Dovahro Dinok ! La mort du Dragon.
Une tête venait de rouler. Deux morts en moins de dix minutes.
"Maintenant, la Brétonne !"
Et voilà que son tour venait. Elle aurait dû le savoir. Lenclume aurait été un choix tellement plus sensé, ou Cyrodiil, ou même Elsweyr. Mais non. Connaissant l'aversion de son père pour la province de Bordeciel, il avait fallu qu'elle s'infiltre dans la région la plus inhospitalière de Tamriel.
Un écho étrange envahit alors le ciel, une voix d'un autre monde attirant tous les yeux vers la cime des montagnes. La condamnée tendit l'oreille, étrangement intriguée. Il lui avait semblé connaître cette voix d'outre-ciel. Le capitaine ne se démonta pas pour si peu et insista:
"J'ai dit: au suivant !"
La prisonnière se résigna, traina la patte jusqu'au billot, puis s'agenouilla. La joue appuyée sur la tache sanglante du premier condamné, elle observa la hache se soulever, puis le souffle vaporeux du bourreau qui transperçait sa cagoule noire, presque aussi noire que le dragon qui venait de surgir au détour d'un pic enneigé.
Le dragon.
Dragon…
La peur de la mort altérait les esprits de manière effrayante, car cette hallucination semblait véritablement réelle. Les dragons n'existaient pas. Des légendes, rien de plus.
À ceci près que cette légende-là fit basculer le bourreau lorsque sa masse s'abattit sur la tour de guet. Le monstre découvrit ses dents gigantesques et hurla, secouant ciel et terre par seul le pouvoir de son cri. Le dénommé Ralof attrapa le col de Siltafiir et la jeta sur ses pieds, l'extirpant de la torpeur terrifiée qui l'avait étreinte. À nouveau en contact avec la réalité, elle ne réfléchit plus et se rua vers une tour quelques mètres plus loin dans laquelle s'abritaient déjà plusieurs soldats, tous des rebelles. Celui qui l'avait redressée entra en dernier et referma prestement la porte, s'y adossant en respirant lourdement. Aucun ne pipait mot, trop attentifs aux exclamations terrifiées des villageois et au souffle destructeur de la créature.
Quand soudain l'édifice trembla et tout un mur s'effondra. Les fondations crissèrent de douleur, mais la tour encaissa le choc. Dans la brèche, une gueule colossale. Un flot ardent se déversa dans la pièce, chauffant les têtes, achevant un homme, puis le monstre volant s'éloigna, déployant ses ailes dans une tornade fracassante.
"La porte est bloquée ! S'énerva Ralof. Il faut sortir par ce trou qu'a fait le dragon avant que toute la tour ne s'effondre !"
On ne lui répéta pas la consigne; Siltafiir sautait déjà dans l'immeuble adjacent, désirant quitter cette ville aussi vite que possible et ne plus jamais entendre parler de dragons.
Elle courut, courut, sauta derrière les restes d'une maison pour esquiver un rugissement embrasé, reprit sa course, et se trouva devant une impasse. Ou peut-être pas. Deux bâtiments subsistaient, accolés l'un à l'autre. Le tout était de savoir lequel s'effondrerait en dernier sous les assauts répétés de l'horreur volante. Avant qu'elle ne se décide, deux têtes familières s'échappèrent des volutes de fumées qui recouvraient maintenant Helgen; Ralof, et le garde qui avait fait l'appel des prisonniers juste avant l'exécution, avaient survécu.
"Lâche l'affaire, Hadvar ! On s'enfuit, que tu le veuilles ou non, et je te conseille d'en faire autant si tu veux pas cramer ta jupette impériale !"
Remarquant la Brétonne il lui fit signe de le suivre par l'une des portes, prenant ledit Hadvar de vitesse. Pas besoin d'hésiter.
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"Pas fâché d'être débarrassé de ce monstre…"
Siltafiir acquiesça. Leurs péripéties dans les sous-sols d'Helgen resteraient gravées dans sa mémoire pour de longues années. Ralof proposa de rejoindre Rivebois, un minuscule village où ils trouveraient lit et couvert. La fuyarde accepta immédiatement l'offre. En chemin, il lui résuma la situation politique du pays et l'importance d'Ulfric dans le conflit qui opposait l'Empire aux sombrages. En échange de quoi, il la questionna sur les raisons de sa présence.
"Les histoires de Hauteroche te paraîtraient futiles, surtout en ces temps de guerre. Là-bas, plus que l'arc ou l'épée, on se sert d'or et d'assassins. C'est la même chose que partout ailleurs, mais en plus raffiné.
- Ce qui n'explique pas ta venue.
- Encore des broutilles. Disons que mon père et moi n'avions pas la même perception de la magie. Notre famille est supposée être puissante dans les arts des arcanes, et moi je suis incapable de produire une étincelle. Comme je le disais: rien de très intéressant.
- Mais tu sais te servir d'un arc, ces impériaux n'ont pas eu le temps de comprendre ce qui leur tombait dessus."
Ces paroles arrachèrent à la jeune fille son premier vrai sourire depuis des jours.
"Il fallait bien quelqu'un pour empêcher leurs épées de te fendre le crâne."
Elle évita un coup de poing vengeur et, sur ces mots, ils atteignirent Rivebois. La sœur du sombrage, Gerdur, les accueillit chaleureusement, prêtant une oreille concernée à leur récit et une demeure confortable à leur repos. Autour d'une table anormalement animée, le fils des hôtes, nommé Frodnar, ne cessait de questionner la Brétonne sur son pays, son voyage, ses rencontres.
"Et comment tu t'es fait ces cicatrices ?
- C'est un ours noir énorme, colossal, GIGANTESQUE qui m'a fait ça !" Elle accompagna ses paroles d'une grimace sauvage et mima l'agression en brassant l'air de ses griffes imaginaires. "Il a failli prendre mon œil gauche, et je pense que j'y serais restée si un chasseur n'était pas intervenu. Il m'a soignée et, une fois rétablie, m'a ramenée à la maison. C'est lui aussi qui m'a enseigné l'archerie, même si ma famille n'adhérait pas vraiment à cette idée.
- Pourquoi ?
- Les magiciens sont comme ça, ils trouvent que les armes c'est… dégradant.
- Et pourquoi tu ne fais pas de magie ?
- Frodnar, assez de questions, laisse notre invitée manger en paix, elle a eu un dure journée." lui ordonna sa mère.
Le garçon se renfrogna et la soirée se termina bientôt, emmenant chacun dans une nuit paisible, sans le moindre dragon.
Siltafiir accepta immédiatement d'aider Gerdur lorsque celle-ci lui exposa sa requête. Prévenir le jarl de Blancherive du retour des légendes d'antan lui semblait la moindre des politesses après la gentillesse dont on l'avait gratifiée: un lit, des repas et des provisions pour la route. Le chemin, non-seulement court, ne lui offrit qu'une paire de loups en guise de danger. Ce n'est qu'aux abords de la ville qu'une véritable menace se présenta: un géant. Siltafiir senti ses poils se hérisser devant l'imposante stature du colosse. Par bonheur, un groupe de combattants assaillait déjà la bête et eut tôt fait de l'achever. Une archère lui reprocha son manque d'implication, mais les priorités de Siltafiir se trouvaient en d'autres lieux. Avant toute chose, il lui fallait prévenir Blancherive.
Elle s'y attela dans l'instant, hâtant le pas vers Fort-Dragon. Bien qu'on lui oppose quelque résistance, un simple mot lui ouvrit les portes de la ville et lui octroya une audience auprès du jarl Balgruuf le Grand. Ce mot ? Dragon. Elle avait cru qu'on la traiterait de folle à la mention du monstre volant, mais, à sa surprise, seuls des regards concernés accueillirent ses paroles.
"Si je suis sûre d'avoir vu un dragon ? Par Akatosh ! Il a réduit tout Helgen en poussière ! Si vous avez des doutes, allez vérifier ou demandez à quelqu'un de s'en charger, aucune créature sur Nirn autre qu'un dragon ne pourrait causer tant de destruction.
- Dans ce cas, envoyer des troupes pour défendre Rivebois ne me semble pas exagéré. Vous avez bien fait de venir, la Châtellerie de Blancherive vous en est reconnaissante." annonça le jarl.
Son devoir accompli, Siltafiir se prépara à quitter les lieux pour enfin se rendre à Faillaise, mais Balgruuf l'interpella:
"Je pourrais avoir besoin de quelqu'un comme vous. Blancherive a besoin de vous. Si les dragons sont réellement de retour, nous devons nous y préparer et Farengar, le sorcier de ma cour, les étudie justement. Je crois savoir qu'il rencontre certains désagréments avec ses recherches. Vous devriez être capable d'arranger ça."
La Brétonne cligna des yeux. Elle se demanda un moment ce qui, en elle, causait à cet homme l'impression qu'elle valait quelque chose. Pas qu'elle doute de ses propres capacités, mais son seul accomplissement avait été de transmettre un message. Elle fit part de ses doutes au jarl.
"Vous avez survécu à Helgen, c'est assez pour me convaincre de vos talents. De plus, si cela vous inquiète, votre aide sera pleinement récompensée".
L'avarice n'occupait qu'un espace restreint dans le coeur de la jeune fille, mais son voyage précipité loin de Hauteroche l'ayant dépouillée, toute rémunération serait la bienvenue. Elle suivit donc le jarl jusqu'à l'antre du mage. Celui-ci leur exposa le problème: une pierre spéciale, supposément égarée dans les tréfonds d'un temple maudit, nécessitait un rapatriement hâtif. Tandis que Siltafiir hésitait à faire marche arrière, Balgruuf la désarçonna:
"Merci encore d'avoir accepté cette mission, cela représente beaucoup pour mon peuple et moi. Vous avez l'air éreintée, reposez-vous ici ce soir et contez-nous votre aventure à Helgen autour d'un repas. Toute information sera profitable à notre lutte contre les dragons."
Siltafiir soupira. Jamais elle ne pourrait dire non après tant d'hospitalité.
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La jeune fille remercia les divins d'avoir donné aux humains une peau moins épaisse qu'aux ours. Jouant de discrétion, elle abattit tous les bandits qu'elle rencontra d'aussi loin que sa vision lui permettait. L'un d'eux, sans l'atteindre, s'approcha dangereusement, à tel point qu'il lui fallut plusieurs minutes pour s'en remettre. Elle réfléchit un instant puis ramassa l'épée qui avait bien failli l'étêter. Tuer un brigand s'était avéré plus ardu que chasser la biche; se reposer sur son arc uniquement ne serait pas une option à l'avenir, mieux valait se préparer aux combats rapprochés.
Tandis qu'elle poussait enfin la porte du Tertre des Chutes Tourmentées, Siltafiir se réjouit d'avoir ramassé la lame; deux malfrats, alertés par le grincement des gonds, se ruaient déjà sur elle. Elle parvint malgré tout à en arrêter un d'une flèche bien placée, mais le second évita ses traits et accéléra de plus belle. Elle le repoussa d'un coup d'arc, l'étourdissant de ce fait, et, titubante, elle recula en dégainant l'épée. L'ennemi revint à la charge, mais cette fois elle l'attendait. Elle para, flancha légèrement, repoussa l'adversaire, tenta une approche, blessa son bras, recula à nouveau et, dans un élan instinctif, estoqua son opposant en pleine poitrine.
À nouveau, Siltafiir s'accorda une pause. Dévorant un morceau du ragnard qui grillait sur une broche, elle avisa un bouclier. Elle le ramassa et reprit son chemin. L'objet pesait son poids, mais à choisir entre une crampe au bras et une lame entre les yeux… Non, il n'y avait pas à choisir. Les épreuves suivantes lui donnèrent raison: passant d'araignée géante à draugr enragé, de piège traitre à énigme tarabiscotée, la prudence apparaissait comme le seul espoir de sortir un jour vivante de ce maudit tertre.
Atteignant une salle immense où filtraient quelques rayons solaires, la Brétonne se figea. Elle entendait quelque chose. Des voix, lointaines, chantantes, prononçant des mots incompréhensibles et familiers tout à la fois. Des voix vibrantes. Des voix qui sortaient d'un mur. Un mot résonnait plus fort que les autres.
FUS
Siltafiir, sans en comprendre le sens, aimait ce mot, il la revigorait. Pour la première fois depuis qu'elle avait foulé les dalles de ce temple, elle se sentait forte, capable de repousser d'effrayantes créatures et d'abattre tout bandit qui barrerait sa route. À quelques exceptions près. Elle échappa un cri paniqué quand un cercueil s'ouvrit dans un fracas métallique. En surgit tout d'abord une hache blanchie d'un gel surnaturel, puis un bras osseux, puis tout un revenant. La jeune fille empoigna son arc, mais, alors qu'elle s'apprêtait à tirer, le draugr ouvrit la bouche.
ZUN HAAL VIIK
Son arc s'envola. D'un souffle, les cordes vocales desséchées d'un mort-vivant l'avaient désarmée. Déglutissante, elle plaça hâtivement le bouclier devant son torse, tandis que l'adversaire l'assaillait en grognant d'autres phrases qui, malgré leur sonorité étrangère, apparaissaient fort insultantes à son oreille. Réalisant qu'elle ne vaincrait jamais le draugr cachée derrière une coque d'acier, elle jeta tout son poids sur l'ennemi, bouclier en avant, lui faisant perdre l'équilibre juste assez longtemps pour se permettre de fuir à l'autre extrémité de la pièce, récupérant au passage son arme salvatrice.
Les muscles à moitié décomposés de l'horreur mouvante ne lui octroyaient qu'une course claudicante, au grand bonheur de Siltafiir qui l'acheva de la manière qu'elle affectionnait le plus: de loin. Escaladant un muret, elle forçait sa cible à prendre un détour, se laissant ainsi tout loisir de viser, respirer et planter son projectile là où elle voulait l'envoyer. Dès que le zombie s'approchait d'un peu trop, elle changeait de perchoir et recommençait son manège. Patiemment, elle transforma son opposant en pelote d'aiguilles, courant de droite et de gauche, roulant derrière rochers et caillasses pour s'abriter des hurlements déferlants, et enfin gagner cette joute éprouvante.
Haletante, elle s'appropria la hache enchantée du draugr et s'immobilisa en remarquant un objet particulier. Un pierre taillée, couverte des mêmes symboles incompréhensibles que le mur chantant sur une face et d'une gravure étrangement nette malgré son ancienneté sur l'autre. Aurait-elle trouvé la pierre que réclamait Farengar ? Elle l'espérait, parce qu'elle ne visiterait plus jamais de temples maudits pour les beaux yeux de ces nordiques.
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"Voilà votre caillou, j'espère que ça en valait la peine.
- Ceci est une "pierre du dragon", s'il-vous-plaît. Ce n'est pas un vulgaire caillou. Mais merci bien, cela va grandement aider mes recherches. Voyez avec le jarl pour votre récompense."
Farengar chassa la Brétonne d'un geste du poignet et s'empressa d'examiner la roche taillée. Siltafiir grogna et tourna les talons, direction sa paye, mais une interruptrice lui barra la route.
"Farengar, le jarl veut vous voir immédiatement, déclara Irileth d'un ton sans équivoque, et vous aussi… hum… Siltafiir Viingnu, dépêchez-vous."
Montant les escaliers vers la salle de guerre, la jeune fille entendit la voix paniquée d'un homme. Elle n'en saisissait pas grand-chose, qu'un mot çà ou là, mais deux syllabes tintèrent le glas de son courage : dragon. Encore des histoires de dragons. Les ours ne suffisaient pas, ce pays se devait de tester les limites de sa nouvelle occupante. Sans ces lézards volants, Bordeciel pouvait déjà se vanter de trôner au panthéon des provinces les moins hospitalières de Nirn et, depuis l'arrivée de ces reptiles, elle remportait certainement la médaille d'or.
"Il faisait des cercles au-dessus de la tour de guet ! Je n'avais jamais couru aussi vite… Oh, par les divins ! J'étais sûr qu'il allait me dévorer !"
Le pauvre soldat tremblait de tous ses membres, le teint blême et la main serrée sur la garde de son épée. Balgruuf l'envoya se reposer et s'adressa à ses autres subordonnés, leur imposant une chasse au dragon. Une mission suicide, pensa Siltafiir. Pas question d'y prendre part. Elle recevrait sa récompense et s'enfuirait aussi vite que possible. Jamais plus elle ne ferait face à un dragon comme celui d'Helgen. Jamais.
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La voix du jarl avait été ferme, dénuée d'hésitation, mais ses yeux n'avaient pas trompé Siltafiir. La peur s'était emparée autant de lui que de tous les hommes et femmes qui entendaient le nom des reptiles légendaires. Tous terrifiés. La Brétonne, n'ayant pu se résoudre à abandonner ces gens dans un tel moment, marchait d'un pas morne aux côtés d'Irileth et d'une troupe fébrile. Combattre un dragon. Quelle idée…
Ayant à peine atteint la tour, une exclamation paniquée interpella les soldats.
"Cachez-vous ! Il a attrapé Roki et Tor qui essayaient de s'enfuir ! Ah ! Le revoilà !"
Le pauvre garde regagna sa cachette aussi vite qu'il l'avait quittée tandis que les yeux de tous se tournaient vers un grondement lointain. L'air vibrait dans un rythme régulier, brassé par le battement lourd d'une paire d'ailes écailleuses annonciatrices d'un danger imminent. Un rugissement surnaturel secoua les esprits et la bête accéléra, plongeant sur ses proies dans un rire démoniaque.
La bataille n'attendit pas, les flèches et les sorts s'abattaient sur le dragon dans un flot ininterrompu, mais la créature restait indifférente, s'esclaffant de plus belle.
"Ha ha ha ! J'avais oublié à quel point les mortels sont divertissants !"
Il saisit un combattant entre ses griffes gargantuesques et le projeta à plusieurs dizaines de mètres du sol, provoquant des exclamations étouffées chez tous les hommes présents. Le temps passait, et Siltafiir gagnait en confiance, réalisant que, au vu du nombre de soldats, le monstre ne s'intéresserait pas forcément à elle. Cachée derrière les restes de la tour, elle décochait ses éternelles flèches, jurant lorsque la créature disparaissait au profit d'un nuage de fumée, paniquant lorsque celle-ci reparaissait en soufflant des torrents de braises. Au bout d'un temps, Siltafiir perdit la cible de vue. Elle chercha frénétiquement entre les volutes fumantes, mais ne trouva rien. Elle leva les yeux, mais toujours rien. Elle se retourna. Le sol trembla violemment tandis qu'une mâchoire ricanante s'ouvrait, béante, beaucoup trop proche.
Ses instincts prirent le dessus et elle tira. La flèche frappa le museau du dragon qui recula en grognant, plus énervé que blessé, et cela offrit à l'archère une occasion de fuir. Elle contourna la bête, mais la queue du reptile fouetta l'air et heurta son estomac, la jetant au sol, lui coupant le souffle, la laissant à la merci du plus terrifiant prédateur de Nirn. Toutes dents en avant, le monstre attaqua. Elle sortit sa hache dans la hâte, touchant, cette fois, la gencive de l'ennemi. Le hurlement qui suivit lui arracha les tympans, mais elle chargea de plus belle, se relevant précipitamment, plantant son arme dans le cou monstrueux, retombant lorsqu'un aile la balaya, roulant loin d'une patte griffue, se redressant encore, attaquant à nouveau.
Une occasion trop parfaite se présenta. Fatigué, agacé, le dragon avait projeté ses crocs avec trop de hâte, offrant à Siltafiir une gorge sans défenses. Elle sauta sur la nuque bestiale, attaquant d'une main, s'accrochant fermement à une corne écailleuse de l'autre. Elle frappa, encore et encore, la nuque, les yeux, les joues, peu importait, elle frappa jusqu'à ce que le corps monumental s'effondre dans un nuage de poussière. Dans sa chute, le dragon croisa le regard de la jeune fille, les pupilles vibrantes de terreur, et, animé d'un dernier spasme, il hurla:
"Dovahkiin ! Non !"
La Brétonne se laissa tomber au sol, le cœur fou, la respiration vibrante, les yeux écarquillés.
"Attention ! Reculez !"
Elle releva la tête. Le dragon prenait feu. Sa peau se désagrégeait dans une lumière étincelante, s'élevait, lentement, puis sans prévenir, les flammes assaillirent la jeune fille. Les hommes tout autour échappèrent des exclamations alors que les braises étranges se déposaient sur Siltafiir. Elle aurait dû paniquer, fuir, ramper derrière un rocher, mais cette magie qu'elle ne connaissait pas réveillait en elle des sentiments cachés, des souvenirs d'événements qu'elle n'avait jamais vécus.
Même lorsque la créature eut achevé de se décomposer, ne laissant que son squelette, Siltafiir demeura immobile. Trop d'informations inondaient son cerveau, trop de mots.
"Je n'arrive pas à y croire… Vous êtes… Enfant de Dragon ?"
Elle sursauta. Trop absorbée par cette nouvelle expérience, elle n'avait pas remarqué le soldat qui s'était approché. Elle se releva maladroitement, interloquée par l'expression ébahie du nouvel arrivant.
"Enfant de Dragon ? Souffla-t-elle.
- Oui, comme dans les légendes. Vous avez absorbé son âme, vous devriez pouvoir crier, comme les dragons."
Siltafiir recula devant l'enthousiasme envahissant du soldat, mais pensa à un mot, plus fort que les autres, qui grondait dans sa gorge et brillait derrière ses pupilles.
FUS
Une force pure balaya l'herbe devant ses yeux. Un pouvoir que son père n'avait jamais mentionné, qu'aucun des nombreux ouvrages qu'il lui imposait n'avait contenu. Des murmures engagés s'élevèrent parmi les soldats, mais l'Enfant de Dragon n'y prêta guère attention, trop occupée à encaisser le choc de cette révélation. Comment ? Pourquoi ? De tous les mortels qui peuplaient Tamriel, pourquoi choisir la seule Brétonne qui ne comprenait rien à la magie ?
"Retournez à Fort-Dragon, dit Irileth en serrant l'épaule de Siltafiir, je pense que le jarl sera plus qu'intéressé par les derniers événements. Je vais rester et voir s'il y a des survivants".
Le retour s'avéra éprouvant pour le cœur de l'héroïne, non pas à cause de ses côtes bleuies ou ses membres écorchés, mais bien par la force d'un mot, tout droit descendu du ciel, qui résonna pour la seconde fois à ses oreilles. Un chœur tonitruant avait imité le râle ultime du défunt dragon, attirant tous les regards vers la cime des montagnes. Ou plutôt d'une montagne, plus haute que les autres, plus nuageuse, plus effrayante aux yeux de Siltafiir.
"Dovahkiin…" grommela-t-elle en poussant les portes de Fort-Dragon.
Elle s'immobilisa un instant devant l'agitation des lieux. Le jarl et son chambellan débattaient activement, mais Balgruuf interrompit la discussion dès qu'il remarqua la nouvelle arrivante. Immédiatement il l'interrogea, conservant, malgré ses mains tremblantes, une voix autoritaire.
"La tour de guet est détruite, mais le dragon est mort. Expliqua-t-elle timidement.
- Mais ce n'est pas tout."
Siltafiir flancha devant l'intensité de son regard. On ne cachait rien à un homme pareil.
"Il se pourrait… peut-être… que je sois… éventuellement… un… Enfant de Dragon. Plus ou moins.
- Dovahkiin !
- Encore ce mot ! D'abord le dragon, puis les nuages, puis vous.. Qu'est-ce que ça veut dire à la fin ?
- Ce mot signifie "Enfant de Dragon", et ce ne sont pas les nuages qui ont crié votre nom, c'était la voix des Grisesbarbes qui vous appelait depuis le Haut-Hrothgar. Votre apparition maintenant, alors que les dragons reviennent, est un signe d'espoir !
- Mais pourquoi est-ce si important ? Couina-t-elle encore d'un ton de plus en plus nerveux.
- Vous seule êtes capable de définitivement tuer un dragon. Je ne peux en dire davantage, d'ailleurs ce n'est pas mon rôle, c'est celui des Grisesbarbes."
À la surprise générale, la Brétonne traîna du pied jusqu'à la chaise la plus proche, ignorant les yeux concernés qui la détaillaient de tous côtés, et s'y effondra. Dragons, Grisesbarbes, légendes… Trop. Trop d'informations, trop d'éléments inconnus, trop de responsabilités d'un coup.
"Cette personne m'a, certes, l'air tout à fait capable, commença le chambellan pour briser l'inconfort général, mais je ne vois aucun signe faisant d'elle un… Enfant de Dragon.
- Rien de plus simple à vérifier, coupa le jarl sans hésitation avant de se tourner vers la jeune fille, pouvez-vous utiliser le Thu'um ?
- Le quoi ? désespéra-t-elle devant ce nouveau mot pourtant si familier.
- Le Thu'um, l'art de la voix, s'impatienta Balgruuf, vous pouvez crier comme les dragons, n'est-ce pas ?"
Siltafiir se releva timidement, secouée par l'accès vocal du jarl, et prenant garde à ne toucher personne, réitéra son exploit criard.
FUS
L'Enfant de Dragon massa sa gorge endolorie en se retournant vers ses spectateurs. Les gardes du fond échangeaient des chuchotements surexcités, le chambellan pinçait les lèvres dans l'espoir de ne plus se tromper en jugeant un inconnu, les yeux de Farengar brillaient à l'idée de ses expériences futures et le jarl souriait pleinement, simplement heureux de voir la naissance d'une légende vivante. Au grand désarroi de celle-ci. Elle n'avait pas abandonné Hauteroche pour devenir célèbre, mais bien pour disparaître, se faire oublier de tous et fuir les responsabilités trop lourdes de sa vie passée. Enfant de Dragon. Mais quelle idée !
À suivre…
Fin du premier chapitre, le second est déjà bien entamé.
Comme vous pouvez le voir, les mots draconiques sont en italique, et j'ai choisi de laisser les cris hors des guillemets pour symboliser leur côté... euh... magique ? Sans limites ? Hors des lois humaines ? Ouais, un truc de ce genre.
Ce chapitre suivait (trop) le scénario du jeu, mais il me fallait bien ça pour mettre l'histoire en place. La suite prend plus de libertés, promis.
