Hello !

... Bon, encore une fois, je suis navrée, j'aurais mis énormément de temps pour publier la suite, la vie passe vite et le temps aussi, c'est un euphémisme auquel on est tous confrontés TwT. Mais j'ai pris beaucoup d'avance cette fois, donc soyez sûrs que je continue l'aventure de manière régulière. Comme pour d'autres histoires, je table sur environ un chapitre par mois ^^.

Petit résumé because mdr ça fait un an o/ : Allen, jeune oméga, a pour mission d'assassiner Kanda, un chef de clan alpha rival de son propre clan, de qui il doit d'abord se rapprocher par séduction pour instaurer un rapport de confiance, ainsi que récolter des informations. Sauf qu'il l'a déjà croisé par mégarde, étant un peu tombé sous son charme, sans savoir de qui il s'agissait. Maltraité par son propre clan à cause de son statut et de son innocence inutilisable, cette mission est sa seule chance d'avoir de la reconnaissance. Mais il lui est très difficile de se résoudre à des choses que sa morale réprouve. Il est enfin amené à un point de rencontre, un des rares clubs encore en service dans cet univers apocalyptique.

TW pour ce chapitre : thème de la prostitution, crise de panique, angst. Gros angst.

Merci à tout.e.s pour vos reviews, désolée si j'ai oublié des gens dans mes réponses -n'hésitez pas à me sonner les cloches !, et merci de suivre l'histoire !

Et merci à Ookami97 pour sa précieuse bêta, sans qui de nombreuses coquilles jalonneraient cette omelette/bam — ce chapitre :D !


[Chapitre 4]

Tout tourbillonnait autour de lui. Les lumières du club étaient étincelantes, aveuglantes, il en prenait littéralement plein la tête. Il avait l'impression qu'il allait s'évanouir. Il n'avait jamais mis les pieds dans un tel endroit, ça l'intimidait et ça ne ressemblait à rien de ce qu'il avait connu. Son costume le gênait, il suffoquait avec le nœud papillon serré contre sa gorge si sèche. Il n'arrêtait pas de tirer dessus, pour avoir un peu plus d'air. Link lui avait vraiment bien serré... Un serveur vint vers lui, lui demandant s'il souhaitait s'installer quelque part. Allen bafouilla gauchement qu'il voulait regagner le comptoir. C'était là qu'on lui avait dit de se placer pour attirer les alphas. Pour attirer Kanda.

Il avait assez d'argent sur lui pour consommer et il ne savait pas du tout quoi prendre. Il n'avait pas envie de boire de l'alcool et de se retrouver imbibé dans un endroit où il y avait des tas d'alphas.

L'oméga s'assit, essayant une énième fois de s'extirper du nœud accroché à son cou qui l'étranglait. Link avait bien choisi ses vêtements mais il avait si chaud ! Et cette matière collait à sa peau, de sorte que la sueur le grattait presque. Il avait honte. Il allait se retrouver puant et suintant la peur devant des centaines de gens. Il fallait vite qu'il se rafraîchisse. Le barman s'approcha de lui, l'oméga ayant encore plus l'impression de ne pas être à sa place. L'homme était un bêta. Il le fixa et lui demanda simplement :

« Tu veux quelque chose, petit oméga ? »

Link l'avait prévenu qu'il risquait d'être tutoyé mais pas malmené. Même dans les milieux les plus aisés, les écarts de classes se ressentaient, le personnel était beaucoup plus laxiste avec les omégas. À côté de ça, ils étaient protégés. Ça ne le gênait pas. Tant qu'on ne le traitait pas comme au clan de Luberrier…

« Est-ce que vous avez quelque chose de frais… et de non-alcoolisé, s'il vous plaît ? »

Allen détestait l'alcool. Une cuite qu'il avait prise quand il était encore en compagnie de son maître l'avait vacciné à vie. Il fallait dire qu'il avait eu dix ans à l'époque et que la dérouillée que lui avait filé Cross – assez mérité, il l'admettait – surpassait toutes celles qu'il avait pu prendre avec Link. Un souvenir désagréable remonta le long de son corps, le garçon secouant la tête pour la chasser.

L'homme au comptoir opina, lui servant un liquide orangé qui sentait bon.

« Voici un jus d'orange. »

Allen n'en avait jamais bu ! Il fut excité et porta immédiatement le verre à ses lèvres en remerciant le serveur. Le liquide frais coula dans sa gorge. C'était si agréable ! L'oméga tenta de se calmer.

Il ne voulait pas boire tout d'un coup, et ne pas dépenser trop d'argent. Link lui avait de ne pas s'en soucier, d'agir comme s'il était un habitué et d'en profiter pour manger à sa faim. Et lui avait qui avait longtemps été pauvre avait peur de trop se laisser aller et des conséquences… Mais comment pourrait-il se comporter comme si c'était normal alors que… ce n'était rien de ce à quoi il était familier ?! Entre les gens qui grouillaient comme des insectes les uns contre les autres en discutant, la musique qui retentissait, il avait l'impression d'être dans un autre monde, ce qu'on lui avait parfois décrit dans des livres anciens. Il y avait des tables d'une blancheur transparente, comme le sol, le bar, ça brillait, les lumières éteintes et tamisées donnaient un aspect futuriste à l'endroit. Des néons qui éclairaient le bar au lampes qui pendaient aux dessus des tables, c'était magnifique. Magique. Allen n'avait jamais vu ça avant. Les serveurs en costume, les groupes attablés qui grignotaient devant une bouteille d'alcool, les gens qui dansaient. C'était un club dans toute sa splendeur. Il n'aurait jamais cru y aller. Il se sentait si peu à sa place, si à côté de la plaque dans ce décor sorti de nulle part. Et il devait ressembler à un fou avec ses yeux écarquillés.

Le maudit suivit des yeux quelques alphas qui se baladaient. Il ne voyait pas Kanda. Il n'osait pas regarder avec trop d'insistance de peur que quelqu'un le prenne pour un oméga en quête d'un peu de compagnie… ce qu'il était en soit, mais pas celle de n'importe qui. Il ne saurait pas du tout comment gérer. Link lui avait dit d'ignorer ou d'en parler à un serveur si vraiment quelqu'un était dangereux avec lui. Mais avec sa timidité, sa maladresse légendaire, en plus de sa crainte des alphas, il ne savait pas s'il ne paniquerait pas totalement. S'il était impoli et qu'un alpha le corrigeait en public ? Ça l'effrayait. L'idée de prendre une baffe pour une avance refusée ne lui quittait pas l'esprit. C'était si injuste, mais aussi des comportements auxquels il était habitué.

Anxieusement, le petit oméga continua à boire son jus d'orange, n'oubliant pas le sentiment de tête qui tourne et de peur qui lui pesait sur l'estomac. Ça faisait comme une pierre, comme un poids qui remontait jusqu'à son cœur et sa gorge. À force, ça l'étouffait — encore plus que ses vêtements trop serrés. Il tenta de profiter de la musique. Elle était douce, créait une ambiance plutôt sereine qui parvenait à dissiper la grosse boule de stress en lui. Mais même la musique ne l'empêchait pas d'être ahuri devant ce spectacle. Les gens qui se bousculaient, qui dansaient, qui parlaient… Ils avaient l'air si bien. Si heureux. Allen, qui n'avait connu que les quartiers pauvres et son clan, fut quelque peu envieux et presque en colère de les voir si insouciants, si privilégiés, alors que d'autres mouraient quelques rues plus bas. Ce monde n'avait pas fini de le dégoûter.

Ses doigts battaient la mesure sur son verre, où se noyaient quelques glaçons. Il respirait mieux, et il avait moins chaud. Il repéra des hommes, des alphas, qui avaient l'œil dans sa direction. Espérant ne pas avoir attiré plus que ça leur attention, il se concentra sur son jus d'orange, feignant d'ignorer leur existence. Il essayait de se répéter qu'il était en sécurité. Que rien ne se passerait.

Mais ce fut le temps, qui continua de passer. Allen, cramponné à son jus d'orange, finit par se calmer, reprenant ses esprits lorsqu'un couple, visiblement un oméga et son alpha, s'assirent non loin de lui, discutant. L'alpha semblait très… doux, verbalement, avec l'oméga. Ça lui réchauffait le cœur. Il désespérait qu'un jour, quelqu'un l'aime comme ça. Cela dit, il n'avait pas envie de se mettre à déprimer ni de s'apitoyer sur son sort. Il se contenta de boire, encore. Lorsque le serveur revint vers lui, lui indiquant qu'ils servaient aussi des repas, Allen accepta timidement de commander. Il avait beau savoir lire, les noms des plats lui étaient quasi inconnus, sauf certains qu'il avait déjà vu mentionné lors de ses lectures — toute sa connaissance de ce qui provenait du temps d'avant, c'était les bouquins.

Le blandin opta pour un sandwich au fromage. Il avait paniqué et c'était le seul truc qui lui avait semblé cohérent, qu'il connaissait en plus. Il n'était pas trop cher non plus. Allen regarda le porte-monnaie que lui avait donné Link à ranger dans sa poche. Il était plein à craquer de billets et de pièces. Heureusement qu'il savait compter…

Il fut servi au bout de quelques minutes. Derrière lui, les gens se pressaient, se dispersaient, dansaient. La musique s'emballait. C'était animé. Globalement, tout le monde semblait heureux. Même Allen se sentait gagné par un sentiment d'allégresse, s'il en oubliait un peu son stress. Personne n'accostait personne avec de mauvaises intentions, personne ne faisait mine de faire trop attention à lui. On se parlait, riait, regardait, mais ça restait gentil. Il n'y avait rien de mal à ça.

Le blandin ne pouvait s'empêcher, maintenant qu'il était plus à l'aise, de chercher Kanda du regard. Il ne l'avait pas vu. Même pas de loin. Et Allen commença à s'interroger. On lui avait dit que Kanda se pointerait. Mais s'il ne venait pas au bar ? S'il ne le voyait pas ? Si… le courant ne passait pas, entre eux ?

Plein de questions qui lui laissaient les lèvres sèches, la gorge aride. Il remarqua du coin de l'œil des hommes attroupés autour d'une table de poker. Cela lui donna envie d'y aller, mais il n'osait pas. Quand il était avec son maître, il ne perdait jamais à ce jeu, cependant... ça faisait longtemps. Et il n'y avait presque que des alphas. Le blandin ne se voyait pas venir vers eux. Il n'oserait jamais s'approcher de tant d'alphas. Il allait se reconcentrer sur sa table, son assiette plus précisément, attrapant son sandwich et près à mordre à pleine dent, quand un juron retentit dans l'air. Provenant de cette fameuse table.

Allen se retourna, alerte. Il n'avait pas fait attention à l'homme avec le monde qui dansait, mais dans l'angle de sa vision, il y avait un asiatique avec un uniforme similaire à celui de Kanda l'autre fois. Était-ce un de ses hommes ? Si oui, ça voulait dire qu'effectivement, Kanda devait être dans le coin. Le plan de Luberrier était bon. Il allait pouvoir le rencontrer… devoir le faire…

Le jeune garçon se vengea sur son sandwich. Son ventre se noua davantage, comme lourd d'une chaîne étriquée. Le son des baffles et les lueurs des néons inondaient son être, de son regard à son ouïe. Il aurait pu tomber, sous l'effet de l'angoisse, mais il réussit à se retenir. Il ne voulait pas se laisser aller ainsi. Il avait eu un bon feeling avec l'alpha, surtout la deuxième fois. S'il omettait le fait qu'il avait remarqué sa malédiction, et qu'Allen avait sérieusement peur que ça le dégoûte. Combien de fois s'était-il trouvé jugé, condamné et blessé à cause de ça…

Si Kanda venait lui reparler, ça ne serait pas un drame. Enfin, fallait-il que ça se produise… Peu de personnes voulaient avoir affaire à un maudit. Ils étaient rares, en principe, Allen n'en savait trop rien, il n'en avait jamais vu, mais il se doutait quand même qu'il ne devait pas être le seul au monde. Il y avait quand même pas mal de survivants, forcément. Il espérait, du moins. Bêtement, ça l'aurait fait se sentir un peu moins seul.

Soudain, sur son épaule, il ressentit un poids, comme un tapotement. Une main.

Allen sursauta, s'étranglant avec sa nourriture en un son disgracieux. Un bout de pain, avec un goût de fromage, s'était coincé dans sa gorge et il le sentait gratter pour ressortir ou redescendre.

« Revoilà donc le petit Moyashi. »

Un homme venait de s'adresser à lui, et cet homme n'était autre que Kanda. Avec l'épée au flan, il se trouvait derrière lui. En toussant plus fort, il s'enfila son verre de jus d'orange, toisant l'Asiatique et son air goguenard avec une gêne sans nom. Il était rouge d'embarras, de honte, de petites larmes perlant à ses yeux à cause de son étouffement. Il parvenait tout juste à respirer normalement.

Puis, il tiqua. Moyashi ? C'était quoi, un Moyashi ? Ça ne semblait pas trop insultant, au moins… Il avait envie de râler, mais il n'osait pas répondre à un alpha. La protestation ne fit que lui griffer la gorge, en plus de son étouffement.

Engourdi de gêne, Allen se taisait, buvant encore pour faire passer ça, détaillant Kanda du regard. Son costume noir, la chemise blanche ouverte sur son torse, ça ne faisait pas extravagant, mais classe. Attirant, parce que ses phéromones se dégageaient. Le blandin détectait, au milieu de cet attroupement d'odeurs, des omégas qui le regardaient avec appétit. Il ne pouvait pas les blâmer. Il était beau, voire même magnifique. Il déglutit littéralement, peut-être un peu trop bruyamment.

« Bonsoir… Désolé, pour, hem, ça…, vous m'avez surpris, je me suis étranglé. »

Sa voix n'était qu'un murmure.

Kanda le zyeuta longuement. Son regard était pénétrant, Allen eut l'impression de le sentir par-delà ses vêtements. Presque intime. Trop intime. L'alpha donnait la sensation de le désirer. Le blandin ne se sentait pas en danger à ses côtés, seulement intimidé. Il n'osa pas lancer la conversation. C'était rare qu'il soit ainsi regardé, que ça ne soit pas dégradant ou bien humiliant. Ce n'était pas le cas, en cet instant. C'était même plaisant.

« Je te fais peur ? »

Allen fronça les sourcils alors que l'alpha s'asseyait à côté de lui.

« Non, ce n'est pas ça, j'ai juste été surpris.

—Je te taquine, Allen. »

Le blandin rougit intensément. Entendre son nom prononcé par l'accent rauque de l'autre homme lui colla un frisson dans le ventre. Il déglutit bruyamment, la main tremblotante contre son verre.

« Vous… vous vous rappelez de mon nom ?

—Je n'aurai pas oublié un si joli nom. »

Il lui fit un clin d'œil. Allen se tint tranquille, mais bondit encore intérieurement. Un joli nom ? Personne ne lui avait jamais dit. Il était déjà cramoisi, et les frissons n'arrêtaient pas. L'alpha se mettait à le draguer, non ? Il devint nerveux, à la fois intimidé et... excité. Curieusement.

« Je vois que tu as maquillé ta cicatrice. »

Et là, la magie s'arrêta.

Les mots le clouèrent sur place. Le maudit baissa les yeux, ne sachant comment répondre. D'accord, Kanda n'avait pas perdu le nord… Il ne savait pas quoi faire. Il n'avait pas envie que la conversation s'enfonce dans un terrain trop glissant pour lui. Bêtement, hébété, il garda le silence, ne disant rien, espérant que l'alpha changerait de sujet. Il avait, d'un côté, déjà eu de la chance qu'il n'ait pas l'air dégoûté de lui… ça ne changeait rien au fait que le sujet de sa malédiction était tabou.

« Tu t'es échappé au moment où je t'ai fait la remarque, » insista froidement l'épéiste, sans réellement surprendre Allen. « Et ce n'est pas tous les jours que l'on croise un maudit. Rassure-toi, je ne compte pas ni te fuir, ni te juger. »

Il pouvait comprendre qu'il ne lâche pas le morceau. Encore une fois, entre les jugements, il y avait les curieux. Dans les deux cas, ce n'était pas facile à supporter.

« C'est que ce n'est pas évident pour les gens comme moi d'en parler. Est-ce que ça change grand-chose... ? »

Kanda fit signe au barman de lui apporter quelque chose, et déposa ses mains croisées sur ses jambes.

« Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Moyashi. Je suis un Exorciste et je combats les Akumas, et j'ai entendu dire qu'une malédiction permet de voir leurs âmes. Évidemment, ça m'intéresse. »

Oh.

Effectivement, il ne tournait pas autour du pot.

En tiquant de nouveau face au surnom, Allen comprenait dans quelle direction ça allait… et il avait peur d'être dans la merde. Si Kanda lui demandait de se mettre à son service, il ne saurait pas quoi répondre. Son Innocence était inactive. Si Luberrier aurait pu voir là un plan tout trouvé pour en faire un agent double, on lui avait demandé de séduire Kanda, pas de se faire débaucher… Il n'avait pas envie de se faire tuer par Luberrier pour être allé trop loin ou de se rappeler encore qu'il était inutile. Puisque son bras était presque mort. Il enserra le verre entre ses doigts. Il avait l'impression qu'il allait tourner de l'œil. Il ne voulait pas parler de ça.

Dans sa tête qui marchait à l'angoisse, ce fut clair.

Il devait partir.

« Je… je n'ai rien à voir avec ça, lâcha-t-il gauchement, avec un léger relent de panique exaspérée. Et j'ai eu cette malédiction de mon père que j'ai changé en Akuma. Alors si vous m'excusez, je dois aller aux toilettes. »

Après tout, la plupart des gens du peuple étaient effrayés par les Akumas, sa panique serait compréhensible. Avec ce qu'il avait divulgué malgré lui, sa colère également. Il se leva précipitamment, abandonnant son siège, son sac collé à ses hanches. Avant qu'il ne puisse partir, Kanda lui attrapa la main.

« Excuse-moi. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. »

Allen serra les dents, sans se libérer de son emprise.

« Il y a des sujets qu'il ne vaut mieux pas aborder alors que l'on ne se connaît pas.

—Certes. »

Comme l'homme soutenait son regard, que le maudit voyait l'alpha qui le surveillait lui lancer un regard méfiant, il se contraignit à se rasseoir. En se flagellant pour sa réaction. Il savait très bien qu'il était là pour se rapprocher de lui, pas pour prendre la mouche et s'enfuir. Pas encore. Et il était déçu de ne pas en avoir la possibilité.

« Désolé, je n'aurais pas dû réagir ainsi.

—Je peux comprendre, j'ai été indélicat. »

Cette fois-ci, Allen souriait.

« Certes. » Délibérément, il reprenait les mots de Kanda. « Excusez-moi quand même. »

Kanda, en l'observant se rasseoir et s'emparer de son assiette, glissa :

« Je suis désolé pour ton père. » Un silence. Allen sentit son cœur se serrer. « Néanmoins, j'admets qu'autre chose m'intrigue. »

Le blandin releva la tête.

« En ville, les deux fois où je t'ai croisé, tu n'avais pas une si jolie tenue. » Et ça aussi, il s'y était attendu. « Je ne pensais pas que tu serais le genre à fréquenter ces endroits. »

L'air, dans ses poumons, se dissipa. Il ignorait quoi faire pour que ça n'ait pas l'air suspect. Alors, il balbutia gauchement :

« Je cherche du travail.

—Vraiment ? » demanda Kanda, le regard soupçonneux. « Tu cherches du travail dans cette tenue ? »

Allen aurait dû savoir. Il aurait dû penser qu'il se ferait prendre d'une façon ou d'une autre. Kanda l'avait croisé deux fois vêtu comme le dernier des pouilleux, et là, il était dans un costume rutilant. On aurait dit une mauvaise comédie dont le premier acte avait été avorté d'un lancer de tomates de la part du public – bien mérité, soit-dit en passant.

Il se figea, tremblant.

« Je recherche… de la compagnie. »

Le rouge aux joues, il baissa les yeux. Il savait ce qu'il était en train de faire et ce qu'il était en train de communiquer, il le savait.

Il y eut un blanc.

L'alpha le fixa avec un mélange d'incompréhension et de… pitié ? Oui, de la pitié.

« Je vois. Que dirais-tu de la mienne ? »

Allen n'en crut pas ses oreilles. Ça avait… marché ? Il savait que Link lui avait dit qu'il y avait beaucoup d'omégas qui jouaient les escortes, mais compte tenu des circonstances, il était un peu sur le cul…

Et à la réflexion, il ne savait pas si ça arrangeait ou aggravait son problème. Une escorte était là pour trouver un riche client pour avoir des rapports sexuels en échange d'argent. Et si Kanda se proposait, c'était bien qu'il était client. Le maudit vira au rouge, mais pas de gêne plaisante… ça ne le dérangeait pas d'être désiré par l'alpha, ça lui avait plu et il ressentait une attraction. Naturellement, l'attirance était née entre eux. Il aurait pensé qu'il n'aurait jamais plu à qui que ce soit, et voilà cet alpha qui venait le draguer. Kanda n'avait visiblement pas froid aux yeux. Sauf que Allen si. Il n'était pas une petite chose effarouchée, il ne fallait pas exagérer, mais il n'avait aucune expérience et il n'était pas à l'aise.

Il allait falloir qu'il trouve un moyen de se tirer de là. Il n'était clairement pas prêt à coucher avec un alpha ce soir comme si c'était naturel… Il n'allait pas se vendre comme la dernière des putains pour de l'argent. Trouver une parade allait s'avérer complexe. Il se mettait déjà à réfléchir à mille à l'heure sur les tenants et les aboutissants de cette soirée. Son visage était crispé, sa bouche sèche, ses mains moites. Kanda commanda rapidement une boisson, paraissant ignorant de son malaise. Il lui demanda ce qu'il voulait boire.

Pour tenter de se calmer, Allen opta pour un nouveau jus de fruit — il allait devenir accroc à la saveur sucrée. Il le but d'une traite, l'alpha le jaugeant du regard. Il devait forcément se rendre compte qu'il était nerveux. Ses odeurs d'oméga devaient sécréter pas mal d'hormones de stress. Et pour ça, s'il voulait paraître crédible, il fallait qu'il se calme.

Kanda lui sourit, posant une main dans son dos.

« Mange donc. Je ne me suis pas présenté, au fait. Mon nom est Kanda Yû.

—Allen… Allen Walker. »

Il le savait déjà. Mais l'entendre de sa bouche, il dut lutter pour ne pas avoir l'air trop surpris ou pas assez. Il le dévisagea une myriade de secondes. Ainsi, le plus âgé lui tendit la main. Le maudit lui montra un visage déconfit un brin de secondes avant de la serrer. Il était résolument timide. Il ne comprenait pas totalement non plus pourquoi Kanda serrait la main à un simple escorte, un oméga de surcroît… enfin, c'était gentil de sa part. Peut-être aussi que c'était une manière de sceller une sorte d'accord entre eux ? Comme une promesse d'échange… spécifique ? Il en blêmit, lâchant la main du brun.

Il mordit dans son sandwich et Kanda le regarda avec un doux sourire étrange. Pour un homme qui le prenait pour un oméga prostitué et s'apprêtait sans doute à le sauter, il restait relativement respectueux, compte tenu de la situation, ainsi que… charmeur. Comme s'il cherchait à le séduire. Ça embarrassait Allen, dans le bon sens puisqu'il se sentait un peu flatté, et le mettait à la fois un peu mal à l'aise.

Il maudissait le clan de Luberrier et le plan suicidaire à la con qu'il lui imposait. Il était énervé, quand il réfléchissait aux sacrifices qu'ils lui demandaient… tout ça à cause de son statut. Ça le mettait si en colère ! Les alphas, eux, n'avaient pas de tels contraintes. Ils étaient épargnés par toutes les manigances et le dédain perpétuel. Il avait la haine, oui, quand il y pensait comme ça. Comment il allait faire pour éviter de trop se mettre dans la merde, maintenant ?

Nerveusement, Allen remuait sa jambe contre le tabouret du bar. Il s'en rendit compte seulement parce que la main de Kanda se posa sur sa cuisse, lui coupant le souffle. Il pivota deux pupilles agitées dans sa direction, le visage stoïque de gêne.

« Tu es nerveux ? »

Oui, il l'était. Pas qu'un peu.

« Non, ça va. J'ai avalé de travers. »

Il mentait. Il devait jouer le jeu, se rendre attrayant. Il avait bien compris qu'il n'y avait pas que son intégrité et ses besoins personnels, qui étaient en jeu. Sa vie s'il ne remplissait pas les objectifs de la mission et s'il n'obéissait pas à Luberrier. Ce vieux salopard ferait de son existence un putain d'enfer s'il ne faisait pas ce qu'il fallait. Il se força donc à sourire. À adopter une courbure charmeuse, en dépit des quelques miettes qui constellaient le tour de sa bouche dont sa langue le débarrassa. Le tout sans quitter Kanda des yeux.

Il ne savait pas tout à fait ce qu'il était en train de faire. Il essayait d'être… ce qu'il avait énoncé. L'alpha leur commanda une boisson, de nouveau. Pour lui, un alcool. Allen l'observa du coin de l'œil. Derechef, il se répéta que jamais il ne se soûlerait de la sorte. Le souvenir de la fois où il avait essayé par accident dansait dans son crâne. Le goût ne lui avait même pas plu, à vrai dire. Trop âpre.

Soupirant, il engloutit la fin de son sandwich, une sensation vide au ventre. L'alpha parut le remarquer.

« Tu as encore faim ? »

Allen se mordit la lèvre. Toujours, il se disait qu'il ne voulait pas dépenser l'argent que lui avait attribué Link n'importe comment, du moins pas en totalité et pas en bouffe. Il avait envie d'en garder un peu pour prendre quelque chose à Timothy s'ils arrivaient à aller au marché. Tim serait heureux s'il lui achetait un livre.

« Ça va aller, j'ai tendance à être trop gourmand, » dit-il en se tortillant sur son assise. « J'ai assez mangé.

—Quand je vois tes bras maigrichons, j'en doute, » rétorqua le chef de clan.

Allen rougit. Il était bien nourri. Relativement bien, du moins, comparé aux résidents terrestres qui subsistaient sur des vivres dégueulasses, des restes de terres noirâtres et de viande sèche. Il avait un peu la même, avec des féculents de base : quelques pâtes, patates, et haricots. La viande, ils étaient tous logés à la même enseigne, elle était rarissime. Toutefois, ça faisait de quoi manger. Ici, il y avait plus de luxe. Le sandwich, un aliment pareil si bon, il n'en avait jamais mangé auparavant. La viande était beaucoup plus fraîche que ce à quoi il était habitué.

Il avait encore faim. Et il voyait les chiffres qui s'alignaient sur les plaques en plastique soulignant le prix le faire sérieusement flipper. Il y avait des gens qui avaient assez d'argent pour ça ? Allen savait qu'en temps habituel, il se serait fait battre s'il avait cramé une telle somme.

« Je mange tout à fait à ma faim, » rétorqua-t-il en levant le menton effrontément. « Mes bras sont fins naturellement. »

C'était sans doute à moitié vrai et à moitié faux. Allen se contenta de finir son jus de fruit, cette fois. Il entendit distraitement le rire de Kanda alors qu'il faisait signe au barman d'apporter un steak-frites. Les yeux du jeune maudit s'écarquillèrent. Son ventre réagit pour lui. Un gargouillement digne d'un dragon enragé lui échappa.

« C'est pour toi. Mange, et ne te fais pas prier.

—Vous n'étiez pas obligé…, » il rougit malgré lui mais se sentait en fait contrarié. « Je suis un grand garçon, je peux me gérer seul. »

Kanda rit encore.

« Voyez-vous ça. »

Et ben oui, vois ça, pensa Allen avec un regard de côté agacé. Il avait tendance à le mettre sur les nerfs, celui-là. Il avait envie de bouder, maintenant. Même s'il avait passé l'âge, cette condescendance presque paternaliste lui mettait l'estomac retourné. Cet alpha n'était pas méchant. Toujours charmeur. Mais putain, son orgueil n'aimait pas le fait d'être charmé aussi facilement. Il se saisit des couverts et tenta de porter un morceau de frite à sa bouche avec autant de dédain que possible. Chose difficile, puisque lorsque l'aliment entra dans sa bouche, ce fut une explosion de saveur qui l'apaisa instantanément.

« Tu vois, tu avais faim.

—Peut-être. »

Sûrement. Véridique. Putain, ce Kanda l'énervait réellement ! Le maudit mordit le steak, et oh mon dieu, pourquoi avaient-ils tant de bonne bouffe dans ce bar ?!

Il avala sans aucune difficulté, tellement plus facilement que quand il se nourrissait de tranche mal cuite et rassie. Il ne pouvait pas complètement détester ce qu'il se passait... ça lui donnait l'occasion d'enfin manger correctement. Le chef de clan l'observait pendant qu'il dégustait — se bâfrait aurait été le terme exact. Oui, il avait eu faim. Il fallait dire que quand il stressait ou qu'une situation puisait dans son énergie personnelle, Allen avait tendance à ressentir un vide au creux du ventre. C'était purement psychique, lui disait Link. Peut-être bien. Tenace néanmoins. Présentement, vu son stress, manger autant lui faisait du bien.

Il prit le temps de souffler un bon coup avant de se tourner vers le plus âgé, timidement mais enhardi par son égo qui criait grâce.

« Le spectacle vous plaît ? »

Bougon, légèrement défiant, il avala une nouvelle frite, sachant qu'en moins de cinq minutes, il avait presque tout englouti.

« Tu manges beaucoup trop vite, Moyashi. On va pas te le voler.

—J'avais effectivement très faim, vous savez.

—Sans blague, tu crois qu'tu aurais pu tromper qui que ce soit ? »

Il haussa un sourcil, sarcastique, et Allen se sentit furieusement prendre des couleurs.

« Je ne souhaite pas passer pour un affamé, » répondit-il avec déférence. « Puis, en vérité, ce sandwich aurait suffi. J'ai un très gros appétit, je le sais très bien, ça ne veut pas dire que je suis obligé de manger.

—On mange rarement à sa faim dehors. Profite donc que je t'avance un repas. »

Malgré ses bouderies, Allen devait concéder que c'était gentil.

« Merci. »

Ils se sourirent, sincèrement cette fois. Le maudit aurait pu se sentir à l'aise, croire à cette ambiance quasiment romantique qui se créait entre eux. Ce n'était pourtant qu'un simulacre bidon affligeant. Il parvenait tout de même à sentir une chaleur, une appréciation sincère lorsque Kanda approcha sa main de la sienne. Il voulut se dérober, mais tint. Pour la mission, d'une part, de l'autre, parce qu'il en avait envie. Lui tenir la main, il le voulut vraiment.

Il jeta tout de même un regard curieux à son bienfaiteur du soir.

« Vous ne mangez pas, vous ?

—Je n'ai pas faim de ça. »

Le cœur d'Allen rata un battement. Il relâcha ainsi sa main, presque comme s'il s'était brûlé. Il avait compris. Il aurait fallu être un imbécile pour ne pas comprendre. Ce n'était bien évidemment pas son cas. Déglutissant difficilement, Allen serra les jambes. Réaction instinctive. Ainsi donc, il avait pensé juste : Kanda le ménageait en monnayant des faveurs sexuelles. Il essaya de faire le vide, de barrer toute anxiété. Mais il n'arrivait pas à s'enlever de la tête qu'il allait peut-être devoir se forcer à coucher avec lui tout à l'heure. Il tremblait sans s'en rendre compte.

La main sur sa cuisse remonta à son épaule.

« Détends-toi, Allen. »

Il frissonna. Son nom prononcé par l'alpha… Il adorait ça malgré lui. Ça le frustrait. Parce qu'en d'autres circonstances, une telle attention lui aurait plu. Mais pas comme ça. Cet alpha aurait pu lui plaire, autrement. Ses paroles voulaient le rassurer, mais comment l'être ? Il ne savait pas quoi faire hormis affronter courageusement son destin avec son meilleur atout, ce sourire factice qu'il s'appliquait à arborer chaque jour.

« Oui, excusez-moi, monsieur.

—Tu peux m'appeler Kanda. Je suis sérieux, détends-toi. Je ne te veux aucun mal. »

Ça, en dépit de son malaise et de la situation qui prenait presque une tournure dramatique pour lui, il s'en doutait. C'était peut-être le pire. Et il s'étouffait toujours dans son costume bleu tandis que les serveurs en uniforme courraient çà et là, apportant des boissons et des plats à quelques tablées. Des chanceux privilégiés qui paraissaient ne se soucier de rien. Il avait l'impression d'être… dans un autre monde. Complètement. Ici, la pénurie de nourriture ne se ressentait pas. Il y avait tant de mets qu'il n'avait jamais vu avant… Il n'arrivait toujours pas à s'y habituer. Ses yeux trouvaient des choses qu'il ne connaissait pas à chaque fois qu'il tournait la tête. Ça faisait flipper. Surtout, il était curieux lorsqu'il voyait même des néons sous les sièges dont l'utilité était obscure à ses yeux.

« Tu vis du côté de la ville basse, donc ?

—Oui. Je… travaille au service d'une famille. Ceux qui ont le petit, vous savez, que vous avez vu avec moi. »

Timidement, le jeune oméga replaça une mèche blanche derrière son oreille. Kanda zyeutait le maudit.

« Et pourquoi tu viens ici ?

—Je…, » il se mordit la lèvre. « Je suis un oméga. Mes maîtres pensent que je vaux cher. Le… le mari a travaillé ici. Il connaît le club et m'y a fait entrer. »

Il avait bien discuté avec Link d'un moyen plausible de justifier sa présence, au cas où Kanda poserait des questions sur ses origines. Il avait plusieurs versions sous le coude. Celle-ci était néanmoins la seule qui faisait à peu près sens avec ce que Kanda avait précédemment vu de lui. En fait, c'était lui qui l'avait timidement proposé à Link. Ce dernier avait acquiescé et l'avait aidé à consolider les trous de son affirmation. Il fallait que ce soit crédible, après tout. Plus ça serait solide, plus ça serait simple, moins il aurait de chance de se tromper et plus ça paraîtrait cohérent. La cohérence apportait du vrai. Le vraisemblable, ça maintiendrait une couverture sur ses épaules. Ça lui éviterait de se faire buter.

Ce qui serait, rappelons-le, en effet à peine pratique. Il déglutit, attendant de voir si Kanda gobait son histoire ou pas.

« Je vois. J'ai entendu dire que ça se produit souvent, en ville. Les familles envoient leurs omégas vendre leurs corps dans les rues, aux maisons closes, et les plus chanceux finissent ici. »

Allen déglutit. Link lui avait expliqué. L'alpha ne faisait que répéter ce qu'il savait déjà. Ce n'était pas facile d'être un oméga à leur époque. Là où la prostitution devenait leur seul moyen de subsister, de garder un toit sur la tête… Son regard se baissa sur ses genoux.

« Tu fais ça depuis longtemps ? » demanda le Japonais.

Le jeune homme déglutit, de nouveau. Il baissa encore plus les yeux, le rouge aux joues.

« C'est la première fois.

—Très bien. » Les mots résonnèrent en lui. « Tu as déjà eu des alphas, auparavant ? »

Il était direct. Allen n'étant pas très à l'aise avec la conversation, il se mordit la lèvre.

« Jamais. Je… c'est pour ça qu'ils m'ont amené ici. Ils m'ont dit de demander plus cher si un client se présente… Vous comptez… ? »

Il avait hésité à dire ça. Mais il voulait savoir un peu plus précisément dans quoi il s'engageait. Kanda planta son regard dans le sien.

« Je suis prêt à payer.

—Très bien, » répéta-t-il à son tour, le dos raide.

Une sueur froide venait de lui couler jusqu'au creux des reins. Il tripota nerveusement son verre, s'approchant du bord, et il le rebut. Cette fois, il ne se gêna pas pour faire signe au serveur de lui apporter autre chose. Il demanda ce qu'il pouvait boire de non-alcoolisé, on lui proposa une limonade. Intrigué, il accepta. Il y avait quatre boules glacées à l'intérieur, il les regarda avec fascination, en même temps que la réalité de ce qui allait lui arriver dormait dans son esprit. Il n'avait pas envie de se dégonfler, il allait faire de son mieux pour au moins tenir ce soir. Il aviserait ensuite.

Tu n'as pas le choix, Walker, se répétait-il en boucle, tu ne peux rien y faire.

« Vous… vous vivez ici, monsieur Kanda ? »

Il se permit de l'appeler par son nom, comme l'autre le lui avait demandé. Les yeux bas, évitant de trop le détailler, il attendit sa réponse. Bien qu'en réalité, il la connaissait. Mais un courtisan qui ne posait aucune question, c'était assez suspect. Il avait toutefois peur de paraître indiscret, ou jugeur. Ici, c'était le quartier riche. Il ne souhaitait pas donner l'impression qu'il en avait après sa fortune. Les glaçons dansaient encore dans son verre, il les observait du coin de l'œil, son ventre se dénouant un peu, les mains entrelacées. C'était… magnifique.

Il déglutit légèrement, tandis que Kanda plongea son regard dans le sien.

« Plus ou moins, ça dépend des périodes. Je vis majoritairement sur la Côte Est. »

Allen savait. Luberrier aussi, de l'autre côté du port. Il opina, tâchant de répondre sans donner mine d'être trop curieux ou pas assez.

« J-Je vois… là où il y a les bateaux ?

—C'est ça. » Kanda le regarda, portant un bout de viande à ses lèvres. « Tu peux le dire, ce sont là où résident les clans à la tête de la ville. »

Mal à l'aise et anxieux, Allen se mordit nerveusement la joue, se rasseyant sur son assise d'un air nonchalant.

« J'en ai vaguement entendu parler. »

Kanda se tut. Il ne se vanta pas qu'il en était le chef, et cela ne surprit pas Allen. Il laissait filtrer des informations parce qu'il était un oméga, qui, à première vue, ne représentait pas une menace mais il faudrait être un imbécile pour crier sa position sur tous les toits. Le maudit espéra qu'ils ne s'étendraient pas sur le sujet. Il sentait que l'alpha n'en avait pas envie non plus.

À la place, Kanda termina sa nourriture, prenant une dernière bouchée, et se tourna vers lui, se levant.

« Tu ne voudrais pas que nous allions dans un endroit plus tranquille ? Ils ont des chambres, à l'étage. Je peux faire monter quelque chose, pour si tu as faim. »

Le maudit déglutit. Le moment fatidique approchait. Il ne pouvait pas reculer, toujours pas. Aussi, il se contenta de hocher la tête, ignorant les tremblements dans ses jambes, son corps, et suivit le plus vieux entre l'attroupement de personnes. Kanda le garda près de lui, comme pour éviter que n'importe qui ne l'entraîne, et cela le rassura, il voyait du coin de l'œil des gens bousculer un peu trop facilement les omégas.

Ils approchèrent de l'escalier, et ils montèrent.

La chambre, située au troisième étage, était l'une des pièces les plus luxueuses et magnifique qu'Allen avait vu de toute sa vie. Bien isolée, ils n'entendaient presque pas les bruits de la boîte et de la fête-en dessous. Les murs marbrés, sculptés finement d'arabesques, la tapisserie chinoise et les paravents éclairés par des lampes rouges rendaient la pièce mystique, comme si elle venait d'un autre endroit. Kanda lui apprit qu'il avait fait décorer la chambre à son goût, à l'Asiatique donc, ça surprit moins Allen. S'il s'attendait à ce que le lit de la pièce à côté ne soit qu'un tatami, comme il en existait dans les rares livres qui parlaient du Japon. Pourtant, il y avait un lit à baldaquin aux draps en soie d'un orange solaire. Allen n'osa pas s'en approcher, pas plus qu'il ne toucha aux tables possédant un service à thé à l'allure rudement bien décorée devant son nez. Kanda aimait visiblement ce qui faisait écho à sa culture décédée. Le maudit pouvait comprendre, en plus d'être fasciné par la chambre spacieuse. Ça n'empêchait pas son ventre de se tordre dans tous les sens. Le lit était grand, et il n'y en avait qu'un. Il sentait ici des odeurs, celle de plusieurs omégas, et celle du sexe. Ils n'étaient pas venus pour jouer aux cartes.

Il se tint droit, debout au milieu de la pièce, tandis que Kanda déposa son katana sur un étui en bois sur un meuble de chêne massif. Il se débarrassa de son manteau, faisant littéralement comme chez lui. Allen comprit qu'il était chez lui. L'endroit lui appartenait. Il portait son emprunte. L'oméga, lui, se sentit soudain perdu, fragile, dans un lieu qui lui était à la fois agréable et à la fois anxiogène. Ce grand lit, surtout, avec ses couleurs vives, chatoyantes, qui appelait à l'indolence. Il savait que l'alpha allait essayer de coucher avec lui. Il était là pour ça.

Il était là pour ça.

Un oméga, un prostitué. Un jeune adolescent prêt à se vendre pour le plaisir de l'alpha.

Les mains tremblantes, il les approcha de son costume, enlevant sa veste, se retrouvant en chemise. Kanda avait servi du liquide pourpre sur la grande table au fond de la pièce. Allen identifia le vin que sifflotait Link avec Chaoji de temps en temps. Il but, déposant le verre, ôtant le noeud qui lui serrait le cou.

« Mets-toi à l'aise, gamin. N'hésite pas à prendre à boire. »

Allen se serait senti piqué au vif en d'autres circonstances, il aurait répliqué comme avec Tyki lorsqu'il l'appelait ainsi. Pourtant, en cet instant, il était trop paumé pour dire quoique ce soit. Il resta planté, sur lui-même, coincé dans ses pensées.

Il hésita, le nez rougi, et une sensation chaude dans les joues. Il ne répondit rien, finalement, se contentant de fermer les yeux pour essayer de respirer. Il se rendit vite compte, en les rouvrant pour toiser l'alpha qui se mit à le fixer en s'approchant, qu'il n'y arrivait plus. Poussant un soupir, ce qu'il ne comprit pas, Kanda s'approcha définitivement de lui et posa la main sur son épaule. Son odeur, forte, mais quelque peu douce et agréable, l'envahit. Cette affliction qui donnait envie à l'oméga de se soumettre, le rendait léthargique, le gagna. Il se remit à trembler, envahi, parallèlement, par de la peur traumatique à l'état pure.

La main sur son épaule le caressa doucement alors qu'il tournait pratiquement de l'œil. Il n'osa pas lever les yeux vers l'autre. De peur de ce qu'il lirait dans son regard. Pourtant, la brutalité et le caractère entreprenant auxquels il s'était attendu ne se montraient pas. Juste de la douceur, de la complaisance. Il ne savait pas si ça allait rester comme ça alors il avala sa salive, prenant le dessus sur lui-même pour demander :

« Que… dois-je faire, monsieur ?

—Arrête avec ton monsieur, je t'ai déjà dit de m'appeler Kanda. Kanda-san, à la limite, mais je ne préfère pas. Ces fausses politesses m'agacent.

—B-Bien, excusez-moi, mais… qu'attendez-vous de moi, ici ? »

Ici, dans cette chambre. Il se doutait de quoi, il n'était pas débile, mais il était stressé comme jamais et merde, Luberrier et Link avaient bien dit que ce n'était pas sûr qu'ils aient des rapports sexuels dès la première rencontre… hors, ça en prenait dangereusement le chemin. Paniquant, Allen fut pris de sueur froide. L'autre, remarquant son état, émit un claquement de langue.

« Calme-toi, pour commencer. Je ne te veux aucun mal. »

Allen le crut. Cette voix douce, son instinct le poussait à se soumettre. Il n'avait pas envie de résister, son instinct lui disait d'obéir, Allen allait le faire, Allen allait se soumettre, allait s'abandonner à l'alpha. Il sentait bien que c'était contre indiqué, et les secondes qui coulaient où il restait docile, il n'y avait aucun instant où il n'arrêtait pas de se dire qu'il avait peur. Elle le possédait, elle aussi, le tétanisait. Il allait perdre pied. Kanda caressa son épaule, sa main suivant la rondeur de l'os, une emprise légère. Il n'arrivait pas à reprendre le dessus.

« C'est la première fois que tu te prostitues, n'est-ce pas ? Et aussi ta première fois, c'est bien ça ? »

Allen opina. Sans s'en rendre compte, il était dans un éclat de sincérité rarement atteint, qu'il n'aurait pas dû atteindre avec sa mission. Il aurait dû avoir l'air confiant, sûr, ferme dans ses décisions, dans ses choix, dans ses actes. Mais il n'était rien de tout ça. En même temps, à quoi s'attendaient-ils, il n'était qu'un gamin mal préparé ! Allen avait peur. C'était tout ce qu'il ressentait, ça valait la peine d'être répété, putain, il avait la trouille.

« Je…, » l'air se bloquait dans sa gorge. Il ne se contrôlait pas. Son souffle s'accéléra, ses yeux le piquèrent. « Je…

—Souffle bien, Moyashi. »

Allen gémit entre ses larmes, ignorant le surnom. Sans s'en rendre compte, il s'était en effet mis à pleurer. Il avait peur, mais l'odeur… l'odeur de Kanda, elle le rassurait en même temps que ses mots. Pourtant, il savait que ça n'allait pas durer. Ils parlaient de prostitution. Il lui demandait ça pour une raison. Il avait dit qu'il allait payer. Allen était pétrifié. Tiraillé entre son instinct, et sa crainte.

« Je n'ai pas envie de faire ça… » lâcha-t-il d'une voix blanche. « Je ne veux pas… »

Et c'était vrai. C'était vrai, putain. Il n'avait jamais voulu être là, dans cette mission. Il avait juste envie de fuir, de s'en aller, et bien malgré lui, il réussit à sortir de sa sidération pour essayer. D'un mouvement sec en arrière, il s'arracha de l'emprise du plus âgé, et avisa la porte avec un seul objectif : courir. Ses jambes, pourtant clouées au sol, s'agitèrent sans qu'il ne s'en rende compte.

Il bouscula l'alpha pour essayer de passer, la gorge sèche.

« Calme-toi ! » s'exclama Kanda en le retenant par le bras. « Je ne te ferai aucun mal ! »

Allen ne paniqua que davantage en voyant qu'il l'avait agrippé. Tout ses sens en alerte, il hurla :

« Ne me touchez pas ! Je ne veux pas ! Pitié ! »

Mais Kanda ne le lâcha pas. Il se débattit furieusement. Le chef de clan le retourna, le forçant se mettre à sa hauteur, bloquant ainsi ses soubresauts. Il continua de répéter qu'il ne lui ferait rien, qu'ils allaient parler. Qu'il fallait qu'il se calme. Allen ne l'entendait pas. Il ne faisait que pleurer plus fort. Il suffoquait, l'air lui manquait, et merde, il allait tourner de l'œil, il se revoyait avec Chaoji, lorsqu'il l'avait touché, il avait l'impression que les mains de Kanda sur ses épaules et son odeur douce étaient celles de Chaoji. Il avait des flashs, des réminiscences, des souvenirs… Il se mordit la langue lorsque Kanda le tint plus fermement, écrasant son front contre le sien. Le geste le choqua.

« Allen. » Kanda parlait fort, si bien qu'il fut obligé de l'écouter. Il usait ce timbre d'alpha. « Allen, détends-toi. Je ne te ferai rien. J'ai déjà rencontré d'autres omégas dans ta situation. Je ne te veux aucun mal. Je veux t'aider. »

Le maudit eut du mal à respirer. Il sentit sa vue se troubler et crut qu'il allait vaciller. Kanda, poussant un grognement d'exaspération, l'enfouit contre son torse, sa main se perdant dans ses cheveux. Il le berça presque tendrement. Allen déglutit difficilement. Il se tut, encore tremblant, ne pouvant rien faire d'autres qu'écouter les battements de cœur de Kanda. Ce dernier continua de caresser sa tête, cherchant à le calmer. Entre les doigts qui rasaient ses mèches, rasant délicatement sa peau, il sentit les cris des voix dans sa tête s'atténuer.

« Tout va bien. Tout va bien. »

Il le répéta. Encore, et encore. Et au fur à mesure des minutes, au fur à mesure du temps où cette mélodie lancinante lui était répétée, Allen voulut y croire. Petit à petit, il commença à se rasséréner. L'alpha semblait bon. Il disait qu'il ne voulait pas le blesser. À aucun moment il n'essayait de profiter de lui. Il ne le touchait pas plus que nécessaire, plus que ce qui était approprié. Il se sentait en sécurité. Kanda n'était pas comme Chaoji, comme Link, comme Luberrier. Il ne considérait pas qu'il n'était qu'un oméga bon à écarter les jambes, un moins que rien. Il ne le violenterait pas. Prendre conscience de tout ça l'aida à mieux respirer.

Il se réconforta dans cette étreinte que l'autre lui offrait, soulagé mais attristé qu'il ait gobé son demi-mensonge. Jamais il ne pourrait le lui dire. Il en allait de sa survie. Kanda avait cru son histoire, avait de l'empathie pour lui… s'il lui disait la vérité, il le tuerait.

À sa grande surprise, une main dans son dos l'attira plus fermement contre le corps plus grand. Il ferma les yeux, appréciant sa chaleur. Il avait l'impression de vivre quelque chose d'aberrant, mais qui faisait tellement, tellement de bien qu'il en lâcha une autre larme.

« Je suis là, » chuchota l'alpha, « je suis là, et je te tiens. Tu n'es pas seul. »

Allen voulait le remercier, mais il était trop paumé. Il avait trop pleuré pour qu'il sache formuler une pensée cohérente. Il avait juste envie de son contact, de la sécurité qu'il voulait bien lui transmettre. Il ferma les yeux, se laissant aller, n'ayant plus la force de lutter ou de paniquer. Sa conscience s'évanouissait, sa respiration sifflante contre le torse de Kanda. Il poussait quelques soupirs sans se départir de sa patience. Allen lui en fut reconnaissant, ayant à peine la force de se sentir humilié. Ils restèrent ainsi de longues minutes. Il comprit enfin qu'il s'était calmé quand il redressa sa tête du torse de Kanda, tombant sur un profil, le plus âgé regardant dans la direction opposée. Encouragé par l'odeur, Allen ne réussit pas à décoller sa tête de son torse.

Il demeura blottit, jusqu'à avoir l'impression qu'il allait vraiment s'endormir. Il avait les jambes engourdies, mais il s'en foutait. Ses yeux fermés, tous ses sens remerciaient l'alpha. Passé une brève somnolence, il sentit qu'on le portait, réalisant que l'alpha, l'ayant hissé sur son épaule, venait le coucher sur le lit. Il se posa à ses côtés, et, doucement, revint se mettre contre lui en position câlin. Allen écarquilla les yeux, se rendant compte qu'il s'était littéralement endormi, debout dans ses bras tout à l'heure.

« Que… faites-vous… ?

—J'essaie de te calmer, gamin. Tu peux te laisser aller. Je n'abuserai pas de toi, nous parlerons demain. Dors. Je reste à tes côtés. »

L'étreinte se poursuivit. Allen l'accepta. Il se sentait en sécurité, l'odeur, cette odeur, bon sang… Kanda sentait tellement bon ! Il retrouvait la béatitude de l'emprise, se retrouvait drogué aux phéromones, cette fois, sans crainte. Il pouvait se détendre, faire confiance. Kanda ne lui ferait aucun mal. Il voulait le croire. C'était la vérité. Tout irait bien, tout irait bien… Sa respiration le berça, ainsi que celle du kendoka. Bientôt, il succomba au sommeil.


Le lendemain, Allen s'éveilla, sentant les draps en soie contre sa peau qui la caressait de façon fort agréable. Il se frotta contre le tissu, poussant un gémissement de bien-être, tendant les jambes, avant de faire de même avec ses bras, cherchant, inconsciemment, le corps de Kanda dont la chaleur l'avait veillé toute la nuit. Le blandin n'avait jamais, de toute sa vie, eu une expérience aussi étrange. Dormir dans le lit d'un autre homme, d'un alpha, et être traité avec autant de considération, de respect. Il n'arrivait pas à s'empêcher d'être profondément ému. Il n'avait jamais eu ça. Le cœur gonflé de sentiments amers, ses yeux étaient mouillés, il sentait ses cils lourds, et il passa un doigt pour les essuyer, sa conscience recouvrant sa pleine réactivité lorsque ce geste machinal fut achevé. Il était seul dans ce lit trop grand. Le côté de Kanda était bordé de manière soignée. Il s'était levé et ne l'avait pas réveillé. Ses mains soulevant le tissu de la couette épaisse, il se redressa, s'appuyant contre le bois de la tête de lit. Il se gratta le crâne, puis passa une main sur son visage. Ses yeux étaient lourds à cause de toute les larmes qu'il avait lâché. Il n'osait pas se lever, arracher ses pieds et ses jambes nues — Kanda avait dû le changer, ce qui le troubla comme jamais — au toucher de la soie, et s'offrir à la fraîcheur matinale. Il ne savait même pas quelle heure il était, tiens.

Il se demanda où était passé Kanda. La pièce luxueuse, boisée du sol au plafond, sentait la couche de vernie, la propreté et la fraîcheur. C'était tellement différent de la cale humide du bateau et des cabines en métal rouillé, avec ses portes qui ressemblaient à celles d'une prison, les chambres à des cellules. La fenêtre aux volets entrebâillés délivrait un peu de jour qui éclairait partiellement l'édredon par un simulacre de clair-obscur.

Au-delà du demi-mur qui coupait la pièce en deux, Allen entendit un bruit, une sorte de son strident. Une sonnerie de téléphone, il savait que Luberrier en avait un. Cela s'arrêta, et la voix de l'alpha s'éleva de pair.

Figé, l'oméga se renfonça entre les couvertures, décidé à faire semblant de dormir. L'espace d'un instant, il vit se jouer une scène baroque qui le glaça d'effroi : Kanda recevait un appel des siens, car il l'avait démasqué, et il voulait le faire tuer. Son sang interrompit sa course des veines, il eut un instant de décrochage complet, durant lequel sa respiration se coupa. Puis, il se calma, fermant les yeux. Non, Kanda n'allait pas le tuer. Il n'avait rien décelé. Il lui avait proposé de l'aide, il l'avait cru et… Allen s'était senti bien. Il n'y avait pas de raison.

Non, c'était simplement une opportunité d'en apprendre plus sur lui. Pour la mission.

Il se concentra sur la conversation :

« Non, non, » s'échauffait Kanda, le ton rauque. « Tu comprends pas, Lavi. Je suis encore à l'hôtel. »

Un silence. Allen fronça les sourcils, se préparant à essayer de trouver un sens à ces propos.

« Te fous pas de ma gueule. Je suis avec un oméga, le mioche est dans un sale état… Non, c'est pas de mon fait, ça. Tu vois ce que je veux dire. »

Un autre silence.

« Arrête un peu, je ne passe pas ma vie à aider les âmes brisées. Ta gueule. »

Ça, c'était de la courtoisie où Allen ne s'y connaissait pas. Son cœur battait un peu plus fort. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il parlait de lui.

« Je vais rentrer, j'te dis. Je suis assez grand pour faire gaffe à mon cul. T'as pas du boulot ? …. Tant qu'on y est, je vais avoir besoin de toi. De ton œil, et de tes oreilles. On a repéré des hommes de Luberrier pas loin. Envoie quelqu'un suivre ces pourritures, et va avec lui pour faire du repérage toi aussi. Le premier connard que tu détectes, je veux sa tête. Compris ? »

Alors ça, c'était nettement moins rassurant. Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Allen se remit à flipper. L'alpha qui le surveillait hier avait dû se faire griller. Peut-être que lui aussi était déjà foutu, du coup. Tôt ou tard, Kanda remonterait jusqu'à lui si son clan n'avait pas assez maquillé les traces de la supercherie et les hommes assignés à son escorte.

Définitivement apeuré, il garda sa tête enfouie dans les draps, feignant encore d'être endormi. Il entendit les pas de l'alpha qui s'approchaient du lit. Il ne paraissait pas plus contrarié que ça, d'un œil à moitié ouvert, Allen avisa sa silhouette calme. Il clôt rapidement la paupière, avant de sentir le poids de Kanda à ses côtés. Enfin, il consentit à ouvrir les yeux après une seconde, plongeant un visage timide sur le plus vieux.

Ce dernier eut un rictus.

« Bien dormi, petit Moyashi ? »

… Presque, affectueusement, étrangement, Kanda passa une main sur son front. Allen rougit jusqu'aux oreilles, trop sonné pour demander ce que ça voulait dire. Il était étonné de la douceur dans la voix de l'homme, et si ça lui faisait aussi mal cœur que ça lui redonnait envie de pleurer. Il ne voulait pas avoir l'air si faible. Pas encore. Alors il se força à reprendre contenance. Toujours, il ne comprenait pas ce que ce mot voulait dire, ni pourquoi il l'appelait comme ça. Il avait l'impression que c'était sans doute affectueux.

« Je ne suis pas petit. » Il eut un sursaut d'humeur en se redressant. « Et vous… ? »

Sa demande était timide, il n'avait pas envie d'avoir l'air désagréable.

Kanda esquissa un sourire.

« Tu reprends de la gueule. » Rougissant, Allen se mordit la langue. Il avait peur de se refaire engueuler par l'alpha, mais ce dernier ricanait. « C'est très bien. Et oui, j'ai très bien dormi. Comment tu vas faire, ce matin ? »

Le blandin déglutit.

« Vous avez l'heure ? »

Il se redressa, dans le lit, quelque peu paniqué. Il ne savait pas comment Luberrier ni leur informateur réagirait s'il ne rentrait pas… Ce qui s'était passé la veille lui avait clairement échappé, il avait perdu tout contrôle, et... L'alpha dut prendre sa précipitation pour de la panique, qui en était totalement, et leva les mains pour l'apaiser :

« Calme-toi, Allen. »

Entendre sa voix rauque prononcer son prénom lui décolla un frisson.

« Hier, je t'ai demandé de me parler. Tu n'étais pas en état mais aujourd'hui, autour d'un déjeuner, j'aimerais que tu m'expliques plus en détails ta situation. »

Il était coincé. Heureusement, il avait bossé sur le background de son histoire et en plus, il y avait une part de vrai. Sa crise de panique n'était pas feinte, de toute façon. Il avait encore peur. Il saurait s'expliquer, il le croyait du moins. Puis, la promesse d'avoir à manger… ça plut à son estomac. Il ne pouvait pas reculer, de toute façon. Le ton autoritaire et demandeur de l'alpha le convainquit. Il opina du chef, déglutissant à peine, le stress encore présent. Kanda lui tendit la main, le maudit s'en saisissant, savourant sans le vouloir le fin contact entre leurs peaux.

Il se releva, tirant la couette, mais la rabattant sur ses jambes devant le regard de l'autre homme.

« J'ai préféré t'enlever ton costume, dit l'alpha d'un ton plat. Tu essayais d'arracher ton nœud papillon dans ton sommeil. » Oh… L'oméga rougit de honte. « Ne t'en fais pas, je n'en ai pas profité. Reste-là, je vais te chercher un pantalon. »

Serrant la couette dans son poing, Allen hocha la tête. Sur ses épaules, un simple t-shirt descendait jusqu'à ses cuisses. Un pantalon de survêtement ample, comme ceux qu'Allen mettait pour s'entraîner avec Tyki mais plus ouvert aux jambes, lui fut amené. Il l'enfila rapidement, remettant une mèche derrière ses cheveux.

Kanda l'amena ensuite jusqu'à la table, où les attendait déjà de quoi déjeuner. À nouveau, il n'avait jamais vu autant de choses. Il y avait des pâtisseries, du salé et des légumes. Des viandes blanches aussi, tel du poisson ou du poulet. C'est vers cela, ainsi qu'un grand bol de riz, que se dirigea le chef de clan. Allen prit un beignet, les yeux brillants, il n'en avait encore jamais mangé !

« Je ne savais pas ce que tu aimais, » exposa Kanda, « alors j'ai tout pris. Il y a également du café et des scones, c'est anglais. »

Il ne savait même pas ce que c'était, les scones.

« C'est… euh… beaucoup trop. » Il demeurait ravi au plus haut point. « Merci beaucoup. »

Un hochement de menton approbateur lui répondit. L'oméga mordit alors dans le beignet à pleine dents, savourant le chocolat et la douceur de la pâte. Ça faisait du bien. Immédiatement, il s'attaqua aux autres plats de la table. Les fameux 'scones', qu'il trouva excellents bien qu'un peu secs, et un met à la texture similaire au beignet, mais rond, avec un trou au milieu. Il le mangea, le Japonais utilisant ses baguettes pour décortiquer du poisson cuit, il piochait aussi dans quelques légumes. Allen fut surpris de le voir manger si équilibré alors qu'il y avait tant de mets sur la table. Lui, il avait envie de tout goûter.

Il n'aimait pas tellement le café, mais après la nuit qu'il venait de passer, il demanda l'autorisation au plus âgé de se servir — au clan, il n'avait jamais le droit de se servir ses quantités lui-même. Sans quoi, il prenait une correction. Kanda acquiesça, de nouveau. Il ne parlait pas et Allen ne demanda pas son reste. L'autre jeune homme était visiblement du genre silencieux. Bien intentionné, Allen en avait l'impression, mais très calme.

Il grogna en se brûlant la langue avec le café — le liquide chaud et âpre, il détestait ce goût, mais forcé de constater que ça marchait bien : il se sentait réveillé. Kanda eut un fin rictus en le regardant.

« Rajoute du lait et du sucre, si tu n'aimes pas quand il est noir.

—O-oui, vous avez raison. »

Le lait et le sucre étaient aussi une denrée rare. Personne n'en utilisait à la légère. Il n'avait jamais eu le droit d'en prendre. L'alpha, qui avisa sa tête de demeuré, prit lui-même deux morceaux de sucres qu'il déposa dans le liquide brun. Il approcha ensuite la carafe de lait de lui. Comprenant qu'il en avait la permission, le maudit se servit. Il eut du mal à refouler la culpabilité qui le saisit en avisant tout ce qu'il avait à manger, sachant que dehors, de nombreuses vies s'éteignaient faute de victuailles. La disparité était cruelle.

Il recentra son regard sur le visage de Kanda. Ce dernier mangeait, faisant mine de ne pas l'observer. Définitivement pas un grand bavard. Allen but, le goût âpre du café coulant dans sa gorge. Kanda avait eu raison, avec du sucre et du lait, c'était bien meilleur. Ne voulant pas trop se complaire dans le silence, il toisa timidement son ironique bienfaiteur :

« Vous vouliez parler, n'est-ce pas ? »

Kanda porta un grain de riz à sa bouche. Il prit le temps d'avaler, buvant du thé à la suite.

« En effet. Je vais en venir au fait. Ta situation est loin d'être évidente, et tu n'es pas le premier que je rencontre à y être confronté. Tu me plais énormément. Je vais donc te proposer un arrangement. »

Allen rougit. 'Il lui plaisait'. Kanda venait de le dire franchement. Il était vraiment gêné. Pourtant, malgré cette attirance qu'il lui répétait, il n'avait pas voulu profiter de lui.

« Quel genre d'arrangement ? »

L'alpha sourit.

« Je te protège et je te donne de l'argent pour que tes employeurs ne se rendent compte de rien. Tout ce que tu as à faire, c'est rester à mes côtés. »

Le maudit fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que vous y gagnez… ?

—J'allais à venir. En restant à mes côtés, tu accepteras d'échanger tes odeurs avec moi. Et de dîner en ma présence plusieurs fois par semaine. »

Oh… ainsi, il essayait vraiment de le séduire. Allen n'était pas idiot. Ça ne le dérangeait toujours pas, loin de là, au contraire même, ça lui plaisait. Mais justement. En refusant, en se sauvant, il aurait pu tenter de s'échapper du plan de Luberrier, et ne pas se retrouver forcé de jouer l'innocent alors qu'on voulait l'utiliser pour piéger un homme qui cherchait à l'aider. Ça le faisait se sentir horriblement mal quand il y réfléchissait ainsi. Mais, et il n'avait pas arrêté de se le répéter depuis le début de la soirée, il ne pouvait pas arrêter.

Il n'avait aucun moyen crédible de reculer sans foutre sa vie en l'air, en s'attirant les foudres d'un clan des deux clans, ou plutôt de leur deux dirigeants, ce qui reviendrait au même. Suite à ça, il se ferait tuer. Et duper Kanda ainsi, à côté du fait de perdre la vie, devenait l'option la moins difficile.

Dîner avec lui, accepter ses étreintes… ça ne le gênait pas. Ça aurait été tellement parfait de le rencontrer sans tout ça, dans un autre contexte. Rien ne le sauverait, à ce stade.

Ravalant ses regrets, le maudit dût prendre une décision.

« Oui… »

Par ces mots, il signait à l'encre indélébile le pacte de trahison dans lequel l'enfermait son clan.

À suivre...


Je suis assez hypée par l'écriture de la suite, parce que ça va devenir intéressant ! Sinon, le pauvre Allen en voit encore de belles.

Il me semble qu'on m'avait dit dans une review que ce serait chouette de le voir se confier à Kanda pour éviter un gros quiproquo, autant je suis méga d'accord sur le papier, ce serait beaucoup plus facile et beaucoup plus sain, autaaaant, vous allez voir -et ça doit déjà se remarquer, que le pauvre n'a absolument pas confiance en la réaction de Kanda face à une telle annonce, et à son avenir s'il vendait la mèche. Donc ça risque d'être assez compliqué de ce côté là pour lui :p. On est pas dans un monde où la communication est facile, bien malheureusement pour eux TwT.

Pour le moment, les choses se mettent en place lentement.

Reviews ?

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Merci d'avoir lu !