa formation et qu'il le faisait avec tous ses patients mais il appréciait vraiment sa façon de faire.

– Prenez votre temps, Eddie. Nous sommes ici pour vous aider.

Eddie respira profondément, rassemblant son courage.

Franck avait raison. Ils étaient là pour l'aider à guérir et s'il ne parlait pas, comme il l'avait fait avec les quelques vingt-sept thérapeutes qu'il avait été voir au cours de sa vie, et bien les choses ne pourraient pas s'arranger.

– C'est juste... ces derniers temps, je me sens complètement perdu. Comme si je me noyais dans un océan de désespoir et d'auto-dégoût.

Franck prit des notes sur son carnet, écoutant attentivement chaque mot qu'il prononçait.

– Et qu'est-ce qui vous fait vous sentir ainsi ?

Eddie déglutit difficilement, sentant les larmes lui monter aux yeux. Il garderait ce souvenir humiliant en mémoire pour le reste de ses jours.

– C'est... c'est à propos de mon meilleur ami, Buck. L'autre soir, je… je suis allé dans ce bar où je vais quand je ne vais pas bien, juste pour… une connexion.

– Il n'y a aucun mal à ça, le rassura Franck.

– C'est un bar gay, crut-il bon de l'informer.

– Toujours aucun mal, lui sourit-il doucement.

– Ok, je…, commença-t-il déconcerté.

– Continuez, l'encouragea-t-il. Que s'est-il passé dans ce bar et en quoi cela concerne-t-il votre ami Buck ?

– Il y avait ce type qui… il m'a accosté et m'a proposé du sexe dans ma voiture et… j'ai dit oui. Il ne m'a pas dit son nom et j'ai juste dit oui. C'était stupide.

– Certainement mais vous le saviez avant de dire oui, n'est-ce-pas ?

– Je le savais, confirma-t-il honteux. Et je sais que c'est dangereux mais je n'y ai même pas pensé. J'avais juste besoin de sexe.

– Très bien, laissons de côté le côté dangereux de votre comportement, une minute, et dites-moi ce qui a mal tourné, cette fois.

– Le type s'est jeté sur moi avant que je n'ouvre la voiture et il a mis mon…, vous voyez ? Dans sa… bouche au milieu du parking.

– Notre état prend très au sérieux les actes d'attentat à la pudeur, lui rappela Franck.

– Ouais et croyez-moi j'aurais largement préféré être interrompu par la police. Mais je l'ai été par… Buck. S'il y avait une seule personne sur cette planète, excepté mon fils, à laquelle je n'aurais jamais voulu parler de ça, c'était bien lui.

Décrire la nuit où Buck l'avait trouvé dans une situation compromettante, le pantalon baissé et la honte brûlante sur ses joues, le fit de nouveau se sentir honteux. Il lui expliqua comment cette expérience l'avait laissé désemparer, terrifié à l'idée de perdre l'amitié de la seule personne qui comptait vraiment pour lui.

– Comment a réagi Buck ?

– Il a été choqué, admit Eddie. Mais compréhensif, il a dit que j'avais besoin d'aide pour arrêter de faire n'importe quoi avec n'importe qui. Le plus risible dans tout ça c'est qu'il a eu une période où il s'envoyait toutes les filles qui lui tombait sous la main. Mais je crois qu'en fait il essayait seulement de trouver un peu d'amour.

– Comme vous ?

– Ouais mais je… C'est différent.

– En quoi ?

– Buck… il se cherchait alors que moi… tout ce que je veux, c'est trouver un substitut de celui que j'aime vraiment. De lui, poursuivit-il. Tout ce que je veux, c'est lui.

– Buck ? demanda Franck en confirmation.

– Comment ça pourrait être quelqu'un d'autre ? rit-il nerveusement. Je veux dire, on se connait et il me voit. Il aurait pu juste… me rayer de sa liste d'amis ou se moquer de moi mais il a vu au-delà de ce qu'il avait sous les yeux. Il a vu le vrai moi, celui qui est complètement paumé dans ce qu'il ressent. Il veut sincèrement m'aider et j'ai envie de…, continua-t-il, sa voix se brisant légèrement. Mais je... je ne sais pas si je peux lui dire ce que je ressens vraiment. J'ai peur... j'ai peur qu'il me rejette, qu'il ne veuille plus de moi après ce qu'il a vu.

– Avez-vous déjà parlé à Buck de ce que vous ressentez pour lui ? demanda Franck en lui jetant un regard compatissant.

Eddie secoua la tête, des larmes coulant maintenant librement sur ses joues.

Il n'y avait rien dans ce monde qu'il ne voulait plus, que de dire à Buck qu'il l'aimait, et il avait imaginé tant de fois ce que cela serait quand Buck l'embrasserait en lui disant que lui aussi.

Mais il savait que dans la vraie vie, ça ne se passait pas comme ça.

– Non. Je ne peux pas. Je sais... je sais que jamais il ne voudra de moi de cette façon.

– Parfois, il est nécessaire de prendre le risque d'être vulnérable pour ouvrir la voie à une véritable connexion avec quelqu'un d'autre, affirma-t-il en lui adressant un sourire réconfortant.

Il continua à poser des questions à Eddie, l'encourageant à explorer ses émotions et ses motivations les plus profondes. Il voulait savoir pourquoi Eddie se sentait attiré par des histoires sans lendemain et dangereuses, pourquoi il se sentait obligé de se cacher derrière un masque de bravade et de dureté.

Eddie répondit du mieux qu'il put, laissant échapper ses émotions avec chaque mot qu'il prononçait. Il sentait comme un poids écrasant qui se levait de ses épaules alors qu'il partageait ses pensées les plus intimes avec Franck.

– Je ne sais pas quoi faire, avoua-t-il enfin, sa voix brisée par les sanglots. Je me sens tellement au fond du trou, et je ne vois pas comment je pourrais m'en sortir.

– Il est normal de se sentir dépassé parfois, Eddie, lâcha Franck avec compassion. Mais vous avez déjà fait un grand pas en venant me voir aujourd'hui.

Eddie hocha lentement la tête, reconnaissant pour les paroles réconfortantes de Franck. Il savait qu'il avait encore un long chemin à parcourir, mais pour la première fois depuis des mois, il se sentait un peu moins seul.

– Merci, murmura-t-il, ses yeux rougis par les larmes. Merci de m'aider à traverser cela.

– Nous sommes ici pour vous aider, Eddie. Vous n'êtes pas seul dans cette lutte.

Ils continuèrent à discuter pendant un certain temps encore, Eddie se sentant de plus en plus léger à mesure qu'il partageait ses fardeaux avec Franck. Il savait qu'il avait encore beaucoup de travail à faire sur lui-même, mais pour la première fois depuis longtemps, il avait un peu d'espoir pour l'avenir.