Nunon Nokke ! Seulement des Mensonges

Requérir l'assistance d'un prêtre de Mara, déesse de la famille, de l'amour-propre, protectrice des guérisseurs et défenderesse de la paix, pour récupérer une arme daedrique semblait quelque peu déplacé à Siltafiir, mais découvrir que ce même prêtre désirait également son aide chassa vite ses peurs. Il la guida jusqu'à un temple décrépit perché une centaine de mètres à peine au-dessus de la ville et lui expliqua ses motivations durant le trajet. Ces ruines abritaient le Crâne de la Corruption, emblème de Værmina, qui dévorait les songes de toute personne ronflant à proximité, et le dénommé Erandur s'était juré de détruire cet objet maléfique. La jeune fille n'appréciait guère les conflits d'intérêts et celui-là s'avérait particulièrement agaçant, mais tant qu'elle suivait cet elfe sans lui révéler ses intentions réelles, tout se déroulerait sûrement sans anicroche. La porte de l'édifice franchie, ses doutes revinrent au galop; le Dunmer se déplaçait avec assurance au-travers des couloirs sombres, n'hésitant jamais devant un croisement et récitant fluidement à sa nouvelle associée la liste des sortilèges et enchantements utilisés lors de la construction de ce temple. Sans y être jamais entré.

Une première paire d'ennemis interrompit les réflexions soupçonneuses de la Brétonne; deux orcs, qu'elle avait cru morts au premier abord, se levèrent soudainement, soufflant et toussotant. Elle empoigna son arc et, sans attendre, abattit les deux guerriers, aidée dans sa tâche par la léthargie dont ils ne s'étaient totalement extirpés.

"Ce sont les envahisseurs que vous avez mentionnés, n'est-ce pas ? Questionna-t-elle en rengainant. Ceux qui ont entraîné le déclin du temple ?

- Oui, des victimes du Miasme, répondit Erandur en frissonnant, nous en verrons sûrement d'autres plus loin.

- Si nous pouvons aller plus loin…" Grogna-t-elle en s'approchant d'une barrière translucide.

Un mur magique bloquait l'accès à leur but, alimenté par une gemme placée juste à portée de regard mais hors d'atteinte des corps physiques. Siltafiir soupira. Jamais une construction en Bordeciel n'offrait d'itinéraire pratique; il se trouvait toujours une porte cadenassée, un enchantement mystérieux ou une énigme piégée pour agacer les explorateurs pressés.

"Il n'y a pas d'autre chemin, déclara alors l'elfe noir au plus grand désespoir de son acolyte, mais peut-être trouverons-nous un moyen d'avancer dans la bibliothèque".

Aucune surprise, aucune hésitation ne transparaissaient dans sa voix, comme un mauvais barde réciterait platement uns saga apprise par coeur, et lorsqu'il sortit d'une sacoche les clés de l'endroit nommé, sa supercherie franchit définitivement les limites du crédible.

"Arrêtez votre petit jeu, s'énerva la jeune fille, un bon mensonge requiert plus que des mots bien placés. Comment savez-vous tant de choses sur ces lieux ?

- La duperie n'est pas exactement un héritage de Dame Mara. Se justifia-t-il en détournant les yeux.

- Je me fiche de savoir pourquoi vous feriez un mauvais commerçant. Dites-moi tout maintenant ou démerdez-vous".

Elle espérait vraiment qu'il plierait à ses exigences. Repenser son plan à mi-chemin seulement du bâton lui apparaissait fort inconvenant, à plus forte raison quand le plan en question trouvait ses origines dans l'esprit d'un autre. Le silence dont cet autre l'affligea durant de longues secondes renforça grandement ses appréhensions, mais il mit fin à son calvaire d'une confession résignée:

"J'étais un membre du culte de Værmina il y a des années, mais mes… convictions personnelles différaient de celles qu'entretenaient mes collègues. J'ai rejoint les adorateurs de Mara pour me repentir de mes actions passées".

Krongrah ! Pensa la Brétonne en soupirant derrière son masque.

"Rien d'autre qui m'éviterait de mauvaises surprises ? Reprit-elle d'une voix qui se voulait impassible.

- Si, peut-être, hésita Erandur, la véritable raison qui m'a poussé à demander de l'aide… Je pense qu'une potion nous permettra de passer la barrière, mais je ne peux ni en prévoir les effets exacts, ni la consommer moi-même.

- Comme c'est rassurant.

- Je vous en supplie, ne m'abandonnez pas maintenant ! Paniqua-t-il brusquement. Si on laisse le Crâne ici, les habitants d'Aubétoile sont condamnés ! Il dévorera leurs souvenirs et emplira leurs esprits de cauchemars ! Je vous en prie-

- Très bien, très bien ! S'agaça-t-elle. Je reste. Passez devant".

Il s'exécuta, piteux, mais néanmoins rassuré. Leur exploration de la bibliothèque se ponctua d'adversaires aux allures de zombies, plus nombreux et résistants que les deux précédents. Heureusement, l'elfe maniait sa masse d'acier avec expertise et attirait de ce fait l'attention des ennemis loin de l'archère, au plus grand plaisir de celle-ci. Cette diversion lui octroyait tout le temps nécessaire pour épingler précisément ses traits sur les mages en robe noire ou les guerriers à la peau verte et leur avancée ne souffrit que d'un retard superficiel.

Dès que la salle fut débarrassée de toute menace, le prêtre décrivit un livre à son alliée et lui intima de le retrouver prestement; la recette du breuvage mystérieux se trouvait entre ses pages et aucune autre piste ne se présentait à eux. Ils inspectèrent donc les lieux sous la couche de cendres jusqu'alors uniforme qui les tapissait, soufflant sur les couvertures souillées et plissant les yeux pour lire les titres des ouvrages abîmés. Leurs péripéties durèrent un moment, arrachant aux deux explorateurs nombre de soupirs et de plaintes frustrés, puis le tome apparut finalement, poussiéreux mais intacte.

"Ah, voilà comment préparer la potion, commença le prêtre en tournant les pages, il faut de la poussière de vampire, un voile éthéré, un œuf de grive…"

Il blêmit lorsque ses yeux sanguins parcoururent une ligne sous la liste des ingrédients.

"Qu'est-ce qu'il y a ? Maugréa Siltafiir en redoutant sa réponse.

- Les composants sont aisément trouvables, déglutit l'elfe, mais le mélange doit se faire le dix de Hautzénith.

- Dans si longtemps ? S'étrangla-t-elle en lisant à son tour les instructions coupables. On n'a pas le temps !

- Je le sais bien, couina-t-il, mais c'est le seul moyen. Espérons qu'un échantillon de la potion aura été conservé dans le laboratoire; cela nous épargnerait bien des efforts.

- Espérons…" Répéta l'Enfant de Dragon en jouant dans son esprit les notes menaçantes d'un rire cauchemardesque.

L'idée d'impatienter un prince daedra lui arracha un frisson tandis qu'ils avançaient vers une porte grinçante. À nouveau, le chemin se parsema d'adversaires à moitié conscients, mais gagnant en férocité à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les tréfonds du temple. Le laboratoire ne se trouvait, par chance, qu'à une courte distance de leur position et les étagères couvertes de fioles ternes et d'ingrédients datés apparurent bientôt devant les explorateurs. S'engagea alors une inspection frénétique des tiroirs et des établis d'alchimiste, à la recherche d'une boisson aux pouvoirs flous.

"Vous ne pouvez vraiment rien me dire de plus sur cette potion ? S'inquiéta Siltafiir en époussetant l'étiquette d'une flasque. Si je dois la consommer, j'aimerais au moins savoir ce qui m'attend.

- Je ne sais rien de plus que le livre, répondit-il en fouillant une rangée de tonneaux, vous disparaîtrez de Nirn et vous mêlerez aux souvenirs d'un autre, pour réapparaître… ailleurs. Je n'ai moi-même eu l'occasion d'en observer les effets et tout ce qu'on m'en a rapporté est resté vague; jamais deux personnes n'ont vécu la même expérience en buvant la Torpeur".

Les épaules de la jeune fille s'affaissèrent, mais elle conserva un calme relatif; si la Maîtresse des cauchemars voulait véritablement qu'elle récupère le bâton, elle l'aiderait sûrement à traverser cette épreuve sans mal. Sûrement. Ses réflexions se virent interrompues par la vue d'une bouteille aux reflets incertains, nacrés comme le ventre d'un coquillage, plus sombres qu'une nuit sans lune, semblant se mouvoir sans cesse et s'immobilisant dès qu'on les inspectait de trop près. Un fol espoir s'empara de Siltafiir en même temps qu'une anxiété affolante. Elle souleva la chose, la passa devant une chandelle et s'abandonna un instant dans ses remous. Des paysages, des visages, des sons liquides et des odeurs palpables se formaient, se déformaient devant ses yeux médusés, se mêlaient au verre qui les emprisonnait et l'animaient de lueurs oniriques. Un regard sur l'étiquette confirma ses soupçons.

"Erandur !" S'exclama-t-elle en courant vers le prêtre, sa trouvaille fièrement brandie.

Il se précipita à sa rencontre, examina immédiatement l'étrange mélange et le rendit nerveusement à son acolyte.

"C'est bien cela, souffla-t-il, êtes-vous prête ?

- Ai-je le choix ? Grinça-t-elle en fixant la boisson aux reflets soudainement moins enjôleurs.

- Il y a toujours un choix".

Facile à dire quand on laisse les autres faire le sale boulot, pensa-t-elle en relevant son masque jusque sous son nez.

Elle ingurgita la Torpeur d'un trait. Le liquide glacial lui envahit la bouche, engourdit sa langue, son palais, ses gencives, lui traversa les chairs, étira ses boyaux, et son dernier contact avec Tamriel fut le son de la fiole qui se brisait contre les dalles du temple. La cassure résonna durant de longues minutes, ou peut-être une fraction de seconde seulement, pour se muer en un brouhaha agressif, écho d'une bataille enragée. Les sortilèges grésillants répondaient au crissement des lames et des marteaux; les envahisseurs orsimers poussaient les adeptes jusqu'aux limites de l'édifice, ayant investi la dernière salle, la dernière défense du Crâne de la Corruption.

"Nous n'avons pas d'autre choix: le Miasme doit être utilisé ! S'exclama un Dunmer en fixant Siltafiir. Frère Casimir, êtes-vous prêt à servir la volonté de Notre Dame ?"

Elle s'étonna d'abord qu'on la nomme Casimir, puis se trouva plus surprise encore lorsqu'elle reconnut cet elfe jamais rencontré auparavant et qui s'adressait à elle si familièrement. Il s'appelait Veren, occupait un poste de haut rang au sein du culte cauchemardesque, maîtrisait les enchantements et la magie d'altération comme personne et adorait la soupe de tomates. Comment savait-elle tout cela ?

"Je suis en paix avec moi-même. Je suis prêt. Répondit-elle d'une voix grave, masculine, vibrante d'adrénaline et totalement indépendante de sa propre volonté.

- Alors c'est décidé. Frère Casimir, vous devez activer la barrière et réveiller le Miasme. Ne laissez rien vous arrêter. Il s'interrompit un instant, inspira profondément et se tourna vers un Nordique au regard sombre. Frère Thorek, vous et moi resterons ici et protégerons le Crâne. Au prix de nos vies s'il le faut".

Ils acquiescèrent à l'unisson et les jambes de Casimir s'élancèrent sans tarder dans un couloir, emportant sa passagère impromptue dans une course folle entre les combats environnants. Il courait, zigzaguait, évitait les sorts perdus et les flèches d'orichalque, enjambait les corps inertes et priait Værmina de le laisser atteindre son but sans y perdre un membre ou un organe. La jeune fille, spectatrice impuissante de cette fuite qu'elle jugeait fort malhabile, sentait les émotions de son hôte enfler rapidement. Une peur étouffante croissait à mesure que l'objectif se rapprochait, une peur dénuée d'intérêt pour les orcs, une peur mal placée selon Siltafiir. Surgit alors des ombres une hache démesurée, brandie par dix doigts, couverts du sang de leurs ennemis, qui s'échappaient des mains calleuses d'un guerrier aux dents proéminentes. Casimir couina de terreur, mais éleva bien vite une barrière translucide qui freina l'attaque mortelle, ne lui infligeant qu'une superficielle coupure sur un bras. Dans sa main inutilisée, le sorcier concentra toute la magie qu'il pouvait emmagasiner et envoya un sphère lumineuse droit sur la menace. Figé dans son élan, l'orc bascula, puis heurta les dalles du temple sans même échapper un grognement, tandis que sa proie fuyait au loin en bénissant Veren pour lui avoir appris ce sortilège de paralysie.

Il atteignit enfin le mécanisme qui allait plonger le sanctuaire dans un sommeil avilissant, un sommeil dont il ne se réveillerait sûrement jamais. La main de Casimir frôla la poignée métallique, mais n'osa l'actionner. Son cerveau hurlait à son poignet de se baisser, d'en finir avec cette mission capitale nécessaire à la préservation du culte, mais ses membres refusaient, protestaient de par leur implacable immobilité. Il tourna ses yeux vers les escaliers qui menaient à la sortie du temple, entraînant en même temps ceux de la Brétonne, et se vit possédé d'une envie innommable. La voie était libre. Il pouvait fuir. La passagère clandestine admit que sa couardise contenait quelque sagesse, mais une pensée pour les autres serviteurs de Værmina les rappela tous deux à l'ordre; des images de rires, de complicité, d'amitié apparurent dans leurs esprits mêlés, engendrant une amère culpabilité. Si le Miasme demeurait inutilisé, ils mourraient tous. Pour rien.

Casimir inspira profondément, puis enclencha la machine. Des engrenages rouillés crissèrent derrière les murs et une brume sombre envahit la pièce, obstrua toute lumière, arracha un cri étranglé à Siltafiir qui tenta de s'en protéger en levant les mains, mais ne se trouva que plus horrifiée quand elle fut incapable d'apercevoir lesdites mains. Elle s'immobilisa alors, prenant conscience d'un changement capital dans le déroulement des événements; Casimir ne contrôlait plus ses faits et gestes. Elle réalisa à ce même instant qu'une désagréable pression lui tiraillait le nez, et tenta de le frotter de sa paume invisible. Elle se sentit stupide.

Rajustant son masque, qui était demeuré soulevé jusqu'au dessus de ses lèvres, elle reconnut immédiatement la barrière auparavant infranchissable et la désactiva en brisant la gemme qui l'alimentait.

"Ça a marché ! S'étonna une voix familière. Vous êtes revenue !

- Je suppose, oui. Marmonna-t-elle en reprenant lentement contact avec le monde réel et, surtout, avec son propre corps.

- Qu'est-ce que… S'enquit Erandur d'un ton plus calme. Qu'avez-vous vu ?

- L'invasion, l'activation du Miasme, beaucoup de combats, énuméra-t-elle en se frottant la nuque, le tout depuis la tête d'un certain Casimir".

Disant cela, elle fixait attentivement l'expression du Dunmer. Il tressaillit à la mention du nom.

"Vous le connaissiez ? Continua-t-elle en s'étirant.

- Oui. Nous avons commencé notre formation en même temps." Murmura-t-il avec amertume.

La jeune fille se sentit mal d'avoir ravivé ainsi les souvenirs d'un camarade disparu et insista pour qu'ils reprennent vite leur chemin. Ces pensées furent vite mises de côté, car les victimes du Miasme, plus enragées que jamais, se levaient rapidement et fonçaient tête baissée vers les intrus. Atteignant une bifurcation, Siltafiir frissonna. Elle se retourna un instant pour réaliser qu'elle était déjà passée par-là, sur les jambes de Casimir, après l'utilisation précipitée du sortilège paralysant. Elle voulut prévenir son compagnon de route, mais un orc, ce même orc rencontré de près durant son voyage immatériel, s'en chargea dans un hurlement familier. Contrairement à Casimir, Erandur ne sut réagir et la hache sanguinolente s'approcha dangereusement de ses organes vitaux. Si dangereusement que la Brétonne sentit un réflexe lui contracter les poumons, étreindre sa gorge et pousser son souffle avec force dans le but d'avorter cet assaut mortel.

FUS RO DAH

Le cri balaya la roche, souleva la poussière et jeta l'assaillant contre un mur en gratifiant la parleuse d'un craquement satisfaisant. Elle s'empressa de lui décocher une paire de flèches, ne s'accordant une dose d'oxygène que lorsque le corps massif stoppa tout mouvement et s'effondra définitivement dans un grognement étouffé. Elle soupira d'aise, mais se renfrogna bien vite sous les regards éberlués de l'elfe. Il ouvrit la bouche, demeura un moment dans son état hébété et osa demander:

"Comment avez-vous… ?

- Un cadeau des divins. Répliqua-t-elle en se tournant, bras croisés, vers un mur couvert de mousse.

- Vous… Vous êtes l'Enfant de Dragon.

- Sans blague… Marmonna-t-elle trop bas pour qu'il puisse l'entendre.

- Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ? Reprit-il en avançant d'un pas.

- Pour que vous ne vous fassiez pas de fausses idées, grinça-t-elle, les gens s'imaginent vite des histoires de grandeur quand ils entendent ce nom.

- Je comprends." Soupira-t-il en baissant les yeux.

L'Enfant de Dragon releva les siens, détailla son acolyte par les orbites fendues de Krosis, puis parla encore une fois:

"Ne le dites à personne".

Il frissonna devant la dureté de son ton, mais acquiesça en ramenant ses pas en direction de leur but.

"Oui, bien sûr. Oh, et merci. Merci de m'avoir sauvé".

Elle hocha simplement la tête et le suivit dans les dédales du donjon. Seule une poignée de minutes leur fut nécessaire pour atteindre l'antichambre de la salle centrale, mais une épreuve ultime les y accueillit. Dès que la lumière des chandeliers les enveloppa, deux silhouettes les rejoignirent que la jeune fille reconnut immédiatement.

"Veren… Thorek… Vous êtes en vie ! S'exclama le prêtre d'un souffle ému en gardant malgré tout ses distances.

- Salutations, frère Casimir, gronda l'autre Dunmer, une main sur son arme.

- Je n'utilise plus ce nom, corrigea l'adepte prodigue en se tassant sur lui-même, je suis Erandur, prêtre de Mara.

- Tu es un traître ! Explosa son ancien ami. Tu nous as abandonnés et fui le Miasme avant qu'il puisse te prendre.

- Non, je- j'avais peur, je n'étais pas prêt à dormir, je-

- Assez de mensonges ! Cracha Veren. Ni toi ni ton alliée ne vous approcherez du Crâne, prêtre de Mara !

- Alors je n'ai pas le choix…"

L'humaine observait la scène d'un œil confus, se croyant revenue dans les brumes de la Torpeur, mais se vit contrainte de retrouver le monde réel quand Thorek, l'adepte de Værmina le moins loquace qu'elle ait rencontré jusqu'alors, décida de remanier à coups d'épée la longueur de son espérance de vie. Elle protesta sans hésiter, contrant l'assaut du Nordique d'un trio lexical qu'elle affectionnait particulièrement.

YOL TOOR SHUL

L'ennemi bascula dans un cri terrifiant, se protégeant le visage de ses mains cloquées, pendant que les deux autres combattants se tournaient vers la source du tumulte. Des gerbes embrasées fendirent l'air de toutes parts, puis se dispersèrent subitement quand l'Enfant de Dragon les traversa dans une course sauvage, deux sabres dégainés, vers son adversaire effondré. Elle crut déceler, entre les saccades de sa propre respiration, la supplique enragée de Veren qui lui hurlait de baisser ses lames loin de l'adepte incapacité, mais ne l'écouta même d'une oreille tandis que Thorek s'étranglait de douleur sous l'assaut de Mort-Dragon et de l'épée prise à Delphine.

Trop absorbée par sa tâche macabre, elle ne vit ni n'entendit le sortilège jeté contre sa personne et qui la statufia au milieu de son action, immobilisant jusqu'à ses globes oculaires. Elle se balança un instant dans le vide, puis salua de près les dalles sanglantes qui couvraient le sol. Plus rien ne lui parvenait du duel entre les deux elfes que des remous sonores, mélange de lutte et de débat, d'accusations aigres, de crissements métalliques, de justifications tremblantes et de magie destructrice.

La paralysie ne dura que quelques secondes, mais celles-ci parurent interminables à Siltafiir qui sentait son cœur accélérer à mesure que les échos du combat ralentissaient. Un froissement de tissu coupa court à ses réflexions en même temps qu'un scintillement caractéristique; Thorek vivait encore et conservait assez de lucidité pour démontrer ses capacités de guérisseur. Au comble de la panique, elle ne put retenir une exclamation soulagée quand ses muscles s'assouplirent enfin et s'empressa de ramper loin de tout danger immédiat. Le Nordique ne voulut guère lui laisser cette occasion et abandonna ses soins pour la bombarder de flammes vengeresses. Elle hoqueta sous la chaleur des volutes brûlantes et lâcha sa lame d'acier pour défendre ses yeux des lumières orangées. Son bras gauche en souffrit. Sa peau se gondola où se posaient les caresses dévorantes, des larmes transpercèrent ses paupières plissées et les mots lui manquaient. Ce n'est qu'à l'instant où le sorcier atteignit les limites de son énergie - que sa guérison avait fortement entamée - qu'elle retrouva l'usage de ses cordes vocales et, plus que décidée à punir cet impudent mortel, de sa rage.

Elle se redressa et, sans laisser lui laisser le temps de lever son arme, usa encore de son héritage ancestral.

KRII

Il recula en titubant, happant l'air comme un saumon fraîchement pêché, ses traits pâlissant tandis que son énergie vitale nourrissait l'attaquante. Cette dernière se jeta en avant, l'excitation des hostilités surpassant la douleur de son membre échaudé, et frappa de sa main épargnée. Mort-Dragon évinça rapidement le danger, ses grésillements fouettant joyeusement les chairs déjà affaiblies par la Voix. Alors qu'un Thorek inerte heurtait le sol, le Dovahkiin reporta son attention sur Veren et Erandur - ou Casimir, les faits demeuraient flous. Les opposants luisaient chacun d'une aura identique à celle qu'arborait le Nordique quand ses blessures se refermaient et la jeune fille se rappela pourquoi les duels de mages duraient souvent si longtemps. Elle se rua sur le dernier rempart qui les séparait du Crâne et hacha l'air sans retenir ses coups. Décontenancé par cette double agression, Veren succomba bientôt et les survivants glissèrent contre un mur en soufflant bruyamment.

"Je connaissais bien Veren et Thorek, murmura le Dunmer après un instant, ils étaient… mes amis.

- Je sais. Je les ai vus dans le souvenir de Casimir. Votre souvenir". Répondit-elle d'un ton rauque en serrant son bras contre elle.

Il l'observa un instant, s'attarda sur sa peau cuisante et offrit d'y remédier.

"Laissez-moi voir ça, dit-il dans un sourire fatigué, je vous dois bien cela".

Elle acquiesça en lui tendant ses chairs meurtries et ses traits se tordirent sous le masque; l'adrénaline retombait, la douleur reprenait ses droits sur ses perceptions. Elle soupira d'aise lorsqu'un souffle doux se mêla à ses brûlures, les traversa d'une brise apaisante et chassa la peine qui les transperçait. Elle rabaissa ses paupières, appuya sa tête contre la paroi et se détendit au rythme de la guérison. Décidément, cette magie-là prouvait son utilité, au plus grand bonheur de la Brétonne et à son plus grand dam. Se trouver soudainement entourée d'experts en la matière lui rappelait son inaptitude à elle-même produire la puissance nécessaire et elle serra le poing. Le prêtre interrompit ces brimades silencieuses et annonça que son bras se remettait rapidement.

"Merci. Dit-elle simplement en massant son poignet à la peau renouvelée.

- Ce n'était rien, comparé à ce que vous pouvez faire". S'extasia-t-il en fixant la face inexpressive de Krosis.

Elle répliqua d'un grondement sourd, mais n'osa se plaindre de cette remarque; cela s'avérerait déplacé après les soins et la gentillesse prodigués. Sans compter qu'un autre problème se posait: il faudrait le convaincre de ne pas détruire le Crâne. Elle exhala avec lassitude et traîna son regard vers l'objet concerné. Ses sourcils se froncèrent.

"Il y a une barrière autour du Crâne, remarqua-t-elle platement.

- Ce n'est pas un problème. Je peux la désactiver".

Peut-être qu'elle attendrait encore un peu avant de lui révéler ses intentions. Juste au cas-où…

D'un accord tacite, ils se remirent sur pieds et avancèrent vers leur but. Gravissant lourdement les quelques marches qui menaient à l'autel, Erandur leva les bras, appelant à l'aide Dame Mara pour accomplir sa mission. Siltafiir déglutit. Sa poigne refermée sur le pommeau de Mort-Dragon, elle réfléchissait rapidement aux mots adéquats. Une autre option lui fut proposée.

Tuez-le.

Il lui tournait effectivement le dos, l'occasion était trop belle, la voix suave de Værmina ne manquait pas de raison. La jeune fille tira lentement sa lame du fourreau dans l'idée de régler ce problème, mais s'immobilisa soudainement, tiraillée par la désagréable sensation que cette envie ne venait pas d'elle. Un son cassant brisa ses réflexions. Le bouclier était tombé.

"Nous y sommes presque, s'encouragea le prêtre essoufflé, plus qu'un dernier effort".

Arrêtez-le ! S'énerva le prince d'Oblivion.

"À ce propos… Interrompit-elle en dévoilant entièrement son arme. Je ne peux pas vous laisser faire ça".

Il se figea.

"Quoi ?

- Ordres de Dame Værmina: je dois prendre le bâton. Il restera loin d'Aubétoile, si ça peut vous rassurer.

- Non ! Ne vous laissez pas tenter maintenant ! S'agita-t-il en levant sa garde.

- La décision s'est prise avant que je vous rencontre, confia-t-elle en adoptant une posture similaire.

- Vous m'avez menti !

- Regardez qui parle.

- L'Enfant de Dragon ne devrait pas…

- Je vous avais prévenu: les gens s'imaginent vite des histoires de grandeur quand ils entendent ce nom. Maintenant, coopérez. Ça m'embêterait de devoir vous éliminer".

Il répondit d'un œil sombre et illumina sa paume d'une lueur verdâtre. La Brétonne, qui s'attendait à une telle réaction, déclama rapidement son discours de secours.

IIZ SLEN

Il s'effondra, pris dans la glace au pied du Crâne et, une seconde plus tard, crachait son dernier souffle les pupilles rivées sur son éphémère alliée. Celle-ci retira immédiatement son épée de la poitrine inanimée et ôta maladroitement son masque pour respirer librement. Elle fixa le cadavre, un goût amer sur la langue, mais se répéta qu'elle n'avait eu d'autre choix. Mieux valait cela que la colère d'un Daedra. Elle saisit piteusement l'artefact si durement gagné et frissonna à son contact, ne sachant décider s'il lui apparaissait chaud ou froid, lourd ou léger. Élégant ou terrifiant.

Oh, mais je vous reconnais, susurra alors la voix, c'est votre souvenir qui dégageait tant d'arômes, de couleurs et de sons.

"Vous… n'êtes pas Værmina ? S'étonna Siltafiir en jetant des coups d'oeil nerveux alentours.

Je suis une part de Værmina, de sa puissance, siffla l'interlocuteur invisible, et je lis dans votre mémoire qu'elle m'a promis à vous.

L'humaine tomba les yeux sur l'arme qu'elle tenait fermement.

"Vous êtes le Crâne ?"

En effet, ricana-t-il, à votre service très chère détentrice.

"Je ne m'attendais pas à ce que vous ayez une conscience propre".

Il faut bien cela pour se nourrir sans serviteurs. L'invasion qui les a anéantis m'a forcé à improviser.

"Vous étiez bien gardé, remarqua-t-elle alors en fixant les orbites de sa nouvelle acquisition, et apparemment capable de vous alimenter seul. Pourquoi la Dame semblait-elle si impatiente de vous faire sortir ?"

Parce que, comme vous, elle ne s'attendait pas à ce que j'aie une conscience propre. Mes actions sur la ville d'Aubétoile l'ont alertée. L'indépendance effraie les Daedras, surtout quand cette indépendance est accordée au seul lien permanent qu'ils entretiennent avec Nirn.

"Værmina ? Effrayée ?"

Elle a déversé une grande part de son pouvoir dans ma création. Ma destruction et ma rébellion sont deux choses qu'elle ne peut accepter.

"Je vois, et vous m'expliquez cela parce que… ?"

Je décèle un pacte dans vos souvenirs. Un pacte avec notre amie commune. Un pacte dont vous voudriez bien être exemptée.

Elle acquiesça avec une soudaine fébrilité.

Si nous associons nos efforts, nous nous affranchirons tous deux de son emprise.

"Vous parlez de défier la Maîtresse des Cauchemars. Je ne suis pas certaine d'approuver".

Préférez-vous qu'elle s'empare de votre âme ? Pour l'éternité ?

"Vous marquez un point. C'est quoi le plan ?"

Je… ne sais pas encore, avoua l'artefact à son interlocutrice déroutée, mais tant que vous vivrez, nous aurons le temps d'y réfléchir. Beaucoup de choses sont possibles lorsqu'on possède une âme telle que la vôtre.

"Si vous le dites, marmonna-t-elle en accrochant le bâton à ses bagages avant de reprendre, j'ai encore une question."

Oui ?

"Vous avez parlé d'un de mes souvenirs, avec des sons, des odeurs et tout ça. C'était donc vous la mâchoire de feu noir l'autre nuit ?

Je l'admets. Ayant consommé les meilleurs morceaux de la ville depuis longtemps, sentir tant de fraîcheur m'a émoustillé. Impossible de résister. Je m'étonne malgré tout que vous vous rappeliez de notre première rencontre. Mes repas ont, en général, tendance à m'oublier aussi vite qu'ils m'ont connu. Vous êtes puissante.

"Merci. Je suppose".

Elle frissonna de nombreuses fois en traversant le temple à contresens. Au moins, Aubétoile serait débarrassée de ce fléau, se disait-elle. Erandur n'aurait pas rendu son âme à Mara pour rien. Son dos s'arrondit à la pensée de l'associé temporaire qu'elle avait trahi presque sans hésitation. Elle enserra une des lanières de son sac et s'autorisa un triste soupir. Tant pis. Le mal était fait. Mieux valait en tirer tous les avantages possibles, que sa mortelle décision endosse une apparence correcte. Pardonnable.

Elle sortit rapidement du bâtiment. Sans ennemis et sans barrières sur la voie, l'édifice apparaissait bien moins volumineux. Ses yeux se plissèrent devant le soleil de midi.

Ne restait qu'à vaincre Alduin. Rien que ça…

À suivre…

Mot(s) draconique(s):

Krongrah ! - Victoire !

Désolé pour l'attente, chers lecteurs, mais j'ai éprouvé une peine non-négligeable à avancer ce chapitre, ma page blanche s'étant trouvée alimentée par la sortie de Pokémon X et Y. Encore désolé. Mais ces jeux sont trop, trop biens !

Bref ! cela étant dit je ne peux que vous demander, encore une fois, de me faire part de vos avis, constructifs ou non (quoique la première option est quand même appréciée).

Merci de votre fidélité et à bientôt. Je ne sais pas quand exactement, mais soyez patients.