Ahraansezin ! Honneur Blessé

Des champs de neige s'étendaient de toutes parts, ponctués de collines, de forêts, de mares sanglantes qui menaient à une montagne, un gigantesque pic couvert de glace et de brume. De là-haut descendaient des hurlements orageux et Siltafiir savait qu'ils provenaient d'un énorme ours noir et que cette bête était responsable des flots sanguins qui maculaient le paysage. Si personne ne l'arrêtait, elle dévorerait tout le monde, le monde entier, mais aucun n'osait, aucun ne savait comment, alors les gens effrayés poussaient la Brétonne en avant, vers le danger, parce qu'ils pensaient qu'elle trouverait le moyen.

Elle baissa les yeux sur son arc, la seule arme dans tout le pays capable de toucher l'ennemi sous sa carapace poilue, et se résigna. Personne d'autre ne pouvait le faire, il était donc logique qu'elle s'en charge. Malheureusement, l'ours noir se cachait dans une grotte, hors de portée de ses jambes engourdies. D'ailleurs, plus elle avançait vers la tanière de l'ennemi, plus celle-ci gagnait en hauteur, ou peut-être que le sol s'aplatissait pour l'éloigner de son but.

Elle batailla ardemment, souleva son pied droit, puis le gauche, puis encore le droit, jura en s'apercevant qu'elle reculait, s'acharna de plus belle, tomba à quatre pattes et creusa la neige de ses doigts énervés pour se frayer un passage. Sans succès.

"Quelle fière chasseresse, railla soudainement un homme à l'attitude nonchalante, qui se déplace comme du vulgaire gibier."

Elle ne lui prêta aucune attention, continuant de lutter vainement contre la glace, ne parvenant qu'à lui dérober un éclat de rire moqueur, puis abandonna en plongeant son nez entre les flocons. Après quelques instants, elle releva la tête et ordonna sèchement:

"Aide-moi."

Cela doubla l'hilarité de l'importun, mais il s'approcha malgré tout d'une démarche leste, tendit sa main et empoigna le bras de la jeune fille pour la redresser. Refusant de la lâcher, il parla d'un ton grave qui contrastait vivement avec ses gloussements mutins:

"Cette arme, que tu as enchantée grâce à la vie d'êtres moins puissants que toi, voleuse d'âme, te confère un pouvoir inégalé, mais, si forte que tu sois, tu n'atteindras jamais la tanière de l'ours noir sans ailes."

Elle tiqua devant cette scène si inédite que familière, avant de baisser la tête dans un mouvement défaitiste. Il avait raison. Peu importait qu'elle ne manque jamais sa cible, si la cible demeurait hors de vue.

"Je peux te montrer un chemin, déclara-t-il en lui présentant sa paume, un passage que très peu connaissent."

Elle hésita, peu désireuse d'accorder sa confiance à un parfait inconnu, mais dut avouer que les options se raréfiaient, et chaque seconde comptait. Dans un geste à la motivation toute relative, elle s'empara de cette poigne secourable et se sentit immédiatement tirée vers la montagne. L'homme foulait la neige avec une légèreté impossible, piétinait un chemin que lui seul pouvait voir, guidait leurs pas avec assurance. Elle même n'éprouvait tant de facilité, glissant, trébuchant dans les crevasses, incapable de trouver ses marques sans s'accrocher désespérément au bras de son sauveur. Elle crut l'entendre plusieurs fois siffler d'amusement, mais ne put rassembler l'énergie nécessaire pour s'en offusquer, trop distraite par le vent de plus en plus violent, par le froid de plus en plus intense, par les forêts et les villages qui rapetissaient et s'effaçaient derrière un rideau de neige.

Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser qu'ils s'étaient immobilisés, perdue dans la contemplation de ce monde maintenant minuscule, à peine plus gros qu'une fourmilière. Elle se tourna quand même vers le pic, déçue de découvrir que l'ascension ne s'achevait là, mais rassurée par sa nette avancée.

"Ma route s'arrête ici, déclara le guide en libérant la voie, j'attendrai ton retour. Ou celui de l'ours noir."

Elle jeta un dernier regard dans son dos, observant ce paysage miniaturisé que noyaient maintenant les rugissements incessants de la bête, puis soupira, se demandant une seconde ce qui la poussait encore à protéger ce monde si fragile, si aisément détruit. Elle chassa cette réflexion fort négative et marcha résolument vers la cible. Le brouillard s'épaississait, le vent portait les cris morbides dans toutes les directions, mais l'avancée de Siltafiir ne souffrit que peu de ces intempéries. Décidée, sachant pertinemment que tout la renverrait à cette tâche même si elle l'ignorait de toute son âme, elle gagna la tanière obscure, profonde, et s'y engouffra sans plus réfléchir.

La fureur des éléments s'apaisa brusquement, les cris s'étouffèrent dans le silence de la caverne, seuls emplissaient l'endroit une brume stagnante et le bruit de ses pas. Une sérénité oppressante l'enveloppa, la réalisation que plus rien au monde n'avait d'importance, à l'exception de ce combat si proche. Elle sentait pratiquement le souffle du monstre courir le long des parois, son haleine brûlante, le sifflement de sa respiration entre ses crocs gourmands, et elle continuait d'avancer, voyant défiler le couloir tandis que la fatalité de l'instant s'insinuait dans son esprit.

Soudainement, un choc sourd se détacha des ombres, le son d'une patte s'écrasant sur la terre humide, puis une autre, puis un grognement affamé, puis une paire d'yeux rouges. La jeune fille s'immobilisa, les bras ballants, son arc menaçant de glisser d'entre ses doigts découragés, ses pensées obstruées par la proximité de l'imposant prédateur. Qu'avait-elle cru, au juste, en entrant dans cette grotte ? Que ses flèches vaincraient ce colosse ? Qu'elle, une enfant, pourrait abattre le seigneur de cette montagne ? Comme pour répondre à ces questions résignées, l'ours se dressa sur ses pattes arrières, et la gamine tenta de reculer, mais ses jambes n'écoutaient pas. Il éleva un éventail de griffes acérées, tout prêt à souffler la petite fille qui s'était aventurée chez lui, et elle voulut détourner le regard, protéger son visage de ce coup mortel, mais ses bras et sa tête l'ignoraient. Tandis que l'attaque fondait sur sa silhouette statufiée, elle essaya de hurler, elle maudissait tous les hommes et femmes qui l'avaient poussée à grimper jusqu'ici, à se jeter dans ce piège évident, mais sa gorge demeura inactive. Elle contracta tous les muscles de son corps, espérant que l'affaire se conclurait rapidement, sans fioritures, sans douleurs inutiles. L'ours frappa.

Siltafiir se redressa dans un cri, puis se recoucha immédiatement, une main serrée sur ses côtes douloureuses.

"N'essayez pas de vous lever, la blessure est profonde." Lui intima la voix la plus douce qu'elle ait jamais entendue.

Elle ouvrit les yeux avec difficulté, observa distraitement les lumières d'un feu virevolter contre des murs de pierre et des colonnes moussues, identifia l'architecture d'un temple nordique, puis les événements qui s'y étaient déroulés lui revinrent à l'esprit. Elle se remémora brusquement une douleur aiguë dans son épaule, puis le froid intense qui l'avait suivie, puis une peine plus grande encore près de son ventre et, repérant la personne qui avait parlé, ouvrit la bouche.

"Vous m'avez tiré dessus ! S'indigna-t-elle d'un timbre rauque en reconnaissant la dénommée Karliah.

- Et ce faisant je vous ai sauvé la vie, répliqua la Dunmer.

- Vous m'auriez encore mieux sauvée en visant Mercer, renchérit l'ingrate.

- Je n'avais pas de ligne de tir dégagée, argua l'elfe en plissant ses yeux mauves, il me fallait agir rapidement. La léthargie causée par mon poison a ralenti votre rythme cardiaque; sans cela, l'hémorragie vous aurait tuée à coup sûr.

- Il n'y aurait pas eu d'hémorragie si j'avais pu bouger.

- Mercer vous aurait assassinée de toute manière, rétorqua froidement Karliah, au lieu de ça, vous êtes libre d'agir sans risquer qu'il vous recherche.

- Mais… Vous… J-Je vous dois vraiment la vie… Merci, concéda-t-elle finalement.

- Votre dette est plus grande que ce que vous pensez, soupira sa bienfaitrice d'un ton épuisé, ce poison a requis une année entière de préparation, et je n'en avais assez que pour une seule flèche.

- Oh.

- Notre seul espoir d'attraper Mercer maintenant, c'est d'amener une preuve de sa culpabilité à la Guilde.

- Pourquoi ne pas simplement le tuer ? Grogna la blessée en se rappelant de plus en plus clairement la scène qui avait précédé son sommeil.

- Nous aurons besoin de soutien si nous voulons l'arrêter.

- Pas forcément, j'ai quelques tours dans mon sac qui… Mon sac… Mon équipement ! Où sont mes affaires ?" Paniqua-t-elle en réalisant que seule une fine couche de bandages couvrait son torse frissonnant.

Karliah la rassura de suite en indiquant son bagage, mais un coup d'œil sur l'objet de ses inquiétudes la troubla à nouveau. Contre son bon jugement, elle sauta d'entre les couvertures, grimaça quand sa plaie la lança et se jeta en avant. Elle examina chaque poche, chaque couture, compta ses armes et ses pièces d'armure, serra affectueusement le manche de Mort-Dragon, caressa Krosis de son pouce, mais une impression de vide demeurait, un sentiment que quelque chose, non, quelqu'un manquait.

"Le Crâne ! Couina-t-elle en se saisissant la tête.

- Le quoi ?

- Mon bâton ! Vous devez l'avoir vu !

- Je n'ai rien trouvé d'autre. S'il n'est pas ici, c'est que Mercer a dû le prendre; il aime dépouiller les cadavres."

La rage de Siltafiir l'empêcha d'entendre l'aigreur qui suintait de ces mots. Elle crispa les doigts sur le cuir de ses pantalons, cherchant encore son compagnon du regard tout en sachant qu'il lui aurait déjà parlé s'il avait été présent. Ses dents crissèrent, son sang bouillonna, et sa décision se prit sans délai.

"Je vais le massacrer ! S'exclama-t-elle en frappant le sol de ses poings. Tol nivahriin lir fen dir !"

Elle s'immobilisa quand le temple vibra, décrochant des avalanches de poussière du plafond, arrachant un sursaut silencieux à Karliah.

"Qu'avez-vous fait ? Murmura celle-ci en examinant anxieusement les colonnes gémissantes.

- Je… me suis laissée emporter." Répondit-elle avec incertitude.

L'elfe n'insista pas et préféra lui révéler son plan, espérant qu'elle voudrait bien calmer ses ardeurs assez longtemps pour l'écouter. Elle se réjouit de trouver une oreille attentive en cette alliée de fortune et, une séance d'habillage pénible et un repas plus tard, Siltafiir creusait la neige de ses genoux engourdis en direction de Fortdhiver. Il était vrai que le seul moyen d'atteindre Mercer passait pas le quartier général de la Guilde, et que tous ses membres haïssaient Karliah comme un sombrage hait le Thalmor. Si elle rentrait maintenant, le traître prétendrait qu'un sortilège d'illusion lui brouillait la vue et que l'elfe contrôlait ses pensées et actions.

Seule contre le maître - ce titre lui arracha un frisson dégoûté - elle aurait eu ses chances, mais contre tous les voleurs, même avec la Voix, elle doutait de pouvoir échapper à la fois aux dagues de Vex et à l'épée de Delvin. Décidément, il fallait leur amener une preuve. Elle feuilleta le journal que la Dunmer lui avait confié et sur lequel s'étalaient d'étranges symboles, priant les divins pour qu'Enthir, le contact de Karliah à l'Académie, sache les déchiffrer. Sinon, elle y perdrait son âme et sa Guilde. Elle fronça des sourcils concernés derrière son masque.

Traçant un chemin invisible sur l'étendue blanche qui la séparait de Fortdhiver, elle autorisa ses pensées à dériver, se rappelant son rêve et sa fin abrupte. Cette sombre prémonition avait abandonné la jeune fille dans un état de confusion profonde. Cela voulait-il dire qu'Alduin vaincrait ? Si c'était le cas, à quoi donc servait sa quête ? Des larmes picotaient ses yeux fatigués, sans compter que sa blessure la démangeait cruellement. Comme dans son rêve, la tentation de s'effondrer le nez en avant sur le tapis immaculé la saisit, mais elle la réprima dans un reniflement frustré, aidée dans cet effort par l'apparition d'une toiture, puis de murs la soutenant, puis d'autres bâtiments. Bon, peut-être qu'elle n'abandonnerait pas tout de suite.

Le pied traînant, elle atteignit l'auberge et, poussant la porte, lâcha un grognement satisfait. La chaleur du foyer se répandait dans la bâtisse, détendait ses membres malmenés, ramenait un peu de vie dans ses poumons gelés. Les notes d'un luth, le parfum d'un ragoût, les élucubrations d'un ivrogne, la recette de base de tout troquet nordique. Sans qu'elle ait besoin de chercher, une paire d'oreilles pointues rencontra ses yeux, posées sur un mage au dos courbé et à la chope remplie.

"Enthir ?" Murmura-t-elle en s'arrêtant juste derrière lui.

Il se retourna vivement, ne l'ayant entendue s'approcher, puis reconnut la face de Krosis.

"Enfant de Dragon ? S'étonna-t-il en redressant le dos. Que me vaut-

- C'est Karliah qui m'envoie, coupa-t-elle sèchement, on a besoin de vous pour décrypter ce journal."

Elle dégaina le cahier et tomba mollement sur le banc, à la droite du mage, avant de le lui tendre. Il revêtit une expression intriguée, puis s'en empara avidement.

"Vous êtes en relation avec la Guilde, remarqua-t-il en s'intéressant à l'ouvrage.

- Et ?

- Et rien, effaça-t-il dans un mouvement du poignet, ce journal, est-ce celui de Gallus ?

- Oui. Vous comprenez ce qu'il a écrit ?

- Pas le moins du monde, mais je saurais identifier ses méthodes entre mille. Ce bon vieux Gallus, trop intelligent pour son propre bien.

- Je vois, siffla-t-elle en s'accoudant sur la table, connaissez-vous un moyen de le traduire ?

- Il s'agit de falmer ancien, autant dire que les personnes qui le peuvent le lire sont rares, mais il y a bien quelqu'un…

- Dites-moi tout, encouragea-t-elle d'une ardeur renouvelée.

- Un dénommé Calcelmo, à Markarth."

Elle enfouit son crâne entre ses mains. Entreprendre un voyage en Morrowind lui aurait demandé moins de temps qu'une expédition à Markarth.

"Merci quand même." Souffla-t-elle en lui arrachant le livre sans écouter ses protestations.

Voulant s'approcher du comptoir pour réserver une chambre, elle se pétrifia soudainement, saisie par la conviction que quelque chose de néfaste allait s'abattre sur elle d'une seconde à l'autre. Cette impression se confirma quand un grésillement bien connu lui parcourut le corps; le chant d'une âme toute prête à se faire dérober. Immobile, attentive, elle patienta fébrilement, priant les divins, sans trop d'espoir, pour que cette menace s'en aille. Un éclair douloureux lui traversa les côtes à cet instant, et, grimaçante, elle passa rapidement les doigts dans l'ouverture de son plastron, pour étouffer un juron quand ils en sortirent poisseux et rougeoyants.

Elle se sentit l'envie de pleurer, mais ravala cet accès de faiblesse en se répétant que vaincre un dragon dans un ville, même si décrépite que l'était Fortdhiver, demeurait un tâche aisée. Les gardes faisaient des appâts idéaux - à condition de ne pas être Ralof - et les maisons offraient un abri efficace. Résignée, elle se dirigea vers la porte, sentant avec une netteté grandissante l'aura du dragon qui volait dans sa direction, mais dut s'arrêter à nouveau quand deux personnes entrèrent dans la taverne, l'une tirant l'autre par la manche.

"Allez, ça fait des semaines que t'es à l'Académie et t'as jamais visité le Foyer Gelé, insistait la plus grande des femmes.

- Mais, ça pourrait être dangereux.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Gloussa sa camarade. Les gens d'ici ont peur de nous. Ils préféreraient combattre un troupeau de trolls plutôt que d'énerver un mage.

- Oui, mais, je n'ai pas terminé mes recherches et…"

Elles remarquèrent alors la figure masquée, aux épaules lasses et à la respiration saccadée, qui se tenait devant elles, se laissèrent surprendre par sa présence, puis plus encore par son départ précipité. Elle les contourna et, tandis qu'elle sortait, ordonna:

"Restez à l'intérieur."

Le claquement du bois ponctua sa phrase et les sorcières échangèrent des regards confus.

"Est-ce que c'était l'Enfant de Dragon ? Questionna Brelyna en se frottant la nuque.

- C'était-elle, confirma Evangeline.

- Je me demande ce qu'il y a de si spécial dehors.

- Allons vérifier." Décida la Brétonne, prête à tout pour quitter cette taverne miteuse.

Avant même qu'elle ne puisse toucher la poignée de la porte, un fracas orageux ébranla les fondations du bâtiment. Les étudiantes oublièrent définitivement l'avertissement du Dovahkiin et se ruèrent à l'extérieur, des sortilèges grésillant déjà au bout des doigts. Une tempête enflammée accueillit leur témérité. Le battement lourd d'une paire d'ailes gigantesques couvrit les toits, puis le sol se déroba sous leurs pieds quand le dragon atterrit au milieu de la ville. Elles se redressèrent hâtivement, mais un second rugissement les foudroya sur place.

YOL TOOR SHUL

Le monstre cracha sa fureur contre une archère masquée et encapuchonnée que les magiciennes reconnurent de suite, mais elle ne tenta même de s'abriter. Personne ne le voyait, mais un sourire carnassier avait fendu ses lèvres, la satisfaction de savoir que, même si elle ne surpassait jamais Alduin, nombre de ses sujets tomberaient de sa main. Ou de sa langue. Se remémorant le combat d'Untereizind et Lokmiinag, elle inspira profondément et, sentant le brasier s'approcher, répliqua en conséquence.

FUS RO DAH

Les mots brûlants rebroussèrent chemin, droit sur la face écailleuse de celui qui les avait prononcés, et la parleuse se félicita de sa tactique en chargeant, son épée dégainée. Malheureusement, l'excitation du combat ne sut effacer suffisamment les souffrances de son flanc, et les coups qu'elle asséna n'infligèrent que des dégâts superficiels. Le reptile profita de cette faiblesse pour se ressaisir et lança ses crocs en avant, droit sur l'impertinente qui avait osé retourner ses paroles contre lui. La parade maladroite qu'elle éleva ne résista pas à la puissance de l'assaut; son dos heurta le sol, elle lâcha Mort-Dragon. Un moment durant, les côtes en flammes, la vision floutée par le choc, elle crut que c'en était fini, que Værmina pourrait clamer son âme encore plus tôt que prévu, mais une explosion embrasée déstabilisa la bête, provenant d'une sorcière aux paumes crépitantes de magie.

Siltafiir se réjouit honteusement de voir l'ennemi se retourner contre sa sœur. Celle-ci recula, intimidée, puis se jeta derrière un mur quand le dragon l'insulta rageusement. Son acolyte, malgré tout encouragée par l'offensive, attaqua également. L'Enfant de Dragon profita de leur diversion bienvenue pour rassembler ses esprits, puis, reposant son poids sur ses jambes flageolantes, voulut se mêler une fois de plus aux hostilités. Elle essaya de crier, mais chaque inspiration, si infime qu'elle soit, envoyait de douloureux éclairs au-travers de sa blessure cuisante. Si seulement elle avait écouté les avertissements de Karliah concernant son poison et ses vertus anti-cicatrisantes, elle serait restée tranquillement couchée à attendre qu'il se soit dissipé. Au lieu de ça, la voilà qui se disputait avec un dragon. Belle convalescence en perspective.

Levant les yeux, elle paniqua en voyant les deux étudiantes, jetées à terre par les mouvements d'ailes et de queue du reptile. Elles s'étaient trop approchées, les idiotes ! Instinctivement, elle serra l'amulette de Talos au-travers de son armure, puis combattit la douleur, les larmes aux yeux, les paupières plissées par l'effort.

IIZ SLEN NUS

Une prison polaire saisit le monstre des pattes jusqu'à la mâchoire, mais elle se craquelait déjà face à la résistance de son corps massif. Loin de s'en alarmer, la Brétonne savoura la douceur de ses rotmulagge, appréciant le baume froid qu'ils jetaient sur ses membres courbaturés, puis retourna à l'attaque, ramassant au passage sa lame enchantée. La fin était proche, elle le sentait; l'âme paniquée du dragon se détachait de son corps affaibli, seconde après seconde, sort destructeur après sort destructeur. Enivrée par ses instincts avides, la jeune fille plongea son épée si profondément qu'elle le pouvait sous les couches d'écailles et se délecta du râle déchirant qui suivit. Sa gorge striée de profondes entailles, il tomba enfin, soulevant un épais nuage de terre et de flocons. Elle l'imita, abandonnant sa lutte contre la tétanie qui étreignait peu à peu ses muscles. À nouveau, les dalles du chemin se plantèrent dans son dos, et sa chair sanglante aurait dû s'enflammer sous le choc, mais le crépitement du cadavre obnubilait ses sens.

"Ursanne !"

L'interpellée grogna à l'entente de ce nom abhorré, mais ricana quand la combustion du dragon fit couiner son aînée. Elle s'autorisa un soupir de bonheur tandis que, morceau par morceau, l'essence immortelle se mêlait à la sienne, nourrissait son pouvoir et soulageait ses peines physiques et morales mieux que tous les remèdes du monde. Qu'est-ce que c'était bon; pourquoi devait-ce être si bref ?

"Ursanne ? Essaya encore sa sœur d'une voix tremblante.

- Ne m'appelle pas comme ça…

- Tu es blessée ?

- Ouais."

Disant cela, elle appuya délicatement sur sa plaie et s'étonna de n'en dégager qu'un léger picotement; la douleur avait profité de son euphorie pour s'évaporer complètement. Elle s'assit en ouvrant son plastron, grommela à la vue de sa tunique devenue écarlate, haussa les épaules, puis se tourna vers sa sœur:

"Je suis à court d'habits propres.

- C'est du sang ? S'étrangla-t-elle en reculant.

- Essaie pas de me faire croire que t'en as jamais vu.

- Il faut te soigner !

- T'inquiètes, c'est déjà fait. Apparemment."

Puisque, de toute évidence, les âmes des dragons possédaient des vertus curatives, pensa-t-elle en se tâtant les côtes. Elle avait pu constater qu'elles la revigoraient, la réchauffaient, la rassasiaient, mais découvrir qu'elles la guérissaient de maux plus graves, ça, c'était une bonne surprise.

"Vous devriez quand même vous faire examiner, conseilla alors Brelyna.

- Après avoir autant saigné, je ne sais pas comment vous faites pour être encore consciente, ajouta Enthir, qui était finalement sorti de la taverne, ayant pris garde d'éviter le gros de l'agitation.

- Je vous dis que ça va, s'agaça-t-elle une fois debout, j'ai juste besoin de nouveaux vêtements. Où est-ce qu'on trouve ça ?"

Les mages, ne manquant de glisser des yeux furtifs sur sa tenue imbibée, se concertèrent silencieusement, puis Evangeline s'avança:

"Je vais te prêter quelque chose, déclara-t-elle en retroussant le nez, tu en profiteras pour te laver, tu sens la mort."

Ses collègues échangèrent des regards étonnés devant tant de familiarité, pendant que Siltafiir cherchait une réplique fumante dans sa réserve d'insultes. Malgré ses désirs de vengeance, elle parvint à réfréner ses ardeurs. Il était vrai que son dernier bain datait, et que les auberges n'offraient que rarement un service confortable - son rapide coup d'œil à la taverne de Fortdhiver ne présageait rien de très luxueux. Sans compter que sa sœur lui devait des explications concernant un certain avis de recherche.

"Très bien. Toute occasion de ne pas alléger ma bourse est bonne à prendre."

D'un geste révérencieux, elle leur indiqua le pont qui menait à l'Académie. L'étroitesse du chemin ne permettant qu'un déplacement en ligne, Enthir et Brelyna prirent la tête du convoi.

"Vous avez l'air de bien vous connaître, remarqua la Dunmer en observant les Brétonnes par-dessus son épaule.

- Nos parents sont de très bons amis, déclara immédiatement Siltafiir, on a été obligées de passer une grande partie de notre enfance ensemble.

- Oh, d'accord." Répondit-elle en gobant le semi-mensonge.

Alors qu'ils traversaient un endroit où les rambardes laissaient place à une chute pour le moins mortelle, la plus jeune attrapa la ceinture de sa sœur. Celle-ci fit volte-face, visiblement agacée.

"Vous faites quoi ? Héla Brelyna en se retournant.

- Partez devant, répliqua Siltafiir, on ne va pas faire long."

Elle haussa les épaules et obtempéra, imitée par le Bosmer. Evangeline, quant à elle, fixait sa cadette d'un œil anxieux.

"Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda-t-elle en rajustant nerveusement ses robes.

- Est-ce que tu as informé nos parents de ma présence en Bordeciel ?

- Ils s'inquiétaient." Se défendit brusquement l'accusée en comprenant trop bien où tout cela se dirigeait.

L'Enfant de Dragon s'assura qu'aucun témoin ne pourrait interrompre leur discussion, et elle empoigna à deux mains le col de son aînée. D'un glissement du pied, elle effectua un quart de tour, puis poussa Evangeline vers le bord du pont, à l'endroit exact où la barrière était la plus érodée.

"Qu'est-ce que tu fais ? Paniqua la rouquine en agrippant l'une de ses manches.

- Je t'inculque les usages à respecter quand on discute avec une légende vivante. Un: pas de magie. Tu me ranges gentiment ces étincelles ou je te laisse tomber sans négociations.

- Tu tomberas avec moi ! Couina la sorcière d'une voix qui se voulait menaçante.

- J'y survivrai, ricana-t-elle avant de continuer son énumération, deux: mentionner mon hygiène avec autant d'irrespect, devant d'autres personnes en plus, c'est juste mesquin. J'en ai tués pour moins que ça. Trois: ne m'appelle plus jamais, jamais, "Ursanne". Si tu oses encore une fois utiliser ce nom…"

Elle se tut, resserrant sa prise, laissant à la magicienne tout le loisir d'imaginer ce que le Dovahkiin pouvait faire subir à ses victimes.

"Un quatrième point que je devrais connaître, Enfant de Dragon ? Marmonna-t-elle d'une voix tremblante.

- Tu vas te dépêcher d'écrire à père pour lui dire que j'ai trouvé ses avis de recherche et que j'ai fui en direction de Lenclume. Non, attends, plutôt Cyrodiil. Ouais, Cyrodiil, c'est plus crédible.

- Autre chose ?

- Hm… Non."

Elle replaça l'autre Brétonne sur une surface stable et la laissa s'effondrer, blême et outrée, incapable de tenir debout après un tel traitement.

"Je me disais que tu avais été sympa la dernière fois, grommela-t-elle en se massant le bas du dos.

- Lève-toi. Mon bain va pas se préparer tout seul."

L'étudiante obéit sans délai, plus consciente que jamais du regard de sa cadette contre son dos.

"Je ne savais pas pour les avis de recherche, dit-elle sans se retourner, je pensais que nos parents seraient simplement… contents de savoir que tu es vivante.

- Vraiment ? Tu es sure que ce n'est pas juste un autre moyen de me pourrir la vie ?

- C'est vrai ! Insista-t-elle en accélérant le pas. Tu aurais dû voir leurs têtes quand on a trouvé ta lettre. Ils étaient morts de trouille.

- Et toi ?

- Quoi ?

- Tu étais inquiète pour moi ?"

La sorcière ralentit sensiblement, serrant les bras contre son torse.

"Non." Souffla-t-elle, la tête baissée.

Elle s'arrêta juste devant le portail de l'Académie.

"J'avais passé des nuits entières à prier les divins pour que tu disparaisses. Je croyais… J'espérais que tout serait plus simple si tu t'en allais, que père et mère arrêteraient de gaspiller leur temps avec toi et s'intéresseraient enfin à mon éducation.

- Mais… ?

- Mais tout ce qu'ils font depuis ton départ c'est essayer de te retrouver ! S'exclama-t-elle en frappant du pied. Ils sont encore plus obnubilés qu'avant par ta petite personne !"

Elle regretta immédiatement ses paroles débridées, craignant pour sa vie, mais tout de même heureuse de s'être débarrassée de ce poids, et sursauta quand une tape rustre, mais amicale, lui secoua l'épaule.

"Si ça peut te rassurer, j'ai jamais compris leur délire non-plus. Allez, plus vite je serai propre, plus vite je reprendrai ma route, et tu pourras continuer tes tours de magie sans avoir à me supporter."

Rassurée par cette empathie inattendue, surtout après un aveu si peu flatteur, Evangeline se remit en marche et elles passèrent bientôt les portes du Pavillon de l'Accomplissement pour descendre vers la salle d'eau des apprentis. L'invitée se laissa surprendre par le décor métallique qui les y attendait, par les vis, les boulons, les soudures qui descendaient du plafond et formaient un sinueux réseau de plomberie contre les murs. Au fur et à mesure qu'elles s'allongeaient, les routes géométriques se divisaient en de fins tuyaux jaunâtres, menant tous à une cavité rectangulaire qui creusait le centre de la pièce.

"On se croirait dans une maison dwemer, remarqua la plus jeune en inspectant les robinets.

- Beaucoup des résidents de l'Académie ont étudié ce peuple, et, comme tu peux le voir, certains ont partagé leurs découvertes." Expliqua fièrement la magicienne en enclenchant le mécanisme.

Un gargouillement parcourut les murs et, quelques secondes plus tard, une fine vapeur s'élevait du fond du bassin tandis qu'il se remplissait dans un concert d'éclaboussures.

"Impressionnant." Admit Siltafiir alors qu'elle ôtait enfin son masque.

Evangeline se laissa alors distraire par le visage de sa cadette. Depuis quand arborait-elle un faciès si sérieux ? Elle l'avait toujours connue d'un naturel expressif, les sourcils arrondis par la joie ou la peur, souvent pliés dans une courbe boudeuse, parfois arqués sous une poussée de curiosité, mais pas aujourd'hui. Devant elle, se tenait une femme aux traits tirés, à l'air las et aux sourcils désespérément horizontaux.

"Hum… Un peu d'intimité, c'est possible ?" Grinça cette dernière, les bras croisés.

La sorcière cligna quelques fois des yeux, peinant à s'extraire de ses réflexions, puis s'excusa avant de sortir.

"Je repasse dans un moment pour t'apporter des habits."

Sur ces mots, Siltafiir se trouva seule. Le vrombissement de la tuyauterie sembla gagner en force, aucune autre distraction ne pouvant traverser les épais murs de pierre. Terminant de découvrir sa peau souillée, elle échappa un sifflement impressionné devant la cicatrice toute neuve qui soulignait sa cage thoracique, juste sur la rate. Même au-travers d'une armure, ce salaud de Mercer savait viser là où il fallait pour causer une mort si lente qu'inévitable. À moins d'être plongé dans un coma empoisonné, bien entendu. La jeune fille serra les poings en pensant au traître, mais parvint à se détendre un peu lorsqu'elle posa un pied dans la cuve d'eau fumante. Doucement, elle s'y glissa jusqu'à tremper sa mâchoire, s'installa confortablement sur le banc de roc immergé, et ronronna de plaisir tandis que son stress fondait comme neige au soleil. Elle étira ses jambes et ses bras, testa la souplesse de ses phalanges, puis, dans un dernier bâillement, reposa ses mains devant elle.

Son bain aurait pu se dérouler sans anicroche, aurait pu, rien qu'un moment, la délester de toute pensée parasite, mais le contact léger, habituellement innocent, de sa paume contre sa cuisse, éveillait de brûlants souvenirs. L'image de Ralof dévorant sa gorge, la sensation de ses doigts calleux explorant son dos, et surtout cette poigne curieuse, impatiente, rampant près de son ventre. Sans même s'en rendre compte, elle retraça le parcours du sombrage sur sa jambe, puis monta plus haut encore, les joues chauffées par sa propre audace. Que se serait-il passé, si elle ne l'avait pas arrêté ? Il aurait continué son trajet, peut-être bifurqué au niveau de sa hanche, serait descendu sous le nombril en continuant d'embrasser les zones sensibles de son cou.

"Me revoilà. J'ai pris deux tenues, comme ça t'en auras une de re… change… Ça va ?

- Très bien ! Très, très bien ! Rien à signaler ! S'excita la cadette, qui s'était dissimulée hâtivement contre le bord du bassin.

- D'accord… Je les pose là, reprit l'aînée d'un ton suspicieux, ma chambre est tout en haut de la tour, s'il te faut quelque-chose.

- Ouais, ouais, merci… " Marmonna Siltafiir, le visage rouge d'embarras.

À peine la porte claqua-t-elle que la jeune fille reprit son ouvrage. Elle tenta de repenser à Ralof, à ses lèvres, à ses doigts, mais l'image d'Evangeline ne cessait de lui revenir en tête. Elle lutta ardemment, essaya de se rappeler l'odeur du soldat, le picotement de son menton hirsute, sa voix rauque et douce tout à la fois, mais sa sœur prenait le contrôle du champ de bataille, et bientôt ne subsistait rien d'autre dans l'esprit de Siltafiir qu'une crinière de feu et une paire d'yeux jaunes trop bien connus. Jurant entre ses dents, elle croisa les bras et s'enfonça jusqu'au nez dans le bouillon pour ruminer sa frustration. Si elle s'était tue, si elle avait laissé le Nordique la toucher un peu plus longtemps, peut-être que ce combat mental contre la magicienne aurait été moins inégal.

Elle s'aplatit piteusement le front en réalisant que, de toute manière, il se serait réveillé en pleine action, et qu'elle se serait retrouvée cul-nu au centre de Quagmire. Ça n'était pas ainsi qu'elle imaginait sa première fois. Pas qu'elle sache vraiment comment se l'imaginer, mais elle était à peu près certaine que ça ne ressemblerait pas à ça. Bah, tant pis, elle ne connaîtrait pas ce plaisir dont tant de gens vantaient les bienfaits avant d'avoir arrêté Mercer.

Ah, Mercer. Elle se réjouissait de l'étriper. Non, c'était trop gentil. Elle commencerait plutôt par lui couper les doigts, enchaînerait avec faas et ru pour lui faire souiller son froc, l'écorcherait ensuite, puis, finalement, après l'avoir laissé la supplier pendant de longues minutes où il se viderait de son sang, lui décocherait une réplique digne des plus pompeux romans d'aventure et l'achèverait d'une dague dans le cœur. Ou peut-être que Karliah, Brynjolf et tous les autres membres de la Guilde l'atteindraient en premier. Ils méritaient, et désiraient, leur revanche au moins autant qu'elle. Bah, tant pis; rêver ne faisait pas de mal.

Déposant ses coudes sur le rebord du bassin, elle soupira. N'empêche, il faudrait bien qu'elle trouve un moyen adéquat de punir le traître. Si l'opportunité d'en finir se présentait, elle se devait d'être préparée.

Oui, maintenant qu'elle y songeait, les lèvres étirées dans un rictus carnassier, elle avait peut-être une idée.

À suivre…

Termes draconiques:
Tol nivahriin lir fen dir ! - Le ver couard mourra !

J'ai passé le rating à M, parce que, malgré une lecture attentive des règles de FFnet, j'éprouve quelque difficulté à cerner la frontière entre "minor suggestive adult themes" et "suggestive adult themes". On est dans la cour des grands maintenant.
Comme à chaque chapitre, je vous demande humblement, ô lecteurs adorés, ce que vous pensez de mon texte. Les descriptions sont elles trop courtes ou trop longues ? Les personnages agissent-ils de manière crédible ? L'histoire se déroule-t-elle à un rythme approprié ?
Est-ce que vous aimez ?
Que vous laissiez un commentaire ou non, merci d'avoir lu, et que Dibella, protectrice des artistes, guide votre inspiration.