Edit comportant les Trigger Warning pour ce chapitre : Heavy Angst. Dépression. Référence à des abus physiques et sexuels.

En vous souhaitant une bonne lecture !


[Chapitre 1]

Il était tard, ce soir-là. Il pleuvait, le tonnerre commençait même à gronder, il apparaissait en zébrures menaçantes par-delà les ruines d'anciens immeubles et les carcasses immondes des bidonvilles à la surface terrestre. Depuis le navire, Allen observait les flots et les cieux, sa capuche lui cachant le visage, accoudé au bastingage. Il espérait que Chaoji ne viendrait pas encore l'emmerder ce soir. Depuis que le jeune oméga avait refusé ses avances, l'alpha se faisait horriblement persistant. Allen avait peur. Peur qu'il le violente. Parce qu'il en était tout à fait capable, il le savait. De nouveau. Allen soupira, se mordant l'intérieur de la joue. Le jeune garçon fixa sur son attention sur un point qui venait de se déplacer au loin. Son œil gauche, barré par une hideuse cicatrice, pentagramme étrange surmonté d'une étoile serpentant de son front au milieu de sa joue, réagit au quart de tour. Avant même qu'il ne puisse comprendre, son bras, habituellement insensible, le lançait atrocement.

Ça ne se produisait que dans une seule situation.

Un Akuma.

Comme d'habitude, Allen ferma les yeux, se courba en deux, se retenant de toute ses forces à la barrière de sa main valide. Il sentit les larmes monter mais il ne les laissa pas couler. Ça faisait longtemps qu'il savait les retenir. La vie le lui avait appris, pas le choix. Ce n'était qu'un Akuma isolé, ce n'était rien à côté de ce qu'il ressentait quand il y en avait plusieurs ou tout un essaim.

Quand il avait rejoint le clan, au début, ils l'acceptaient pendant les raids. Mais ça, c'était avant. Avant que les Akumas n'évoluent, et qu'ils tuent directement les humains qu'ils possédaient. Il servait de guide pour les débusquer, mais puisque les Akumas ne s'embarrassaient plus de faire illusion, ce n'était plus nécessaire. Le don d'Allen était une inutilité. Quant à son bras, Sheryl, le médecin du clan, l'avait examiné. Ils étaient plus ou moins sûrs qu'il possédait une Innocence là-dedans, mais son bras avait longtemps été à peine valide. Il avait commencé à pouvoir l'utiliser quand les crises de douleurs, si aigües qu'ils devaient le piquer, avaient commencé. Ils ne savaient donc pas quoi faire de lui. Il aurait fallu l'opérer, trifouiller entre les nerfs et les muscles fragilisés, pour seulement espérer trouver l'Innocence et réussir à la sortir.

C'était trop de risque alors qu'elle était en sécurité dans son corps. D'autant que Sheryl avait peur que cela endommage ses nerfs à vie, ou encore ne le tue. Mais ce n'était pas ce qui gênait leur chef, Luberrier. Il n'était qu'un oméga, après tout. Ils le toléraient seulement à cause de son œil gauche quand ça avait pu leur faciliter la tâche. Il n'avait pas les épaules pour être exorciste, pas la force, pas le statut. Il était inconvenant pour un être comme lui d'être au contact des Akumas, il était trop fragile. C'est ce qu'on lui avait toujours répété, bien qu'Allen n'ait jamais été de cet avis. Il voulait faire ses preuves. Cependant, il avait déjà dû lutter pour qu'on l'accepte en salle d'entraînement, où, malgré un bras à moitié valide et de fait moins réactif que l'autre, il arrivait tout à fait suivre les combats et faire preuve de souplesse tout en améliorant sa dextérité, alors il était vain d'oser simplement espérer participer aux Purges. Puis, sans Innocence, sans pouvoir utiliser celle qui vivait en lui… C'était impossible de combattre.

Luberrier faisait souvent remarquer que c'était une honte qu'il possède une Innocence, il paraissait affligé qu'ils ne puissent pas la lui ôter. Le blandin savait qu'il brassait de l'air face à Sheryl régulièrement pour le convaincre de tenter l'opération, jusqu'à il y a peu. Il ignorait pourquoi Luberrier avait abandonner l'idée, mais Allen n'allait pas s'en plaindre. Sa position était déjà suffisamment délicate comme ça.

Il était las de cette vie, même si c'était son lot quotidien. Ce n'était même pas le pire.

« Walker ! »

Il se retourna en sursaut. Link venait de le héler, une main retenant sa capuche qui menaçait de s'envoler avec le vent. Comme d'habitude à chaque fois qu'il le voyait, Allen sentait son ventre se serrer, sa gorge se nouer, et il avait envie de vomir. Ce n'était pas pire que quand il voyait Chaoji, mais ce qui s'était passé entre Link et lui… Il avait mal au cœur. Ça faisait déjà deux ans, deux ans qu'il avait peur que ça recommence, deux ans qu'il souffrait de savoir qu'il n'avait aucun soutien. Que celui qui aurait dû le protéger ne l'avait pas fait, ne s'était contenté que de le juger aux apparences.

Allen avait un peu plus de dix-huit ans, et il avait rompu ses fiançailles avec Link à ses seize ans. Normalement, ils auraient dû être mariés. En réalité, c'était Link qui l'avait répudié.

Il avait rejoint le clan à ses dix ans, à la suite d'une sombre histoire dont il n'aimait pas trop se rappeler. En résumé, il avait été acheté. Parce que Luberrier voulait un reproducteur. C'était comme ça qu'il baptisait les omégas. Autant les prendre jeunes et les élever dans l'idée qu'ils n'étaient bons à rien afin de les habituer à leur destin. Avec les chaleurs, les omégas pouvaient avoir beaucoup d'enfants, et ils tenaient aussi la réputation d'être parfaits pour soulager les hommes, alphas ou bêtas. En temps de guerre, cela semblait rigoureusement de mise. Link lui avait été assigné comme protecteur, et bien vite, au fur et à mesure qu'il grandissait, Luberrier avait vu en cela une opportunité de mariage, histoire que son subordonné le plus fidèle puisse enfanter d'autres suiveurs. Link avait aussi des pouvoirs étranges que Luberrier aurait aimé voir transmis. Allen aurait préféré ça plutôt que de craindre qu'ils lui passent tous dessus une fois qu'il serait en chaleur, mais...

Les circonstances faisaient que cette union n'avait pas pu se faire.

« Tu devrais rentrer, » dit Link, l'interrompant dans ses pensées. « Tu vas attraper du mal. »

Allen haussa les épaules, évitant de regarder l'autre dans les yeux. Il le suivit pourtant sans un mot. Obéissant, il traversa le pont. Il grinçait lourdement sous leur pas. Une fois entré dans l'habitacle, il fallait descendre l'escalier qui menait à l'intérieur du navire, lequel ressemblait ni plus ni moins à un grand immeuble. Les deux jeunes hommes ne s'adressèrent pas la parole durant la descente, qu'ils firent pourtant côte à côte. Il n'y avait plus aucune communication entre eux, et Allen se disait qu'il n'y en avait jamais vraiment eu, en vérité. C'était assez douloureux.

Comme le reste.

Arrivé au premier pont, Allen récupéra néanmoins le sourire. Il avait à peine baissé sa capuche, ôté son manteau et commencé à l'accrocher sur la vieille barre portative, rouillée et à moitié penchée d'un côté, qu'une voix joyeuse réclama son attention.

« Allennnnn ! »

Il s'agissait de Timothy, un autre oméga que Luberrier avait déniché il y a de cela un an. On le lui avait tout de suite confié, pensant que parce qu'il était un oméga, donc fait pour ça, il saurait s'occuper de l'enfant. C'était faux, Allen ne se considérait pas très doué, il galérait beaucoup, mais il s'efforçait de faire de son mieux et il aimait beaucoup Timothy, parce qu'il était adorable. Dissipé, tête en l'air et un poil provocant, Allen reconnaissait son propre caractère à cet âge chez le petit. Il était aussi diablement attachant.

Allen posa son manteau et se retourna, juste à temps pour que le gamin lui saute dans les bras. L'adolescent grimaça au choc, mais rit malgré lui. Link s'était éloigné, il était parti dans un couloir. Tant mieux. Allen se reconcentra sur l'enfant, à qui il caressa le crâne gentiment de sa main la plus faible, tout en essayant de le pousser à se reculer légèrement en appuyant sur son épaule de la plus forte.

« Tu m'as l'air bien joyeux, toi.

—Ouais ! » Timothy sourit encore plus, ses yeux se plissant de malice. « Tyki m'a appris un nouveau tour avec les épées en bois, c'est trop génial ! »

Allen se mordit la lèvre. Il avait peut-être un petit béguin pour Tyki, mais c'était encore assez bénin. Cela étant, ce qui l'inquiétait, c'était que Luberrier ne paraissait pas décidé à ce que Tim' apprenne à se battre. Il avait peur de sanction. Tyki était gentil, il voulait bien faire, mais l'oméga irait lui en toucher deux mots. Il se rappelait les coups de badines que Link lui filait sur ordre de Luberrier quand il était plus jeune et qu'il s'incrustait lors des séances d'entraînements, avant qu'il n'arrive à faire admettre au vieillard que c'était nécessaire qu'il sache se débrouiller, vu son don.

Allen savait que Link détestait faire ça, ce dernier le lui avait dit et le blandin l'avait senti sincère. Il savait aussi qu'il évitait d'y aller trop fort, il l'avait constaté lui-même, avait aussi constaté ses grimaces écœurées chaque fois que la canne s'abattait sur lui. Luberrier devait faire les mêmes constats, mais il s'en fichait. Cet homme avait des mœurs obtus et douteuses, il considérait qu'être dur avec les omégas leur apprendrait leur place et les rendrait plus obéissant. C'était ce que Link lui avait expliqué, encore une fois, tout en stipulant qu'il n'y croyait pas lui-même. Il n'avait juste pas le choix. Enfin, c'étaient des souvenirs qu'Allen n'affectionnait nullement, et il ne voulait pas que Timothy subisse ça.

L'enfant lui demanda de lui lire une histoire, et Allen accepta. Ils allèrent dans sa chambre, située dans une aile plus bas, et se couchèrent tous les deux dans son lit. Allen choisit un livre au hasard, les borda, et ouvrit son bras gauche à Tim pour qu'il s'y glisse. Il l'enlaça étroitement, tenant le livre de sa main droite, et il commença à lire. C'était un conte de fée tout ce qu'il y a de plus banal, la belle et la bête.

Ils l'avaient déjà lu mais les livres rescapés des Grands Massacres étaient rares. Aussi, ils s'endormirent l'un contre l'autre, laissant tomber le bouquin entre eux.

Allen pouvait se réjouir de ne pas passer sa nuit seul à ressasser les mêmes problèmes et à pleurer, cette fois.


Le lendemain, Allen était sorti après avoir pris un copieux petit déjeuner en compagnie de Timothy. Timcanpy, son Golem personnel, une créature ailée jaunâtre, s'était perché sur son épaule au réfectoire, se frottant à son visage d'un air de reproche de ne pas l'avoir emmené avec lui dehors la veille. Sa queue, en une sorte de point d'interrogation enroulé sur lui-même à la fin, lui baffait doucement le crâne. Non sans l'avoir engueulé copieusement afin qu'il arrête, sous les rires de Timothy, Allen avait décidé qu'ils iraient se promener tous les deux. Il avait beau être programmé, Allen était certain que Tim avait sa conscience, il avait des attitudes diablement trop… humaine pour qu'il puisse en être autrement.

Il avait laissé Timothy avec Tyki, lui recommandant d'être prudent dans ce qu'il apprenait au garçonnet, et rougissant au moment où ce dernier lui avait recommandé de faire attention dehors. Avec ses cheveux bouclés, son grain de beauté sous l'œil et sa voix chaleureuse, Allen le trouvait très agréable à regarder. C'était à peu près un des seuls alphas qui pouvaient prendre sa défense. Il y en avait d'autres qui n'étaient pas pour l'oppression, il y en avait toujours, forcément, mais… ils suivaient le mouvement, ou Allen ne les connaissait pas. Il y avait énormément d'alpha et de bêta, il était sociable et essayait d'être gentil avec tout le monde, cependant, il voyait des nouveaux visages régulièrement, entre ceux qui revenaient de missions de longue durée, ou ceux qui étaient infiltrés, ou encore… Ceux qui se battaient contre les autres clans, plus prospère.

Pour en revenir à Tyki, il l'avait aidé suite à l'incident avec Chaoji, et Link. Allen lui en serait toujours reconnaissant, sans quoi, il n'en serait pas là aujourd'hui. Toutefois, il savait que ça n'irait pas loin. Tyki préférait les femmes, il le voyait souvent sur la terre ferme en compagnie de jeunes femmes bêtas, et ça se voyait qu'il les appréciait physiquement. Il ne l'avait jamais vu reluquer les omégas, filles ou garçons. Encore que les omégas féminins étaient assez rares. Puis, Tyki était plus comme un grand-frère pour lui.

Ce qui n'empêchait pas de mater, Allen n'allait pas cacher son jeu là-dessus.

Ayant mis une écharpe épaisse par-dessus un vieux manteau beige légèrement trop petit, car ils entraient bientôt dans le 3ème cycle de l'année, Allen avait demandé à 65, l'humanoïde qui gardait la porte, d'abaisser la passerelle pour qu'il puisse rejoindre le sol. D'habitude, un oméga devait avoir l'accord d'un alpha, mais comme Tyki était derrière lui, il hocha la tête en direction du robot, ce qui fit ouvrir la porte pour le blandin. Allen avait remercié son ami, mais le courant d'air qu'il se reçut en pleine tête le fit violemment grimacer. L'alpha aux cheveux bouclés rit, et s'éloigna en levant une main dans les airs en guise de salut.

Allen sortit, regrettant de s'être habillé à la vite. Il avait un pull à moitié déchiré sous son manteau, et son jean (tâché, il faudrait vraiment qu'il fasse une lessive) tombait trop sur ses hanches, il avait donc dû mettre une ceinture qu'il avait horriblement galéré à trouver dans son placard – il disposait de peu d'affaires, mais avait une tendance à tout égarer. Il s'en fichait néanmoins, tout ce qu'il voulait, c'était respirer un peu, et rester loin de son clan.

Il marcha précautionneusement sur la passerelle branlante jusqu'au quai, et soupira de plaisir en zyeutant le ciel gris, parsemé de nuage, qui lui faisait face. Tandis qu'il marchait, Allen se choisissait un but. Se rendrait-il au marché, plus bas dans les rues parsemés de débris ? Les bidonvilles et la pauvreté ambiante étaient moins attrayant que la pureté du dôme céleste qui s'étendait par-dessus sa tête. Allen avait toujours voulu vivre dans les cieux, il avait toujours fantasmé sur ce qu'il y avait en haut. Mais c'était impossible, les avions n'existaient plus, ça aurait été trop dangereux avec les Akumas.

Les Akumas étaient apparus il y a un peu plus de 300 ans. Personne ne savait comment ça avait commencé. Et les Exorcistes étaient apparus environ 50 ans plus tard, si Allen en croyait ce que Tyki lui avait expliqué en lui montrant de maigres revues d'histoire survivantes. Les villes et les pays étaient riches, l'histoire était soigneusement conciliée, le temps était établi, les saisons et la politique étaient choses publiques, non l'affaire de clans disparates qui se tiraient des bâtons dans les roues pour être le plus fort. Oh, il restait des richesses (quelques endroits huppés dans lesquels il n'avait jamais foutu les pieds) mais elles étaient divisées entre les clans, et les clans s'étaient créés suite à l'arrivée des Akumas. Les Grands Massacres avaient décimé une majeure partie de la population, les gens s'étaient regroupés, il y avait eu des conflits, une lutte de pouvoir, des renversements, dû à un clivage de valeur qu'Allen constatait dans des ouvrages qu'il pouvait lire.

Avant, ça parlait évolution, ça parlait avenir, ça parlait futur, ça parlait inclusivité et changement. Pas d'échos de viols collectifs d'omégas qu'Allen voyait parfois dans la revue locale, pas de clans abusifs comme le sien, pas de violences omniprésentes. C'était du moins comme ça qu'Allen se le représentait. Il comprenait aussi, à d'autres ouvrages, que tout n'était pas parfait. Il y avait de la souffrance, de la violence, et une absence de parité dans certains domaines. Ça lui semblait pourtant si… dérisoire… par rapport à la situation actuel. Parce que les temps avaient changé. C'était difficile de se dire qu'avant, on pouvait lutter pour le meilleur, alors que maintenant, on luttait pour survivre.

C'était pour ça qu'Allen devait avoir l'accord d'un alpha pour le nez dehors, c'était flippant de sortir en ayant sa condition d'oméga. Mais Allen ne voulait pas s'arrêter à ça. Luberrier voulait qu'il se trouve un alpha, un autre protecteur que Link. Chaoji s'était porté volontaire, Allen savait que le choix de l'alpha risquait de supplanter le sien, quand bien même il avait dit non. Sa tentative de parlementer s'était mal déroulée. Luberrier avait commencé par être faussement compatissant, puis il l'avait sermonné de ne pas faire d'effort après avoir essayé d'insinuer un doute dans ce qu'il racontait. Comme si Allen mentait sur ce que Chaoji avait fait ou qu'il l'inventait. Surtout que Chaoji n'était pas allé jusqu'au bout, il n'avait pas été marqué, c'était sa parole contre celle de l'autre.

Et que valait la parole d'un oméga, d'un reproducteur ?

Pas grand-chose.

Il était furax, en conséquence.

Sans qu'il ne s'en rende compte, les pas d'Allen l'avaient mené un peu plus loin dans les rues. Les gens qui vivaient ici étaient ceux qui n'avaient pas de clans. Parce qu'ils étaient trop pauvres ou pas assez résistant pour être utiles. Il n'y avait que 4 clans. Le sien, dirigé par l'alpha Luberrier, à la tête du deuxième l'alpha Adam Campbell – surnommé pour on ne savait quelle raison le Comte Millénaire, le troisième appartenant à l'alpha Kanda Yû, dont Allen avait entendu parler pour ses célèbres orgies apparemment très festives – l'oméga trouvait ça réellement flippant, et enfin, le dernier mené par un vieil homme dont Allen ne se rappelait que vaguement le nom, car un peu long et étranger. Zuu Mei Chang ? Quelque chose du genre ? Allen ne savait pas.

Le clan de Kanda Yû était le plus proche rival du sien, car établi non loin d'eux sur ce qui était encore occupable sur le globe terrestre. C'était sans doute car c'était leur rival, mais il lui avait été dépeint comme terrible, une sorte de Conan le Barbare (oui, il connaissait la référence, il était tombé sur une BD), en plus trash, et paraissait peu recommandable. C'était contre son clan que se battaient beaucoup des siens. Allen savait que Luberrier vendrait son âme pour le voir mort et pendre sa tête au bout d'un pic.

Qui était le plus barbare, après, ça, Allen ne connaissait pas l'autre…

En marchant dans l'air guilleret, au milieu de maisons de fortunes délabrés et des déchets qui jonchaient le sol, Allen vit une femme et ses deux garçonnets sortir d'un habitacle qui semblait terriblement insalubre. Il sentit à leurs odeurs que c'étaient deux omégas, la femme était une bêta. Il eut la brève pensée que s'il n'avait pas été vendu au clan de Luberrier, lui aussi vivrait dans les débris.

Il était reconnaissant d'être logé, d'être nourri… mais il se demandait parfois si ce n'aurait pas été mieux d'être là, dehors. Il avait de l'empathie pour la souffrance des terrestres, pour l'insécurité constante sous laquelle ils vivaient, mais il ne pouvait pas s'empêcher de haïr son clan. Malgré lui. Il aurait voulu s'élever. Être accepté. Par pour être au-dessus, mais pour être… reconnu ? Oui, reconnu, en tant qu'individu, accepté, respecté. C'était dur. Le respect se gagne, certes. Mais des fois, même en trimant, Allen avait le sentiment qu'il y avait des gens à qui ça ne suffisait jamais.

Le jeune oméga était donc très amer. Il était rongé par la colère. Et en même temps, il se morigénait d'être insatisfait. Allen ne savait pas quoi faire.

Et il avait peur.

Qu'allait-il se passer si on le forçait à accepter Chaoji ? Ou un autre ? Il aurait bien voulu Tyki, mais il savait que ça ne s'y prêtait pas, et il ne voulait pas le réclamer pour lui imposer un fardeau. Oh, il avait déjà pensé qu'il y en avait d'autres que Tyki à être tolérant. Mais on ne savait jamais. S'il piochait mal ? S'il tombait sur un individu qui avait l'air gentil et qui jouait double-jeu ? Allen ne savait pas quoi faire. Il ne voulait pas être violé. Il préférait mourir. Rien qu'à y penser, il voulait mourir. Il était pieds et poings liés. C'était comme être sur la potence, la corde suspendue à son cou, proche d'être poussé dans le vide. C'était inévitable. La volonté ne comptait plus.

Soupirant, Allen se calma – enfin, il voulut se calmer. Il voulait garder la tête froide. Il n'était plus un enfant, il savait que le monde était injuste, on le lui avait bien montré. Se faire du mouron ne changerait rien.

Sur son épaule, Timcanpy bougea, jusqu'à se frotter contre sa joue affectueusement. Allen eut un bref sourire. Il était réconforté… partiellement… à moitié. Rien ne lui enlèverait cette peur et ce chagrin, mais il pouvait au moins s'en distraire, rien qu'un peu.

Au bout de quelques minutes, ayant tourné dans une errance certaine dans les rues étrangement colorées de bâtisses détruites et délavées, les bidonvilles bariolés, la crasse au sol et la caresse du vent, il finit par se dire qu'il était pouvait aller au marché, ce serait plus sympa. Il s'était enfoncé assez loin, plus que d'habitude – pas encore assez pour se perdre, et il n'avait pas envie d'aller dans les coins risqués, là où il risquerait d'être le prochain oméga affiché comme ayant été publiquement persécuté…. Il en subissait déjà assez chez lui.

Non, se corrigea-t-il mentalement, j'ai aucun chez moi.

Alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour, une silhouette marcha dans sa direction, allant justement dans le sens inverse du sien. Allen marcha tranquillement, ne pouvant s'empêcher de dévisager l'inconnu. Quand il le pouvait, il aimait bien sourire aux gens. Histoire d'apporter un peu de bienveillance, puis d'en recevoir en retour. Ça pouvait ressembler à une manière ridicule d'avoir de l'attention, mais ce n'était pas de sa faute, il en manquait parfois. Alors qu'il se préparait à vérifier vite fait que la personne ne soit pas menaçante – sourire aux tordus et leur donner des mauvaises idées, moyen, il se retrouva presque sur le cul.

L'individu était un homme emmitouflé d'un manteau noir qui ressemblait presque à une cape, si on oubliait les boutons qui ornaient le tronc de l'habit. Il avait de longs cheveux bruns, un visage asiatique assez fin avec une belle mâchoire, un long nez droit et des pommettes discrètes, une bouche délicatement dessinée, légèrement rieuse, et des traits harmonieux. En clair, il était très beau. Sa pomme d'Adam était visible sur son cou dégagé qui diffusait allégrement son odeur : un alpha. Allen déglutit, se sentant malgré lui propulsé dans sa position de petit oméga tout juste mal fringué et bon dieu, il regretta de ne pas s'être mieux apprêté. Ce n'était qu'un inconnu, mais avoir l'air d'un souillon devant quelqu'un aussi… élégant, c'était plutôt humiliant.

Alors qu'il détaillait son corps et réalisait qu'il était diablement musclé, l'homme finit par arriver à sa hauteur, Allen ayant continué de marcher tranquillement en dépit de ses yeux peut-être un brin occupés.

Allen n'osa pas sourire. Il portait une mèche suffisamment longue à gauche de son visage pour cacher sa malédiction, mais il complexait un peu sur son physique, d'une part car la marque se voyait quand il ôtait ses cheveux, d'autre part car il savait que s'il plaisait, c'était à cause de son odeur et parce qu'il était un oméga, pas pour lui. Il ne prenait pas au sérieux ses chances de séduire. Alors il se contenta de tourner la tête idiotement comme pour le regarder de côté, se doutant que l'autre l'ignorerait.

Cependant, l'individu tourna lui aussi la tête. Allen se sentit rougir des pieds à la tête quand un sourire un poil goguenard, mais un peu charmeur, lui fut adressé. Il manqua de grimacer sous une sensation tournoyante dans le bas-ventre, un poil électrique, un poil désagréable, et il se hâta de se détourner.

Il était cramoisi. La honte. Il remonta la rue en pressant le pas, se morigénant à grands coup de l'injonction de ne pas se retourner pour ne pas avoir l'air plus idiot que ça ne devait actuellement être le cas. Il ne reverrait jamais cet homme, c'était sûr, il y avait tellement d'alphas et de gens qu'il croisait rarement les mêmes passants, hormis les habitants des quartiers qu'il arpentait. Toutefois, sur le coup, ça avait été tellement intense qu'Allen n'arrivait pas à s'en remettre. Il avait pourtant passé l'âge de s'émouvoir comme un adolescent de quinze ans un peu cucul ! Autant dire que son égo en prenait un coup.

Finalement, décidant que s'inquiéter démesurément d'avoir l'idiot était justement ce qui le rendait idiot, il se retourna. La silhouette de l'homme avait disparue. Tant pis, il avait été beau. Il ne le reverrait pas.

Il était temps de rentrer, maintenant. En se concentrant sur tout ce qui l'entourait, il réalisa qu'il avait flâné trop longtemps, au moins une demi-heure déjà et il ne pourrait pas s'absenter toute la matinée. Tant pis pour le marché.

Rebroussant chemin, il jeta un dernier coup d'œil vers le ciel.

Ça avait l'air vachement beau, là-haut.

À suivre...


À votre avis, qui est donc le joli monsieur qu'à croisé Allen ? ~ *Suspense*

Mise à part, voilà pour cette introduction, j'espère que ça vous a plu !

On se retrouve bientôt (hopefully) pour le chapitre 2 ! En vérité, j'ai déjà écrit 4 chapitres. Mais étant donné que je veux m'assurer une avance assez confortable, je vais faire comme si je n'en avais qu'un et je ne posterai la suite que quand j'aurai fini le cinquième.

Reviews ? N'hésitez surtout pas, ça fait toujours plaisir ?

Merci d'avoir lu !