Tahrodiis Ov ! Traître Confiance
"Déjà de retour ? Tu abandonnes le travail après seulement trente minutes ?" Railla Vex à la figure encapuchonnée qui venait d'apparaître.
Elle ne reçut pour réponse qu'un vase richement décoré et un sourire victorieux.
"Bon, d'accord, j'ai rien dit, voilà ta paye. Soupira-t-elle en roulant des yeux.
- Fais pas cette tête, c'est pas comme si voler un truc à Bolli était compliqué. Si tu veux vraiment m'éloigner donne-moi du boulot à Markarth; c'est à l'autre bout du pays et leurs gardes sont vachement plus vigilants.
- J'y penserai. Pendant que je cherche, qu'est-ce que tu dirais d'une virée à Solitude ?"
Elle n'attendit pas de réplique et fourra dans les mains de son interlocutrice un diadème orné.
"Dépose ça dans la maison de Bryling, et tu connais la règle: toujours finir le boulot…
- …avant de se saouler. Je crois avoir pigé, ouais."
Vex esquissa un geste pour refroidir l'impudente, mais celle-ci fuyait déjà vers la sortie. Sa course fut vite interrompue par un homme chauve à la voix flatteuse. Il lui désigna une chaise à sa table, l'air plus sérieux que d'ordinaire et, une fois installée, lui offrit une bouteille d'hydromel.
"Tu ne me payes jamais de verre, Del', remarqua-t-elle, en fait, tu ne payes jamais de verre à personne. C'est que tu dois vouloir me dire un truc vraiment important.
- En effet."
Il engloutit quelques gorgées de sa propre boisson puis continua.
"Les Sombrages sont agités ces temps-ci, ce qui ne manque pas d'agacer les impériaux, d'ailleurs."
Malgré le capuchon qui dissimulait la moitié du visage de sa collègue, il devinait aisément les pupilles perçantes qui le fixaient intensément. Rien dans l'expression de la jeune fille ne trahissait de peur ou de nervosité, mais la force de son regard révélait un intérêt certain pour le sujet. Delvin continua:
"Ils recherchent quelqu'un."
Là, il eut sa preuve. Un frisson parcourut l'accusée de haut en bas, tordant au passage ses sourcils dans une courbe inquiète. Plus qu'une chose dont il devait s'assurer:
"Rien à voir avec la Guilde, n'est-ce pas ?"
Elle soupira lourdement, laissant tomber son regard sur sa bouteille d'hydromel.
"Non, la Guilde n'a rien à craindre. C'est quelque chose de plus… quelque chose d'autre."
Siltafiir se recroquevilla sensiblement, espérant que Delvin n'insisterait pas trop, mais sa réponse vague ne laissait que peu d'options au voleur vétéran.
"Écoute, t'es une gamine talentueuse, on t'aime bien par ici, mais s'il y a la moindre chance que ta situation nous mette en danger, intentionnellement ou non, dis-le. La Guilde est déjà dans une mauvaise passe, mieux vaudrait ne pas en rajouter."
Il sursauta lorsque la tête de la jeune fille heurta la table. Elle s'empressa de le rassurer d'un geste maladroit, mais garda sa tempe contre le bois humide. Devait-elle tout lui raconter ? Son expérience avec Ralof ne l'y encourageait guère. Peut-être que le convaincre d'abandonner les recherches restait faisable. Elle osa un coup d'oeil dans sa direction. Non, certainement pas. Delvin Mallory ne lâchait jamais l'affaire.
"Je ne peux pas t'obliger à te taire, mais… Si tu pouvais en parler le moins possible…" Commença-t-elle en se redressant.
Il tendit l'oreille, soudainement intrigué. Dérober des secrets était une part du métier, une part importante, et ce mystère-là le démangeait depuis plus de deux mois. Dès son adhésion, la brétonne ne s'était intéressée que peu à ses récompenses vénales, préférant de loin s'octroyer les connaissances de ses comparses en matière de furtivité. Le comportement d'une personne qui veut se cacher ou cacher quelque chose. Pour être honnête, il ne pensait pas que la Guilde soit menacée, la petite nouvelle montrait trop de plaisir à la tâche pour être malhonnête, mais peu de gens se dissimulaient des yeux scrutateurs de Delvin, et ceux qui y parvenaient l'impressionnaient autant qu'ils l'agaçaient. Delvin n'aimait pas être agacé à ce point.
"Tout dépendra de ton histoire. Impossible de juger tant que je ne connais pas l'étendue des dégâts. Rit-il en ingurgitant le fond de sa bouteille.
- Je suis Enfant de Dragon."
D'accord, il ne s'attendait pas à ça. Les rumeurs qui circulaient en ville prétendaient que l'Enfant de Dragon était un Bosmer nommé Clendil, de plus, au vu de ce qu'elle avait raconté ces dernières semaines, il s'était préparé à une histoire familiale, peut-être son père qui voudrait la ramener au bercail, ou la fuite d'un mariage arrangé et le fiancé lésé tentant de récupérer son dû, ou même un exil forcé suite à un meurtre, ou tellement d'options plus envisageables. Mais une légende vivante, ça, c'était une surprise. Une surprise bien plus intéressante que tout ce qu'il s'était imaginé. Il hésita un moment à la croire, mais son instinct ne lui conseillait aucune méfiance. Il tenta d'alléger l'atmosphère.
"Et moi qui pensais que tous les Enfants de Dragon étaient des tas de muscles avec des haches plus grosses que leur tête." Déclara-t-il d'un ton qui se voulait nonchalant.
Elle lui décocha un sourire fatigué qu'il rendit immédiatement, mais elle n'ouvrit pas la bouche, attendant visiblement une forme de confirmation de la part de son aîné. La pauvre affichait une nervosité presque contagieuse, pensa-t-il, rester dans cet état diminuerait indéniablement son efficacité au travail. Une recrue si prometteuse, mieux valait la ménager.
"Je ne révélerai pas ton secret, souffla-t-il, ça n'a effectivement rien à voir avec la Guilde. Tant que tu ne mentionnes rien la concernant, bien sûr. Si les autres se posent des questions à cause des soldats, je trouverai bien un truc pour couvrir la vérité. Je dirai quelque chose sur tes parents qui veulent te récupérer, ça convaincra tout le monde.
- Merci…"
Elle ne semblait guère rassurée. Et sa bouteille s'était radicalement allégée. Mieux valait régler ces deux problèmes aussi vite que possible. Delvin déposa devant elle une seconde flasque d'hydromel, ne se privant au passage du même plaisir, puis reprit son investigation. Ce n'était pas tous les jours qu'on pouvait interroger l'élue des divins.
"Donc, si j'ai ben saisi, tu peux voler les âmes des dragons… Murmura-t-il dans un ton de confidence.
- En résumé, ouais. Grommela-t-elle en humant les vapeurs de son alcool.
- Comment c'est ? Je veux dire, quel effet ça fait quand ça arrive ?"
Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Quels effets avaient les âmes de dragons sur sa personne autres que lui apprendre des verbes dévastateurs ? Bonne question. Maintenant qu'elle y pensait, les murs sur lesquels chantaient les mots draconiques lui paraissaient plus faciles à repérer, leurs voix semblaient porter plus loin, plus clairement. Elle ne l'avait réalisé qu'une semaine auparavant, peu après l'absorption d'une cinquième âme, alors qu'un choeur s'était élevé d'une colline aux abords de Faillaise. Seuls des murmures l'avaient atteinte, mais ils résonnaient comme un orage lointain et leurs échos suintaient le pouvoir. Impossible d'y résister.
"Quand ça arrive… J'ai la tête qui tourne."
Delvin attendit un instant, sirotant son rafraîchissement, mais, n'entendant rien de plus, s'éclaircit la gorge pour encourager la gamine. Elle frémit, puis bégaya quelque peu avant de divulguer de plus amples détails:
"C'est un peu comme des voix, mais silencieuses, qui se baladent dans les airs. Ou des lumières chantantes, mais qui utilisent des vibrations au lieu de mots. Ou, non, des souvenirs, mais pas vraiment… " Tout semblait toujours logique jusqu'à ce qu'on le dise à haute voix.
Elle fixa le vide un moment durant.
"L'instinct. C'est comme si leur instinct se mêlait à… et bien, à moi. C'est tout ce que je peux dire. C'est compliqué."
Le voleur afficha une moue déçue. L'Enfant de Dragon ne semblait pas se connaître si bien qu'il l'avait espéré, il ne satisferait pas sa soif de connaissances en ce jour. Mais le plus dur demeurait en arrière, le temps ferait le reste.
"Bon, raconte-moi plutôt comment s'est passé ton travail au Lumidor. C'est rare qu'on confie ce genre de contrat à un nouveau membre et Brynjolf m'avait l'air particulièrement joyeux à ton retour."
Le visage de la jeune fille brilla de fierté et elle s'empressa de conter en détails la totalité de sa mission, de son infiltration par les égouts jusqu'à sa fuite victorieuse par le fleuve. Delvin sentit ses joues poussées vers le haut par un sourire nostalgique. Il revoyait Vex, durant leur jeunesse, se vanter d'un travail accompli sans faux pas, du même ton que cette gamine. Il devait vraiment se méfier, la petite avait le don de se faire apprécier par tout le monde, même Saphir baissait sa garde quand elles se saluaient. Parti comme ça l'était, il tomberait lui-même dans le piège.
"Ah, en parlant de Lumidor, j'avais oublié de te montrer ce truc…" Réalisa-t-elle au milieu de son récit.
Elle sortit de son sac une sculpture luisante, toute plaquée d'or, taillée finement pour suivre les courbes d'une abeille. Trop tard pour Delvin, le piège s'était refermé.
"Et moi qui cherchais cette petite merveille !" S'exclama-t-il.
Il fourra immédiatement une bourse tintante dans les mains de la jeune recrue sans cesser d'examiner l'objet de ses désirs. Trop absorbé dans la contemplation de sa nouvelle acquisition, il laissa Siltafiir s'éclipser sans protester. Une statue de Reine des Abeilles, ça ne se voyait pas tous les jours. Son cerveau grinçait activement tandis qu'il marchait vers le centre de la Guilde.
Il devait réfléchir calmement. Cette décision était capitale.
Quelle étagère la mettrait le mieux en valeur ?
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La difficulté, lorsqu'il s'agissait de vider les poches de Nivenor, ne résidait pas en la récupération même de l'objet, mais bien dans son identification. L'elfe brillait de la tête aux pieds. Avec tous les bandits qui rôdaient dans le pays, une promenade loin des remparts de Faillaise ne lui durerait pas dix minutes, pensa Siltafiir. Hélas, impossible d'en finir avec sa vie, car les voleurs, les vrais voleurs, agissaient avec honneur, et un meurtre commis uniquement pour se faciliter la tâche ne s'appréciait guère dans la Souricière. Le seul comportement à adopter consistait donc en une filature soutenue, sans quitter la cible des yeux.
Passant les étals du marché, elle scrutait les manches de sa proie avec avidité. Celle-ci avançait entre les passants, ne daignant les observer qu'avec mépris, glissant son regard indifférent sur les marchandises exposées alentours avec toute l'attitude d'une débutante en noblesse. Un trait courant en Haute-Roche, pour le plus grand dam de la voleuse. Tandis que sa patience s'effritait devant le manque d'intérêt hautain que Nivenor prodiguait à tout ce qui croisait ses pupilles, elle intercepta un geste discret venant de Brynjolf. Le nordique, entretenant son éternel étal de biens douteux, leva sa main gauche et pointa un des doigts qui s'y dressaient. L'annulaire. Siltafiir cligna des yeux et, un instant plus tard, décocha un sourire radieux au rouquin avant de fondre sur sa victime.
L'anneau qu'elle devait rapatrier se trouvait sur l'annulaire gauche. Comment Brynjolf le savait-il ? Peu importait, il ne lui donnait jamais d'informations erronées. C'était suffisant.
Sachant cela, elle termina le travail rapidement, ce doigt ayant été rendu pratiquement insensible par les allées et venues trop fréquentes de sa bague de fiançailles. Trop facile. Elle s'apprêta à rejoindre la Guilde pour recevoir sa récompense, quand un groupe de trois soldats attira son attention. Ils encerclaient Brynjolf, semblant l'interroger, mais, au grand soulagement de la jeune fille, usaient d'un ton sans menace. Sa nervosité revint néanmoins au galop lorsqu'une voix connue s'échappa du lot.
"Une brétonne, environ vingt ans, commença un des sombrages, discrète au premier abord, mais assez susceptible si on la provoque. Elle aime bien l'hydromel et-
- Et tu vas encore lui dire qu'elle aime les chiens et les couchers de soleil ? Interrompit un de ses collègue. C'est pas ce genre d'info dont il a besoin pour la reconnaître. Donc une brétonne, pas très grande, cheveux blonds et courts, trois cicatrices sur la joues gauche, des yeux… euh…
- Dorés. Et légèrement en amande." Termina le premier homme.
Ses deux comparses étouffèrent, sans trop de succès, leur accès hilare.
"T'es trop drôle Ralof ! Cinq mois que tu l'as pas vue et tu te souviens de tout sur elle ! Tout ! Je te l'avais dit, Stern, il est fou de sa petite Brétonne !"
Ralof, soudainement empourpré, arrosa les deux autres de menaces fort colorées, n'arrangeant rien à leur euphorie. Siltafiir croisa à cet instant le regard pétillant de Brynjolf, et l'entendit rire aux éclats alors qu'elle faisait volte-face en rabaissant son capuchon si bas qu'elle puisse dans l'espoir de dissimuler ses joues embarrassées.
"Du calme messieurs, prenez donc le temps d'observer mes marchandises pendant que j'essaie de me rappeler si j'ai effectivement vu cette jeune fille…" Perçut-elle encore avant que le brouhaha du marché n'engloutisse leurs paroles.
Elle fronça les sourcils et planifia sa soirée: récupérer sa paye auprès de Delvin, puis tout donner à Vekel en échange d'une soupe et de tout l'hydromel qu'elle pouvait ingurgiter. Gardez la monnaie. Ouais, bon plan.
Son horaire finement travaillé s'effondra lorsqu'un cri tonitruant secoua l'entier de la ville. Un cri venu du ciel.
"Pook !" Jura-t-elle en courant prestement vers une zone abritée.
La ville s'agita, ses habitants grouillaient au travers des rues, fuyaient l'ombre mortelle qui tombait d'entre les nuages dans un désordre terrifié. Seuls quelques-uns, en plus des gardes, avaient tenu leur position, l'arme en main, attendant de voir clairement la bête. Le dragon volait en cercles sur la cité, jaugeant ces mortels dans un ricanement orageux. Beaucoup frissonnèrent lorsqu'il écrasa le toit d'une boutique et hurla ses flammes en direction de ses opposants, mais chacun conserva sa posture et les flèches fusèrent vers la créature cauchemardesque sans tarder.
L'ennemi s'envola à nouveau, et la bataille continua ainsi un moment durant, vidant les carquois et chauffant les armures plus que de convenance. Mais les mortels résistaient. Sous son capuchon, Siltafiir jetait de fréquents coups d'oeil à Ralof, surprise par l'assurance qu'il montrait devant le lézard légendaire. Leurs attaquent s'étaient effectivement multipliées ces derniers temps, le sombrage devait porter son lot de cicatrices. Malgré cette distraction, la brétonne n'attaquait pas moins, et chaque trait qu'elle jetait au dragon faisait mouche. Peut-être à son désavantage; le monstre la remarqua.
"Pook." Murmura-t-elle.
Elle tenta de s'abriter derrière une maison, mais l'ennemi la contourna et atterrit juste derrière elle. Pour changer. Elle fit face, plus que jamais heureuse de porter son capuchon bien bas. Ses yeux horrifiés n'auraient fait qu'encourager l'ennemi. La bête ouvrit sa mâchoire pointue, roulant sa gorge dans un grondement de mauvais augure, puis susurra des mots que Siltafiir se surprit à comprendre.
"Mal joor los suleyknu. Gloussa-t-il.
- Mey sivaas fen kos dilon." Rétorqua-t-elle, plus vexée que de raison.
Rencontrer des draugrs aux quatre coins du pays l'avait préparée à ce genre de joute verbale. Les cadavres mouvant n'avaient de cesse de la provoquer à coups d'insultes draconiques diverses et variées, et leurs mots, à force, s'étaient inscrits dans le vocabulaire courant du Dovahkiin.
Le dragon écarquilla les yeux une seconde, peu habitué à ce genre de réaction de la part de ces vers sans ailes, mais ne s'en trouva que plus enthousiasmé. Une conversation sérieuse, rien de tel pour reprendre l'activité après plusieurs millénaires de silence. Il ouvrit à nouveau sa gueule, décidé à balayer cette mortelle impudente hors de sa vue et loin de ses oreilles, mais grogna quand une masse bruyante lui heurta le côté. Un des gardes de la ville. La lame de son nouvel opposant soulevait ses écailles et griffait sa peau, lui arrachant des grognements énervés. Son attention détournée, Siltafiir trouva le temps de dégainer et rejoignit l'autre combattant, bientôt imitée par tous les guerriers présents. L'un des gardes trouva sa perte entre les dents gigantesques, mais il fut la dernière victime du reptile volant. Le monstre s'effondra.
Les hommes commençaient se féliciter pour leur victoire laborieuse, quand l'un d'entre eux s'exclama:
"Il prend feu !"
Tous reculèrent hâtivement sans quitter l'anomalie des yeux et des cris s'élevèrent dans l'assemblée en même temps que les flammes gagnaient en puissance. Ralof, ayant déjà participé à l'élimination de trois dragons lors de ses missions au travers du pays, s'en étonna d'autant plus. Les précédents étaient restés intactes, entiers, mais celui-ci partait en lambeaux incandescents. Pourquoi ? Les braises magiques se collèrent les unes aux autres au-dessus du cadavre, puis, soudainement, s'enfuirent dans une ruelle à l'abri des regards. Seul le sombrage sembla y prêter un quelconque intérêt, les autres témoins trop absorbés par le squelette immaculé qui trônait maintenant au centre de la ville, il poursuivit donc la flambée mystique sans tarder. Si son intuition s'avérait exacte, la personne qu'il recherchait depuis des mois se trouverait à l'autre bout de cette piste. Il s'agita en ne voyant plus les lumières, mais retrouva sa confiance en apercevant une silhouette qui s'enfuyait vers le cimetière. Il courut si vite que ses jambes voulaient le porter. Atteignant les tombes, il ne put retenir une exclamation triomphante.
À l'entrée d'un minuscule tombeau se dressait une figure encapuchonnée. Celle-ci à moitié penchée sur un cercueil, s'immobilisa en entendant l'intrus. Elle se retourna lentement.
"Pook… Grommela-t-elle en le reconnaissant.
- Content -ah- de te voir -ha- aussi." Toussota-t-il en reprenant son souffle.
Elle lui renvoya un regard meurtrier, calmant d'entrée ses élans d'humour.
"Est-ce que tu as révélé mon identité à quelqu'un ? Demanda-t-elle sans détour. Il l'avait retrouvée de toute façon, autant en profiter pour régler ses comptes.
- Pas vraiment…
- Comment ça : "pas vraiment" ? Gronda-t-elle. Les sombrages demandent partout où je suis, ce que je fais, je ne peux pas voyager d'une ville à l'autre sans me faire poursuivre par des militaires, et pour ne rien arranger vous, meyye, avez alerté les impériaux ET les thalmors avec vos enquêtes dénuées de la moindre discrétion. Je ne peux aller nulle-part sans me cacher."
Tout cela lui avait pesé sur le coeur, elle devait l'avouer, et déverser sa frustration lui procurait un bien fou.
"Laisse-moi m'expliquer, s'il-te-plaît, quémanda-t-il d'une voix plus aigüe que d'ordinaire, je n'ai jamais dit qui tu étais vraiment, mais Ulfric m'a demandé de lui rappeler ton nom. Quand il l'a entendu, il a crié: "C'est elle l'Enfant de Dragon, ça ne peut pas être une coïncidence !". Je te le jure sur Talos ! C'est vrai !"
Elle s'attendrit quelque peu devant ses yeux suppliants, mais un élément faisait défaut à son histoire.
"Il a dit ce que mon nom a de spécial ? Murmura-t-elle d'une voix orageuse.
- Et bien, oui… Et je dois dire que ça laisse peu de place au doute. "Voleur d'âme sans ailes", ou plutôt voleuse dans ton cas, voilà ce qu'il veut dire en langue draconique. Tu ne savais pas ?"
Elle répondit négativement. Vu sous cet angle, Ralof n'avait commis aucun faux pas. À dire vrai, si quelqu'un était à blâmer, elle montait en tête de liste. Un nom si peu discret, quelle idée ! Un peu tard pour en changer malheureusement. Elle croisa son regard et s'excusa de l'avoir accusé à tort.
"Et donc, maintenant que tu m'as trouvée, tu comptes faire quoi ? S'enquit-elle en scrutant le visage du soldat.
- Mes ordres sont clairs: ramener la dénommée Siltafiir Viingnu à Vendeaume. Pour être précis, seuls Ulfric, Galmar son bras-droit et moi savons qui tu es vraiment. Tous les autres connaissent uniquement ton apparence. Il ne voulait pas risquer de tout dévoiler à l'ennemi si un de nos hommes se faisait capturer. Le jarl te veut de notre côté pour cette guerre et, honnêtement, je ne peux que le soutenir.
- Tu pourras lui dire qu'il s'y prend mal, cracha-t-elle, mais je réitère ma question: qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Je ne sais pas… Soupira-t-il. Cela fait des mois qu'on te cherche. Ulfric est de plus en plus nerveux."
Il soutint le regard de Siltafiir malgré les ombres menaçantes qui en émanaient. Décidément, amoureux ou non, on n'oubliait pas des yeux comme ceux-là.
"Malheureusement, continua-t-il, notre cible demeure insaisissable. Je ne serais pas étonné que l'on rentre bredouilles une fois encore de notre mission. L'Enfant de Dragon sait se montrer discrète."
Ses traits s'illuminèrent lorsqu'il entendit le soupir soulagé de la brétonne. De toute manière, se disait-il, la forcer à rejoindre la rébellion ne ferait qu'envenimer la situation. Il savait également de quoi ses cordes vocales étaient capables, finir comme le loup congelé ne le tentait guère. Cela étant, il ne pouvait la laisser filer si aisément.
"J'aimerais quand même que tu m'écoutes, ça n'engage à rien. T'avoir de notre côté serait décisif.
- Je ne suis pas si puissante, tu sais. Marmonna-t-elle.
- Ce n'est pas ça, mais ta réputation nous donnerait un avantage; nos actions gagneraient en légitimité aux yeux des habitants, expliqua-t-il rapidement, cela dit, le Thu'Um reste un atout pendant les batailles, ce n'est pas négligeable.
- Donc, tu essaies de me dire que si je rejoins l'Empire, vous êtes certains de perdre la guerre".
Le coeur de Ralof manqua un battement. Étrangement, cette idée ne l'avait pas même effleuré.
"Ils ont essayé de t'exécuter le jour de ton arrivée dans le pays, tu n'y penses pas ! Grogna-t-il.
- J'ai tenté de saboter une embuscade qui visait le chef de la rébellion, leur principal ennemi, ils ont juste fait leur boulot. Honnêtement, avec tous les ennuis que m'ont apporté les sombrages, je commence à trouver les impériaux fort raisonnables."
Ralof ne savait que répondre. Il se gratta la barbe, se gratta les cheveux, se gratta la nuque, mais ne trouva rien qui éviterait de la pousser encore plus vers l'Empire.
"Mais, reprit-elle, tu es la première personne sympathique que j'aie rencontrée en arrivant en Bordeciel. Ca m'ennuierait de hausser la voix contre toi. De toute manière, le résultat serait identique, peu importe ma décision. Impériaux, sombrages, mêmes attentes. Mêmes devoirs. Mêmes responsabilités. Je crois que je vais rester sur mon idée première: n'aider personne. Débrouillez-vous avec vos querelles."
Elle se désola un instant devant la déception évidente du soldat, réalisant que ses mots l'avaient sûrement plus blessé que ce qu'elle désirait. Dire qu'elle ne percevait nulle différence entre les rebelles et les impériaux devait l'avoir secoué, sans compter l'agressivité de son ton. Elle s'approcha et lui posa une main sur l'épaule. Qu'est-ce qu'il était grand ! Elle se sentait soudain stupide à tendre le bras ainsi, mais elle conserva sa contenance et serra doucement ses doigts dans un geste apaisant.
"Je n'ai pas ce qu'il faut pour prendre part à une guerre, surtout pas dans un rôle si important. Mais je peux te promettre une chose: l'Empire ne recevra aucune aide de ma part. Je le jure sur Talos.
- Ne plaisante pas avec le nom de Talos. S'agaça Ralof.
- Je suis parfaitement sérieuse".
Ralof se détendit, lui renvoya un sourire reconnaissant, puis tapota amicalement l'avant-bras de la jeune fille.
"Baisse ça, tu vas choper une crampe".
Elle s'empourpra et, retirant sa main, rétorqua aussitôt dans un reniflement théâtral:
"Ne me provoque pas ! J'ai beau être du genre discrète, je suis aussi très susceptible. Mais tu le savais déjà, pas vrai ?"
Il imita son amie de par ses joues écarlates et, la tête enfoncée entre les épaules, tenta de dissimuler son embarras en observant les fleurs et pierres tombales alentours. Après quelques secondes, il osa un regard vers elle et tous deux s'esclaffèrent à l'unisson. Rien de tel pour se ragaillardir. L'heure des au-revoir sonna bientôt, Ralof arguant que ses collègues devaient le chercher et Siltafiir désirant toujours noyer sa journée sous une cascade d'hydromel. Le sombrage disparut entre les bâtiments et, tandis que la brétonne s'apprêtait à ouvrir le passage secret menant à la Guilde, un raclement de gorge lui hérissa le poil. Elle se retourna hâtivement, le coeur fou, mais inspira calmement en reconnaissant Brynjolf.
"Enfant de Dragon, hein ? Je ne m'attendais pas à ça quand je t'ai recrutée, jeune fille."
Pook. Une personne de plus dans la confidence. Siltafiir se demanda si sa paye lui achèterait assez d'alcool pour supporter les derniers événements.
"Mais on a tous nos secrets, surtout les membres de la Guilde, reprit le voleur au grand plaisir de sa cadette, je ne vais pas t'en vouloir d'entretenir un jardin secret. Ce qui m'intéresse, par contre, c'est ce jeune homme qui vient de partir".
La brétonne déglutit difficilement. Les sourcils de Brynjolf se rejoignaient presque tandis qu'il avançait vers elle d'un pas lourd, le dos droit et les narines dilatées. Brynjolf n'agissait jamais comme ça. Qu'avait-elle donc fait de si grave ? Il se pencha lentement vers le visage de la jeune recrue, ne quittant jamais son expression grave, puis, alors qu'elle tremblait de haut en bas sans oser bouger un membre, ses yeux pétillèrent de malice.
"Je crois que ce sombrage t'a dans la peau, et j'ai l'oeil pour ça. Ricana-t-il en pointant son globe oculaire d'un index épais.
- N'importe quoi, répondit-elle d'un ton empreint de vexation, tous les nordiques, que dis-je, tous les hommes que j'ai rencontrés depuis mon arrivée ici n'aiment que les femmes fortes, courageuses ou bonnes cuisinières. De préférence les trois en même temps. Je ne remplis aucun de ces critères, et pour tout dire ce n'est pas exactement dans mes priorités.
- Tu te sous-estimes, jeune fille, et je reste sur ma première déclaration, rit-il en poussant la tombe qui masquait l'entrée de la Guilde, mais c'est toi qui vois. Mes observations sont toujours correctes, ne l'oublie jamais."
Elle le suivit dans les sous-sols de la ville, méditant sur ses paroles. En admettant que Ralof ait jamais entretenu ce genre de sentiment, que ressentait-elle pour le soldat ? Elle l'appréciait, certes, mais à ce point… ? Secouant la tête, elle chassa ces songeries et accrocha un sourire de façade à ses lèvres en apportant l'anneau de Nivenor à Delvin. Ses pensées couraient frénétiquement dans son crâne alors qu'elle acceptait sa récompense sans un mot pour aller la dépenser au comptoir du bar. La plus bruyante d'entre elles concernait son nom. Ce nom qu'elle croyait avoir choisi et qui la trahissait maintenant, quand les choses se déroulaient plutôt bien. Elle engloutit la moitié de sa bouteille et grommela quelques jurons dans une langue incompréhensible. Siltafiir Viingnu, ce sobriquet auquel ses espoirs, ses rêves de liberté se rattachaient, ne valait plus rien. Elle qui suppliait Clendil, le fils du chasseur qui l'avait dérobée aux griffes d'un ours, de l'appeler comme ça au lieu de son vrai nom… En y repensant, son nom d'Enfant de Dragon, malgré le fardeau qui l'accompagnait, surpassait "Ursanne Riscel" en matière d'élégance. Ursanne Riscel. Cela faisait une éternité que ces syllabes ne l'avaient effleurée.
Un instant durant, elle se crut revenue dans sa chambre de Haute-Roche, assise sur son lit épais, habillée de vêtements sophistiqués. Avec des cheveux longs, comme Clendil les aimait. Elle frotta distraitement l'arrière de son crâne, puis s'infligea une correction mentale pour avoir désiré, même une seconde seulement, retourner là-bas, dans cette prison dorée. Tous les hommes du monde ne valaient pas qu'on se prive de tant de libertés.
Puis elle renifla. De quelles libertés parlait-elle ? Certes, son travail en Bordeciel impliquait de rester discrète, mais les recherches des sombrages et la méfiance des autres clans militaires l'entrainaient dans une déformation professionnelle compulsive. Le seul moyen de leur échapper définitivement serait de vivre en ermite, au sommet d'une montagne fouettée par les vents et intempéries. Comme les Grisebarbes, par exemple. Les Grisesbarbes. Une autre sujet qu'elle préférait éviter. Elle avait ignoré leur appel, et comme pour la punir d'une telle audace, les attaques de dragons s'étaient décuplées. L'affrontement d'aujourd'hui sonnait clairement comme une invitation violente vers le monastère. Un seul homme avait perdu la vie, mais si ç'avait été Brynjolf ? Ou Ralof ? Ou n'importe quel membre de la Guilde ? Elle déglutit d'inconfort et termina sa bouteille, s'empressant d'en commander une supplémentaire. Vekel, le tenancier, habitué à la voir plus animée, s'enquit de son état:
"Oh, rien de bien méchant, grinça-t-elle, juste un dragon qui a décidé de visiter la ville. Yep, rien d'anormal.
- Tu peux répéter ? S'étrangla Tonilia, la revendeuse attitrée des lieux, depuis une table voisine.
- Je ne sais pas trop comment, mais il n'a fait qu'une seule victime, continua la brétonne, faut croire qu'on s'habitue à leurs attaques, parce qu'il n'a pas duré très longtemps non-plus."
Mey sivaas, pensa l'Enfant de Dragon en esquissant un sourire venimeux.
Elle leur conta brièvement la bataille, puis, leur curiosité satisfaite, reprit son activité en commençant par une longue lampée d'hydromel. Ce combat contre la bête, et surtout sa victoire, lui avait ouvert les yeux sur un fait: absorber des âmes l'influençait, la changeait. Pour le mieux ou le pire, elle n'en savait trop rien, mais tirer cela au clair prenait graduellement la tête de ses priorités. Sans compter les dragons de plus en plus fréquents. Oui, rencontrer les Grisesbarbes lui apparassait maintenant comme un impératif. Elle referma sa bourse, vendit à Tonilia tout l'équipement inutile qu'elle transportait et s'approcha de Delvin, assis à la même table que le jour où elle lui avait révélé son secret.
"J'y repense juste maintenant, mais j'ai récupéré ça en remplissant le contrat de Maven". Ricana-t-elle en déposant une cruche toute aussi brillante que la statue du Lumidor devant son confident.
Il s'empara sans délai de l'objet scintillant et, tout comme la dernière fois, jeta sa récompense monétaire sur la gamine sans détacher ses yeux du précieux bibelot. Elle imita également son comportement passé et s'enfuit prestement dans la nuit. Si son aventure d'Enfant de Dragon se finissait mal, elle laisserait au moins un bon souvenir à Delvin.
À suivre…
Mots draconiques:
Mal joor los suleyknu - (Le) petit mortel est sans pouvoir
Mey sivaas fen kos dilon - (L')idiote bête va mourir
Pook - (ça) pue
Meyye - Idiots
Toutes ces traductions se sont faites à l'aide d'elderscrolls. wikia. com, rubrique "Dragon Language" et avec thuum. org.
Voici donc la fin du troisième chapitre, légèrement plus long que les autres, pleine de dialogues à la pertinence relative, mais poussant le scénario vers l'avant. J'hésite encore sur la façon de gérer la relation avec Ralof. Une petite amourette de passage paraît bien simple, mais j'ai peur de m'étaler dans le drame…
Comme toujours, j'espère lire vos reviews. Les critiques sont plus que bienvenues, concernant l'orthographe, la grammaire ou une incohérence scénaristique.
Aimer simplement l'histoire est également une raison suffisante pour commenter.
En espérant que cette fic' vous plaît, à tout bientôt.
