Sos Nau Iiz ! Du Sang sur la Glace.

Akatosh en soit témoin, Siltafiir haïssait Bordeciel. Des ours, des dragons, des bandits et le froid. Le froid insidieux, pernicieux, inévitable, le froid du nord. Et les montagnes, ces horribles montagnes qui se dressaient partout, qui imposaient des itinéraires trop longs, qui offraient aux malfrats mille occasions d'embusquer les voyageurs, qui grouillaient de loups et de fauves affamés. Saletés de montagnes. Saleté de froid.

"Si je laisse les dragons mettre le feu partout, peut-être que la température deviendra supportable. " Grognait-elle en gravissant une colline.

Elle regrettait amèrement d'avoir succombé à la peur lors de son départ de Blancherive. Helgen aurait été le chemin le plus rapide pour atteindre Faillaise, mais sa rencontre trop récente avec le bourreau lui arrachait des spasmes dès qu'elle osait s'y replonger. Sans parler de la menace tombée du ciel. Traverser la ville coupable, ou plutôt ce qu'il en restait, paraissait insensé à la voyageuse dans de pareilles conditions. Donc, si le chemin du sud demeurait impraticable il ne restait que celui du nord. Malheureusement, camp de géants et péage de brigands occupaient cette voie, forçant les plus avares et les plus froussards vers des chemins moins usités. Encore plus au nord.

Malgré ses plaintes, Siltafiir ne se sentait pas moins fière d'avoir évité d'inutiles dépenses par sa randonnée prolongée. Des voleurs de bas-étages, incapables de commettre un honnête larcin, profitaient vilement des marcheurs fatigués à l'aide d'un péage stratégiquement placé. Ravivée par la pensée que ces rustres ne poseraient jamais les doigts sur son or, elle doubla sa foulée et atteignit bientôt une zone plane. Elle remarqua tout d'abord un énorme coffre couvert de gravures, puis, s'en approchant, entendit les voix chantantes, les mêmes qui lui avaient enseigné Fus. Un mur, tout pareil à celui du tertre des Chutes Tourmentées, s'érigeait un peu plus loin. Elle se concentra sur un mot plus perçant que les autres et une sensation familière l'envahit lorsqu'un cri glacial brilla dans ses pupilles.

IIZ

L'Enfant de Dragon frissonna. Les vents nordiques lui paraissaient gagner en puissance tandis que cette nouvelle pièce de vocabulaire s'inscrivait dans son esprit. Trop occupée à assimiler l'information elle n'entendit que tardivement le grondement sourd qui souleva la neige.

Juste. Derrière. Elle.

Elle n'osa se retourner immédiatement, trop consciente du danger imminent, mais fut bien obligée de se jeter sur le côté lorsqu'un hurlement destructeur manqua de la balayer. La situation était bien différente de celle rencontrée à Blancherive. Sans soldats alentours pour appâter et affaiblir ce dragon, comment allait-elle fuir ?

xxx

Ayant atteint Vendeaume, elle marcha fièrement jusqu'au Palais des Rois et demanda à voir le chambellan des lieux les doigts serrés sur un morceau de papier. Celui-ci, trouvé sur le comptoir de l'auberge, promettait une coquette somme à quiconque terrasserait le dragon du Mont Anthor. Justement, elle en descendait de ce mont, le sac chargé d'écailles et d'os témoins d'un travail déjà accompli. Au palais, on la reçut froidement, comme pour s'assurer qu'aucune chaleur ne s'immisce entre les murs de pierre, mais la répulsion se mua en un embryon de respect lorsqu'elle présenta la preuve de ses exploits. Le chambellan s'éclipsa une minute, le temps de quérir la récompense suscitée, et c'est cet instant que choisit le jarl Ulfric Sombrage pour saluer Siltafiir. La saluer dans la plus fidèle tradition nordique, bien entendu.

"Comment une Brétonne seule pourrait-elle vaincre un dragon en duel ? Vous ne donniez pas l'impression d'être si brave au coeur d'Helgen."

L'interpellée sursauta et frissonna d'inconfort devant ce regard inquisiteur qu'elle ne connaissait que trop depuis l'embuscade impériale. Elle ne s'attendait à le rencontrer ainsi, sans avoir même demandé une audience. Il souriait poliment, mais son menton fier et son torse bombé trahissaient une supériorité innée.

"Je… J'ai eu de la chance, commença-t-elle en frétillant de malaise devant cette paire d'yeux glacés, le dragon dormait quand j'ai atteint le mur, l'effet de surprise l'a emporté."

L'effet de surprise comptait en effet pour beaucoup dans sa victoire, mais il n'était pas né pas du sommeil de la bête. Ce qui l'avait engendré n'était autre que la voix du Dovahkiin, retournant la langue des dragons contre l'un de ses usagers. Le monstre, tétanisé par cette déferlante vocale, n'avait eu le réflexe de repousser la Brétonne lorsqu'elle s'était mise en tête de réitérer son exploit de la tour de guet. Gravissant la nuque bestiale, elle avait achevé les cervicales gargantuesques en frappant, encore et encore, aussi fort que ses bras lui permettaient, jusqu'à ce que l'ennemi fut désintégré dans un nuage incandescent, lui offrant ainsi ses connaissances grammaticales.

" Quel mur ? Questionna-t-il, sourcils froncés. Vous gravissez une montagne, rencontrez un dragon, et vous souvenez d'un mur ?"

Elle paniqua. Personne ne devait découvrir sa légendaire identité, et parler d'un mur luisant et chantant semblait le meilleur moyen de se trahir. Ou de passer pour une démente. Maintenant qu'elle y pensait, venir quérir une prime pour avoir tué un dragon n'était pas l'action la plus recommandée dans un contexte de dissimulation. À plus forte raison lorsque l'identité que l'on désirait cacher impliquait un talent naturel pour terrasser lesdits dragons.

"Oui, oui, le mur en demi-cercle, celui qui est couvert d'écritures anciennes, s'empressa-t-elle d'expliquer, pas que j'en comprenne un seul mot, mais cela me paraissait assez étrange pour que l'on s'en rappelle, à moins que ce genre de construction soit courante en Bordeciel, mais comme je viens d'ailleurs je ne suis pas encore habituée aux coutumes nordiques, et puis le dragon dormait juste devant, alors j'ai pensé que c'était un élément important, mais comme je l'ai dit c'est encore nouveau pour moi, donc-

- Assez !"

Elle sursauta. Le rugissement que venait de pousser Ulfric Sombrage rappelait étrangement à Siltafiir le grondement d'un ours. Ou le souffle d'un dragon. Cette idée la fit grimacer. Il s'apaisa sensiblement devant l'expression intimidée de la jeune fille.

"Il existe plusieurs de ces murs en effet, expliqua-t-il d'un ton plus solennel, et leurs textes sont inscrits en langue draconique".

Un certain mot s'imposa dans l'esprit de Siltafiir, un mot glacial, mais elle le garda enfoui aux fins fonds de sa gorge. Il lui arracha tout de même un frisson, comme pour se venger de cet emprisonnement silencieux. Le chambellan les interrompit enfin, bourse en main, et la récompensa tout en saluant son jarl. Elle tenta de s'éclipser prestement, mais le chef rebelle la retint un moment.

"Je ne vous ai pas remerciée pour votre vaine, mais courageuse tentative de nous prévenir lors de l'embuscade. Bien des étrangers seraient demeurés loin des regards dans pareille situation."

Elle détourna la tête dans l'espoir de dissimuler un sourire fier, et, après un marmonnement reconnaissant, se dépêcha de fuir les lieux.

"J'ai de la peine à croire qu'elle ait pu tuer un dragon, gronda Galmar le bras-droit du jarl une fois qu'elle fut sortie, les Brétons n'ont pas l'habitude de manier la hache. Elle a dû se servir de magie, comme le reste de sa race.

- Elle arborait beaucoup d'armes pour une sorcière, remarqua le jarl en aplatissant sa barbe, ce dont je suis sûr c'est qu'elle n'a pas tout dit. Elle montrait trop de nervosité pour être vraiment honnête. Mais il est vrai qu'elle a tenté de nous aider, ma troupe et moi et que les impériaux auraient pris sa tête sans l'intervention du dragon noir. Même si ses motivations restent un mystère, je ne pense pas qu'elle représente un danger.

- Au fait, elle s'appelle comment ?"

Ulfric resta silencieux un instant.

"Je ne sais pas".

Galmar renifla, indifférent.

"En tout cas, si elle a vraiment réussi à l'abattre, cela veut dire que nous ne devrions pas avoir d'ennuis, des fois qu'une de ces bêtes attaquerait Vendeaume".

Le jarl acquiesça distraitement et retourna vers la salle de guerre, suivi immédiatement par son second.

xxx

Après un court moment au comptoir de l'auberge, Siltafiir se rua dehors. Ces deux piliers de bar l'horripilaient. Ayant osé les contredire quant à leurs convictions politiques sur les elfes noirs, ils n'en avaient fini de la traiter de comploteuse, d'agent impérial, la poussant et l'insultant à coups de jurons alcoolisés. Préférant éviter la confrontation - pas que les poivrots l'intimident, mais un cri était si vite lancé - elle les avait repoussés et traversait maintenant les rues sans savoir où se reposer. Le soleil se coucherait bientôt, peut-être que les ivrognes rentreraient chez eux assez tôt dans la soirée. Peut-être.

Des voix agitées attirèrent son attention, toutes regroupées autour d'un amas rougeoyant qu'elle reconnut tardivement comme étant un corps humain. Ses narines se retroussèrent devant la vision démembrée et elle s'apprêta à quitter les lieux quand un garde au ton fatigué l'interrogea.

"Hein ? Non, je n'ai rien vu. Je viens tout juste d'arriver.

- Ah, je vois… Merci quand même. Soyez prudente si vous vous déplacez de nuit. J'ai assez de boulot comme ça."

Silatfiir ne sut trop comment réagir devant ce commentaire, mais haussa les épaules et reporta son attention sur la scène macabre. Le tueur s'y connaissait, pensa-t-elle en grimaçant, des incisions précises, des découpages délicats, des sutures soignées couvraient le cadavre d'un bout à l'autre, exposant des zones clef de son anatomie. Là, il manquait un doigt, ici on avait retiré un poumon, plus bas on voyait une couture recouvrant l'estomac. Parlant d'estomac, la Brétonne saisit le sien en pâlissant. Mieux valut qu'elle s'en aille, ces visions mortelles ne lui apportaient que trop d'inconfort.

Continuant son chemin sans but, elle remarqua un traînée sanglante tout assortie au macchabée qui partait des lieux du crime et se perdait entre les ombres et les habitations. Elle s'immobilisa. On avait traîné le corps jusque-là, autrement dit: le meurtre s'était déroulé ailleurs. Sûrement à l'autre bout de cette piste. Mieux valait rapatrier un garde, Siltafiir préférait éviter de rencontrer le tueur seul à seul dans une ruelle sombre.

Prévenir un garde ne l'apaisa guère malheureusement. L'officier la rembarra en déclarant atteindre la fin de son service, elle n'aurait qu'à s'adresser à un autre. Si elle en trouvait un. Lorsque le troisième soldat qu'elle aborda la rejeta d'un reniflement dédaigneux, elle grogna de frustration et s'empressa de suivre la piste écarlate. Elle allait leur montrer à ces incompétents comment on faisait leur boulot. Après tout, de quoi s'inquiétait-elle ? Le squelette d'un dragon trônait sur le Mont Anthor, preuve de sa force combattive; un vague meurtrier ne l'effrayait pas. Malgré sa mauvaise humeur et son élan de fierté, elle déglutit en atteignant la porte d'une des maisons les plus reculées de la ville.

Pas de doute, elle y était. La maison la moins éclairée, le palier souillé et la porte solidement verrouillée. Le mélange parfait. Elle dégaina son sac de crochets et, enveloppée par la nuit, le vida de moitié avant de finalement faire grincer la porte. Redoublant de prudence, elle tenta maladroitement de ne pas faire craquer le plancher, sans succès, mais se détendit en réalisant que personne ne se trouvait là. Commença donc une inspection rigoureuse de la baraque. Du sang, quelques meuble, des casseroles, des avertissements concernant "le Boucher", une amulette étrange et une odeur âcre. À vrai dire, Siltafiir connaissait cette odeur, mais d'où ? Des images lui revenaient. Le laboratoire d'alchimie de son père ? Pas vraiment. La forêt plutôt, mais pas une plante, non, autre chose, autre chose.

L'odeur gagnait en force, sa source se rapprochait. Elle se rappelait plus clairement maintenant: la cabane des chasseurs dans la forêt dégageait des parfums similaires. Elle s'immobilisa devant une armoire. Pas de doute possible, dans ce placard se trouvait l'origine du désagrément olfactif. Elle l'ouvrit et frissonna alors que ses souvenirs gagnaient en netteté. Rien ne se trouvait dans l'armoire, mais l'odeur avait redoublé d'intensité, et Siltafiir savait maintenant ce qu'elle lui rappelait. Par Hircine ! elle s'en rappelait bien. L'image d'un cerf abattu demeuré au soleil pour un temps trop long. Elle hésitait maintenant à dévoiler les secrets de ce placard. De simples taches de sang ne refoulaient pas tant.

Était-ce l'envie de prouver aux gardes qu'ils faisaient mal leur travail ou une simple curiosité macabre ? Elle n'en savait rien, et peu lui importait quand elle poussa le panneau coulissant au fond de la commode. Elle n'eut vraiment le temps d'y songer lorsqu'une scène haute en couleurs explosa dans ses pupilles. Immédiatement, elle referma le panneau et s'enfuit repeindre un coin de la pièce à l'aide de son dernier repas. Un chevreuil décomposé, d'accord, mais ça… Non, ne pas y penser, juste aller prévenir quelqu'un de compétent et le laisser se débrouiller avec ce bordel.

Siltafiir sortit de la maison, inspira un grand coup l'air du nord et se dirigea d'un pas raide vers le centre de la ville. Elle héla le premier garde qu'elle vit sans trop d'espoir et, à sa grande surprise, il lui répondit poliment et s'inquiéta de son teint pâle. Tout le monde n'était peut-être pas constamment désagréable dans cette ville. Elle lui conta donc ses découvertes et s'enfuit aussi vite que possible tandis qu'il assimilait les informations. Elle ne devait rien aux gens de cette ville, ils pouvaient s'estimer heureux qu'elle ait usé de son temps pour élucider la moitié d'un crime à leur place. Qu'ils se chargent du reste. Crétins de Nordiques.

xxx

L'ivresse narcoleptique des deux poivrots lui ayant laissé le champ libre, elle avait pu dormir au chaud dans l'auberge et se préparait maintenant à quitter la ville, direction le sud. Passant devant le bar, elle entendit un homme surexcité conter une aventure extraordinaire à qui voulait l'entendre.

"J'arrive tout juste de Blancherive, et vous savez ce qui se dit là-bas ?"

Siltafiir se figea. Elle reconnaissait cette voix.

"Un Enfant de Dragon est apparu !"

Des murmures enthousiastes s'élevèrent de part et d'autre de la pièce tandis que le messager improvisé savourait l'instant.

"Et il ressemble à quoi ton Enfant de Dragon ? demanda un client sceptique.

- Je ne l'ai pas vue là-bas, et elle n'a dit son nom à personne ou presque, mais je sais que c'est une Brétonne et-

- Une Brétonne ! Et pourquoi pas une elfe tant qu'on y est !"

Siltafiir identifia l'un des ivrognes de la veille. Un mot vibra sur sa langue: iiz voulait réduire cet ignorant au silence, mais elle le retint, non en se taisant, mais en usant de termes moins radicaux.

"Je faisais partie des soldats qui ont abattu le dragon, et j'ai vu cette Brétonne absorber son âme."

Chacun se tut alors, trop intéressé par l'intervenante sortie des ombres. Elle regretta un instant sa témérité, mais pas moyen de reculer, elle se tint droite et revêtit un masque d'impassibilité.

"Siltafiir ? s'étonna le messager.

- Bonjour Ralof.

- Et pourquoi on devrait croire une étrangère qui sort de nulle-part en déclarant qu'elle sait tout mieux que tout le monde, hein ?"

À nouveau, un de ces Nordiques imbibés l'horripilait. Sans dire un mot, elle dégaina une hache aux émanations verdâtres. Un frisson parcourut l'assemblée alors qu'elle traversait la salle d'un pas ferme en direction du soûlard. Ralof s'apprêtait à interrompre un meurtre lorsqu'il sauta de son tabouret, mais rien de tel ne se produisit. En place de cela, Siltafiir présenta pacifiquement son arme à l'homme intimidé et expliqua dans un sourire narquois:

"Ces armoiries sont celles de Blancherive et cette hache est un symbole prouvant que je suis thane de la ville. Si un jarl m'a confié une telle responsabilité, c'est que je dois être, au moins un peu, digne de confiance.

- Tu passes une semaine dans le pays et déjà on te nomme thane ? S'étonna Ralof, mais il se reprit bien vite et revint, sourcils froncés, au sujet le plus important, tu as dit avoir rencontré l'Enfant de Dragon. Vraiment ?"

Immédiatement elle leur parla d'Evangeline, la magicienne à la tignasse et aux mains enflammées, qui avait combattu un dragon face à face, sans broncher, sans jamais reculer, et qui, son devoir accompli, s'était montrée capable d'user du cri sans jamais s'y être entraînée. Les spectateurs s'accrochaient à ses lèvres, les yeux suppliants, quémandant plus de détails, plus d'informations, plus, plus, encore plus ! et Siltafiir adorait ça. D'un mot elle leur faisait pousser des "Ooohh !" et des "Aaahh !", d'un murmure elle tendait leurs oreilles intriguées, d'une exclamation elle leur dressait les cheveux sur le crâne. Elle répondait à toutes les questions, mais prenait garde à rester réaliste. Avec un mensonge pareil, on avait vite fait de se contredire.

Son récit achevé, elle chassa dédaigneusement ses admirateurs éphémères, rejoignit Ralof au bar et ils purent se saluer proprement tout en commandant de l'hydromel. Au moins une tradition nordique qu'elle appréciait.

"Pourquoi avoir menti ?"

Elle s'étouffa dans sa boisson.

"Q-quoi ?

- Je sais que c'est toi l'Enfant de Dragon, ils parlaient tous d'une Brétonne sans magie avec un arc dans le dos. Ne te moque pas de moi.

- D'accord, d'accord, mais ne parle pas si fort, s'il te plaît."

Il s'étonna de cet air terrifié, mais n'oublia pas son interrogatoire.

"Alors pourquoi ? Reprit-il plus doucement.

- Pourquoi pas ? Qui aurait envie de devenir le sauveur du monde du jour au lendemain ? Maugréa-t-elle le nez dans sa chope.

- Tout le monde ?"

Elle le dévisagea d'un air consterné.

"Et les responsabilités, tu y as pensé ? Si je ne fais pas ce qu'on attend de moi, apparemment les dragons vont envahir Bordeciel, puis tout Tamriel. Imagine si j'échoue..."

En disant cela, elle eut un aperçu de l'importance de son rôle. Cela l'effrayait de plus en plus.

"C'est un honneur sans pareil, s'agaça Ralof, je ne connais personne dans le pays qui serait mécontent d'un tel pouvoir.

- Je ne m'attendais pas à ce que tu comprennes, siffla-t-elle en ramassant ses affaires, je te demanderai juste de ne pas trop parler de moi, mais tu peux mentionner Evangeline, si tu veux.

- Pourquoi l'appeler "Evangeline" ?

- On croirait entendre Frodnar avec tous tes "pourquoi", moqua-t-elle avant de répondre, c'est comme ça que s'appelle ma sœur. J'avais besoin d'un nom de magicienne et le temps me manquait pour y réfléchir. En parlant de ça, je dois y aller, il faut que j'atteigne Faillaise avant la nuit.

- Attends, j'ai une dernière chose à te demander.

- Quoi ?"

Il semblait soudain hésitant, presque intimidé.

"Est-ce que tu pourrais me montrer un cri ? Pas ici bien sûr, mais… même en servant parmi les Sombrages pendant des années, je n'ai jamais vu Ulfric s'en servir, du coup je me demande comment c'est.

- Il est aussi Dovahkiin ? s'étrangla-t-elle, les yeux écarquillés.

- Non, non, il a juste étudié avec les Grisebarbes, au-

- Au Haut-Hrothgar, oui, j'en ai entendu parler, coupa-t-elle d'un ton soudainement nerveux, je quitte la ville maintenant, si tu tiens tant à voir le Thu'Um, dépêche-toi."

Elle n'écouta aucune protestation et s'avança rapidement vers la sortie. Si ça pouvait le faire taire, bien, elle jouerait à l'animal de foire et lui présenterait son petit spectacle vocal, mais il ne lui volerait pas une minute de plus. Ulfric Sombrage, ayant étudié la voix, était certainement la personne la mieux placée pour découvrir sa véritable identité; mieux valait mettre le plus de foulées possibles entre elle et ce jarl. Elle passa donc les portes de la ville, le sombrage sur ses talons. Ils traversèrent les écuries, puis s'enfoncèrent dans un bosquet, puis avancèrent un peu plus, puis passèrent un étang, puis marchèrent encore, jusqu'à que Ralof perde patience.

"Je ne vais pas attendre de voir Faillaise, il n'y a personne ici, alors vas-y !"

L'Enfant de Dragon lui jeta un regard assassin, mais admit qu'effectivement aucune âme ne vivait alentours. Elle soupira, inspira profondément et…

"Attention !"

Siltafiir roula au sol, esquivant ainsi l'attaque d'un loup affamé que Ralof s'empressa d'affronter, mais s'exposant de ce fait à un second molosse enragé. Les loups se déplaçaient toujours à plusieurs, elle aurait dû s'en rappeler. Il bondit, les crocs tendus vers sa proie désarmée et les griffes luisantes d'une faim insatiable. Pas d'arme en main, pas le temps de dégainer. Pas de bouclier non plus, même situation. Tombée à terre, pas d'esquive possible. Aucun témoin gênant, pas de problème.

IIZ

L'animal heurta le sol dans un choc sourd, maintenant enveloppé d'un cocon glacé. Ces quelques secondes de répit permirent à la Brétonne de saisir sa hache et le loup ne fut bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Immédiatement elle se tourna vers le sombrage, mais s'accorda un peu de détente en voyant qu'il s'était aisément débarrassé de l'autre animal.

"J'avoue que ça valait la peine d'attendre, souffla-t-il après cette démonstration en situation réelle, mais je comprends de moins en moins pourquoi tu veux te cacher."

Elle demeura silencieuse, la gorge statufiée par son cri de glace, mais lui renvoya un regard las. Elle n'insisterait pas dans ses explications, les nordiques avaient la tête trop dure pour cela. Ils se séparèrent donc après de rapides adieux, Ralof regagnant Vendeaume les yeux brillants d'un souffle glacial et Siltafiir poursuivant son chemin en direction du sud, vers la Guilde des Voleurs.

xxx

Ayant finalement fait acte de présence à la caserne de la ville, Ralof put, sans remords, reprendre son annonce du retour de l'Enfant de Dragon. Agrémentée de quelques menues modifications bien-entendu. Mais alors qu'il traversait le hall du Palais des Rois, direction la taverne, le jarl le salua chaleureusement, s'inquiétant au passage de son absence prolongée. Feinte ou non, le chef rebelle faisait montre d'une constante considération pour ses subordonnés, les écoutant et les encourageant sans jamais tenir compte de leur grade. Le soldat, légèrement empourpré par l'intérêt que lui portait l'un des hommes les plus influents du pays, bégaya quelque peu avant de finalement se ressaisir, endosser sa posture militaire et répondre clairement:

"J'ai reçu de mauvaises blessures pendant qu'on s'échappait d'Helgen, alors j'ai dû rester quelques jours chez ma soeur le temps de pouvoir voyager. Mais ce n'est pas le plus important, parce qu'un Enfant de Dragon est apparu !"

Ses mots, bien que prononcés dans la langue des mortels, ébranlèrent le jarl et son bras-droit plus puissamment qu'un cri de dragon. L'expression amicale s'était muée en un regard avide d'informations. Informations que Ralof hésita un instant à fournir. Mentir à son jarl, à son roi légitime, lui inspirait un dégoût certain, mais trahir sa parole d'honneur ne l'enchantait guère plus. Peut-être aurait-il dû y penser plus tôt. Il prononça finalement le nom d'Evangeline, la magicienne de Haute-Roche, s'attirant une paire de regards étonnés, mais malgré tout convaincus. Ce n'est que lorsqu'il mentionna son amie soi-disant sans pouvoirs que son auditoire l'interrompit :

"C'est donc cette Brétonne qui vous a informé des détails concernant le Dovahkiin ?

- Oui, comme je vous l'ai dit, elle était présente sur les lieux au moment où l'âme du dragon a été absorbée. Je l'ai rencontrée ce matin même par hasard, elle m'a tout raconté, jusqu'au nombre de flèches et de boules de feu qu'il a fallu pour abattre la créature.

- Marrant comme elle se trouve partout où il y a des dragons. Grommela Galmar, s'attirant les regards intéressé et nerveux des deux autres hommes.

- En effet… Et a-t-elle mentionné la direction qu'a prise l'Enfant de Dragon ?"

Ralof se gratta les cheveux, ne sachant trop que dire.

"Je ne sais pas trop… Vers le Haut-Hrothgar j'imagine, elle va sûrement répondre à l'appel des Grisesbarbes. Je l'ai entendu depuis Rivebois, vous avez bien dû en percevoir quelques échos, non ?

- En effet, mais je ne m'attendais pas à recevoir une explication si rapidement, alors que je n'avais même tenté d'en obtenir, et surtout pas avec tant de détails. Quoi qu'il en soit, nous nous devons de contacter cette Enfant de Dragon le plus vite possible, de préférence avant l'Empire; s'approprier son soutien durant cette guerre pourrait nous octroyer un avantage décisif. Si le mot se répand qu'une légende vivante a rejoint nos rangs, les chances sont grandes que tous les indécis et mêmes certains partisans de l'Empire, se tournent à leur tour dans notre direction."

Ralof comprit soudainement qu'être l'élu des dieux impliquait effectivement plus qu'un simple talent pour les langues. Son amie n'avait peut-être pas tort de redouter la profession. Il fut extirpé de sa rêverie par la voix insistante d'Ulfric.

"Il nous faut aussi retrouver votre informatrice, l'autre Brétonne, peut-être a-t-elle omis des faits importants…

- J'essaierai de la contacter, mais je ne pense pas qu'elle ait grand-chose à ajouter, répondit-il hâtivement.

- Peu importe, je ne veux rien risquer. Merci pour ces informations, Ralof. Vous pouvez reprendre vos activités."

Chacun s'apprêta à reprendre son train-train quotidien, lorsque le jarl fit volte-face.

"Attendez, encore une chose. Comment se nomme-t-elle ?

- L'Enfant de Dragon ? Evangeline.

- Non, l'autre, l'informatrice.

- Ah. Elle, c'est Siltafiir. Siltafiir Viingnu".

À suivre...

Oh, j'ai beaucoup hésité pour celui-là, fait plein de réécritures, et tout le tintoin. Mais je pense que je ne peux pas faire mieux à l'heure actuelle.

Un avis serait bienvenu, que ce soit parce que vous ne comprenez pas quelque chose, ou alors des suggestions, ou simplement si vous remarquez des fautes d'orthographe/grammaire/etc... Ou juste parce que vous aimez bien, c'est toujours motivant. :)

Mais j'espère avant tout que vous vous amusez à lire cette histoire, c'est mon but premier !