Elle devait bien le reconnaître, l'Étoile déchue avait du talent pour ce qui était de se dissimuler – ça leur avait tout de même pris deux bonnes semaines avant de relever une trace de son essence, et de remonter jusqu'à la source.
En revanche, elle questionnait nettement plus son goût en matière d'immobilier : un motel crasseux, vraiment ? Les Winchester avaient l'excuse d'être fauchés, mais un Archange aurait dû faire preuve d'un chouïa plus de classe, enfin.
Question sécurité, tous les locataires du moment ainsi que le personnel avaient été possédés. Tant pis, on ne faisait pas d'omelette sans casser des œufs.
« Fenrir, mon loulou, on aurait besoin d'une diversion » glissa la déesse des morts à son frère poilu, battant des cils par respect du protocole familial – la petite dernière se devait de prendre l'air niaise et innocente à chaque demande, c'était l'une des Grandes Conventions Universelles.
Fenrir souffla bruyamment par les narines en guise de réponse, mais ne s'en dirigea pas moins vers le motel, se faufilant aisément entre les portes à double battant. Environ sept secondes plus tard, les hurlements commencèrent.
« Tu sais que c'est affreusement barbare, cette tactique ? » protesta en sourdine Castiel posté juste à côté d'elle.
« Je sais aussi qu'elle marche » riposta joyeusement Hel en lui prenant la main. « On y va ? »
C'était imparable, quand on subit une attaque par-devant, on oublie aussitôt de surveiller la sortie de secours ou la fenêtre. En l'occurrence, il s'agissait de la porte de service, reconnaissable au fait que la benne à ordures était rangée à côté. Beuh, pas très sympathique comme fumet.
À l'intérieur, c'était aussi moche que prévu, avec une moquette pleine de traces de cigarettes, des murs tachés d'humidité au point que le papier peint menaçait de s'en décoller, et des plafonniers d'allure néo-cubiste. Mais les deux créatures surnaturelles ne virent rien de tout cela, trop concentrées sur la faible aura qu'elles détectaient nettement mieux maintenant qu'elles avaient franchi les limites du périmètre.
Quand ils arrivèrent devant la chambre où les menait la piste, la porte n'était pas fermée. En général, ça signifiait que le prisonnier n'était pas en état de partir. Quand ils pénétrèrent dans la pièce, ils purent malheureusement confirmer que c'était bien le cas.
Loki gisait sur le lit, les yeux clos, les muscles totalement inertes, le visage d'une pâleur vampirique. Il avait l'air d'un cadavre de premier choix, et Hel s'y connaissait en matière de cadavre. Sauf qu'en temps normal, ils ne lui retournaient pas l'estomac si brutalement.
« Oh Père – c'est pas vrai, il aurait pas dû y aller – tu m'entends M-Loki ? Réveille-toi, je t'en prie... »
Castiel semblait au bord des larmes, debout les bras ballants au chevet de l'Embrouilleur inconscient, les ailes avachies.
Hel avala sa salive pour essayer de calmer la brûlure se diffusant dans sa gorge. Elle n'y parvint pas.
Fenrir n'avait jamais tenu les démons en très haute estime, mais leur désolante absence de talent guerrier venait de réduire encore leur statut à ses yeux. C'était consternant, le nombre de créatures incapables de faire mieux que frapper vulgairement l'adversaire.
Fenrir. Viens tout de suite.
Oh ho. Pour que sa sœur soit aussi sèche et directe, il fallait vraiment que ce soit grave. Le loup géant n'essaya pas de protester, il bougea aussitôt.
Effectivement, c'était mauvais. Jamais encore il n'avait vu son père dans un tel état – pas même après la mort des jumeaux – si bien qu'il accepta sans broncher le rôle de bête de somme, laissant Hel et l'angelot déposer l'Embrouilleur sur son dos avant qu'ils ne se mettent en route vers la porte de sortie.
Sauf que ça ne pouvait pas être aussi simple, bien sûr.
« Vous savez, c'est très grossier de voler les affaires des autres. »
Ce n'était pas comme si Fenrir avait jamais formulé le vœu de rencontrer le Diable. Pourquoi donc lui infliger ça ?
