Siltafiir ! Voleuse d'Âme

Tout de même, c'est ironique. Le dernier Falmer à encore avoir des yeux, et voilà que vous l'aveuglez.

Seul un grognement agacé répondit à cette observation. Si le Crâne avait eu des lèvres et des poumons, il aurait soupiré de frustration. Comme si la mort de Siltafiir ne suffisait pas, son meurtrier et remplaçant ne lui parlait pratiquement jamais, et quand il le faisait, ses mots ne transpiraient rien de plus que le mépris, l'arrogance ou la colère. Ses anciens souvenirs abritaient certes des émotions positives, mais depuis qu'il avait dérobé cette Clef Squelette l'envie le rongeait sans relâche. On ne pouvait rêver pire compagnie.

Le Crâne en avait connu des jaloux, des nerveux, des ambitieux peinant à trouver satisfaction malgré leur désirable situation, mais celui-ci en surpassait la plupart. À dire vrai, les seuls êtres qu'il connaissait dont l'esprit demeurait plus dérangé que celui de cet homme-là étaient des daedras, et en Oblivion il était normal de penser et se comporter de la sorte. Sur Nirn, par contre, cela apparaissait fort impoli, et même malsain, surtout quand ces émotions transformaient leur porteur en meurtrier. Oh, bien des choses poussaient les hommes à tuer leurs semblables, mais l'égoïsme était la pire de toutes, très certainement. Enfin, c'est ce que le Crâne avait déduit à force de grignoter des mémoires. Les mortels possédaient un sens de la moralité extrêmement variable.

Même Siltafiir, qui était pourtant restée modérée dans ses émotions, avait bifurqué d'enfant innocente à tueuse confirmée en à peine quelques mois. Pas qu'elle ait prémédité ses choix, contrairement à ce Bréton-là, sans compter qu'elle nourrissait des regrets quand ses actions causaient des souffrances à autrui, ce que Mercer ne faisait jamais. Bien qu'étant un artefact aux origines "démoniaques" - il n'aimait pas ce terme, trop de connotations négatives - cet homme le dérangeait profondément. Décidément, si l'occasion de changer de porteur se présentait, il ne cracherait pas dessus. Il ne trouverait sûrement personne d'aussi agréable, ou au moins d'aussi amusant que Siltafiir, cependant, au vu des circonstance, il ne pouvait se permettre de faire la fine bouche - pas qu'il eût de bouche à affiner, mais cette expression lui plaisait.

"Et d'un !" Souffla Mercer après avoir délogé une pierre précieuse énorme de l'orbite d'une statue démesurée.

La gemme tomba sur le col du Falmer métallique dans un bruyant tintement et le voleur s'attaqua à sa jumelle. Le Crâne ne répondit pas. Si ce type ne voulait pas lui parler poliment, il ne réagirait pas à ses remarques; simple échange de bons - ou plutôt de mauvais - procédés.

Et puis, il oublia son porteur. Trois personnes se trouvaient juste à l'entrée de la caverne, et s'il avait eu des yeux, il les aurait écarquillés. Oh, il se doutait qu'un petit groupe filait Mercer, il avait ressenti leur présence depuis un long moment déjà, mais jusqu'ici, ils étaient demeurés trop éloignés pour qu'il pût les reconnaître. Jusqu'ici. Là, il jubilait, et s'il avait possédé des jambes, il danserait de joie. Il ne savait pas comment elle avait survécu, encore moins comment elle l'avait retrouvé, mais il s'en fichait.

Siltafiir - et par extension sa meilleure chance d'échapper à Værmina - vivait bel et bien. Ne restait plus qu'à éliminer ce malfrat colérique et ils pourraient reprendre la route ensemble, tout en échangeant des mots amicaux et en dévorant les souvenirs de mortels sans importance. Tout redeviendrait comme avant, surtout que, malgré son indéniable habileté, Mercer ne faisait pas le poids face à trois opposants, particulièrement face à l'Enfant de Dragon. Connaissant la jeune fille, elle devait se réjouir de lui faire connaître sa manière de penser. Le Crâne espérait simplement que la caverne ne s'effondrerait pas lorsqu'elle userait de sa voix.

En attendant, le trio préparait une approche discrète; celle qui devait être Karliah dispensait des instructions aux deux autres, mais Siltafiir trépignait, inattentive, son visage masqué rivé sur leur ennemi. C'est alors que Mercer décoinça le second œil de Falmer et le laissa tomber aux côtés du premier, pour finalement se retourner vers les intrus.

"Karliah… Quand apprendrez-vous que vous ne m'aurez pas par surprise ?"

Ces mots pétrifièrent le petit groupe assez longtemps pour permettre au traître d'empoigner la Clef Squelette, la brandir au-dessus de sa tête et libérer un pouvoir qui ébranla les fondations de la grotte. Le Crâne sentit la panique le saisir quand une énorme pierre se détacha du plafond et manqua d'écraser ses sauveurs, mais les réflexes de ceux-ci leur évitèrent cette triste fin. Malheureusement, la plateforme sur laquelle ils se tenaient ne put en dire autant et elle céda, emportant Siltafiir dans sa chute, pendant que les deux autres se plaquaient contre la porte pour mieux se retrouver coincés par les débris. Usant de son ton le plus hautain, Mercer héla celle qui s'était étalée sur le sol inondé.

"Je reconnaîtrais Brynjolf et Karliah entre mille, mais vous… Vous n'êtes pas Vex, ni Tonilia, et ils n'auraient pas pris Saphir avec eux…

- Je suppose que tu ne t'attendais pas à me revoir, toussota-t-elle en se redressant, même si j'espérais t'avoir marqué un peu plus que ça."

Il se figea.

"Au moins, je sais que tu n'auras plus le temps de m'oublier, siffla-t-elle en abaissant son capuchon et masque de Rossignol.

- Tu as survécu, renifla-t-il d'un ton méprisant, j'aurais dû te planter mon épée dans le cœur au lieu de m'amuser.

- C'était ta plus grosse erreur. Maintenant donne-moi cette clef et ce bâton, sinon je vais devoir les arracher de ton cadavre. Ou non, résiste, ce sera plus marrant."

Il fronça les sourcils et leva les yeux vers Brynjolf et Karliah, qui parvenaient à se libérer de l'effondrement.

"De bien grands mots pour une si petite fille.

- Tu n'as pas idée, ricana-t-elle en dégainant son arc, allez, descends de là, qu'on en finisse.

- Hélas pour toi, je ne fais pas dans le trois contre un." Ponctua-t-il en levant une main vers les deux autres, qui étaient enfin sortis des décombres.

Siltafiir sursauta quand Brynjolf poussa un cri. Elle se retourna pour le voir se jeter sur Karliah, ses dagues sorties.

"Qu'est-ce qui se passe ? Hoqueta-t-il en attaquant sans retenue. Je ne me contrôle pas ! Je…

- C'est Mercer !" Cracha l'elfe en esquivant.

La Brétonne blêmit, de peur et de rage, puis arma une flèche et la pointa sur son ennemi. Mais il s'évapora. Elle cligna plusieurs fois des paupières, comme pour effacer une hallucination, mais dut se rendre à l'évidence: il usait d'un pouvoir d'invisibilité.

"Bien essayé, souffla-t-elle, mais ça ne prend pas avec moi…"

Elle inspira profondément et murmura:

laas

Une silhouette rougeoyante descendait les marches qui longeaient les murs de la grotte, mais s'immobilisa quand Siltafiir posa son regard et sa ligne de tir droit sur elle. Malgré l'urgence de la situation, malgré le duel forcé qui se tenait dans son dos, malgré la caverne qui tremblait et menaçait de s'effondrer d'une seconde à l'autre, plus rien ne comptait, que sa proie fuyante, que sa respiration bloquée. La situation était idéale; pas de vent, pas d'arbre ou de rocher derrière lesquels se dissimuler, pas d'échappatoire. Les pupilles dilatées, elle lâcha la corde et observa son trait fendre l'air droit sur la cible.

Mais Mercer était plus intelligent et prévoyant qu'un animal, et sa silhouette floue n'autorisait qu'une visée imprécise, alors la flèche se brisa sur la roche. Dans un juron, la jeune fille en saisit une autre de son carquois et banda à nouveau son arc, mais dut abandonner cette idée quand le traître réapparut et se rua sur elle bien trop vite pour lui permettre de tendre la corde. Elle esquiva de justesse l'épée dwemer qui lui avait troué le ventre quelques jours plus tôt et, reculant, sortit Mort-Dragon de son fourreau. Alors qu'il l'attaquait encore une fois, elle autorisa un rictus à lui tordre le visage.

FUS RO DAH

Il vola sur plusieurs mètres pour s'écraser contre la statue géante, et Siltafiir profita de l'avoir sonné pour charger. Il parvint à lever sa lame juste à temps pour parer l'attaque de la jeune fille, arborant tout de même un air confus face à ce pouvoir inattendu. Les épées crissaient, leur fil glissant l'un contre l'autre, tandis que les deux Brétons s'engageaient dans un duel de regards.

"Qu'est-ce que c'était que ça, cracha-t-il en repoussant lentement son assaillante.

- Surprise ! Siffla-t-elle. Tu ne t'attendais pas à affronter l'Enfant de Dragon, hein ?

- Espèce de sale petite…"

Il ne termina pas sa phrase, préférant lancer un coup de pied dans le ventre de la jeune fille. Elle tituba et dut réfléchir rapidement quand l'épée de son ennemi fendit l'air.

FEIM

Sa forme spectrale lui épargna une douloureuse entaille et les combattants profitèrent de ce temps-mort pour s'écarter l'un de l'autre.

"Un tel pouvoir, et tu l'offres à Nocturne. Quel gâchis.

- Je n'aurais rien eu à lui offrir du tout si tu m'avais laissé ce bâton !

- Oh, alors tu sers juste tes propres intérêts ? On n'est pas si différents à ce que je vois.

- Qu-quoi ? Non ! Je… Non !

- Mais je suppose que c'était prévisible pour l'Enfant de Dragon, ricana-t-il en appuyant ces derniers mots comme une insulte, plus on a de pouvoir, plus on en veut.

- Ce n'est pas…

- Et c'est pour ça que tu t'es associée à Værmina, que tu t'es emparée de son bâton et de la puissance qu'il renferme.

- Tais-toi !"

Elle ne savait exactement quand son corps avait retrouvé sa consistance, mais le problème ne se trouvait pas là. Mercer n'était pas si proche de la vérité qu'il aurait voulu le croire, mais ses mots la frôlaient juste assez pour agiter les nerfs de Siltafiir. Et éveiller sa voix. Une violente secousse décrocha plusieurs rochers du plafond, et des colonnes d'eaux les suivirent, venant épaissir le tapis aqueux. Malgré son assurance hautaine, le Bréton recula, se trouva même obligé de se tenir à une pierre pour éviter de basculer, et jeta un regard effrayé au Dovahkiin. Le sang bouillonnait dans ses veines et les mots suivants se prononcèrent sans qu'elle s'en rendît compte.

YOL TOOR SHUL

Le torrent de flammes engloutit Mercer, le cachant à la vue de la jeune fille. Lorsqu'il se dissipa, elle écarquilla les yeux, surprise de ne rien voir, pas même de carcasse fumante, mais sentit sa colère redoubler quand le traître sortit de l'eau en inspirant une profonde bouffée d'air.

"J'avoue que c'est impressionnant, mais la force ne sert à rien sans discipline." Moqua-t-il en empoignant le Crâne.

Dans un cri sauvage, elle chargea, vexée, blessée, et ne se rendit pas compte du mouvement de son ennemi. Il pointa l'artefact daedrique sur elle et, brusquement, tout devint noir.

Des flammes sombres obstruaient sa vision.

Sa tête manqua d'exploser, ou du moins c'est ce qu'elle crut.

Ses oreilles s'emplissaient de rugissements aussi terrifiants que ceux d'un ours.

Sa peau la brûlait, ses os fondaient.

Son nez étouffait sous des odeurs cadavériques.

Sa langue se desséchait, se couvrait d'amertume.

Et puis la lumière revint lentement. Les reflets des lampes dwemers dansaient sur l'eau à seulement quelques centimètres de son nez. Le grondement de la grotte en train de s'effriter grésillait dans ses oreilles, accompagné du duel entre la Dunmer et le Nordique. Ses deux bras étaient immergés jusqu'au dessus des coudes. Tout son corps tremblait.

Siltafiir ! Est-ce que ça va ? Je suis désolé ! Tellement désolé ! J'ai essayé de limiter les dégâts, mais je suis obligé de lui obéir. Oh, dis quelque-chose, lève-toi, réagis, vite ! Il va vraiment te tuer cette fois !

Cette voix, c'était le Crâne. Elle cligna des yeux, une fois, deux fois, puis les leva sur la silhouette de Mercer qui s'approchait rapidement, qui la surplombait, qui allait frapper. Ses membres ne répondaient plus. Non ! Un enfant d'Akatosh ne pouvait mourir ainsi, pas de la main d'un simple mortel, pas dans cette grotte oubliée, pas alors que le monde allait être dévoré par Alduin. Il lui fallait réagir, esquiver, n'importe quoi !

feim

Ça n'était qu'un murmure, mais il suffit à la sauver, bien que ses muscles ne répondent toujours pas à ses tentatives de fuite.

"Je vois que tu aimes ce cri. Je me demande ce qui se passerait si tu redevenais tangible autour de ma lame."

Il illustra son questionnement en passant son épée au-travers du dos fantomatique, et attendit, immobile, un sourire aux lèvres.

"Tu vas détruire le monde, crissa-t-elle, si tu me tues, Alduin gagne…

- Au vu de tes performances, peu importe que je t'épargne. Tu n'as pas la carrure pour sauver Tamriel."

Que ses paroles soient vraies ou non, elle ne pouvait lui échapper. Au moins, elle ne gaspillerait pas plus de temps à poursuivre une quête irréaliste. Elle s'en voulait de décevoir ainsi Karliah, Brynjolf et le Crâne, mais surtout, elle regrettait d'avoir nourri les espoirs de la Guilde, de Delphine, d'Esbern, des Grisesbarbes. Et de Ralof.

Ralof. Il ne connaîtrait jamais son triste destin. Il attendrait pendant des semaines, des mois, peut-être des années, une héroïne dont le corps se décomposerait au fond d'une caverne inondée. Il comptait sur elle, et elle l'abandonnait, à cause d'un accès de colère, à cause de son impulsivité, de son manque de contrôle. Son inconscience allait réduire Bordeciel en cendres.

Allez, debout ! Tu es trop têtue pour abandonner maintenant !

Facile à dire. Elle inspira une longue bouffée d'air, sentant la magie de feim s'évaporer doucement. Puis le râle surpris de Mercer la tira de sa torpeur. Son corps était revenu dans le monde matériel, mais le traître n'avait pu l'achever. Karliah, prouvant une fois de plus son habileté, avait attiré son combat jusqu'à eux et, d'un coup d'épaule, repoussé le Bréton tout en continuant d'éviter les attaques de Brynjolf. La plus jeune rampa au loin aussi vite qu'elle le pouvait. Elle devait gagner du temps, assez pour retrouver ses sens, pour se relever et combattre. De préférence, avant que les deux autres Rossignols ne périssent.

Assise sur l'escalier, elle parvint à tendre la corde de son arc et à viser malgré ses doigts tremblants. Mercer s'était approché des autres et menaçait d'attaquer Karliah; celle-ci ne tiendrait pas plus de quelques secondes face à ces deux combattants. Heureusement, le tempérament du traître ressemblait de près à celui de Siltafiir et, vexé par l'interruption de son ancienne collègue, il s'était détourné de son activité première et laissait à l'archère tout loisir d'assurer son tir.

Il ne remarqua la flèche qu'au dernier instant et, cette fois, ne put totalement l'éviter; elle se planta dans son épaule, juste au-dessus du cœur. Il jeta un regard meurtrier à la jeune fille, maintenant dressée sur ses jambes flageolantes et un sourire triomphant entre les joues. De sa main droite, il serra le Crâne et, à nouveau, le pointa sur son ennemie.

Attention ! Il va m'utiliser ! Esquive ! Esquive !

Mais elle n'avait pas encore retrouvé un contrôle suffisant pour s'échapper, alors elle opta pour une autre stratégie.

ZUN

Le bâton sauta des doigts de Mercer pour atterrir plusieurs mètres derrière lui, et Siltafiir tendit la main vers son carquois. Cependant, il ne lui octroya pas même une seconde de répit et, déjà, courait vers elle son épée brandie. Elle para à l'aide de son arc, mais celui-ci se brisa sous le coup et elle bascula pour se retrouver le dos contre les marches de pierre. Le Bréton engagea une frappe verticale, mais elle jeta l'un des morceaux de son arme en direction du visage barbu, assez violemment pour l'aveugler un instant, et en profita pour lui rendre le coup de pied qu'il lui avait infligé plus tôt.

Il recula de quelques pas, le souffle coupé, et Siltafiir laissa deux mots lui emplir la gorge pour les cracher avec toute la rage emmagasinée durant ces derniers jours.

KRII LUN

Les narines dilatées, le teint blême, il tangua, dut se tenir à un rocher, pendant que son armure se désagrégeait, que son cœur tambourinait furieusement comme pour forcer son corps à rester éveillé et que ses poumons se gonflaient et dégonflaient dans un rythme effréné. Sautant sur l'occasion, la jeune fille força ses jambes à la soutenir et se jeta contre lui de tout son poids, parvenant à le faire tomber et à le désarmer. Elle le maintint prisonnier entre ses cuisses, saisit son cou d'une main suante, et dégaina la dague de verre procurée par Enthir.

Cette fois, il ne pouvait plus lui échapper. Plus aucun mot ne traverserait sa gorge compressée. Le cuir érodé de son armure, affaibli par le cri funeste, ne résisterait pas à la pointe de verre aiguisée. Un simple mouvement, et tout serait terminé.

"Tu sais ce que "siltafiir" veut dire ? Souffla-t-elle en ignorant les doigts qui se plantaient dans son avant-bras. Ça veut dire voleuse d'âme. Et tu sais ce que j'ai dans ma poche ? Une gemme spirituelle noire, juste pour toi."

Une satisfaction sans égale lui fit bourdonner les oreilles quand la terreur illumina les pupilles de Mercer. Elle se rappelait le sourire cruel qu'il avait arboré, juste avant de lui trouer le ventre, et s'équipa de la même expression. Les veines vibraient entre ses doigts serrés, de plus en plus vite, de plus en plus désespérées, tandis que les yeux du traître fixaient la dague enchantée. Si elle avait pu, elle aurait stoppé ici la course du temps, juste pour déguster l'impuissance de celui que toute la Guilde avait considéré comme son chef, le meilleur des voleurs, le plus beau des parleurs, le plus habile des bandits. Mais une telle occasion ne se présentait qu'une fois dans une vie, et s'il s'échappait, tout serait à refaire.

Sans plus attendre, elle planta sa lame dans la poitrine du traître et une aura violacée s'échappa de la plaie pour venir se cacher dans la poche suscitée. La poigne du Bréton se relâcha lentement, sa bouche demeura ouverte dans un cri avorté, ses yeux fixaient le vide.

Mercer était mort.

"Enfin ! Grogna Brynjolf en se laissant tomber par terre. Je peux enfin me contrôler !

- Vous avez réussi ?" Demanda Karliah d'une voix essoufflée.

Siltafiir acquiesça silencieusement, retirant la dague du poitrail inerte et la Clef Squelette de sa poche, puis marcha rapidement vers le Crâne.

Je ne m'attendais pas à ce que tu captures son âme. C'était… démoniaque.

"Il l'avait mérité, déclara-t-elle en ramassant l'artefact.

- Je ne te le fais pas dire ! Confirma Brynjolf en sautant sur ses pieds. Bon, récupérons ces yeux de Falmer. Il est temps de partir.

- Je ne veux pas paraître négative, mais ça risque de ne pas être si simple…" Marmonna Karliah en désignant la porte.

Ils se tournèrent vers la sortie pour mieux pâlir devant l'horreur de leur situation. Un tas de rochers bloquait le passage, et le tapis d'eau s'épaississait de plus en plus vite tandis que les trous du plafond s'élargissaient.

"On n'aura jamais le temps de dégager tout ça." Couina le Nordique.

C'était trop stupide. Tous ces efforts, pour finir noyés et enterrés dans des ruines dwemers. Non, il devait y avoir un moyen !

Pas besoin de déblayer ces cailloux, il suffit d'ouvrir un passage avec la Clef Squelette.

"Hein ?"

Elle peut ouvrir n'importe quoi, pourquoi ne pas t'en servir pour élargir cette fissure, là-haut ?

"Une fissure ?

- Qu'est-ce que vous dites ? S'enquit Karliah.

- Il y a un trou dans le plafond, rapporta la Brétonne, et il a l'air sec.

- Quelle bonne nouvelle ! Siffla Brynjolf. Maintenant dis-moi comment tu fais pour te transformer en ragnard volant et on pourra le traverser.

- Réfléchis une seconde: il suffit d'attendre que l'eau monte, et puis…"

Au lieu de terminer son explication, elle présenta la Clef à ses collègues. L'homme dansa de joie, tandis que l'elfe soupirait de soulagement. Ils n'eurent plus qu'à escalader la statue et, comme suggéré par la jeune fille, attendre que les flots atteignent la fissure. Dès qu'ils purent s'en approcher, Siltafiir planta la Clef dans la petite ouverture et le plafond se craquela. Ils s'engouffrèrent immédiatement dans le tunnel ainsi dévoilé, avancèrent de quelques mètres et s'effondrèrent contre les parois en essorant leurs capes.

"On l'a fait, marmonna Brynjolf en découvrant son visage, ou plutôt, vous l'avez fait… J'aurais pas pu être plus inutile.

- Tu nous as débarrassés d'au moins vingt Falmers quand on est venus, ce n'est pas rien, rit Siltafiir.

- Et puis, si ça n'avait pas été toi, ç'aurait été une de nous deux. C'était juste un manque de chance, assura Karliah en lui posant une main amicale sur l'épaule."

Elle s'appuya contre le mur, laissa tomber sa tête sur le côté, puis soupira lourdement.

"Malheureusement, notre tâche n'est pas terminée. Nous devons encore rapporter la Clef Squelette au mausolée du crépuscule, mais…

- Mais… ? Encouragea Siltafiir.

- Mais je ne pense pas… pouvoir y aller…

- Et pourquoi ça, mam'zelle ?

- Je ne peux pas… me présenter devant Nocturne, pas après l'avoir déçue… Je n'y arriverai pas…

- En tant que nouveau chef, je dois retourner le plus vite possible à la Guilde, déclara brusquement Brynjolf.

- Toujours aussi allergique aux temples et aux histoires de magie, pas vrai ? Railla la Brétonne. Bon, je vais m'en charger. C'est où ce mausolée ?

- À l'ouest d'Épervine, indiqua l'elfe d'un ton suspicieux, vous n'essayez pas de nous forcer à le faire, Brynjolf ou moi ?

- Il faut croire que punir Mercer m'a mise de bonne humeur, répliqua-t-elle en sortant la gemme spirituelle de sa sacoche, je devrais en faire quoi à votre avis ? Je pensais enchanter une paire de bottes, pour avoir l'impression de lui marcher dessus à chaque fois que je les porte.

- Avec un enchantement de silence, histoire de lui clouer le bec pour de bon." Souffla la Dunmer d'un ton étrangement satisfait.

La Brétonne lui décocha un sourire épuisé, mais heureux, et étira ses membres endoloris. Le trio se reposa un moment, laissant leurs armures s'égoutter, puis ils quittèrent la petite grotte. Alors que leurs chemins se scindaient, Karliah attrapa le bras de Siltafiir.

"Rien de tout cela n'aurait été possible sans vous, dit-elle en baissant respectueusement la tête, mon retour dans la Guilde, retrouver et tuer Mercer, récupérer les yeux de Falmer… Je tiens à vous remercier."

Elle lui tendit son arc, une arme délicate faite d'ébonite, luisante de magie, couverte de spirales argentées.

"Le votre s'est brisé pendant le combat et, si vous devez traverser le mausolée, il vous sera plus utile qu'à moi.

- Il est magnifique, s'extasia l'archère en le détaillant et le caressant, et tellement léger… J'en ferai bon usage !

- J'en suis certaine."

Brynjolf s'approcha à son tour, lui offrit une tape encourageante entre les omoplates, fit mine de s'éloigner, puis se retourna et l'attira dans une embrassade étroite.

"Fais gaffe jeune fille. Karliah a raison on n'aurait rien fait de tout ça sans toi.

- Et sans elle je serais morte, et sans toi je ne serais même jamais venue en Bordeciel. Je crois qu'on aura tous droit à une bonne chope d'hydromel quand la Clef sera de nouveau à sa place." Sourit-elle en lui rendant son étreinte.

Ils se séparèrent pour de bon après un dernier salut, et Siltafiir les observa creuser la neige de leurs bottes. Tandis que ses compagnons disparaissaient derrière une colline, elle soupira et se pencha sur le Crâne.

"Je ne pensais pas dire ça un jour, mais tu m'as manqué."

Je te retourne le compliment. Ce Mercer était un poison vivant. Toujours à grommeler, à manigancer… Sais-tu qu'il était jaloux de toi ?

"Sérieux ?"

Oui, il ne supportait pas que tout le monde t'apprécie. Il avait l'impression de revoir Gallus pendant leur jeunesse.

"Pourtant je faisais rien de spécial."

Exactement. Les gens talentueux l'enrageaient. Personnellement, je pense que c'est l'âme de dragon qui fait ça: tes mots influencent la réalité, les gens veulent croire ce que tu dis et ont envie de te suivre. Ou peut-être que c'est juste ton charisme naturel. Ou un mélange des deux. Ce n'est pas exactement mon domaine d'expertise.

"Je suppose que tu as raison. C'est vrai que Saphir m'a raconté… ce qui lui était arrivé, alors que personne n'avait réussi à lui faire dire quoi que ce soit."

Et tu oublies les remises de Tonilia, ou comment Vex t'a défendue, et je ne parle pas de la manière dont tu les as convaincus d'écouter Karliah. Ils l'auraient vraiment tuée sans la laisser prononcer un mot si tu n'avais pas été là.

"Les âmes de dragons sont vraiment puissantes, hein."

Ce devait être pour cela que les daedras les aimaient tant. Elle s'immobilisa, le regard perdu dans le vide.

"À ton avis, entre Nocturne et Værmina, laquelle est la plus forte ?"

Je n'en sais rien. Je n'ai pas souvenir qu'elles se soient disputées, et d'ailleurs je les vois mal s'engager dans une guerre ouverte. Si tu avais conclu un pacte avec Boethiah ou Dagon par contre, ce serait une lutte sanglante.

"Une guerre de daedras… Je n'ose pas imaginer…" Grommela-t-elle en reprenant la route.

C'est vrai que Tamriel en souffrirait. Nirn est leur terrain de jeu favori.

"Comme c'est rassurant…"

Ils se turent un moment, pendant lequel Siltafiir longea le lac qui avait bien failli les noyer elle et ses comparses. Le soleil entamait sa descente, jetant des teintes rosées sur la neige et étirant les ombres des montagnes. Au loin, surplombant la mer, des étoiles apparaissaient une par une, pendant que l'horizon s'assombrissait. La nuit s'annonçait dégagée, sans nuage pour cacher les lunes.

Ce mausolée, ne se trouve-t-il pas à l'ouest ?

"En effet."

Tu te diriges vers l'est.

"Oui, mais Vendeaume est à moins d'une heure de marche. J'ai besoin de manger, de dormir et, demain matin, d'un transport. Pas moyen que je traverse tout le pays à pied."

Et ce sera encore mieux si tu peux voir Ralof, je me trompe ?

Elle ne répondit que d'un sourire, accélérant sensiblement à l'entente de ce nom. Passer à un cheveu du trépas lui avait rappelé l'ordre de ses priorités. Sauver Bordeciel, d'accord, mais elle s'attendait à y trouver un peu de plaisir. Pensant cela, un étrange malaise la saisit; peut-être Mercer n'était-il pas si loin de la vérité. Elle s'intéressait d'abord à son confort personnel et pas à celui du plus grand nombre. Par l'Oblivion ! Elle sauvait une organisation de voleurs, alors que l'avenir du monde reposait sur ses épaules.

"Dis, est-ce que je suis… égoïste ?"

Qui ne l'est pas ?

"Non, mais ce que je veux dire, c'est… est-ce que je suis la bonne personne pour sauver le monde ? La première chose que j'ai faite en découvrant mon pouvoir c'est aller me terrer dans la Souricière pendant six mois, et maintenant, je mets ma mission de côté pour aider des hors-la-loi qui servent un daedra."

Les divins ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. S'ils voulaient que ce soit fait plus rapidement, ils n'avaient qu'à choisir quelqu'un d'autre.

"Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse de t'avoir retrouvé."

Tout le plaisir est pour moi.

Ravivée par ce soutien, elle doubla son allure. Vendeaume se détachait dans le fond du paysage et, déjà, l'idée d'un ragoût bien chaud arrachait des gargouillis impatients à son estomac. Même l'enchantement de résistance au froid de son armure n'assurait qu'une protection partielle quand sa tunique trempée lui collait à la peau, mais heureusement les fumées de la ville laissaient prévoir une douce chaleur devant un foyer bien nourri. Si on lui avait dit qu'une simple auberge lui apporterait tant de réconfort avant même d'en pousser la porte, elle aurait ri au nez du messager. Son expérience à deux pas de la mort lui offrait une perspective nouvelle sur le monde et sur ses trésors, si insignifiants qu'ils soient.

J'étais en train de regarder tes souvenirs, dit soudainement le Crâne en interrompant ses réflexions, pour savoir ce que tu faisais pendant mon absence, et je vois que tu t'es amusée du côté des limbes, en Quagmire.

"Tu pourrais me poser des questions, aussi, ce serait plus… respectueux." Grommela-t-elle.

Veux-tu parler du souvenir d'Alduin ? Continua-t-il en ignorant ce commentaire. J'ai l'impression que tu as très mal pris le fait qu'il te traite moins bien que l'autre Enfant de Dragon.

Elle s'apprêta à lui cracher son mécontentement, mais se ravisa, les dents plantées dans sa lèvre inférieure.

"Ouais, siffla-t-elle, ça m'a énervée."

Enragée serait plus exact. La dernière fois que je t'ai vue pleurer c'était après avoir reçu le Fendragon de plein fouet.

Un grognement lui répondit, tandis qu'elle enfonçait sa tête entre ses épaules.

Veux-tu essayer de trouver des réponses ce soir ?

"Non, murmura-t-elle, on a des choses plus importantes à faire."

C'est toi qui vois.

Réalisant que l'humeur ne se prêtait pas à la conversation, le Crâne se tut et replongea dans la mémoire de sa porteuse. Ça n'était pas non-plus le moment de mentionner Erandur, ni ses pertes de contrôle, ni le fait que retrouver ce Parchemin des Anciens lui prendrait sûrement des mois. Non, il allait l'autoriser à ruminer un moment en paix, au moins jusqu'à ce qu'un repas lui soit servi. Les mortels ne réfléchissaient jamais clairement lorsque la faim les démangeait et, après tout, la ville n'était plus loin.

À suivre…

Ah, j'avais envie de l'écrire depuis longtemps, ce chapitre-là, et, croyez-le ou non, il ne s'est absolument pas déroulé comme je l'avais imaginé. Crétins de personnages qui n'en font qu'à leur tête, je vous jure… Enfin bref, j'espère que vous aimez toujours, et j'attends vos commentaires, positifs et/ou constructifs. Si vous voyez des fautes d'orthographe ou de grammaire, ou si le comportement d'un personnage vous paraît étrange, ou encore s'il y a trop ou, au contraire, pas assez de descriptions, je suis à l'écoute !

Que les ombres vous protègent.