Note : Deux ans après, voici la suite.

Cette fiction reprend, et je suis vraiment fière de ce chapitre, heureuse aussi de retrouver cette histoire, c'est tout ce que je peux vous dire :p.

Comme les autres, j'ai bon espoir de poster la suite de cette fiction régulièrement (un par mois, un tout les deux mois, plus ou moins, selon les aléas de la vie). Ça avance bien, j'ai mis en place des choses ici qui me feront traiter de thèmes chouettes pour la suite.

J'oublie d'en parler dans les nouveaux chapitres d'ailleurs mais si ça peut intéresser également les lecteurs d'histoires DGM, il y a des nouveaux textes, des OS un peu smutty majoritairement pour le moment, plutôt mignon et court qui ont été publié. Des textes qui seront aussi des nouvelles mais avec des intrigues plus concrètes sont aussi en chemin (avec des scènes spicy çà et là pour bcp, on change pas une équipe qui gagne). Si lire du Yullen de ma patte vous intéresse, je pose ça là o/.

Quant au chapitre, pour aider à se remettre dans le bain, petite mise en contexte viteuf :

Allen est toujours sous le coup de l'émotion de l'obligation de servir d'escort/prostitué, il ne pense pas réussir sa mission de l'assassiner en s'en sortant vivant, et il commence à voir Kanda régulièrement. Pour le reste, ils sont encore en train de s'appréhender.

Mêmes avertissements de contenu que d'habitude, à savoir violence morale, sexe, allusion à de la maltraitance dont maltraitance enfantile, violences sexuelles et autres joyseutés, ruminations, lourdeur psychologique etc. Je rappelle qu'Honeymoon n'est pas une histoire au contexte facile, qui traite du sujet lourds et matures, si vous êtes pas dans le bon état d'esprit pour la lire, ne le faites pas.

Sur ce, bonne lecture ! \o/

Réponse Anonyme :

Laura : Merci pour ta review ! (Et merci aussi pour celles sur SOS) Oui, effectivement, je mixe pas mal l'univers de la fiction avec celui de DGM. Pour tes questions, la suite va y répondre (pas dans ce chapitre je t'avoue). La seule chose que je peux dire c'est qu'on aura pas de Link x Lavi, c'est mort en effet. Encore merci !


Allen avait rendez-vous avec Kanda pour dans trois jours, soit mardi prochain. Il n'en revenait toujours pas de la gentillesse du chef de clan, et son coeur balançait depuis ce bonheur entre son sac de culpabilité, de peur, de chagrin. Il avait déposé son rapport à Link, indiquant un rapprochement et la demande de rendez-vous, ce qui ravissait l'autre alpha qui voyait leurs plans fonctionner. Link aurait de bonnes nouvelles à transmettre à Luberrier. Il était vrai que la mission se déroulait très bien pour le moment, sur le papier du moins. C'était sans compter les angoisses d'Allen qui aurait aimé ôter l'air satisfait du visage affable de Link. C'était sans compter, non plus, l'horrible pression psychologique que ça lui infligeait. Il aurait aimé voir l'alpha, à sa place, peut-être qu'il aurait moins fait le malin si on l'avait forcé à faire tout ça. Il était forcé de ravaler sa colère, parce qu'il n'avait pas le droit de la manifester de toute façon. Il avait seulement envie de tout larguer et d'oublier pour le restant de ses jours. Il risquait trop gros et psychiquement, il ne tiendrait pas le choc. Être perpétuellement angoissé ne conviendrait à personne, à lui encore moins parce qu'il était déjà trop fragile, trop à bout.

Et il en avait marre, de se sentir comme ça. Il avait envie de se battre, de ne plus subir. Même si ça voulait dire faire quelque chose de mal, il commençait à se dire qu'il n'avait pas le choix, qu'il ne pouvait pas endormir son instinct de survie au profit de son coeur. Il ne pouvait pas tomber amoureux de ce type pour si peu, se laisser séduire, perdre de vue qu'il appartenait à un clan rival qu'il le veuille ou non. Il devait trouver une stratégie, être malin, pour s'enfuir. S'il voulait survivre, il ne pourrait faire que ça.

Dans les couloirs du bateau, il avait foncé jusqu'à la salle d'entraînement, cherchant Tyki qui fumait une clope, comme bien souvent. Il avait supplié l'alpha aux cheveux bouclés de l'entraîner, qu'il soit sûr d'être un peu plus à même de se défendre s'il devait combattre. Il ignorait s'il saurait se débrouiller quand les choses se gâteraient. Parce qu'elle se gâteraient inévitablement. Il décidait d'essayer de se détacher. Après tout, ce Kanda, il ne le connaissait même pas. Il avait beau être gentil avec lui, il ne le sauverait pas. Alors il devait se sauver lui-même. Il devait avancer dans ce lugubre chemin. Il avait envie de se battre.

Ce pourquoi, lors de son entraînement avec Tyki, il fut sérieux. Silencieux, concentré. Il attaquait avec autant de dextérité qu'il le pouvait. Le maître d'arme le contrait, bien sûr qu'il n'avait pas encore le niveau pour que Tyki ne le domine pas en plein combat. Toutefois, il voyait que ses mouvements étaient bon. Il ne se faisait pas toucher une seule fois depuis le début. Ce qui était plutôt un bon exploit pour lui. Preuve qu'il était concentré, déterminé, et enragé. Il joutait avec l'épée en bambou comme si sa vie en dépendait.

Parce que sa vie en dépendait.

Au bout d'un moment, Tyki attrapa le bambou et le bloqua sous son bras. Paniquant, Allen le lâcha et tomba en arrière, effectuant un salto à la dernière minute. Bénie soit sa souplesse gagnée au cirque.

Sans lui répondre, le bouclé laissa tomber son épée par terre. Juste devant lui. Juste entre eux.

Il avait compris que pour Allen, ce combat était aussi sérieux qu'un vrai. Qu'il ne pouvait pas abandonner. Qu'il ne devait pas fléchir. En ça, le maudit lui en était reconnaissant. Il le challengeait. Et ça lui plaisait beaucoup.

« Tu es en colère, » finit par observer Tyki.

Allen haussa les sourcils. En colère ? Oui, peut-être bien. Disons surtout qu'en lui, il avait ressenti le besoin d'allumer un feu pour ne pas se faire consumer le premier par les événements. Que ce feu soit constitué de haine, de déceptions, de regrets, d'échecs, ça le regardait. Ils brûleraient avec le reste.

« J'ai simplement envie d'assurer mes arrières. Je suis prêt à me défendre. Contre tous. »

C'était pour au cas où, le cas où il devrait recommencer. Il ne voulait pas avoir peur de prendre les décisions qu'il fallait. Ni manquer de moyen, physique, pour les mettre en oeuvre.

Tyki ne renchérit pas.

Et en se battant, sautant sur ses pieds pour récupérer l'épée avant que Tyki ne tombe la sienne sur lui, il réfléchit.

Peut-être bien qu'avec tout ça, il devenait en colère. Plutôt que de sombrer dans le désespoir et la peur, il se disait qu'il pouvait faire quelque chose pour s'en sortir. Il ne pouvait pas rendre à l'alpha son affection sincère. Il ne voulait pas se retrouver dans cette situation. Il aurait fait quoi, à tomber amoureux de lui mais à être mandaté pour le tuer ? Lui expliquer la situation ? Se faire buter ? Non merci. Il avait tout retourné dans sa tête.

La seule alternative à sa défaite était de faire ce qu'il détestait. Être faux. Se prendre au jeu. Et quitter le navire au dernier moment. Se dérober dès qu'il le pourrait.

Il avait choisi. Il attendrait de voir comment le vent tournerait.

Allen comprit alors qu'il n'était pas en colère. Pas seulement. Il était surtout frustré.

Frustré de passer à côté d'une possible belle histoire d'amour, sans doute la seule de sa vie, dans sa vie, de sa situation. Mais ça tombait bien. Le combat, ça permettait d'évacuer le trop plein de rage. Il n'avait qu'à continuer comme ça.

Se battre était sa seule option.


Deux heures plus tard, Allen était tout en sueur dans son t-shirt de sport dans lequel il nageait et flottait, sans compter son jogging qui le collait au niveau des fesses, du ventre, des cuisses. Quelle horreur. Il avait hâte de passer par la douche.

Epuisé, le souffle court, il fixait Tyki qui s'épongea le front sans sembler souffrir autant que lui. Il paraissait satisfait de leur affrontement. Allen lui avait donné du fil à retordre. Il avait fini au tapis quand Tyki était devenu plus sérieux, mais il s'était battu jusqu'au bout. Jusqu'à ce que son dernier os ne craque.

On pouvait dire que son énergie s'était évanoui en même temps que ses forces. Elles s'étaient drainées dans le vide, dans la beauté des gestes désespérément précis. Concentré, connement gauche, il se maudissait d'avoir faibli. La fatigue, chose humaine, causerait sa perte s'il ne la repoussait pas. Il devait vaincre. Les mots, les maux. Il fallait qu'il soit au-dessus de tout ça.

« C'est bien de te voir en forme, gamin, » dit Tyki en lui tapant sur l'épaule. « Oublie pas de te laisser aller quand même. Si tu refoules tout, tu vas couler.

—Je coulais avant, » avoua Allen sur un sourire, content que Tyki s'inquiète pour lui, mais confus. « Mais là, je pense avoir trouvé comment avancer. »

Il l'espérait, du moins. Il en avait marre d'être aussi faible. Il avait besoin d'être plus fort. D'être fort tout court.

Il avait une mission à accomplir. Et une fuite à préparer.

« On se réentraîne ensemble demain, Tyki ?

—J'serai pas là, demain. Mais juste avant ton rendez-vous, on pourra. Tu veux des conseils de séduction, aussi ? »

Rougissant, Allen fit de son mieux pour conserver un air neutre. Il n'était plus un enfant, il fallait qu'il en ait conscience et qu'il sache se conduire comme un adulte.

« S'il te plaît, oui. »

Les explications pouvaient toujours servir, lorsqu'il passerait aux choses sérieuses. Le tout était d'être convainquant. Il était doué pour bluffer, au poker.

L'amour était un peu similaire, non ?

Si tant est qu'il était vigilant, qu'il ne révélait pas ses cartes, et ne se perdait pas lui-même dans son jeu, tout irait bien. Allen s'en faisait le serment. Il ne pouvait pas abandonner et s'arrêter comme ça. Il en faudrait plus pour le terrasser.

Il avait déjà vécu des choses horribles, et il était debout. Vacillant, brisé, déboussolé, mais invaincu.

Il était fait d'un bois qu'on ne pouvait pas brûler.


Le jour du rendez-vous, Allen se repassait les conseils de Tyki en boucle. Il rougissait comme un malade parce qu'il avait eu droit à des démonstrations, sur comment chuchoter à l'oreille de son partenaire, comment poser la main sur ses hanches, sur ses bras. Comment, aussi, amener subtilement ce genre de contact, pour ne pas paraître suspect. Allen n'avait pas expliqué en détail à Tyki à quel point Kanda le voyait comme un gamin apeuré. Bien sûr, il avait été lui-même lors des premiers rendez-vous. Il se doutait toutefois que Tyki le savait, ou qu'il en avait une petite idée, vu le nombre de conseils qui allaient dans le sens de « fais de petits gestes puis excuse-toi, minaude un peu. Oui, comme ça, exactement. » ils avaient passé un bon nombre de minutes à en discuter. Allen était ressorti de là le crâne à moitié en feu. Parce que bon sang, c'était gênant. Il était sûr que Tyki avait fait exprès ! Il aimait bien filtrer avec tout le monde, même lui y avait le droit.

Il avait posé la main sur sa cuisse en chuchotant sensuellement qu'il était adorable. Ça l'avait fait rougir comme un crétin, et il avait eu du mal à le regarder dans les yeux après.

Allen lui faisait confiance, et il était content d'avoir un allié dans tout ça. S'il pouvait bénéficier de ses conseils pour quand il serait obligé d'entamer sa phase de séduction — dont il n'avait aucune envie, et encore moins celle de tuer cet homme…. Il savait qu'il aurait du temps devant lui. Tyki lui recommandait six mois minimum, pour se faire à l'idée. Il avait du mal à se dire que ça suffirait. Prendre la vie de quelqu'un qui le traitait avec respect… Même pour le pire salaud de la terre, il y aurait pensé à deux fois. Mais là… encore plus. La pensée le mortifiait. Il restait persuadé de devoir trouver un moyen d'y échapper. Mais lequel ? Il n'osait pas en parler à Tyki directement. Il craignait la réaction de l'autre s'il parlait de déserter et fuir le clan.

Ça lui faisait peur. Les alliés d'un temps pouvait devenir les ennemis du lendemain. Il l'avait toujours su. Le comportement de Link le montrait bien. Le fait que Cross l'ait vendu à ces enfoirés aussi, lui qui pensait avoir trouvé un second père.

Peut-être même que Kanda, bien sous tout rapport pour le moment, ne garderait pas ce visage-là éternellement. Il se posait plein de questions. Tout retourner ne l'aidait en rien, et il s'en fatiguait lui-même.

Tout ce qu'il savait, c'était qu'il se devait d'être sur ses gardes malgré tout. Avec tout le monde, constamment.

Fraîchement déposé, Allen se trouvait devant le club, dans une tenue pimpante, un costume violet cette fois-ci, des couleurs chatoyantes, chaleureuses. Il pénétra à l'intérieur, navigua dans le flot de gens, et s'approcha du comptoir.

Kanda l'attendait déjà au bar. Son sourire charmeur ravageait Allen de l'intérieur. Il se sentit idiotement heureux de le revoir. Il avait beau lutter, ces sentiments bienheureux et bienveillant, il n'arrivait pas à les chasser. Il voulait tant s'en débarrasser pourtant. Allen se mordit la lèvre, venant s'asseoir à côté de Kanda. Ses cuisses tremblaient. Les nerfs de ses jambes semblaient proches de le lâcher à tout moment. Il s'assit, les mains gauches tournant le siège dans sa direction avec une certaine lenteur, et salua l'alpha. Kanda posa une main à côté de la sienne, comme pour demander indirectement s'il pouvait joindre leurs membres.

Allen n'avait pu résister, il avait saisi la main de l'alpha. Le contact physique lui avait fait énormément de bien, tout de suite. Il avait souri. Jeu de séduction qu'ils avaient mutuellement déjà gagnés, avec des enjeux bien différents. Ils commandèrent, Allen ayant envie de tester un autre plat. On lui servit du tartare de saumon avec des haricots, et il crut mourir tant c'était bon. Bien sûr, il n'en laissa pas une miette. Kanda l'observait sans parler.

En vérité, le maudit avait un peu de mal à saisir sa vraie personnalité, à laquelle il s'intéressait bien avant cette facette de charme et de protection qu'il lui montrait. Kanda semblait assez imprévisible. Parfois sarcastique et grande gueule, mais aussi réservé et plutôt froid, quand il l'observait interagir avec d'autres, contrastant totalement avec sa manière de lui sourire ou d'essayer de le séduire. Il semblait être assez versatile. Et Allen avait du mal avec les gens lunatiques. Il trouvait compliqué d'interagir avec eux.

« T'as une de ces façons de me reluquer, avec ton morceau de pain en bouche, le gamin. Tu as l'air bien fin. Qu'est-ce que tu as ? »

Allen avala avec précipitation, rougissant. Voilà, ce genre de commentaires et de réactions, semi-moqueuse, semi-dédaigneuse, et en même temps…. Il sentait une pointe de tendresse dans la voix de l'autre. Il avait du mal à savoir comment réagir.

« Je ne sais pas trop, excusez-moi, » Allen joua la carte de la politesse. « Je me suis perdu dans mes pensées.

—À d'autres, je vois bien que tu me regardais moi. À quoi tu penses ? »

Il insistait, maintenant, sonnant légèrement agacé. Allen se mordit la lèvre.

Comment dire ça sans le vexer ?

« Vous… êtes étrange. J'ai beaucoup de mal à vous comprendre. Pas qu'au niveau de notre arrangement, je veux dire. Vos réactions. Je… suis perdu avec vous. Ça m'agace. »

Il avait été on ne peut plus honnête, encore trop honnête, mais il n'arrivait pas à le cacher. Kanda se contenta de le regarder, silencieusement. Allen crut qu'il allait s'énerver.

Pourtant, et ça le surprit, l'alpha éclata de rire.

« Si tu veux tout savoir, » dit-il lorsqu'il se calma et le fixa avec un sérieux qui ébranla Allen, « je ressens la même chose. Tu as ce côté fragile, cette façon d'être poli, souriant, que je trouve un peu trop forcée, en d'autres circonstances j'aurais détesté ça ou j'aurais eu pitié. Tu es pourtant direct dès que quelque chose t'agace, comme tu dis. Moi, ça m'amuse. Je vois quelque chose en toi qui m'intrigue. »

Allen se mordit la lèvre. Il se foutait de sa gueule. Et en même temps, le fait que Kanda se présente comme « intrigué »… ça lui mettait des sueurs froides avec sa couverture. Il ne jouait même pas vraiment un personnage, toutefois, si l'alpha jugeait que sa peur était peut-être liée à un autre facteur, ça pouvait chauffer pour lui. Face à son air vexé, et sa crainte, Kanda sourit. Ce même sourire arrogant.

« Ce qui me fait marrer, c'est que j'ai l'impression qu'on se ressemble pas mal niveau franc parlé. Quand tu laisses glisser un peu ce masque ridicule que tu t'obstines à afficher. »

Ça aurait pu être vexant, la remarque ne passa pas inaperçue aux oreilles du maudit, cela le renfrogna. Mais Kanda avait tort. Il ne laissait pas entrevoir son vrai visage. Il ne l'avait jamais fait avec personne.

« Vous seriez à ma place, vous auriez aussi du mal à être vous-même.

—On sera jamais l'un à la place de l'autre, cependant, je pense que je vois ce que tu ressens. En étant chef de clan, moi aussi j'ai rarement l'occasion d'être libre.

—C'est pour ça, votre engouement réputé pour tout ce qui est lié au sexe, alors ? Un moyen de lâcher prise ? »

Kanda parut pris de court, un instant. Allen craignit d'avoir été trop loin, pourtant, l'autre n'eut que l'air pensif, pas vexé pour un sous.

« Sans doute un peu. Il en faut bien. Tu en as trouvé un, toi ? »

Le maudit secoua la tête, regardant ses mains. À part manger, déprimer dans son coin, ou lire… Il n'y avait pas grand chose. Il n'y avait rien. Kanda parut comprendre qu'il avait touché un point sensible, aussi, il ne renchérit pas. Il versa juste un peu d'eau dans le verre d'Allen, vide, et se tut, vraisemblablement très à l'aise avec le silence.

Allen se sentait réellement confus à l'idée d'être si pathétique, en vérité, il se sentait humilié par cette constatation. Le genre de confrontation avec soi qui ne fait pas plaisir. Comme pour l'empêcher de déprimer, Kanda lui donna un coup de coude.

« On peut monter à l'étage après ton repas, si tu veux. On sera plus tranquille pour parler. »

Le maudit acquiesça. Il ne lui restait plus grand-chose dans l'assiette, et il finit son verre d'eau. Kanda allongea une main pleine de pièces pour payer à sa place, qui le fit rougir. Il avait « réussi » sa mission dans le sens où l'alpha se faisait réellement pour raison de l'aider et de prendre soin de lui. C'était dangereusement trop réconfortant.

Lorsqu'ils montèrent, il ne ressentit pas d'anxiété, sachant qu'il était en sécurité avec Kanda. Faire confiance à un alpha était une chose nouvelle pour lui. En tant qu'oméga, il était toujours sur le qui-vive à leurs côtés. Se relâcher, ne serait-ce qu'un peu, était rarissime. Il se doutait qu'il n'était pas le seul oméga à ressentir ça. Un triste état de fait que leur apprenait le monde.

Ils s'assirent sur le canapé, et le plus âgé l'invita à prendre place dans ses bras. C'était très agréable pour l'oméga. Ils échangeaient leurs odeurs suffisamment longtemps pour que ceux qui sentiraient Allen pensent qu'il était sexuellement marqué. L'odeur d'un alpha restait quelques jours sur un oméga après des rapports sexuels. Il s'agissait de quelque chose à double-tranchant pour Allen, il n'avait pas envie que Link et Luberrier ne pensent qu'ils avaient réellement consommé, et ne l'incitent à aller plus vite dans l'opération. Mais.. c'était cohérent avec sa couverture. Et ça le protégeait des avances non-sollicitées en règle générale.

Les alphas n'aimaient pas sentir un oméga avec une odeur musquée, sauf lorsqu'il s'agissait de la leur.

Kanda brisa l'étreinte le premier, le repoussant gentiment avec une caresse sur le crâne.

« Je voulais te proposer quelque chose. »

Allen se décontracta, encore apaisé par les phéromones. Il reniflait piteusement, comme après une longue nuit fraîche. Il avait la tête dans le pâté. Comme à chaque fois.

« Oui ?

—Ce serait bien que nous allions dîner quelque part cette semaine. Ça changerait de nos entrevues dans ce club. Je vois bien que ça t'angoisse, vu la gueule que tu fais quand je te vois. »

Il avait un sourire en coin, à demi-moqueur, à demi-complaisant. Allen se tendit face à la taquinerie, peut-être de trop à son goût, qu'il se força à prendre bien. La proposition de l'alpha ne le gênait pas. Au contraire, ça lui faisait plaisir.

« Pourquoi pas. On verra si ça me fait tirer une autre gueule, comme vous dites. »

Il lui avait quand même envoyer une petite pique, et Kanda sourit. Avec la ville en ruine, le cerveau d'Allen se ralluma — enfin — pour poser une question de mise, sa perplexité prenant le dessus.

« Où irions-nous dîner ? Il y a beaucoup d'endroits comme ceux-là ?

—En fait, quelques-uns. Ouvert pour les plus privilégiés d'entre nous, tu penses bien.

—Pas pour les gens de mon espèce, alors. »

S'il jouait le petit « bourgeois » de l'ancien temps, il n'avait clairement pas accès à toutes ces choses. Le clan de Luberrier n'avait jamais mis à disposition de telles récréations à ses partisans. Il n'y en avait, à l'avis d'Allen, pas besoin, de toute manière. Ce luxe avait été conservé, mais à quel prix ? Plus il y pensait, plus ça le rendait dingue. Ça le dégoutait de se dire que des gens crevaient de faim à côté de ceux qui s'empiffraient jusqu'à plus soif, et Kanda l'invitait tranquillement dans un de ces endroits, comme il étalait sa richesse, sans même en être conscient, et sa sécurité devant son nez depuis le début. Il n'aimait pas ce rôle de protégé d'un type aisé. Pas un mobile suffisant pour le tuer cependant. Ça m'énerve, c'est quelque chose que je n'aime pas, mais je pourrais pas le détester à ce point pour ça.

Ignorant de ses pensées, Kanda soupira. Il paraissait comprendre d'où provenait cette réaction.

« Le monde a sombré mais ses inégalités ont persisté. C'est pour ça que je parle de privilèges. Maintenant, contre ou pas, quand on en bénéficie, on va pas cracher dessus. Ça existera quoiqu'il advienne. »

Allen se mordit la langue. Il n'était pas tout à fait d'accord avec ce raisonnement.

« Sans cracher dessus, partager pourrait être bien. Vous savez bien que dehors, les gens meurent.

—C'est tenu par des mafias plus grandes que moi, quand bien même j'aurais envie, je peux rien faire. Il y a un contrôle très strict. Bref, c'est des histoires compliquées. »

Les chefs de clan n'étaient pas tout puissant. Il s'en rendait compte par le simple fait que Luberrier l'envoie lui afin d'assassiner son rival. Seulement, il était aussi d'avis que la volonté pouvait changer les choses. Il n'allait tout de fois pas se disputer avec Kanda à ce sujet. Il ne faut pas compromettre la mission, se fâcher n'est pas nécessaire. Garde tes opinions personnelles pour toi.

« J'ai envie que tu baisses ta garde, petit, » expliqua l'alpha en coupant sa réflexion. « Baisse la garde avec moi. Et laisse-moi te montrer que tout n'est pas à jeter dans ce que je te propose.

—J'accepte. C'est juste que ça ne me met pas très à l'aise. Je vois l'état de la rue dehors.

—Moi aussi, je le vois bien, » rétorqua le plus vieux avec un ton d'évidence, proche d'un certain agacement. Il s'adoucit tout de même : « Et je comprends ta réaction. Si tu ne veux pas, nous n'irons pas. Je peux trouver un autre endroit. »

Curieux, le maudit se demanda combien il y avait « d'endroits » propice aux yeux de Kanda, et ce que c'était. Mais après tout, se rendre là-bas pouvait aussi lui permettre de se rapprocher de lui. Égoïstement, il avait aussi envie de goûter d'autres bons plats. C'était pathétique ça lui fasse tant envie. Son estomac venait d'être rempli.

« C'est bon, je ne suis pas contre » céda Allen presque à contre-coeur. « C'est juste… triste.

—Ce monde l'est.

—Là-dessus, on est d'accord. Parfois, j'aimerais juste faire quelque chose. »

Kanda lui lança un regard. Un de ceux à peine moqueur, à peine condescendant, aussi, mais avec une pointe de tendresse. Sans doute était-ce un paternalisme qui aurait dû l'agacer, cependant, cela lui donnait l'impression qu'il n'y avait pas de malice réelle dans ses yeux. L'homme finit par se passer la langue sur les lèvres, et son expression se renferma.

« T'es ni le premier, ni le dernier. J'ai abandonné, pour ma part. Y a plus rien à faire.

—Pas moi. »

Ses réponses le surprenaient lui-même, pourtant, elles étaient spontanées.

« C'est bien. » De nouveau, Kanda semblait sérieux. « Il faut toujours des gens pour se battre là où les autres se laissent aller. »

Et cette fois-ci, Allen perçut une détresse lointaine dans sa posture, comme si son âme souffrait pour une raison qu'il ignorait. Comme la première fois qu'il l'avait rencontré, entre un sentiment d'admiration certain et un intérêt plus personnel, il fut intrigué. Aussi un peu attristé. Kanda était conscient de ce qui se passait en lui, si Allen en jugeait par ses paroles et son langage corporel. Être habité par un mal-être, ça ne rendait que l'impuissance encore plus douloureuse.

Timidement, mais avec un certain naturel, Allen tendit une main qu'il posa au-dessus de celle de l'alpha. Il l'enleva immédiatement comme s'il s'était brûlé. Kanda aussi parut surpris. Son regard se déroba, comme s'il était vexé qu'Allen l'ait percé à jour. Mais c'était déjà fait. Ils venaient mutuellement de comprendre quelque chose l'un sur l'autre. Le beau et le laid. L'apanage de toute relation humaine.

Allen sourit. Sans hésitation, sans ciller. Kanda fut celui qui hésita, et finit aussi par lâcher un petit ricanement nasal, marmonnant quelque chose qu'il ne comprit pas. Ils changèrent de sujet.

Il y eut une conversation un peu bateau, ponctuée de silence, de gêne et de commandes d'eau et autres joyeusetés. Du bruit des autres, aussi. Puis, Kanda lui sourit à la dérobée. Un de ses sourires si fins qui auraient pu ne pas en être si Allen n'était pas persuadé de les voir.

« Merci d'accepter de venir avec moi là-bas.

—C'est vous qui m'invitez, il ne faut pas me remercier ! »

Sa surprise était non-feinte. Il était choqué de voir Kanda, un chef de clan puissant qui ne devait clairement pas avoir besoin de supplier pour qu'on aille quelque part avec lui, s'abaisser à ce genre de politesse… Ça ne semblait même pas être son genre, et s'il était réellement reconnaissant, ça choquait encore plus Allen. Il n'avait absolument pas de quoi l'être.

« Vraiment, merci pour tout ce que vous faites. »

Kanda haussa les épaules, lui donnant une petite tape derrière la tête, l'air de dire qu'il ne fallait pas le remercier non plus. Le maudit grogna entre ses dents, mais consentit à ricaner. Ils échangèrent une nouvelle étreinte. Allen se disait que ces rendez-vous avaient quelque chose de plaisant. Il ressentait tellement d'émotions négatives, mais aussi positives auxquelles il n'était pas habitué. Un instant, il oublierait le reste. Il n'y aurait que lui et Kanda. Il n'avait pas besoin de penser à autre chose, de penser à la suite, bien que ça le torturait. Pas encore. Pas maintenant.

Créer un lien, c'était suffisant.


Link attendait la venue d'Allen en tapotant sur son calepin. Il se rendait bien compte que la vie du petit était devenu un enfer. Il n'avait jamais su trop quoi penser du gamin. Luberrier avait voulu les marier car il était le seul oméga. Link n'avait jamais été pour. Leur différence d'âge le mettait mal à l'aise, car Allen n'avait que 12 ans lorsqu'on les avait fiancé. Heureusement, ces fiançailles annulées, il était libre. Il avait de la peine pour lui, il avait tout de l'adolescent à problème, puis du jeune adulte paumé. Il ne l'enviait pas. D'autant qu'avec son comportement, il avait creusé sa propre tombe. Il était dans la promiscuité, dans la provocation, l'indécence… un gâchis. S'il était honnête avec lui-même, Link l'avait senti. Il avait toujours senti qu'Allen tournerait mal. Avec la vie qu'il avait eu, qu'attendre d'autre ?

Il était peut-être un peu dur avec lui. Et il savait bien que l'histoire avec Chao Ji n'avait rien aidé. Il n'avait pas cru Allen, lorsqu'ils s'étaient parlé. Maintenant, en avisant la façon dont Chao Ji fanfaronnait de baiser des omégas à tour de bras, comme il aimait le dire, et qu'il parlait de façon très graphique de ses actes sexuels, ce que Link désapprouvait fortement, il ne savait plus quoi penser. Il était trop tard pour s'excuser auprès d'Allen, de toute façon, et il avait fait trop de mal. Et s'il n'avait pas entièrement tort, de toute façon, car un oméga n'aurait jamais dû se laisser approcher si près par un alpha, il ne voulait pas l'encourager non plus. Ce qu'Allen eût vécu devait être très dur, mais il espérait que ça lui servirait de leçon.

Luberrier n'était pas innocent dans ce qu'il faisait vivre à l'oméga, maintenant qu'il avait été déshonoré. Link avait argué en sa faveur, il était certes entaché mais encore pur, pourquoi ne pas le marier ou le vendre plutôt que le prostituer ? Mais Luberrier n'en avait rien à faire, pour lui, Allen ne valait rien. Link désapprouvait la ligne de conduite de son supérieur, néanmoins, il n'avait aucune légitimité, ni aucun moyen d'arranger les choses. Ça le soulageait de se dire qu'ils n'étaient pas encore assez avancé dans le plan pour qu'Allen soit en danger. Il craignait néanmoins que le jour où Kanda découvrirait la vérité, il ne leur envoie cet enfant en charpie. Luberrier n'aurait rien gagné.

La situation contrariait Link, il n'y pouvait pourtant rien. Et cette impuissance était un doux confort dans laquelle il aimait se draper.

Lorsque les coups retentirent contre la porte, il soupira. Encore un moment désagréable à passer.

Allen fit son entrée d'un pas mal assuré, le regard bas, un visage somme toute mécontent. Link comprenait bien qu'ils étaient dans une situation compliquée, d'autant qu'encore une fois, il désapprouvait fortement le gâchis qu'ils faisaient de cet oméga.

« Comment ça s'est passé ? attaqua Link sans aucune forme de préambule.

—Ça va. Je n'ai pas obtenu d'infos supplémentaires, mais je pense qu'on se rapproche. Il veut me revoir. »

Link ne put se résoudre à sourire, bien qu'il sache que son patron allait être ravi, en revanche.

« Quand t'a-t-il donné rendez-vous ?

—A la fin de la semaine, dans un endroit huppé. Je ne sais pas sur quoi ça va nous amener. »

Allen regarda en bas, jouant avec la semelle de sa chaussure droite en la frottant sur la gauche, dans un soupçon de malaise visible. Un tic anxieux, que Link remarqua.

« Tu n'as toujours pas couché avec lui ? »

Allen se mordit la lèvre. Il eut un sursaut de contraction dans la mâchoire, une colère sommeillant en lui.

« Je garde ça pour le plus loin possible. Plus il attendra pour le sexe, plus il me voudra. Et moins il sera méfiant. »

Une bonne stratégie pour augmenter ses chances de réussite, ainsi que se protéger. Il voulait éviter de donner son corps trop vite, pour que Kanda et lui entame une réelle relation, que l'alpha le veuille. Jouer à l'inaccessible avec un séducteur portait toujours ses fruits. Link se doutait aussi qu'il n'était pas prêt à l'acte physique. Allen devait en avoir somme toute peur. Et rien ne pourrait être fait si Kanda décidait de se forcer à lui, ou qu'Allen se donnait trop vite et perdait sa connexion avec lui.

« Tu seras peut-être amené à des rapprochements, si votre relation se poursuit et pour qu'elle se poursuive. Comment conçois-tu d'y arriver ? »

Allen serrait les poings.

De son côté, il était agacé par les questionnements de Link. On lui faisait embrasser son rôle de prostitué et ça l'emmerdait. Il ne voulait pas être poussé dans les bras de Kanda trop vite. Link semblait inquiet, il devait craindre que s'il gardait les jambes trop fermées Kanda s'en irait trouver une autre fleur à butiner. Et ça se comprenait. Allen avait la même crainte, pour être tout à fait honnête. Il ne connaissait ni les attentions de Kanda, ni ses habitudes, mais des rumeurs qu'il avait eu de Tyki notamment, le mec avait un appétit sexuel surdimensionné. Comment un oméga puceau comme lui aurait pu le contenter ? Comment la recherche de rapprochement pourrait aboutir si Allen n'était pas capable de lui donner ce qu'il voulait, de la façon dont il le voulait ?

C'était difficilement envisageable qu'ils aillent quelque part.

« J'ai des échanges d'odeurs avec lui, c'est tout, si c'est ça ce que tu veux savoir, répondit-il de façon violente. Et il doit s'obstiner pour me courtiser. Mon plan fonctionne. Ne t'inquiète pas. »

Link serra la mâchoire. Il secoua la tête et souffla entre ses dents.

« Tu peux disposer, j'informerai Luberrier de tes résultats. Tu as six mois, après tout. Je ferai en sorte qu'il soit patient.

—Et je dois de te remercier, j'imagine ? Comme après les coups de bâtons que tu nous as collé à moi et Timothy ?

—Walker... »

Link aurait voulu ajouter quelque chose, mais Allen fit volte-face et partit sans attendre d'être congédié.

La porte claqua, et Link se retrouva alors seul avec ses pensées. Ainsi qu'un fieffé rapport à rédiger.


Kanda se faisait engueuler par Lavi depuis une demi-heure. L'enfoiré lui faisait la morale, sur ses fréquentations, et surtout son désir de fréquenter Allen. Lui qui avait été content qu'il pense à se caser se mettait à voir la situation d'un autre oeil, depuis que Kanda avait parlé du décalage entre leur toute première rencontre et les costumes bien faits avec lesquels sa famille l'habillait pour leur entrevue. Le fait que l'autre fois, il avait été surpris quand Kanda lui avait tendu de l'argent. Le kendoka y voyait seulement le reflet de l'inadéquation de sa situation avec son caractère profond. Lavi s'inquiétait qu'il y ait autre chose. Et il se préoccupait aussi de l'attrait de Kanda pour lui. Il est vrai que depuis Alma, ça n'était jamais venu à l'idée de Kanda de s'engager. Il s'était engagé dans ce qu'était le BDSM avec les omégas, ayant une situation de proximité sans trop d'émotion avec eux. C'était ce qui lui allait. Jamais Kanda ne se serait sincèrement vu en couple avec l'un d'eux. Car le danger quand on était sien était trop grand, Kanda se permettait d'avoir des amants, même avec qui il s'attachait, comme Atsushi. Jamais il n'aurait baisé qui que ce soit en se nouant à lui pour autant. Il avait beau être sexuellement très actif, il ne prenait plus d'oméga. Plus vraiment.

Jamais il n'aurait voulu en mettre un oméga en danger, attirant ainsi l'attention de ceux qui lui en voulaient sur lui, en mettre un enceint. Ou pire encore.

Alors pourquoi se voyait-il avec Allen ? Pourquoi mettait-il en place des stratégies pour le protéger — maintenant que ça allait se savoir qu'il l'intéressait, à force qu'ils soient vus ensemble ? Pourquoi avait-il été voir Lavi pour lui demander quoi faire pour cet oméga ? Pourquoi pensait-il sincèrement que Lavi allait lui pourrir le crâne avec ça jusqu'à la fin des temps, maintenant ? Ça, c'était une question d'un autre acabit. Tout aussi valide, cependant.

Allen était attachant. Il le lui avait déclaré sans prendre de gants. Kanda était direct. Oh, le maudit était un peu bizarre, mais vu ses réactions, le gosse avait dû subir des violences sexuelles. Il n'y avait eu aucun mot explicite de sa part, mais Kanda le soupçonnait fortement. Peut-être même qu'Allen était un oméga élevé dans la crainte des alphas, ce n'était pas impossible non plus. Mais une telle peur ? Si viscérale ?

Il avait l'impression qu'il y avait quelque chose en plus. Un alpha avait dû user de ses phéromones pour s'imposer à lui d'une quelconque façon.

Rien que l'idée le mettait en rogne. Il aurait été prêt à tordre le cou au coupable de ses propres mains.

Lavi lui disait de se méfier. Qu'il y avait quelque chose de plus bizarre encore dans son histoire, qu'il ne le connaissait pas tout à fait. Oh, Kanda l'avait fait suivre. On ne lui avait rien rapporté de suspect. On l'avait vu entrer dans une maison, un immeuble qui appartenait à des familles un peu bourgeoises qui ne roulaient pas non plus sur l'or. Ça concordait avec sa version.

Bien sûr, Kanda aurait pu le tirer de là en se pointant, proposant une dote énorme à la famille qui s'occupait de lui. Là où il n'y avait pas assez d'argent, on était sensible à ces choses-là. Néanmoins, il ne voulait pas violer le libre arbitre de l'oméga. Non, il le lui proposerait quand le moment serait venu. Il fallait d'abord qu'il lui fasse confiance. Sinon, il passerait aux yeux du Moyashi pour un riche alpha qui voulait se l'accaparer, ce qui n'était pas entièrement faux, et pas entièrement vrai non plus.

Parce que Kanda voulait qu'il le veuille aussi.

Et il se trouvait là, à attendre avec impatience les rendez-vous avec Allen comme un gamin de quinze ans.

« Tombe pas amoureux trop vite, Yû. Prends ton temps. »

Lavi l'avait mis en garde contre ça.

Amoureux... Non. Kanda était loin du crétin incapable de se contrôler. Toute sa vie était un contrôle permanent. Lavi disait que c'était pour ça qu'il voulait lâcher prise quelque part, qu'Allen était le fameux élément déclencheur jusqu'à lors absent. Kanda lui avait rétorqué qu'en plus d'être médecin, son bras droit et historien, il ne fallait pas non plus qu'il se colle l'étiquette de psychologue : il en avait déjà assez et celle-ci ne lui allait pas.

Loin de se vexer, le rouquin s'était marré. Kanda et lui avaient cette amitié assez brutale mais pourtant sincère. Il fallait dire que Lavi était... attachiant. Réellement, on voyait difficilement quelqu'un de plus casse-couille tout en étant un être si fiable et dévoué.

Kanda était content de l'avoir. Un des rares à qui il pouvait faire confiance. Bien que sa confiance n'était jamais pleine, ce en personne.

Les coups contre la porte lui firent relever la tête du rapport qu'il ne lisait même pas.

« On reçoit les mafieux dans vingt minutes. L'éclaireur a dit qu'ils étaient là.

—Parfait. T'as la came, pour le deal ? »

Le gars qui le fournissait eut un sourire de trois kilomètres. Ses cheveux bouclés contrastaient avec sa peau bronzée. Il aurait été un oméga, Kanda l'aurait bien baisé. Quel dommage que la vie ait décidé d'en faire un alpha.

« Bien sûr. Des cristaux d'Innocence, rien que pour eux.

—Parfait. Merci, Tyki. »

Et l'homme disparut, chantonnant de tout son soûl. Lui aussi, il avait une personnalité bizarre, mais pas dans le bon sens du terme, et Lavi ne l'aimait pas du tout. Kanda était bien d'accord sur son compte. Tyki... avait ces traits d'ange de la mort, comme si le voir état source de malheur à venir. Il avait beau le surveiller activement, rien ne transparaissait pour autant de lui.

Soit il était vraiment blanc comme neige, soit il était un pro, doué pour dissimuler ses traces. Auquel cas, Kanda se demandait vraiment pour lequel des trois autres enfant de putain qui dirigeaient le globe hormis lui cet enflure de Mikk travaillait.

Le concernant, Kanda fut d'avis qu'il fallait faire augmenter la surveillance à son encontre. Il ne cachait sans doute rien de bon.


Allen fut non loin du club que Kanda gérait. Ils se savaient surveillés. Leur but était de faire en sorte de ne pas mettre Allen en danger — au-delà de deux pâtés de maison, ça devait dangereux pour un oméga de déambuler aussi bien habillé. Le chauffeur, un membre de l'équipe des Traqueurs, lui indiqua qu'il ne reviendrait le chercher que le lendemain. Luberrier semblait espérer qu'il accélère les choses, et l'obligeait à passer la nuit avec Kanda. Allen déglutit. Oh, si un peu avant, il aurait paniqué, il avait désormais bien compris que Kanda ne représentait pas une masse directe pour son intégrité physique et mentale, tant que son secret était bien gardé. Il ne voyait cependant pas comment il allait s'imposer à lui pour la nuit, et se sentait mal à l'aise de se dire qu'il allait devoir le faire cependant. Tant pis. Au moins, il passerait du temps loin de l'Ordre Noir, comme on appelait parfois leur clan. Si Allen se souvenait bien, le nom du clan de Kanda était celui du Lotus. Celui du Comte Millénaire voyait son nom calqué sur son chef. Et le dernier se nommait l'Innocence. Des choix curieux.

Bien sûr, Kanda ne mit peu de temps à sortir lorsqu'Allen arriva. Il l'attendait en se frottant les mains, un peu nerveux. Il se demandait où ils se rendaient, si la nourriture serait agréable, ce malgré lui. Aussi, toujours malgré la répulsion instinctive que lui inspirait un si grande étalage de privilèges, il se sentait appréciateur de l'idée d'avoir cette chance, l'idée d'aller dans un lieu qu'il n'aurait jamais vu sans ça. L'inconnu, ça avait quelque chose d'excitant en dépit du bon sens. Il était tout de même anxieux, pour des raisons sommes toutes stupides.

Les gens étaient-ils raffinés, comme dans les livres qui parlaient de tels lieux ? Se moqueraient-on de lui s'il commettait un impair ? Irait-il s'humilier devant Kanda ? Il le savait oméga issu d'une classe populaire, mais tout de même, se retrouver entourer de riches abrutis qui le critiqueraient, ça avait quelque chose de rageant.

Il se fustigea de donner de l'importance à des choses si superficielles, qui au fond ne comptaient pas. Ce n'était pas comme s'il comptait embrasser ce train de vie. De même qu'il l'approuvait. On pouvait bien le trouver gauche, ça ne serait pas un problème.

Kanda fit un mouvement de bras, appelant ainsi une limousine démesurément grande. Allen se demandait sérieusement si à ce stade, Kanda n'avait pas décidé de montrer sa richesse à tout le monde par tout les moyens possible. Mais ce n'était pas ça, le problème. C'était aussi une question de puissance. La même conférée par l'argent. Dans un monde comme le leur, tous le savaient. Et Allen... se voyait être présenté comme le petit protégé du jeune chef de clan prodige. C'était peut-être également une manière de le clamer publiquement, comme l'une de ses conquêtes du moment. Ça tournait à son avantage, évidemment.

« Tu es très beau, Moyashi, ce soir. »

Allen ne put s'empêcher de devenir cramoisi. Kanda remarqua son mélange de crispation et de gêne, et il s'approcha doucement, portant la main à son noeud papillon qu'il desserra à peine.

Aussi, le maudit se rendit compte que Link lui avait encore trop serré. Avec son obsession pour le tirer à quatre épingle. Certes, ses costumes étaient beaux. Il portait actuellement le costume violet — il lui choisissait encore des couleurs claires, qui seyaient dans la vision collective aux omégas. Il n'en avait que deux, pour que ça colle avec l'image d'un petit oméga pauvre que sa famille rendait présentable avec leurs maigres économies pour de la prostitution. Pour attirer les alphas riches, il fallait être joli. Le tissu ressemblait à du velours, mais c'était la forme la plus basique possible. Son clan n'avait pas les moyens de dépenser outre mesure non plus, du moins, ce n'était pas à ça qu'étaient consacrés les budgets du clan.

« Je m'appelle Allen. »

Kanda eut un rictus, mais ourla quand même son regard, sans doute irrité qu'il pinaille devant son compliment.

Allen eut presque envie de l'agacer, par un instinct de défi. Presque. Puis, rendant le sourire, il rétorqua :

« Mais je vous remercie, dit-il sur un ton plus assuré qu'il ne l'était réellement, pour aller avec son affront. Vous... l'êtes aussi. »

Cette fois, sa voix fut plus basse. Kanda était magnifique. Il portait un costume sombre, une cravate bleu sur une chemise blanche, et il avait lâché ses cheveux qu'il tirait en arrière. Allen les trouvait si mal assorti tout les deux, enfin, lui... il faisait tâche. S'il était bien habillé, il était loin d'être assez beau pour être le partenaire d'un alpha pareil. Il le croyait, du moins. Bien que Kanda dise le contraire, en apercevant son reflet dans la vitre teintée, la cicatrice qui se voyait encore malgré le maquillage que Link insistait pour lui infliger, et son bras gauche qui le piquait nerveusement, surtout qu'il pensait à la peau nécrosée qui se trouvait sous les tissus le couvrant, le crystal d'Innocence dans sa main, il se sentit mal à l'aise.

En dépit de son ressenti, tout s'enchaîna vite, Kanda ouvrit la porte, le faisant pénétrer à l'intérieur et s'asseyant à ses côtés.

Kanda lui souleva le menton dès qu'ils démarrèrent. Allen le vit prendre une serviette blanche, immaculée, qu'il plongea dans une carafe d'eau solidement encrée dans un support sur la petite table devant eux.

Allen blêmit lorsqu'il la passa sur son visage, enlevant le maquillage que Link avait mis des heures à appliquer.

« Kanda... Que...

—Je te préfère sans ça. Tu ne devrais pas essayer de la cacher. »

Allen comprit qu'il parlait de sa marque. Et bien qu'il fut touché par son intention, il fut un peu contrarié que Kanda fasse ça sans lui demander avant.

« Dois-je comprendre que je dois me comporter selon votre préférence, monsieur ? »

Ses yeux s'ourlèrent aussi, sondant Kanda, essayant de lui faire ressentir que son comportement l'avait contrarié.

Loin de s'en vexer, le Japonais ricana.

« J'avais raison.

—Pardon ? »

Le sourire de Kanda s'élargit.

« Maintenant que t'as plus peur, j'ai ton vrai visage. Une partie. Et dans tout les sens du terme... »

Se disant, il finit d'enlever les dernières traces de maquillage du visage d'Allen. Le maudit rougit. Il venait encore, par manque de retenue, de se dévoiler par mégarde. Kanda lui tendit un miroir — cette limousine était équipée de nombre de choses ! Allen se mit à songer qu'on aurait pu y vivre sans problème. Tandis qu'Allen s'observa, il remarqua la différence flagrante — il s'était déjà trouvé laid tout à l'heure, désormais... — cela lui fit baisser les yeux, ne sachant pas comment assumer pour le reste de la soirée. Kanda parla :

« Ne te fâche pas. Je ne fais pas ça pour te dominer, ou pour diriger ton apparence. D'une part, j'aime que mes omégas ne ressemblent pas à des pots de peinture. »

... C'est une façon de voire les choses si bienveillante que ça me remonte bien le moral, pensa Allen avec ironie, se demandant si c'était ça qu'il pensait du maquillage de Link depuis le début.

Ça vaudrait le coup de le lui rapporter, il avait hâte de voir sa tête.

« Et je te mentirai pas. Je vois bien ton regard. Tu es plus beau comme ça. Tu es beau, Moyashi. Plus que tu ne le crois. »

Déglutissant, Allen se sentit soudain mal à l'aise sur son assise, sentant un fourmillement inconfortable dans ses jambes. Il devint rouge. La façon dont Kanda venait de dire ça, cet aplomb, cette conviction. Il releva le regard, ne réussissant pas à se départir de son sentiment de départ : Kanda pouvait être aussi agaçant qu'il était charmeur.

Et Allen appréciait ça. Il appréciait ce jeu de séduction qui se liait entre eux. À un niveau personnel, et c'était bien ça le problème.

Il en eut instantanément la conviction. Tout serait personnel. Avec eux, ce serait impossible de faire du faux ou de la demi-mesure parfaite. Allen en donnait tout les jours. Il ne pouvait pas avec Kanda. Quelque chose de plus grand que lui l'en empêchait.

« Merci, Kanda. Vos compliments me réchauffent le coeur. On a pas toujours dit ça de moi. »

Kanda opina.

« Ça m'étonne pas. »

Ouais, décidément, il est doué pour galvaniser les autres, celui-ci, pensa Allen.

Il attendit quand même que Kanda développe.

« Les gens s'arrêtent sur la première apparence des choses.

—Dois-je en conclure que ce fut tout de même le cas pour vous aussi, au début ? »

Allen ne comprit pas comment, si c'était bel et bien le cas, Kanda était passé à une autre vision. Cela le surprit tant qu'il n'en fut même pas blessé. Il ne remit pas non plus ses paroles en doutes. Il ne comprenait juste pas du tout.

« Je n'ai vu qu'un côté de ton visage, et j'ai surtout senti ton odeur douce, lorsqu'on s'est croisés dans cette rue. Je n'ai vu que la fin de ta cicatrice, celle sur la joue. »

Son pouce y traîna, comme pour le souligner. Allen ne le repoussa pas.

« Ça m'a pas choqué, tout de suite. Ça ne t'enlaidissait qu'à peine. J'ai vu pire que de la peau abimée sur un visage. Sur le front, la marque de ta malédiction... C'est plus frappant, ça attire l'oeil. Mais tu as de beaux traits, et tu as du charme. J'aime ton visage. Ça te convient ? »

Une façon honnête, bien qu'inconventionnelle, de lui dire que ça ne le rendait pas nécessairement moche. Allen n'avait pas perdu une seule couleur. Il hocha la tête.

« C'est très... gentil.

—Ce n'est pas gentil, c'est sincère. Je t'aurais dit que je ne la voyais pas, si je voulais être gentil. Et j'aurais menti. Je la vois. Mais ça ne change rien. »

Allen rit. D'accord, Kanda avait donc ce côté dragueur assertif, un peu maladroit malgré lui, et effectivement très direct. Quand même efficace, avec sa prestance. Il n'avait pas menti, il n'était pas le genre à enrouler ses paroles de sucre, pour autant, il n'était pas méchamment gratuit. Allen aima cet équilibre.

« Est-ce que c'est loin ?

—Nous y sommes presque. Encore trois rues. »

Allen se décida à observer dehors, profitant du silence qui s'était installé entre eux. Ils arrivaient dans la zone la plus sûre de la ville, là où les ruines étaient présentes, bien sûr, mais l'endroit était quadrillée. Quelques habitations avaient été reconstruites correctement, et il restait notamment un gros immeuble — Allen savait qu'il existait plus gros à l'époque où la civilisation prospérait. Il ne devait pas faire plus de 10 étages. Mais c'était beaucoup, pour quelque chose encore sur pied. Il n'y avait que 7 ou 8 immeubles du genre — il fallait comprendre encore passable — et ce n'étaient jamais les plus gros qui avaient mieux résisté.

Allen supposait que c'était là.

Son regard suivit le reflet de la lumière — baissante, certes, le soleil se couchait juste — qui miroitait sur le verre luisant. L'immeuble était vraiment bien conservé — on avait dû fortifier sa structure ou le réhabiliter il y a quelques années, la zone étant libre, ça se faisait, mais bien sûr, pour exploiter des ressources, il fallait que ce soit pour quelque chose d'utile.

Allen l'aurait cru, de prime abord. C'est ce qu'on lui avait du moins toujours dit. Un restaurant luxueux ne ressemblait pas à une priorité.

Kanda donna deux coups à l'avant de la limousine, une petite trappe s'ouvrant pour qu'il puisse dire au chauffeur de se garer juste devant l'entrée. Les grilles s'étaient refermées derrière eux, ils étaient en sécurité. Allen était curieux. Encore malgré lui, il s'interrogeait sur ce qu'il y avait en haut, dans ce bâtiment, et sur la soirée.

Ils se garèrent, et Kanda lui tendit la main en ouvrant la porte, Allen le suivant d'un pas mal assuré. Il fut lâché lorsque ses pieds touchèrent le sol, mais Kanda resta proche de lui. Ils pénétrèrent dans l'immeuble, qui semblait tout droit sorti des divers images qui entouraient l'imaginaire de la belle époque. Propre, il y avait des lampes avec des formes étranges — un caprice de riche — pour éclairer l'entré, et des divans. Un ascenseur était fonctionnel. Ça semblait n'être rien mais pour Allen, c'était beaucoup.

Kanda appuya dessus sans attendre, au moment où Allen se disait que ça devait voler pas mal d'énergie à la ville. Ils devaient avoir un énorme générateur pour supporter tout ça. Kanda posa son doigt sur le bouton du dernier étage, le 9 — à peine moins de 10, donc — et l'enfonça. Allen voyait quand même des boutons monter jusqu'à 35, mal couvert par du plastique rouge, ce qui le fit s'interroger.

« Il était beaucoup plus haut à l'époque, mais l'immeuble s'est à moitié effondré sous les bombes. Il a pu être sauver en ne conservant que les 9 premiers étages. »

Bien sûr, le restaurant luxueux était au dernier habitable.

Allen opina. Les efforts faits pour sauver de tels structures l'étonnaient. Kanda vit son étonnement, et précisa :

« Il a longtemps servi de poste d'observation, avant que la zone soit sécurisée il y a quelques dizaines d'années. J'étais gosse quand c'est devenu paisible, ici.

—Ceux qui ont mis la main là-dessus ont eu de la chance. »

En effet, plus on montait de point de vue, plus on avait un avantage stratégique pour tuer les ennemis qui s'aventuraient trop près. Même Allen s'en rendait compte.

Kanda hocha la tête. Le maudit croisa les bras, curieux :

« A qui appartient cette zone ? C'est à vous... ou à un autre chef de clan ?

—Le territoire est plutôt neutre.

—Ça existe, ça ?! »

Allen s'était exclamé, laissant sa surprise filtrer sans détour. Kanda en fut amusé et ricana.

« J'peux pas t'en dire plus, mais ces endroits existent. C'est bien utile. »

Allen fut soupçonneux. Il devait forcément y avoir plus derrière. Et "plutôt" neutre... s'il n'avait pas dit carrément neutre, il devait quand même verser vers une personne particulière. Le maudit n'en demanda pas plus, se figurant que si Kanda ne disait rien, c'était pour une raison précise.

L'ascenseur s'arrêta.

Ils pénétrèrent à l'intérieur, Allen choqué en sentant l'odeur de plats délicieux, en voyant la moquette rouge sombre si propre qu'on aurait pu s'y rouler, et les tables bien mises, avec des assiettes claires et bien lavées. C'était encore plus frappant que dans le club de Kanda, où le caractère tamisé du lieu ne rendait pas les choses si brillantes. Et cette baie vitrée qui laissait entrer la lumière du soleil couchant, c'était magnifique.

Voyant qu'il restait à regarder, Kanda le poussa gentiment du dos, le faisant avancer. Allen rougit devant sa propre gaucherie en marchant plus loin, comme le lui indiquait le plus âgé. Kanda et lui arrivèrent devant une jeune femme en tablier, portant un uniforme très sobre, un pantalon noir et une chemise blanche brodée, qui les accueillit avec un énorme sourire.

« Monsieur Kanda. Votre table est prête, la même que d'habitude.

—Hm. »

Kanda hocha la tête en signe d'assentiment, et Allen le jugea un peu pour son manque de politesse. Un "merci", ça ne faisait pas de mal. Kanda semblait en effet faire peu d'effort pour être aimable avec ceux qu'il ne comptait pas mettre dans son lit. Si sa gentillesse était en fait le symptôme d'un intéressement, Allen n'aimait pas trop ce comportement. Il se rappelait qu'il devait toutefois éviter d'être trop lui, donc de ne pas l'engueuler pour son manque d'éducation, et d'être bien sage, sans quoi, ça ne marcherait pas entre eux s'ils avaient des conflits.

Et si la mission était un échec, Allen craignait de ce que Luberrier ferait de lui. Il avait évité l'opération pour lui enlever son crystal d'Innocence, de plus que le mariage avec n'importe qui en échange d'une dote. Ça s'était déjà vu, des omégas vendus aux enchères dans certaines villes, et dans certain clan. Rien que l'idée le terrifiait. Il fallait prendre sur soi.

La femme ne se formalisa pas et les accompagna jusqu'à la table en question, tout près de la fenêtre.

De là, ils avaient un point de vue sur la ville, et ça suffisait à Allen pour se sentir un peu vertigineux, bien que ce soit magnifique.

La serveuse les guida, Kanda sur une chaise, Allen sur celle d'en face, le maudit se trouvant pile dans le point de passage des serveurs, et Kanda dos à eux. Il entendrait l'agitation mais ne la verrait pas.

Elle les prévint qu'elle laisserait du temps pour la carte, Allen la remerciant, Kanda ne décochant toujours pas un mot.

Il est étrange, ce type, pensa Allen. Avec moi, c'est le gars parfait, mais avec les autres... Putain, les séducteurs, je crois que j'aime pas ça.

Comme Allen était jeune, il ne savait pas trop encore s'il avait un avis sur ces choses-là. Prononcé, du moins. Toujours est-il qu'en vérité, quand il y pensait, Tyki était comme ça. Très sympa avec ceux qu'il séduisait, ceux qu'il prenait sous son aile, et pouvant se révéler vite menaçant. Allen aimait bien Tyki, parce qu'il le connaissait mieux. Il avait toujours senti qu'il y avait un truc, comme une couche cachée chez lui.

Chez Kanda, il ne savait pas vraiment... Il le sentait très sincère, comme garçon, pas du genre à faire dans le faux, mais ça avait son côté étrange et outrageant aux yeux d'Allen de le voir être aimable avec certaines personnes et froid comme la mort avec d'autres. Il aurait pu être flatté, mais vraiment, une sympathie à géométrie variable en était-elle vraiment une ? Quel genre d'homme était Kanda, à la fin ? Il n'arrivait pas à le cerner complètement.

Voilà le problème.

« Tu fronces le nez, Moyashi. Elle te déplaît tant que ça, la carte ? »

Il le jugeait du regard, et Allen retint un soupir d'agacement.

« C'est pas ça, je suis juste... dans ma tête. »

Et il eut un petit rire nerveux. Nerveusement creux.

« Sors-en, je ne t'ai pas amené ici pour que tu sois dans ta bulle tout le repas, » rétorqua-t-il sèchement.

Allen n'en fut pas surpris, mais il haussa les sourcils. Voilà que Kanda se vexait. Quelle personnalité assez caractérielle, en fin de compte.

Le plus vieux poursuivit :

« Je veux qu'on fasse connaissance, loin du cadre dans lequel on a déjà sympathisé. Je veux en savoir plus sur toi, et je te laisserai me demander ce que tu veux. »

À vrai dire, Allen fut ravi de cette initiative. C'était agréable, il y avait moins de gens tout collé serré avec eux, et dans la chambre là-bas, il y avait les odeurs de Kanda, son intimité, en quelque sorte. Allen aimait le fait d'être sur un terrain neutre. Bon, il y avait beaucoup de "je veux" au goût d'Allen, mais il avait bien compris que Kanda était du genre à être direct sur ce genre de choses, justement.

Ça, ça lui plaisait, de ne pas tourner autour du pot.

« Je le veux aussi, déclara Allen, décidant d'être honnête à son tour. »

Kanda opina, visiblement content. La serveuse revint leur demander ce qu'ils voulaient boire. L'alpha commanda un alcool, et Allen s'en tint à son jus de fruit.

« N'hésite pas à prendre ce que tu veux pour les plats, tout peut être à toi ce soir si tu en as envie. »

C'était peut-être un peu trop généreux, et Allen n'avait pas envie de se goinfrer pour être mal à l'aise après. Non, il allait commander avec parcimonie, un plat gouteux et ça irait.

« Un peu plus et je croirais que vous m'engraissez pour me manger..., plaisanta Allen.

—J'ai encore du boulot si je veux un repas correct.

—Hé, Kanda ! Vous abusez ! »

Le susnommé ricana, et on vint leur servir leurs boissons. Allen ne prenait pas si mal la plaisanterie, il savait que c'était vrai, il ne semblait jamais manger à sa faim peu importe ce qu'il avalait. C'était comme si quelque chose bouffait son énergie, et il ne savait pas quoi. Son corps était quand même plutôt musclé, grâce aux entraînements, et il n'était pas une fine lamelle non plus, mais... oui, il n'était pas gros. Loin de là.

« Je ne plaisante pas, ne te restreins pas.

—J'apprécie l'attention. »

Ça aussi, c'était vrai. Le maudit opta pour ce qui lui parut le plus nourrissant — un gros bol de nouilles avec tout un tas de garniture qu'il ne connaissait pas, Kanda l'informant qu'il s'agissait de Ramen et que c'était effectivement goûteux. Allen céda aux caprices de son ventre, et demanda aussi une petite portion de steak frites. Kanda ne sourcilla pas. Il prit quant à lui des Sobas, l'informant qu'il s'agissait de son plat préféré.

Allen était curieux, ce restaurant proposait beaucoup de plats Asiatiques, entre pas mal de variétés il fallait le dire. Il était possible qu'il appartienne à Kanda, à cause de ses propres origines, dans un pourcentage aussi infime. Ou alors, l'endroit était si neutre qu'il proposait des plats pour tout les goûts, de toutes les cultures résistantes. Ce qui voulait aussi dire que n'importe quel clan pouvait être là.

C'était flippant. Si ça faisait percer sa couverture, parce que quelqu'un qui l'aurait déjà vu au clan de Luberrier ouvrirait un peu trop sa bouche, il était foutu. Allen commença à s'inquiéter. Puis il prit une inspiration calme, pas la peine de paniquer, chacun des convives faisait comme qui dirait sa vie et personne ne faisait attention à eux.

Allen se força à avoir l'air détendu en entamant la conversation, sachant que Kanda allait vite râler s'il repartait dans sa tête.

« Merci beaucoup de m'avoir invité ici, monsieur. Je passe un très bon moment.

—Ne me donne pas du monsieur ici. Tu peux m'appeler Kanda, je préfère.

—Bien… K-Kanda. » Il rougit. « C'est Japonais, n'est-ce pas ?

—Qu'est-ce que tu en sais, toi ?

—Bah, j'enseigne la géographie de l'ancien monde à mon petit, et je me suis renseigné… Je connais quelque mots. »

Allen aimait beaucoup apprendre, lorsqu'il en avait l'occasion, alors il piochait à droite à gauche les quelques manuels d'apprentissage des langues dont disposaient la bibliothèque de Luberrier, en plus de ses diverses lectures.

« Voyez-vous ça.

—Vous ne me croyez pas ? » Il s'éclaircit la gorge. « Watashi wa Allen. Anata wa ? »

Le Japonais rigola. Avec un accent parfait, de natif, il prononça lentement :

« Utsukushi ya chisaii, ore no Moyashi desu.

—Wakarimasen. »

Le blandin cligna des yeux. Il n'avait pas compris, mais il avait l'impression que ça voulait dire quelque chose de bien précis s'il se fiait au rictus du brun.

Ce dernier se pencha sur lui.

« Mon Moyashi est magnifique et petit. »

Ok, l'appellation magnifique était un compliment, son cœur rata légèrement un battement, en plus du pronom possessif, mais l'adjectif petit ne lui plaisait qu'à moitié… Cependant, il n'avait toujours pas tout compris.

« Moyashi veut dire quoi, à la fin ? Vous me surnommez ainsi, mais j'ignore ce que c'est.

—Pousse de Soja. C'est une germe blanche et petite, ça me fait beaucoup penser à toi. »

Le sang d'Allen ne fit qu'un tour.

C'est une blague, le mec ose me sortir ça avec autant d'aplomb ?

« Sérieusement ? Et si je vous appelais Bakanda, vous aimeriez ? Je trouve ça très insultant ! » s'énerva-t-il, haussant la voix malgré lui. « Je suis Allen, et je n'ai rien d'une germe de légume ! Vous savez quoi, vous n'aurez pas volé votre nouveau surnom non plus ! Vous n'êtes qu'un imbécile mesquin ! »

Il avait réagi au quart de tour, cette fois-ci, sans se brider, oubliant pour la énième fois qu'il se trouvait face à un chef de clan, face à un alpha, en plein restaurant. Il mit ses mains devant sa bouche, baissant la tête, les joues brûlantes. Il s'attendait sérieusement à se recevoir un soufflet, surtout que la brève expression sur le visage de l'autre montrait qu'il n'avait pas aimé sa dernière répartie.

« J-Je suis désolé. Je ne voulais pas… vous insulter... »

Un ricanement sec lui répondit.

« Tu as définitivement la langue bien pendue. Ça surprend, mais j'aime bien. Redresse la tête, je ne vais rien te dire. Je te l'ai dit, je veux que tu t'exprimes librement avec moi. Cependant… Je dois t'avouer qu'en d'autres circonstances, en dépit de mon amusement, j'aurai joué à te faire passer le goût de m'appeler comme ça.

—Comment ça ? »

Le blandin n'était pas sûr de savoir quoi comprendre, et ça ne lui plaisait qu'à moitié.

« Tu verras bien plus tard.

—Vous parlez du sexe, c'est ça ? Je ne suis pas idiot, je comprends le sous-entendu. Vous m'auriez fait céder et corriger au lit. »

Il baissa les yeux encore, se mordant la lèvre. Le sentiment de peur revenait.

Venant d'un alpha, ce n'aurait pas dû l'étonner. Kanda n'était encore une fois pas la sainte vierge, et il savait qu'on parlait de lui comme un alpha qui savait dominer son oméga ainsi que le remettre à sa place, sans qu'Allen ne sache précisément dans quel contexte, il était décrit comme quelqu'un de ferme, de prépondérant. Ce pourquoi Allen avait été — et était toujours — choqué de le voir si bienveillant avec lui.

Ce dernier émit un claquement de langue, avant de reprendre :

« Pas dans la violence, Allen. Il peut y avoir des jeux et des négociations sans que ça ne dérive, » expliqua patiemment l'alpha, « mais avant de passer par là, il faut acquérir de l'expérience. En douceur, si besoin. Si tu voulais du sexe avec moi, je ne te ferai pas faire la même chose que mes conquêtes qui savent ce qu'elles font. Et si le sexe avec moi ne t'intéresse pas, les échanges d'odeurs suffiront tant que ça t'aide, je te l'ai déjà dit. Tu ne me dois rien. »

Attentif, le maudit opina. Ces paroles lui plaisaient mieux. Il avait toujours la trouille de ce qui se cachait derrière — le "je ne te ferai pas la même chose", qui incluait qu'il pouvait lui en faire tout court. Le fait qu'il veuille l'aider mais plaisante sur le sexe de façon badine. Pour lui, ça semblait l'être. Il ne pouvait pas savoir qu'Allen avait été élevé avec beaucoup de tabous, qu'il avait eu un traumatisme palpable, bien qu'il puisse s'en douter, et que tout ça... Le mettait mal à l'aise.

Il ne le saurait pas si Allen ne le lui disait pas.

Mais ça aurait été lui, Allen Walker, le vrai, pas le Allen qu'il devait être à ses côtés. Il devait se montrer plus ouvert qu'il ne l'était vraiment à la question.

« Vous non plus…, » il savait qu'il tendait un peu le bâton pour se faire battre, mais ça lui paraissait naturel de répondre ça, « vous savez.

—Exact. Mais je veux t'aider, Mo-ya-shi. C'est pour ça qu'on en est là.

—Ne m'appelez pas comme ça ! Je n'aime pas. Je ne suis pas si petit. »

Il croisa les bras sur sa poitrine.

« Tu es trop mignon quand tu boudes, et ça me donne envie de te faire râler encore plus, Moyashi.

—Vous êtes… Raaah ! »

Cramoisi, le blandin se résigna à abandonner, pour cette fois. Il aurait sa revanche plus tard, lui aussi. Il décida de se venger sur son steak, qu'il engloutit en presque trois bouchées, se bornant à éviter le regard de son interlocuteur.

« Mais c'est que tu boudes vraiment.

—Vous êtes pas drôle à vous moquer de moi ! Mes cheveux et ma taille me complexent beaucoup. »

Il ne baissa pas les yeux, cherchant à faire comprendre à Kanda son indélicatesse.

« Je vois. Dis-toi que si je le fais, c'est par affection et pour te taquiner.

—Mais…

—Allen, détends-toi. Ne sois pas autant sur la défensive. »

Les mots le choquèrent un peu. C'était ça ? Il était sur la défensive ? Il soupira. Si se faire appeler Moyashi, en gueulant de temps en temps, lui permettait de se rapprocher ce type et de finir cette mission. Il le ferait. Ce n'était pas désagréable, il fallait le dire, et il avait sincèrement honte du jeu qu'il jouait avec ce pauvre homme. Enfin, pauvre... tout était relatif.

Si ce n'est que, Allen le savait, c'était sûrement lui qui le tuerait le moment venu. Il n'avait aucune chance. Jamais il ne serait aussi fort que ce type qui semblait si composé qu'il aurait pu tuer une mouche qui volait trop proche de son visage.

Allen n'avait parfois aucun espoir, il vacillait entre les deux états, et il se disait aussi qu'il profitait de ses derniers instants. Autant que ce soit agréable. Et si par miracle, il devenait plus fort que Kanda, ça ne remplacerait pas son expérience. Il avait une vague idée de comment l'avoir, par la ruse, et rien que d'y penser, ça le dégoûtait.

Il releva les paupières mollement, se forçant à prendre une expression plus joyeuse.

« Oui, monsieur. »

Et il lui tira la langue, ne pouvant s'en empêcher.

« Je t'ai dit de m'appeler Kanda. Bien, maintenant que tu es calmé, réponds à ma question. Présente-moi un peu ta vie. »

L'oméga opina, mangeant une poignée de légumes qui flottaient dans le bouillon. Il réfléchit à quoi dire, et à comment tourner les choses. Il n'avait pas envie d'entrer dans trop de détails, et Kanda avait dit "un peu", il n'en demandait pas tant.

« Je suis Allen. Allen Walker. Et je crois qu'il n'y a pas grand-chose à dire, vous savez. Je suis orphelin, j'ai travaillé dans un cirque quand j'étais enfant. J'y ai rencontré mon père adoptif. Il m'a donné mon nom. Et il est mort ensuite. »

Allen avait dit ça sans sourciller, et Kanda fronça les sourcils, comme étonné de le voir montrer si peu d'émotion. Jusque là, rien n'était faux. Le maudit poursuivit :

« J'ai un tuteur qui m'a vendu pour payer ses dettes à une famille bourgeoise, et ça m'a mené à cette situation. Rien de spécialement… intéressant.

—Au contraire, ça me va me permettre de te comprendre et de m'adapter à toi. Ça a dû être dur.

—Ça l'a été. Mais je vais bien. »

Allen serra les jambes malgré lui. Il avait du mal avec les baguettes qu'on lui avait donné, les légumes ne faisaient que retomber, et il n'arrivait pas à saisir les nouilles. Bon dieu, comment il ne se sentait pas du tout à sa place là-dedans ! Ce restaurant bien trop huppé pour lui, ces gens riches qui dévoraient ce que d'autres mettaient des années à pouvoir seulement se payer l'équivalent d'une entrée ici. Il déglutit, et, le surprenant, Kanda posa sa main sur la sienne, comme s'il avait senti son malaise sans savoir de quoi il était exactement confus. Oh, il devait penser avoir remuer des souvenirs malgré tout. C'était étonnant, il avait l'air si froid et si réservé, pourtant il savait se montrer empathique et à l'écoute de sa personne.

C'était assez touchant, même si Allen pensait qu'il ne devait pas se laisser leurrer par des apparences si douces avec tout les signaux contraires en Kanda.

« Mange, et si tu as besoin d'en parler, parle. »

Des mots simples qui lui réchauffaient le cœur. Le bon sens allait malheureusement se faire voir.

« Merci, Bakanda.

—Recommence avec ça et je te promets que je te mets une bonne fessée. Déculotté, ici même.

—Vous plaisantez ? »

Un rictus lui répondit.

« À peine un peu. »

Allen ressentit un frisson désagréable, l'idée ne lui plaisant pas du tout. Le rictus de l'alpha lui faisait savoir que c'était une plaisanterie, il jouait encore à l'embarrasser, mais bon, sur ça aussi, Allen avait entendu des choses. Et il était bien trop embarrassé pour les vérifier. Jamais de la vie il n'aurait posé de telles questions. Et il réalisait que Kanda les avait un peu confirmées lui-même, en parlant de "jeux".

« Oh, mais c'est monsieur Kanda ! »

Allen sursauta légèrement.

Un garçon aux cheveux gris à la frange mal coupée et avec une mèche de côté souriait de tout son soûl à leur vue. C'était un oméga. Un alpha l'accompagnait, un homme en noir qui semblait légèrement intimidant aux yeux d'Allen. Il avait des cheveux bruns avec un dégradé de blanc, et le teint très pâle. On aurait dit ce que les anciens appelaient un vampire, si ses souvenirs étaient bons. L'alpha dévisagea Kanda avec un rictus qui ressemblait à de l'agacement ou de la jalousie, avant de poser des yeux sur lui. Son regard donna à Allen l'envie de se ratatiner sur sa chaise. Il n'était pas le genre d'oméga à flancher, mais quand des phéromones d'alpha le dominaient comme ça… Il déglutit. Ils avaient tous deux les traits asiatiques, comme Kanda.

Au fait de la frustration d'Allen à cause de la marque d'une ancienne proximité entre eux, Kanda donna une caresse à sa main, ce qui eut pour effet de le détendre.

« Atsushi et Akutagawa, bonsoir. »

Allen articula timidement un « bonsoir » lui aussi, sursautant encore quand son regard croisa celui de l'alpha. Il était vraiment flippant ! C'était fou, et cet oméga qui se pendait négligemment à son bras, si à l'aise… ils devaient être ensemble, Allen le réalisa. Le regard que posait le brun sur le gris était bienveillant, et quant au regard de ce dernier, l'amour s'y miroitait sans nul doute.

Il espéra lui aussi ressembler à ça avec un alpha, un jour. Ça lui semblait impossible les rares fois qu'il voyait un couple d'alpha et d'oméga amoureux. Quand on était si différent, qu'un tel rapport de dominance existait et pré-existait quoi qu'on fasse, comment s'aimer sincèrement ? Hormis tout attrait physique. Allen n'y comprenait rien.

Son regard tomba sur Kanda. Il lui plaisait. Depuis le premier regard, il lui avait plu. Mais… Il devrait le tuer. Il ne pouvait pas se permettre de s'en enticher, de plus qu'il sentait le fossé entre eux et ça l'effrayait tellement. Il se sentait presque coupable de s'accrocher à ça alors qu'il était si gentil avec lui et qu'ils s'amusaient ensemble, quand ils parlaient et se charriaient. Il aurait aimé qu'il n'y ait pas le reste et juste ça… C'était avec de sombre pensées qu'Allen avala sa salive.

« Bonsoir, » rétorqua l'alpha flippant, « je tenais à vous remercier pour votre… cadeau de mariage. Atsushi l'adore. » (1)

Kanda ricana tandis qu'Atsushi, l'oméga donc, à ce qu'en déduisait Allen, se cacha la tête dans le manteau de son compagnon en rougissant autant qu'il était hilare, le traitant d'idiot. Allen ne comprenait pas ce qui se passait devant ses yeux, ni la raison de leur amusement. L'alpha rougit un peu, et il sembla tout d'un coup moins intimidant à Allen.

« Ryû, ce que tu es maladroit, » Atsushi lui tapa amicalement sur l'épaule, « enfin, il n'a pas tort… Je suis content de vous voir, en tout cas.

—Moi aussi, » répondit Kanda, « je vois que vous êtes amoureux, Akutagawa et toi. »

Ils rougirent tous les deux.

« On l'est. »

Akutagawa posa une main possessive sur celle d'Atsushi. Kanda poursuivit :

« Heureux que vous appréciiez mon cadeau vous aussi. »

Le sourire complice qu'ils échangèrent blasa un peu Allen.

L'oméga se tourna vers lui :

« Tu es le nouvel apprenti de Kanda ? Enchanté, je suis Atsushi Nakajima !

—Apprenti ? »

Allen réalisa trop tard qu'il en oubliait ses bonnes manières. Il allait s'excuser en rougissant mais Kanda le coupa :

« Non, ce n'est pas mon apprenti, c'est différent.

—Oh… »

Allen déglutit devant cet échange de regard entre Atsushi et Kanda. Ils avaient l'air d'avoir un passif assez proche, tous les deux, vu le choc sur le visage du garçon… inexplicablement, ça le contrariait. Et cette histoire d'apprenti, il n'y comprenait rien.

« Je suis Allen, » se força-t-il à sourire, « Allen Walker.

—Et tu es maudit.

—Ryû-chan ! »

Atsushi s'était exclamé, les mains sur les hanches. Allen secoua la tête, notant qu'Atsushi minaudait beaucoup.

« Non, c'est bon, j'ai l'habitude de ce type de réaction. » Il en profita pour faire face à l'alpha et le regarder dans les yeux. Question de fierté. « Oui, j'ai bien été maudit. Je n'ai cependant pas la peste.

—Allen ne répondra pas à vos questions, cingla Kanda alors qu'ils allaient rétorquer, sans doute pour s'excuser, ou l'engueuler pour le fameux Akutagawa. Vous voulez vous joindre à nous ? »

Le blandin fronça les sourcils. Kanda venait de le couper comme un mal-propre, et sa main, sous la table, s'était posée sur sa cuisse, le pinçant à peine, comme pour lui intimer de se calmer. Il aurait été effrayé par le contact en d'autres circonstances s'il n'avait pas été soudain en rogne.

« De quel droit vous décidez pour moi ?

—Moyashi, » articula-t-il en grondant, se faisant soudain implacable, si bien qu'Allen eut une moue en se renfonçant sur son siège.

Réflexe. L'alpha faisait peur quand il était en train de se mettre en colère.

Atsushi ricana devant leur échange.

« Kanda est sévère mais c'est un bon alpha, ne t'en fais pas. »

Akutagawa et Allen eurent soudain exactement la même expression, lorsque leurs regards se croisèrent : du dépit maussade dans toute sa splendeur. Pour Akutagawa, ça se comprenait. Atsushi était son partenaire, Allen apercevait la marque dans son cou et ça l'embarrassait quelque peu, il savait dans quelles circonstances ça arrivait... Pour Allen, Kanda n'était rien que... le mec qu'il essayait de séduire malgré lui. Il n'avait aucune attache concrète, et pourtant, un autre oméga proche de lui suffisait pour le mettre dans tout ses états.

Les odeurs, pensa-t-il, les odeurs qu'on échange et... peut-être... le fait qu'il me plaît vraiment.

Atsushi secoua la tête, prenant la main d'Akutagawa, répondant tardivement à la question de Kanda :

« Non, on a déjà une table prête. On va vous laisser profiter en toute intimité. Mais une prochaine fois, peut-être ? »

Allen se renfrogna, et il vit que l'alpha d'Atsushi aussi.

« Avec plaisir, » répondit Kanda.

Il demeura parfaitement composé, on aurait dit que ça ne lui faisait pas plaisir justement. Atsushi semblait le connaître assez pour ne pas s'en fustiger.

L'oméga posa alors la main sur l'épaule d'Allen, qui darda malgré lui des pupilles plus sombres qu'il ne le faisait habituellement sur les gens sur lui :

« J'ai été ravi de te rencontrer, Allen.

—Ouais. »

Le maudit n'avait rien à dire d'autre. Il était vraiment trop énervé par la façon dont Kanda l'avait humilié devant les deux autres, le petit jeu de regards qui se jouaient entre eux, et tout ça en fait... Tout ça, l'énervait. Il n'arrivait plus à se contenir. Il s'en voulut immédiatement car Atsushi n'y était pour rien. L'oméga enleva sa main, souriant quand même en attrapant le bras de son compagnon et s'en allant.

Kanda poussa un soupir à la vue de son visage contracté, et Allen croisa les bras, refusant de parler le premier. Ce Bakanda l'avait agacé pour la soirée.

« Bordel, ce que t'as besoin de discipline, Moyashi.

—De discipline, rétorqua alors Allen du tac au tac, vraiment ? C'est comme ça, vos rapports entre oméga et alpha ? Et je dois me sentir en sécurité ? Et je vais pas encore vous répéter de m'appeler Allen. »

Allen se rendait compte qu'il était trop... énervé. Il avait beau se répéter de ne pas se conduire comme lui le ferait, utiliser toute l'éducation sur la politesse que Mana lui avait donné, il ne parvenait pas à se contenir. Kanda l'énervait trop, par moment. Et cette situation ! Ça le rendait dingue. Il redevenait le gamin vulgaire et boudeur qu'il était avant Mana, et si ça ne lui plaisait pas, il ne pouvait pas renfermer cette énergie colérique qui prenait le contrôle de ses émotions.

Kanda fronça les sourcils, et planta son regard dans le sien :

« Pas en tant qu'oméga, Moyashi. En tant qu'être humain. »

Oh...

Le salaud osait ? Lui qui ne disait même pas merci quand on lui apportait un plat ? Il osait sous-entendre qu'il était mal éduqué ?

Allen serra les dents.

« Vous pouvez parler..., murmura-t-il.

—Dis ça plus fort, Moyashi. Répète-le. »

Allen vit alors son visage contracté, et ses odeurs d'alphas qui commençaient à sentir la colère. Il lui intimait clairement de se calmer, tout en le poussant. Allen eut soudain peur qu'il mette sa menace de tout à l'heure à exécution, et là, c'en était foutu de la mission, ou du moins, ce serait hautement désagréable.

« Pardon, se contenta-t-il de répondre. Je n'aurais pas dû m'énerver autant. »

Il prenait sur lui pour temporiser. Kanda eut alors une réaction qu'il n'attendit pas.

Il éclata de rire.

Et Allen en fut encore plus vexé.

« Continuez à me pousser et je sors de table, Kanda ! Vous ne pouvez pas m'humilier et attendre que je reste de marbre, et vous moquer de mes réactions indéfiniment ! »

Kanda arrêta de rire, et but de l'eau pour se calmer. Les têtes s'étaient tournées vers eux, choquées, ça devait être rare que Kanda ait un fou rire aussi gratuit.

Aussi sincère.

Allen pensa qu'il aimait le voir rire. Il l'avait vu avoir des ricanements, des rictus, des petits sourires, mais quelque chose d'aussi... spontané, c'était plus rare. Ça changeait son visage, et ça lui plaisait.

Kanda posa son verre.

« Tu as effectivement besoin de discipline, que tu le veuilles ou non. Mais je suis content, je voulais apprendre à te connaître, et je vois des choses qui me plaisent beaucoup. »

Allen se remit à croiser les bras.

« On aurait pas dit ça, à vous entendre. Et... j'admets, dit-il en prenant encore beaucoup sur son égo, que je me suis mal comporté. Je n'ai pas aimé la façon dont l'alpha m'a parlé. Pas plus que je n'ai aimé... enfin, voir que l'autre oméga semblait si proche de vous. »

Le verbaliser lui ferait peut-être gagner des points avec Kanda, si son égo n'appréciait pas du tout. Il avait peut-être aussi un besoin de comprendre, sous-jacent, qui le poussait à poser cette question implicite.

Kanda opina.

« Je comprends. Sache que, et je crois justement que tu le sais très bien, j'ai vécu avant toi. Selon où on va toi et moi, je vivrai après. »

Sans déconner. Allen serra les dents, se retenant de rétorquer ça, voulant dire aussi que lui aussi ne venait pas d'arriver sur cette terre hier. Bien que leurs vécus ne soient pas les mêmes, sur ce plan là du moins.

Allen fut ironiquement frappé par le fait qu'avec leur rencontre, il n'y en aurait qu'un seul qui arriverait à cet après.

« Mais je peux comprendre que ce soit déroutant pour toi. Sache que quand j'ai un oméga, il est le seul. Si je m'intéresse à toi, je n'irai pas courir ailleurs. D'autant qu'Atsushi semble très heureux, c'est fini entre lui et moi. Et ce n'était pas une relation amoureuse. J'ai eu pas mal de relations comme ça. »

Le maudit se passa une main dans les cheveux, se grattant l'arrière du crâne. Il comprenait ça, lui aussi. Il avait du mal à se figurer ces concepts, déjà que l'idée romantique lui était lointaine. Allen n'y comprenait rien, aux rapports alphas et omégas. S'il comprenait seulement que les rapports humains en eux-même puissent être sincèrement positif au vu de ceux qu'il partageait quotidiennement.

« Et c'est quoi, ces histoires d'apprentis ? »

Allen se passa la langue sur les lèvres, prenant une gorgée d'eau après avoir posé la question. La conversation redescendait petit à petit à un niveau acceptable.

« Je ne t'en dirai pas plus maintenant, il y a un temps pour chaque chose. »

Allen se renfrogna. Le mec lui avait posé des questions sur sa propre vie, mais le laissait dans le flou sur la sienne. Ça l'agaçait, ça aussi, les gens qui faisaient des mystères. Et ça le faisait se demander pourquoi diable il aimait bien Tyki alors qu'il était exactement pareil que Kanda là-dessus.

« Que pouvez-vous me dire, alors ?

—Comment manier tes baguettes correctement, pour commencer. »

Allen hoqueta, vexé, puis, lui aussi, il se mit à rire aux éclats. Il ne s'y était pas attendu du tout.

Kanda consentit à rire avec lui, et cela remit la soirée sur de bons rails.

Le Japonais accepta de lui dévoiler quelques bribes de son enfance. Sa mère était morte d'une infection peu après sa naissance, lors d'une période de famine, et son père, qui n'avait jamais été très doué pour être parent, l'avait laissé sous la coupe du médecin de famille, un vieillard qui préférait peindre et jouer de la musique plutôt que de faire son métier principal, pour se jeter corps et âmes dans la gouvernance du clan qu'il avait fini par lui laisser à ses douze ans, lorsqu'il décéda au combat.

Le seul rapport que Kanda avait eu avec son père était les entraînements qu'il lui faisait subir depuis qu'il était petit. Kanda en parlait avec le sourire, déclarant que ça l'avait fait devenir un homme, un véritable alpha, mais quand Allen lui demanda de donner un exemple de ses épreuves et que le brun rétorqua sans sourciller qu'il le laissait des heures dans une baignoire pleine de glaçons pour qu'il sache résister au froid, qu'il était parfois fouetté au sang pour endurer la douleur, alors qu'il n'avait que 9 ans, ça lui avait mis le coeur en émoi.

Pour Allen, c'était de la maltraitance. Et c'en était, factuellement.

Kanda avait dû devenir un homme très vite. Il n'avait pas eu le temps d'être un ado. Le clan était déjà un lieu très ouvert et très débridé sexuellement, à l'époque où son père gouvernait, ce qui expliquait les rumeurs dont tous avaient entendu parler. Tout s'expliquait, finalement.

Allen avait un peu de peine pour lui, il n'aurait pas cru que, étant si bien lotis, Kanda ait pu subir de telles choses. Il comprenait un peu mieux ses réactions.

Ils passèrent le reste de la soirée à se charrier, Kanda se moquant d'Allen dès lors qu'il faisait tomber ses baguettes, et finit par lui proposer de prendre une cuillère plutôt que de s'obstiner. Le maudit ne lâcha pas, et fut félicité pour son opiniâtreté.

Le repas terminé, Allen ayant demandé un dessert avant qu'ils ne partent, l'alpha et l'oméga sortirent de bonne humeur en direction de l'ascenseur.

Déglutissant, Allen posa sa main sur celle de Kanda lorsqu'il appuya sur le bouton. Ils restèrent en suspend.

Comme personne ne venait le chercher ce soir, il fallait qu'il en profite pour tenter de gratter du temps avec Kanda. Il n'avait aucune idée d'où trouver un téléphone pour joindre Link, si Kanda refusait, et avait sacrément peur d'être sur écoute s'il demandait le premier fixe venu.

« Je... je n'ai pas envie de partir, ce soir. Vous... voudriez qu'on passe la nuit ensemble ? En tout bien tout honneur, bien sûr. »

Kanda ne se départit pas, et prit sa main dans la sienne.

« J'avais pas l'intention de te laisser partir. De toute façon, tes employeurs doivent s'attendre à ce que tu ne rentre pas, non ? »

Allen fronça les sourcils, ayant un peu peur de justement avoir été percé à jour, parce que comment Kanda aurait pu savoir que... Enfin, il se dit que c'était logique. Ils étaient sensé le prostituer, après tout. Et c'était bien pour ça que Luberrier voulait qu'il ne rentre pas. Il aurait pu tuer Kanda cette nuit, dans son sommeil, que ça lui aurait fait plaisir.

Mais Allen ne pouvait pas s'y résoudre. Il n'en avait pas encore la force, ni le courage.

« O-oui. Si je rentre, je vais... me faire punir, sans doute. Comme quoi, vous savez, je ne manque pas de discipline. »

L'ascenseur arriva, s'ouvrant. Ils pénétrèrent dedans, et Kanda lui caressa le crâne gentiment.

« Ça ne t'a vraiment pas plu, ça.

—Non, pas du tout. »

Kanda sourit.

« Je pense que tu apprécierais plus ma vision de la discipline que la leur. »

Allen fronça les sourcils, mais eut un petit sourire, amusé. Après tout, ils ne faisaient que se taquiner, et il savait que Kanda n'irait pas bien loin.

Pas alors qu'il ne le voulait pas, du moins.

« Eh bien, vous me montrerez ça plus tard, si vous y tenez tant. »

Allen rougit, ce qui sembla amuser Kanda qui eut un rictus à demi-moqueur.

« On ose des choses, Moyashi.

—Je suis Allen. Bakanda. »

Kanda lui colla une pichenette sur le bout du nez, Allen poussant un gémissement plaintif en se le couvrant.

Connard !

Pourtant, avec le sourire que lui lançait Kanda, Allen se calma. Il le taquinait, un peu brusquement, mais ça restait du jeu.

Ils descendirent jusqu'à la voiture, dans laquelle ils prirent place, partant en direction des appartements de Kanda. Allen posa sa tête sur l'épaule de l'alpha, humant son odeur, lorsque celui-ci le poussa à s'allonger sur ses genoux, entreprenant de lui chatouiller le crâne avec douceur.

Allen apprécia ça.

Kanda avait encore des secrets, sans doute pas mal de squelettes dans le placard, peut-être pas si gros que le sien, mais en tout cas, il avait parfois les attentions et les comportements d'un bon partenaire.

Entre autres choses. Tout cela était si difficile.

Le maudit eut alors le coeur léger, bien qu'il n'aurait pas dû, s'endormant tandis qu'ils roulaient dans la nuit sombre.

À suivre...


Note :

(1) Le fameux cadeau de mariage pour Atsushi et Akutagawa, c'était un sex-toy, pour ceux qui s'en rappelleraient pas :p.

Sinon, pour le moment donc ça tâtonne, mais je pense que vous apercevez déjà l'ébauche d'un rapprochement.

Un petit mot sur ce chapitre ?

N'hésitez vraiment pas à laisser votre avis, je suis vraiment curieuse de savoir ce que vous pensez de cette énorme brique xD (il faut vraiment que je fasse plus court pour la suite, promis, ce sera pas des pavés pareil à chaque fois), des échanges entre les persos, etc etc :p.

Sur ce, je vous remercie d'avoir lu et je vous dis à la prochaine !